Elle - Mercredi 22 Octobre 2014

Tic Tac. Tic Tac. Plus que trois jours avant la fin de la semaine du saucisson. Plus que trois jours avant la fin de cette Amandine qui se sent bien. Je me sens tellement moi ! Je suis heureuse d'être au BAFA et d'apprendre et d'être productive. Parce que j'ai envie de bien faire ! Et je fais bien. Je suis là pleine d'enthousiasme et de volonté, engagée à fond dans chaque discussion théorique, dans chaque jeu et dans chaque projet.

Et j'ai toujours été comme ça ; même à la fac. Sauf que je n'ai jamais été cent pour cents envie de bien faire ; j'étais soixante-dix pour cents peur de mal faire. Et ce n'est pas pareil du tout ! Là, cette semaine, je n'ai aucune peur. Ils ne nous mettent pas la pression. Si je fais les choses au mieux c'est vraiment juste pour moi et mon plaisir personnel. Et réfléchir et travailler pour son plaisir personnel, plutôt que par peur d'un jugement négatif d'autrui, ça change tout ! En plus, ça me permet d'être beaucoup plus créative. Je ne fais pas selon ce que je m'imagine être leurs attentes. Je fais selon mon bon vouloir. Mais comme mon bon vouloir est plein de pédagogie et de perfectionnisme, tout va bien. Tout va bien pour le BAFA. Et tout va bien avec les gens. Parce que ça a déteint. La peur de mal faire a aussi disparu du domaine social. Je m'en fiche ! Je m'en fiche ! J'ai envie d'être sympa et tout, mais je n'ai pas peur qu'ils me trouvent pas sympa, ou qu'ils me pensent chiante ou bizarre : je m'en fiche !

Plus que trois jours avant de ne plus jamais voir Armando, aussi. Et là, la Super-Amandine sans peurs, elle est un peu moins au rendez-vous. J'ai peur. Je ne sais pas comment faire. J'ai peur de lui laisser voir ce que je ressens et qu'il ne ressente pas la même chose. J'ai peur de pas lui laisser voir ce que je ressens et que la semaine se termine. J'ai peur de ne jamais savoir ce qu'il pense de moi. J'ai peur de savoir ce qu'il pense de moi. J'ai peur. Ouais, je suis pleine d'enthousiasme aussi, il n'y a pas à dire. Mais j'ai peur.

Je ne suis pas à l'aise. C'est pas comme la pédagogie ; je ne maîtrise pas du tout. Je ne connais pas les règles et je m'en fiche, vu que de toute façon je ne compte pas les respecter. Mais mes règles à moi, en fait, c'est quoi ? Je ne sais pas comment faire, mais j'ai l'impression qu'il faut que je fasse quelque chose. Je ne peux pas me contenter de cumuler les souvenirs attendrissants. Je ne peux pas me contenter d'attendre que lui se décide à faire quelque chose de son côté, parce que si ça se trouve lui aussi il attend, que moi je me décide. Mais que je me décide à faire quoi ? Je ne sais pas ce que j'attends. Juste une occasion de pouvoir faire à ma façon. Juste une occasion de découvrir ce qu'est ma façon de faire à moi.

Je voudrais que tout soit léger. Je voudrais n'être qu'enthousiasme. Je voudrais que l'Amour ne soit qu'enthousiasme. Je voudrais l'absence de doutes. Je voudrais l'absence d'insécurités. Je voudrais de la confiance en soi pour ce pour quoi j'ai des raisons d'en avoir, et pour le reste penser « Je m'en fiche et advienne que pourra. » Mais je n'ai pas confiance en moi, parce que j'ai aucune idée de ce qui lui plairait ou non. Et je ne m'en fiche pas, parce que j'ai vraiment vraiment envie que ce qui lui plaise ce soit moi. Je suis ridicule et je suis perdue. Je suis paumée.

J'essaye d'oublier que je suis paumée. J'arrive à l'oublier, pendant la journée. Je suis tellement prise par ce que je fais, prise par ce que je suis, que j'oublie mes doutes et mes insécurités. Je suis tellement heureuse de passer du temps avec lui que j'oublie presque que j'ai peur que la semaine finisse et que ça en reste là. Mais je n'oublie pas vraiment. Je n'oublie que la semaine va finir. Mais je n'oublie pas que je voudrais plus que cette semaine. Je ne l'oublie pas quand je suis près de lui et que j'espère que nos coudes se toucheront par inadvertance. Je ne l'oublie pas quand il me tend une paire de ciseaux et que je regrette que ses doigts n'entrent pas en contact avec les miens. Je ne l'oublie pas quand je le vois regarder vers moi et que je me demande pourquoi il a un air si sérieux et pourquoi il ne sourit pas. Je ne l'oublie pas quand il parle à d'autres et que je déplore chaque seconde que je ne passe pas avec lui.

Je n'oublie pas que je voudrais plus que son amitié. Je m'en souviens chaque fois qu'il dit quelque chose, et que le nouvel élément que j'apprends sur lui ne fait que renforcer ma conviction qu'il serait parfait pour moi. Je m'en souviens chaque fois qu'il entre dans mon champ de vision, que mon cœur se met à battre et que moi je me sens heureuse et ridicule de me sentir si heureuse. Mais en fait je ne m'en souviens pas. Parce que pour m'en souvenir il faudrait que je l'aie oublié à un moment donné. Mais il ne quitte jamais mon esprit.

Encore heureux que je sois capable de penser à plusieurs choses à la fois, sinon je serais vraiment mal barrée ! Je ne passe pas mon temps à ne penser qu'à lui. Et pourtant, oui, il est toujours présent dans un coin de mon esprit. Dès qu'il y a un blanc, un espace sans pensées, il se pointe et là il m'emmène vers d'autres chemins de pensées. Chemins de pensée qui parfois eux-mêmes s'éloignent de lui. Des fois je suis en train de faire quelque chose et d'un coup son prénom surgit dans mon esprit. Armando ! Quel prénom pourri vraiment ! Je n'aime même pas son prénom ! Et pourtant mon cerveau est là à longueur de temps à me balancer des « Armando ! », « Armando ! », « Armando ! » Comme s'il voulait me rappeler qu'Armando existe. Comme s'il voulait me rappeler que la vie est belle, pleine de surprises, pleine de potentialités, pleine d'espoir, et pleine de chances à essayer de saisir. Mais on fait comment pour essayer de les saisir ?

Je lui ai donné un cœur en saucisson à Armando. Mais je ne crois pas qu'il ait compris que c'était une métaphore. Je ne sais même pas s'il a une copine. J'ai essayé de lui demander pourtant ; plus ou moins. Il parlait d'un personnage dans le jeu qu'on avait inventé et il disait qu'elle lui faisait penser à Élise. Je lui ai demandé « C'est qui Élise ? Ta copine ? » Lui il m'a dit que non. Mais il aurait pu en profiter pour dire qu'il n'avait pas de copine. C'est ce qu'il aurait fait s'il m'aimait bien comme moi je l'aime bien. Non ? Puis je l'ai complimenté sur ses dessins super beaux. Et je l'ai choisi dans mon équipe pour la course de sacs. Aussi, je lui ai dit que ça me faisait plaisir de voir quelqu'un d'autre que moi s'intéresser au cours pendant les temps théoriques. Et je lui ai dit que son pull ringard me manquait. Je lui ai dit tout ça aujourd'hui à Armando. Mais je ne crois pas que ce soit vraiment comme ça qu'on essaye de saisir les occasions d'Amour que nous offre la vie. Ce n'est pas comme ça. Si ?

Je lui ai aussi dit qu'il me rappelait moi à la fac, et qu'il ne devrait pas avoir si peur de mal faire et se prendre autant au sérieux. Je sais bien que ce n'est pas comme ça qu'on gagne les petits cœurs de qui que ce soit ; pas même celui des choupis aux pulls ringards. Enfin, je ne crois pas que ce soit comme ça, je ne sais pas. Mais je ne voulais pas gagner son cœur, à ce moment là ; je voulais juste l'aider. Parce que oui, quoi, j'ai envie qu'il soit heureux ! J'aimerais tellement le voir rire ! Il ne rigole pas assez souvent Armando. Des fois j'arrive à le faire rire, et c'est la plus grande réussite de ma journée (pourtant pleine de réussites). Et il est un peu trop sérieux parfois. Puis il n'ose pas assez parler et donner ses idées. Alors que ses idées, quand il daigne en donner, ce sont toujours les meilleures. Mais je crois que ça me fait l'aimer encore plus ; qu'il soit comme ça.

Bon sang ; il faut vraiment que je trouve quelque chose de mieux que tout ça. Que je trouve un meilleur moyen de ne pas laisser s'enfuir cette chance de bonheur. Pourtant, lui donner un cœur en saucisson c'était pas mal comme déclaration d'amour je trouve.

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