Elle - Mardi 21 Octobre 2014
Armando. Il s'appelle Armando. C'est horrible ! Il y a des gens de vingt-et-un ans qui s'appellent Armando aujourd'hui ? En plus, je ne sais pas pourquoi, mais on dirait un prénom de macho. Pourtant, il n'a pas l'air macho pour deux sous, Armando. Sinon, je n'aurais jamais eu envie d'aller me blottir dans les bras de son pull robot. Puis, déjà, si c'était un macho, il n'aurait pas porté de pull robot. Ou alors c'est un piège bien pensé pour attraper les petits cœurs des Amandines ? Mais je ne crois pas que les prénoms disent quoi que ce soit sur les gens. Et je crois vraiment qu'Armando il est aussi choupi que son pull. Sauf que quand même, Amandine et Armando, ça sonnerait vraiment super nul. J'imagine déjà les moqueries. Enfin, je ne sais même pas pourquoi j'imagine les vannes stupides qu'on pourrait nous faire, vu qu'on est pas ensemble lui et moi. Mais j'aimerais bien. Oui, j'aimerais bien. Malgré le fait que nos prénoms n'aillent pas ensemble, je crois que, lui et moi, on irait super bien ensemble. Aussi bien ensemble que le saucisson et le miel.
J'ai testé ça au petit dej' ce matin : saucisson au miel. C'est la semaine du saucisson. Parce que chaque semaine, j'ouvre le dictionnaire au hasard pour trouver le mot qui sera le thème de la semaine. Enfin bon, je triche un peu : je pioche cinq mots et ensuite je choisis celui que je préfère. C'est parce que les gens, ils aiment trop obéir à des règles bizarres et absurdes on dirait. Le monde, c'est que des règles bizarres. Donc je me suis dit je vais porter ce jeu à son paroxysme. Est-ce que c'est pour me moquer ? Leurs règles, je n'ai pas envie de les suivre. Je préfère inventer les miennes. Je préfère carrément en suivre des complètement absurdes inspirées par le dictionnaire. Du coup, chaque semaine, je pioche un mot au hasard et j'invente des règles à partir de ce mot. Des règles que je devrais respecter toute la semaine. Juste parce que moi je l'ai décidé. Cette semaine, il-y-a trois règles. La première, c'est de m'habiller chaque jour aux couleurs du saucisson. La deuxième, c'est de manger à chaque repas du saucisson sous une forme ou une autre. La troisième, c'est de caser au moins deux fois par jour le saucisson dans une remarque ou une conversation.
En plus d'avoir un prénom trop nul, Armando il a un défaut de taille : il n'aime pas le saucisson. Enfin, il n'aime pas trop. Il m'a vue manger ma salade de pattes au saucisson ce midi, et il m'a regardé d'un air dégoûté. Je lui ai demandé s'il n'aimait pas le saucisson, et il m'a répondu « C'est pas trop dégueu. » Pas trop dégueu ! Ça veut dire quoi ? C'est nul, non ? S'il m'avait dit que ma tenue était "pas trop dégueu", j'aurais dû être vexée, non ? Lui non plus, il n'est pas trop dégueu. Nan, il est carrément pas dégueu du tout. J'en peux plus. Il passe la journée à enfouir le nez dans son écharpe. Et moi, je voudrais échanger mon écharpe avec la sienne, pour sentir son odeur à lui quand je me caresse le nez avec. Et pour que lui sente la mienne quand il met le nez dans son écharpe (qui du coup serait mon écharpe). En fait je n'ai pas envie qu'on échange nos écharpes. J'ai juste envie qu'il touche mon visage au lieu du sien. Je voudrais être son écharpe.
Mais en fait je crois qu'il aurait très bien été capable de dire que mes tenues sont "pas trop dégueu" ; dans le sens vexant. Parce qu'il m'a fait une remarque sur ma façon de m'habiller. En plus, j'ai été hyper nulle. Il m'a demandé si je portais du rose tous les jours. Et moi, bah des fois dans mon cerveau il y a des expressions ou des situations qui déclenchent des lumières clignotantes « Alerte sexisme ! » Et ces lumières elles déclenchent direct des remarques de ma part. Je lui ai demandé pourquoi il posait la question et si c'était parce qu'il pensait que le rose était une couleur de fille et que c'était mal de porter des couleurs de filles. Je lui ai dit que les couleurs n'avaient pas de genre, et que la dépréciation des couleurs dites "de fille" est le fruit d'une dépréciation de la femme. Pourtant, je sais bien qu'il n'est pas sexiste Armando. Je sais bien qu'il a juste posé la question comme ça parce qu'on n'a pas l'habitude de voir des gens habillés souvent en rose ; et trois jours de suite encore moins. Mais bon, je n'y peux rien, c'est plus fort que moi de dire des trucs comme ça quand ils me passent par la tête. J'espère qu'il n'a pas pensé que j'ai cru qu'il était sexiste. Il n'a même pas fait une remarque sexiste, il a juste posé une question. Je suis vraiment pas possible des fois ! N'empêche, je ne crois pas qu'il aime mes tenues. Certainement pas au point qu'elles lui donnent envie de me prendre dans ses bras. Mais peut-être que s'il n'aime pas mes tenues il a quand même envie de me prendre dans ses bras ? Je ne sais pas. Je n'ai aucun moyen de savoir. Mais je ne peux pas non plus écarter totalement l'hypothèse. J'ai envie d'espérer. Puis je trouve des petits trucs auxquels me raccrocher.
Pendant le temps théorique, bien sûr je ne pouvais pas m'empêcher de le regarder. C'est pas mal en fait ; parce que des pensées sur Armando à inhiber, ça m'occupe l'esprit et ça l'empêche de partir dans des digressions qui m'empêcheraient de suivre le cours. Je n'ai même plus besoin de regarder mon téléphone portable. Je peux me contenter de grignoter, de poser des questions, de caresser mon visage avec mon écharpe, et de regarder discrètement vers Armando. Ouais, discrètement ; je n'ai pas envie de lui faire peur, le pauvre. Puis j'assume pas ce que je ressens pour lui. Mais j'incline ma chaise de façon à toujours l'avoir dans un coin de mon champ de vision. Puis il y a eu des moments où j'ai eu l'impression qu'il me regardait lui aussi. Peut-être que c'était juste un hasard. Peut-être qu'on regarde tous tout le monde à un moment où l'autre, et que lui il est le seul pour qui je le remarque juste parce qu'il est le seul auquel je fais attention. Mais il y a eu des moments où j'ai senti son regard posé sur moi. Et j'ai failli piquer un fard et devenir aussi rouge que du saucisson. A la place j'ai juste baissé la tête et caché la moitié de mon visage en passant mon écharpe sur mon nez. Est-ce que j'ai l'air bizarre à caresser mon visage avec mon écharpe pendant les cours ? Après tout, il le fait bien lui aussi. S'il le fait lui aussi, c'est que ce n'est pas si bizarre que ça.
Il n'est pas trop bizarre lui. Enfin, je suis sûre qu'il l'est. Sinon, je n'aurais jamais craqué pour lui. Mais je crois qu'il est le genre de personne qui préfère le cacher. Et je ne pense pas nécessairement que ce soit la bonne chose à faire ; mais je comprends. Parce que l'Amandine de la fac elle faisait ça elle aussi. Elle non plus elle ne se sentait pas autorisée à être bizarre. Mais maintenant je m'en fiche, je m'en fiche, je m'en fiche ! Le monde est tellement plus simple. J'ai l'impression que toute ma vie j'étais prisonnière de ces règles qui ne sont pas les miennes. Et il était vraiment nul de chez nul ce jeu auquel tout le monde joue ! Il l'est toujours ! Mais moi je ne joue plus. Je m'en fiche si j'ai l'air bizarre. Je m'en fiche s'ils pensent que je suis folle. Je m'en fiche s'ils ne comprennent pas. Enfin, je crois. Je crois que je m'en fiche. Je m'en fiche presque.
Mais la vie elle est tellement plus jolie quand les seules règles à suivre sont imposées par le saucisson. Pif paf pouf, par magie j'ai fait disparaître toutes les contraintes. Si j'ai envie de me caresser les cheveux pendant les cours, je peux. Si j'ai envie de créer des activités super hyper trop géniales quand tout le monde voudrait juste bâcler le travail, je peux. Si j'ai envie d'aimer ces journées alors que les autres se plaignent que c'est nul, je peux. Si j'ai envie de m'exprimer, je peux. Je peux faire ce que je veux ! On peut faire ce qu'on veut quand on s'en fiche de ce que pensent les autres.
Enfin, presque. Parce que je veux aussi être dans les bras d'Armando. Et ça, je ne sais pas comment faire. Je ne peux pas juste lui dire. Je ne sais pas comment lui montrer. Je ne sais pas comment faire. Mais je vais chercher. Ouais, je vais chercher une solution. Parce que la Amandine que je suis d'habitude, elle n'aurait jamais essayé. Mais la Amandine saucissonnée de cette semaine, je crois qu'elle est capable de tout. Après, bien sûr, si Armando ne veut pas d'elle, c'est plus de son ressort à Amandine. Mais s'il n'y a ne serait-ce qu'une mini chance, elle ne peut pas se permettre de la laisser passer.
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