Guilty
Courir.
C'est sans doute le premier reflex humain lorsqu'il s'agit de survit.
Mais à quoi bon courir lorsque le danger est à l'intérieure de nous ?
Un coup de poignard saigne et mais la plaie peut être refermé. La cicatrice peut même finir par n'être plus qu'une ombre sur la peau. Tout cela devient un souvenir, atrocement douloureux dans un premier temps, puis simplement amer, pour n'être plus qu'une simple image floue qui ressemble à la piqure d'une aiguille.
Mais lorsque le poignard est le souvenir ? Comment cicatriser lorsque la lame ne cesse de s'enfoncer encore et encore, agrandissant une plaie qui peine à se refermer ?
On peut fuir un fou armer d'une arme.
On ne peut pas fuir son âme armer de la culpabilité.
Pourtant, ça n'empêchait pas l'homme d'espérer. De continuer à courir. Qu'est ce qu'il pouvait faire d'autre de toute façon ? Rester sur place et affronter leurs propres démons ? Soyons logique un peu ! Comment faire face lorsqu'on passe son temps à la nier ? Quand on cherche à nous convaincre que tout cela n'était pas de notre faute, qu'on ne devrait pas se sentir coupable.
Mais les petits murmures. Tout petits, à peine audible, qui résonne au plus profond de votre inconscient. Ces petits rien qui suffisent à vous donner envie de courir, encore et encore. Toujours plus loin. Plus loin d'elles. Plus loin de la culpabilité. Plus loin des regrets. Faire taire sa conscience qui répète encore et encore la même phrase, de plus en plus fort. Une phrase qu'elle finit par hurler.
Alors les gens courent. Courent le plus loin possible d'une voix qui est en eux.
Namjoon faisait partie de ces gens. Ces gens qui essayent de faire taire un hurlement qui lui dévore les entrailles.
Alors il courrait.
Il courrait.
Un pied après l'autre. De grandes enjambées, la respiration lourde.
L'air lui brûlait la gorge. Ses jambes étaient lourdes, douloureuses. Ses pieds saignaient tant il courrait. Il pouvait sentir le liquide rouge se mélanger à sa sueur.
C'était gluant.
C'était lourd.
Il avait l'impression d'avancé dans la boue. Une boue épaisse et sombre.
Mais il fallait qu'il coure. Il ne pouvait pas s'arrêter. Il fallait qu'il avance. Encore.
Un pied après l'autre. De grandes enjambées.
Il faillait qu'il court.
Il ne savait même pas où il était.
Il savait juste qu'il devait courir. Encore. Et encore.
Pour aller où ? Pour fuir quoi ? Il n'en avait aucune idée. Tout ce qu'il savait c'est qu'il fallait qu'il coure. Il y avait quelque chose derrière lui. Quelque chose d'énorme et d'effrayant. Quelque chose qui semblait être juste derrière lui peu importe la vitesse à laquelle il courrait. Il, quoique ce soit, était toujours juste derrière lui. A porter de bras. Il ne suffirait d'un rien pour qu'il se retrouve engloutit.
Dévorer.
Alors Namjoon courrait. Encore et encore. Un pied après l'autre. Sans regarder ou il allait. Parce que de toute façon ça ne changerait rien. Tout était sombre. Tout était noir. Il n'y avait pas un bruit. A part sa lourde respiration et ses pas qui résonnait dans le silence aussi épais que les ténèbres.
Courir. Encore et encore.
Ne surtout pas s'arrêter.
Même lorsque le sol semble vous échapper. Namjoon ne s'était pas rendu compte qu'il commençait à tomber. Ou bien à courir dans le vide. Il n'en savait trop rien. Son corps s'était juste mis soudainement à tomber. Il sentait une rafale de vent courir sur sa peau, le faisant frissonner. Sans vraiment qu'il sache pourquoi, ses paupières se fermèrent, lentement. La chute semblait interminable.
Il pouvait sentir son corps devenir lourd. Comme si toute l'énergie qu'il avait mobilisée pour courir disparaissait à mesure qu'il s'enfonçait dans les ténèbres. Il pouvait sentir son cœur se calmer, sa respiration se ralentir, ses muscles s'endormir. La chute était longue et loin d'être effrayante. Si Namjoon tombait alors la chose n'était plus derrière lui.
« Toujours voir le positif des choses, monsieur Kim, c'est essentiel si on veut faire le moindre progrès. »
Mais évidemment, les bonnes choses ne durent jamais. Namjoon n'avait pas le droit aux belles choses. Il ne pouvait pas. Il ne devait pas.
Le sol était étrangement mou, comme s'il avait atterri sur un tas de mousse. Il ne s'était pas forcement fait mal et pourtant il avait bien senti un choc électrique parcourir sa colonne vertébrale. Il ouvrit les yeux lentement. Des branches aussi blanches que la neige se dessinaient sur un ciel d'encre. Elles semblaient créer un dôme au-dessus de lui. Mais il n'avait aucune idée de son but. Devait-il le protéger ? Ou bien le garder prisonnier ?
Allongé de tout son long sur un sol humide et froid, les bras grands ouverts, il fixait l'immense étendu de ténèbres morcelé de blanc qui se déroulait sans fin au-dessus de sa tête. Le silence l'enveloppait doucement. Il pouvait entendre son cœur battre lentement, régulièrement.
Il se sentait bien.
Le bruit d'une branche qui se brise le tira de sa paix. Mais contrairement à ce qu'il s'attendait, son cœur ne se mit pas à battre plus vite. Son corps ne se tendit pas. Sa respiration ne se bloqua pas. Il n'avait aucune appréhension lorsqu'il roula sur le ventre pour se mettre debout.
Son regard croisa celui de Jimin. Appuyé contre un énorme tronc blanc et informe, le petit brun aux grandes pupilles noisette, calmes et lumineuses semblaient capable de sonder l'âme de Namjoon. Mais aux lieux de se retrouver paralyser par la peur de ce qu'il pourrait trouver au plus profond de lui-même, le plus vieux se sentait étrangement calme, rassuré et en sécurité.
« Pourquoi tu es là, Jiminie ? Demanda Namjoon.
-Je n'en sais rien hyung. Répondit le plus jeune en haussant les épaules. Tu me poses la question à chaque fois et je n'ai toujours pas la réponse.
Namjoon haussa des épaules et poussa un soupir. Son regard se perdit lentement sur ce qui se trouvait derrière Jimin. Une forme étrange, sans réelle silhouette, qui semblait vouloir attraper le plus petit sans pourtant réussir à l'atteindre. Quoique ce soit, elle semblait parler, ou bien murmurer quelque chose. Namjoon n'arrivait pas exactement à comprendre ce que cette chose cherchait à dire mais il semblait que Jimin ne l'entendait pas.
Ou bien il avait décidé de ne pas l'entendre.
-Tu m'en veux aussi, n'est-ce pas Jimin ? Demanda finalement Namjoon.
-Celle là aussi tu me la pose tout le temps, hyung...
-C'était ton meilleur ami, Jimin.
-Oui mais c'était ton frère. Murmura Jimin. Je n'ai pas le droit d'être en colère quand tu as perdu ton frère...
-Je ne suis pas le seul à avoir perdu quelqu'un Jimin. Soupira Namjoon. Il ne comptait pas uniquement pour moi... Il était important pour beaucoup de gens et si seulement... Seulement...
Le silence les enveloppa de nouveau. Les yeux tristes de Jimin ne quittaient pas ceux de Namjoon.
-Oui mais... commença Jimin, baissant le regard sur ses pieds.
-Non, Jimin. Quoique tu penses, tu sais comme moi que ce n'est pas vrai... Tout ça ... Tout cette histoire ce n'est la faute de personne d'autre que de-
La chose qui se tenait derrière Jimin sembla grossir, se rapprocher du plus petit. Prêt à l'engloutir. Il pouvait déjà apercevoir une ombre s'enrouler autour du bras de son ami, de sa gorge, sa jambe. Un bruit sourd provenait de derrière lui. Comme un si quelque chose vibrait, quelque chose qui se rapprochait à grande vitesse. C'est à ce moment-là que le cœur de Namjoon se mit à battre plus vite. A mesure que le vrombissement se rapprochait, son cœur cognait plus fort et plus vite contre sa cage thoracique. Il sentait l'oxygène quitter lentement et intégralement ses poumons et ne pas y revenir.
-Namjoon hyung... Ce soir-là... le coupa Jimin, sa voix faible, aussi forte qu'un murmure. Quand tout s'est arrivé...
La panique prenait lentement possession de lui.
Il sentait ses organes se replier sur eux-mêmes.
A mesure que l'ombre enveloppait doucement son ami.
-Jimin... Je t'en pris non... Supplia faiblement Namjoon.
Il pouvait voir disparaitre chaque parcelle de son être tandis que le siens se repliait sur lui-même. Comme si quelque chose semblait le dévorer de l'intérieur. Jimin semblait se confondre avec les ténèbres.
Lentement.
A chaque tentative d'inspiration, le plus jeune s'enfonçait un peu plus dans la masse sombre.
Le vrombissement se rapprochait de plus en plus vite. Il ressemblait maintenant à un hurlement.
-Ce soir là... Tu étais avec moi... Alors que tu auras pu être avec lui... Alors que tu auras dû être avec lui...
Un crie déchirant, animal, brutal. Quelque chose de guttural, provenant des entrailles des ténèbres.
De plus en plus proches.
Il déchirait l'espace comme l'immense douleur, l'atroce envie de vomir qui venait de prendre Namjoon.
Jimin n'était pratiquement plus qu'une masse informe et sombre. On ne pouvait distinguer plus que sa bouche, une moue triste et empathique. Une ombre semblait vouloir se glisser entre ses lèvres, essayant d'écarter les deux croissants de chaires avec une certaine violence. Mais elles semblaient celées.
-Jimin... S'il te plait... Tout ça... Tenta Namjoon, à bout de force.
Jusqu'à ce qu'elles s'entrouvres. Mais l'ombre ne s'engouffra pas en lui. Elle poussa un hurlement difforme comme si les mots que Jimin venait de prononcer venait de la blesser avec une immense férocité.
-Mais ce n'était pas de ta faute. Murmura-t-il tandis que l'ombre se retirer de son visage en se tordant de douleur. Ce n'était la faute de personne.
Soudainement le cri s'arrêta. Le temps semblait comme suspendu. Le bruit du verre qui se fissure résonna dans le silence étouffant. Namjoon leva doucement les yeux vers le ciel, le manque d'oxygène commençait à devenir de plus en plus intenable. Il avait du mal à garder les yeux ouverts, son corps semblait écrasé sous un poids qui ne cessait d'augmenter. Il devenait de plus en plus difficile de se tenir debout et de rester conscient.
Le ciel semblait se fissurait doucement. Une fine ligne blanchâtre se traçait, craquelant lentement l'étendu du ciel d'encre. Un faible faisceau de lumière se glissait par ces fissures. Lorsque ces rayons de soleil tremblant touchaient une branche d'arbre ou bien le sol, ils prenaient subitement des couleurs naturelles, comme si la vie reprenait doucement ses droits ici.
Les troncs se coloraient d'un marron profond. Les feuilles prenaient une teinte verte lumineuse et vibrante. Le sol devenait un harmonieux mélange de petits buissons, de mousse fraiche et de terre humide. Quelques petites fleurs printanières s'ouvraient ça et là, des petites pointes de rose et blanc purs.
Les fissures devenaient de plus en plus larges, laissant passer de plus en plus de lumière.
-Ça aurait pu être n'importe lequel d'entre nous, hyung. Repris Jimin un peu plus fort. Tu ne serais toujours pas responsable ! Tu ne peux pas être responsable de la folie d'autrui, hyung ! Tu ne peux pas être responsable pour tout le monde !
Plus la voix du petit brun se faisait entendre plus le ciel se fissurait, lançant de plus en plus place à la lumière. L'amas d'ombre qui se trouvait derrière Jimin diminuait à une grande vitesse, poussant un cri de douleur presque pathétique.
-Je ne t'en veux pas, hyung ! Il ne t'en veut pas ! S'il te plait, hyung, ne disparait pas ! Je ne pourrais pas te perdre toi aussi ! La voix du plus jeune se brisa, les larmes roulant, ronde, grosses, claires, sur ses joues rebondies.
Un bruit de tonnerre retentit. Le ciel s'effondra dans un vacarme délicieux. D'énorme morceau de verre sombre se détachaient et chutaient vers le sol lentement. Avant même de toucher le sol, ils devenaient une poussière de sable fin et noir. Lorsque les grains touchaient le sol, ils se transformaient en gouttes de rosée fraîche, donnant à la faune une couleur étincelante.
Soudain Namjoon pu prendre une inspiration. Son corps engourdi se réveilla brutalement, son cœur battait rapidement, pompant le plus de sang possible pour faire fonctionner ses poumons et faire monter l'oxygène au cerveau. L'air passait brutalement dans sa gorge, la brûlant au passage. Il l'avalait comme un affamé. Chaque goulée d'air était pratiquement immédiatement expulsée dans une quinte de toux rugueuse avant qu'il n'en prenne une autre. Plus longue, plus profonde, plus chaude.
Il s'écroula à genou, la fatigue qui suivait toujours l'angoisse le prit d'assaut, engloutissant ses dernières forces. Jimin avançait vers lui, mais semblait reculer en même temps. Sa petite main tendue, désespérée, vers lui ; sa bouche ouverte en grand, vomissant son prénom, le suppliant de tenir encore un peu.
Mais Namjoon n'avait plus la force de lutter. Ses paupières se faisaient atrocement lourdes. Ses muscles étaient douloureux. Chaque inspiration qu'il prenait était salvatrice et destructrice. Il se sentait en paix et profondément triste.
Être pardonner avait cet effet parfois.
On se sentait mieux, mais on avait toujours cette impression qu'on ne le méritait pas.
On appelle ça les regrets.
Et ils sont bien plus fourbes, dangereux et tenaces que la haine.
L'humain se fatigue à haïr mais les regrets se terrent en lui et prennent racines. Ils s'immiscent doucement en nous, se glissent dans les tréfond de notre âme et nous engloutissent. Tout comme la haine mais en plus sournois, en plus fourbe et en plus dangereux.
Vivre avec le regret, c'est comme vivre avec la haine mais eux vous détruisent plus lentement.
Namjoon avait senti le sol s'effritait dangereusement et à grande vitesse sous lui. Il allait de nouveau tomber mais ça n'avait pas de grande importance.
Tout ce qui comptait ce que Jimin était en sécurité dans une belle forêt et qu'on ciel était radieux.
Namjoon pouvait encore affronter un peu de ténèbres.
Il les connaissait assez.
Lorsque son corps s'enfonça dans les entrailles de la terre, il pu entendre Jimin hurler son prénom, il sonnait comme la complainte d'un fou qui affirme qu'il ne l'est pas. Il aperçut le regard humide du plus jeune. Il vit sa main tenter désespérément de l'atteindre, de le retenir.
Mais Namjoon devait aller de l'avant.
Il devait faire face à tout ce que qu'on lui réservait.
« Pour accepter la vérité, il faut que vous acceptiez leurs vérités. »
Namjoon était prêt à y faire face.
La chute fut plus violente. Elle lui semblait plus rapide. Le vent avait pris la forme de branche qui griffait son visage avec véhémence. Il pouvait sentir sa peau se déchirer douloureusement mais aucun sang n'en coulait.
Il avait tout fait pour garder les yeux bien ouverts. Il voulait voir les ténèbres l'engloutir peu à peu, voir le peu de lumière que Jimin avait pu lui offrir entièrement disparaître.
Le temps de prendre une inspiration et il percutait le sol. L'impact fut beaucoup plus intense que précédemment. Il tomba face contre terre, atterrissant dans une mélasse informe, sombre et collante. Il sentit chaque partie de son corps entrer en collision avec cette masse gluante. La sensation était un étrange mélange entre douleur démoniaque et dégout profond. Il avait l'impression que son estomac voulait rendre son contenu. Un atroce et tenace sentiment de malaise s'était soudain emparé de lui.
Il ne devait pas rester ici. Il fallait qu'il se redresse, qu'il se mette debout et qu'il avance. Quelque chose planait dans l'air. Quelque chose de mauvais.
Quelque chose d'épais.
Quelque chose d'intense.
Quelque chose d'affreux.
Alors Namjoon se releva, difficilement. Ses vêtements étaient imbibés du liquide noir dans lequel il avait atterrit et ils semblaient peser une tonne maintenant. Il pouvait le sentir traverser la faible épaisseur de tissu qu'il portait. Il avait l'impression de soulever un bloc de ciment. Ses jambes semblaient à peine pouvoir supporter son poids et le simple fait de bouger la tête pour essayer de voir ou est ce qu'il était tombé était atrocement douloureux.
Il ne voyait rien. Il pouvait à peine distinguer les reflets de l'eau. Tout ce qui l'entourait était plongé dans la plus grande noirceur. Il faisait frais d'ailleurs. Pas vraiment froid, juste frais. Il pouvait sentir un petit courant d'air courir sur sa peau, la faisant frissonner lorsqu'il rentrait en contact avec celle qui était humide.
L'eau s'étendait à perte de vue, il ne pouvait distinguer le rivage. Il ne l'entendait même pas bouger. Pourtant il s'avait qu'il en déplaçait une grande quantité à chacun de ses pas, aussi petits soient-ils. Du coin de l'œil, il pouvait apercevoir les vagues qu'il provoquait en avançant. A chacune de ses enjambées, la surface de l'eau s'agitait comme par temps orageux. Mais il régnait un silence de mort. Namjoon ne s'entendait pas respirer. Ses pas étaient silencieux.
C'était comme si aucun son ne pouvait traverser l'épaisseur des ténèbres qui régnaient ici.
Mais ça n'avait pas grande importance. Namjoon devait avancer. C'était ce que lui disait son instinct et il n'avait plus que ça pour le guider.
Namjoon avait décidé de ne plus se laisser guider par des choses aussi dangereuses que la joie, la confiance, l'amour ou bien la peur. Ces émotions donnaient une vision tordue de la réalité. Ce qu'on voit au travers du filtre de la joie ou bien de la peur, tout ça n'est pas réel. On aperçoit un monde soit trop beau : ou l'on ne croise que de bonne personne, où le mal n'existe que dans les contes pour enfants, où rien ne peut jamais arriver à personne ; soit un monde trop simple où tout pourrait se justifier aussi simplement que « Ce n'est pas vraiment de ma faute, j'avais peur. ».
La joie ment.
La peur est une excuse.
Il n'y a que l'instinct qui est véritable. L'instinct cherche à vous protéger sans vous mentir ni vous oppresser. L'instinct ne vous fait pas croire en des chimères euphoriques. L'instinct n'offre pas d'alibi, il vous laisse l'opportunité de réfléchir et de faire un choix. L'instinct ne bricole pas avec votre cerveau, il est votre premier reflex, il est primal sans pour autant être primaire.
L'instinct est simple. Il peut être bon ou mauvais. Il peut vous ouvrir des portes ou bien vous faire comprendre que quelque chose de mauvais traîne dans l'air.
Namjoon n'avait plus confiance qu'en son instinct.
La joie l'avait trahi, l'avait rendu idiot.
La peur l'avait fourvoyé et avait ouvert la porte aux cauchemars.
Il n'avait plus de larmes pour pleurer.
Alors il lui rester la colère et son instinct.
Il fallait qu'il apprivoise sa colère mais il garderait toujours son instinct.
C'est pour ça qu'il avançait encore et toujours, remuant beaucoup d'eau sans faire le moindre bruit et n'ayant pas la moindre idée de s'il reculait ou bien avançait. Il fallait simplement qu'il bouge. S'il restait là, il avait cette impression qu'il allait se noyer, que l'eau épaisse et sombre qui s'étendait à perte de vue allait doucement monter, pénétrer chaque pore de sa peau, se glisser entre ses lèvres et dans son nez, remplir lentement tout son corps d'une étrange mélasse sombre avant de le recouvrir totalement.
Il n'avait pas grand-chose d'autre à faire que d'avancer s'il ne voulait pas mourir.
Il n'avait absolument aucune idée de la distance qu'il avait parcouru et ça lui était bien égale. L'impression de marcher depuis des heures, de tourner en rond, ça valait mille fois mieux que l'impression de s'enfoncer lentement et d'être écraser par un poids qui ne cessait d'augmenter.
Au bout d'un temps, il commença à distinguer au loin une forme. Elle était assez floue et plutôt petite et frêle. Namjoon avait l'impression qu'il devait se tenir le plus loin possible de cette silhouette, mais d'un autre coté c'était la seule forme d'avancement qu'il avait jusqu'ici.
Il se dirigea vers elle sans trop réfléchir, allongeant son pas pour pouvoir l'attendre le plus vite possible. Les vagues qu'il dessinait étaient de plus en plus imposantes. Plus il se rapprochait de la silhouette, plus l'eau s'agitait. Il pouvait distinguer de plus en plus clairement.
Il s'agissait d'un jeune homme, lui aussi plutôt petit. Il avait une épaisse chevelure de couleur châtain, les épaules tombantes et la peau pâle. Namjoon savait parfaitement à qui il avait à faire mais il n'était pas sûr d'être heureux de l'avoir trouver.
« Yoongi hyung ? Demanda-t-il, son incertitude se traduisant dans sa voix.
L'intéressé ne bougea pas, il ne sembla même pas réagir. Il avait la tête basse entre ses épaules, les poings si serrés que ces jointures en devenaient blanches. Namjoon pouvait l'entendre marmonner quelque chose mais il n'arrivait pas à comprendre quoi. Yoongi semblait en colère, très en colère et en même temps si triste et perdu.
-Hyung ? Reprit le plus jeune. Qu'est ce que tu fais là ? Est-ce que tu sais ou est ce qu'on est ?
-... ça.... Être.... Oi... Pourquoi.... Lui.... Je.... Injuste...
Namjoon ne comprenait rien de ce qu'il racontait mais il n'était pas non plus convaincu que Yoongi en avait l'envi. Tout ce qu'il savait c'était que l'aîné était un visage connu dans un monde inconnu. Alors il avançait encore, juste assez pour se trouver juste derrière le plus âgé.
A porter de bras.
Yoongi tremblait. Il marmonnait comme un fou au sujet d'une injustice, d'amour et de désespoir. Il avait l'air perdu dans ses pensées et Namjoon pouvait deviner qu'elle n'avait rien de réjouissantes. Ils devaient sortir d'ici. Si Yoongi avait la moindre envie de s'en sortir, d'avancer, il fallait qu'il quitte cet endroit.
Namjoon voulait partir. Mais il ne pouvait pas forcer Yoongi à venir avec lui. Il n'avait pas ce droit. Il ne l'aurait jamais. Puisque c'était de sa faute si Yoongi se retrouvait coincé dans ces eaux sombres.
Mais ça ne voulait pas dire qu'il ne pouvait pas essayer.
Alors il tendit son bras, un peu, dans l'espoir de pouvoir toucher son aîné, tout en l'appelant. Mais rien ne semblait pouvoir tirer Yoongi de son état. Le seul changement qu'il pouvait noter c'était le son de sa voix. Le jeune homme aux cheveux noisette parlait de plus en plus clairement, de plus en plus fort. Il pouvait enfin comprendre ce qu'il disait à mesure que ces doigts s'approchaient de
-Ça aurait dû être toi ! S'écria soudainement le plus vieux en se retournant d'un coup sec vers lui.
Namjoon n'eut le temps de se rendre compte de rien. En un battement de cil, Yoongi avait ses mains autour de sa gorge et il serrait, encore et encore, toujours plus fort. Ses yeux étaient immenses, difformes et on ne pouvait plus distinguer la pupille, ils ne ressemblaient qu'à deux grandes billes noires dont s'écoulait un liquide épais et noir. Chaque goutte qui traçait son chemin sur les joues du plus vieux rejoignait l'immensité aqueuse dans laquelle ils se tenaient tout le deux. Par reflexe, il avait enroulé ses doigts autour des poignets de son aîné, cherchant à retirer ses mains de sa gorge. Il griffait de ses ongles sa peau lisse, déchirant légèrement sa surface. Il pouvait voir le même liquide sombre s'échapper de ses plaies.
Ils basculèrent en arrière, rencontrant brutalement le sol. Le corps de Namjoon était à moitié immergé dans l'eau, Yoongi assit sur son bassin, resserrant encore et encore sa prise. Sa bouche était déformée par des hurlements douloureux, comme une plainte lancinante.
Pour le moment, Namjoon arrivait encore à réfléchir et penser. Il était encore un minimum maitre de lui-même. Alors il essayait de se dégager de la prise de son ami. Il se tordait sous son corps, agitant l'eau autour d'eux. Il fallait qu'il dégage Yoongi, qu'il se libère.
-Ça aurait dû être toi ! Pas lui ! Pourquoi est-ce qu'il a fallu que toi tu t'en sortes ?!
-Hyung... Tu m'étrangle...
-Pourquoi est ce que tu n'as pas pris sa place ?! Pourquoi ?!
Namjoon tenta de donner des coups de genoux dans le dos de son ainé mais rien n'y fit, il ne bougeait pas et l'oxygène commençait de nouveau à lui manquer. Sa vue se faisant chancelante, son oreille bourdonnait, il ne sentait plus vraiment ses membres. Les mains de Yoongi se resserraient tel un étau, lentement, surement, pressant la moindre respiration hors du corps de sa victime. Il appuyait de tout son poids sur ses mains, compressant d'autant plus les voix respiratoires du plus jeune, comme s'il avait envie de le faire rentrer sous terre.
Yoongi voulait noyer Namjoon dans sa propre détresse.
Mais le corps du gamin n'avait pas l'air de vouloir se laisser immerger. Il pouvait sentir l'eau glissait sur son visage, parfois presque le recouvrir mais ça n'allait jamais plus loin, il ne s'enfonçait jamais dans les profondeurs.
-H-Hyung... S'il t-te plait...
-Tu me l'as pris Joon ! Tu me l'as enlevé !
A chaque phrase, sa prise se faisait plus intense, plus dure et Namjoon avait plus de mal à garder les yeux ouverts. Il se sentait devenir lourd. Beaucoup trop lourd. Mais son corps refusait de se laisser tomber. Il refusait de laisser l'eau le recouvrir. Comme si sa propre tristesse, sa propre haine le garder à la surface.
Alors Namjoon avait arrêté de lutter. Il n'en avait plus la force. Il n'était même pas sûr d'en avoir encore l'envie. Tout ça devenait trop dur. Il était fatigué.
Fatigué de lutter.
Fatigué d'essayer d'avancer.
Peut être que Yoongi avait raison ?
Peut être que Namjoon était responsable ?
Peut être que Namjoon aurait dû prendre sa place ?
Peut être que Namjoon devrait se laisser couler ?
Peut être que Namjoon devrait abandonner ?
« Tu n'es pas responsable de la folie des autres, hyung... »
Jimin lui répétait toujours ça, qu'il ne pouvait pas prendre le blâme pour autrui. Pourtant ça serait si simple. Tout pour s'arranger si on le laissait tout encaisser, si on le laissait être coupable.
Parce que Namjoon le savait, lui, qu'il était coupable. Qu'il eût sa part de responsabilité dans toute cette histoire et que Jimin pourrait le répéter autant qu'il le voudrait : quelque part c'était de sa faute.
Mais il n'y pouvait simplement plus rien.
-J-Je...
-Je l'aimais, Joon ! Tu entends ?! Le coupa brutalement Yoongi en tentant d'enfoncer sa tête dans l'eau. Tu m'as pris la personne que j'aimais le plus au monde ! Ça aurait dû être toi ! Pas lui ! Il ne le méritait pas !
« Les choses sont ce qu'elles sont, monsieur Kim. Elles sont regrettables mais elles sont ainsi et il ne s'agit plus maintenant de trouver le coupable mais d'aller de l'avant. De pardonner. »
Peut être bien que Namjoon avait besoin de pardonner aussi ?
A-t-elle.
Au monde.
A lui-même.
-J-Je suis... D-Désolé hyung... T-Tellement désolé.
La voix du plus jeune n'était qu'un murmure, un faible souffle, sans doute le dernier qu'il avait. Mais les mains de Yoongi se firent lâches autour de sa gorge. Namjoon sentit l'air de nouveau passé dans ses poumons et il ne s'habituerait définitivement jamais à cette sensation.
La privation était si intense et tellement frustrante. Mais lorsqu'on lui rendait ce qu'il lui revenait de droit, alors il se sentait si heureux, soulager, chanceux.
Le simple fait de respirer.
Il voulait de nouveau pouvoir respirer sans se poser de question. Sans se demander s'il y avait le droit. Si c'était juste que lui respire.
Il sentit Yoongi appuyer son front contre son torse. Il pouvait sentir son corps se secouait au rythme de ses sanglots. S'il en avait la force, il aurait enroulé ses bras autour du petit corps. Mais il n'était pas sur qu'il en avait le droit non plus. Était-il vraiment autorisé à demander le pardon et à offrir la paix à ceux qui souffrent à cause de lui ?
Alors Namjoon se contenta de faire ce qu'il se sentait en droit, légitime de faire. Il demanda pardon, encore et encore.
-Ce n'est pas tes excuses qui le ramèneront, Joon... Murmura Yoongi.
-Je sais... Mais c'est tout ce que j'ai...
-Tout... Tout est fichu... Plus rien n'a la moindre importance, Joon... J'ai perdu la seule personne que j'aimais véritablement. Soupira le plus vieux en tapant faiblement des poings contre son vis-à-vis. J'ai tout perdu.
-J'aurai voulu que ce soit moi, hyung... Avoua Namjoon, les larmes lui montant aux yeux.
-Et qu'est ce que ça aurait changé ? Ricana amèrement Yoongi.
-J'aurai pu...
-Tout le monde aura pu, Joon... Couper Yoongi en s'allongeant enfin totalement sur le plus jeune, se recroquevillant sur lui-même. J'aurai pu le sauver aussi, faire quelque chose au moins... On aurait tous pu faire quelque chose...
-C'est moi qu'il a appelé, hyung... Il m'a appelé et-
Namjoon n'eut pas l'occasion de terminer sa phrase, les larmes brisèrent sa voix, coulant silencieusement sur ses joues, se mélangeant à celle de son ainé. Une goutte plus claire se mélangeant dans une étendu sans fin de ténèbres et de désespoir. Une larme de tristesse pure, d'une tristesse vierge de toute colère.
La première dans ce grand lac de colère et de solitude.
-Tu étais son premier et dernier espoir, Namjoon... Je suis jaloux, j'aurai voulu être aussi important pour lui. Murmura le plus vieux, laissant ses paupières se refermer doucement.
Lentement, silencieusement, Namjoon passa ses deux bras autour du corps tremblant de Yoongi. Il serra le plus vieux aussi fort qu'il pu tout contre lui. Il sentait la faible chaleur du châtain se mélangeait à la sienne, tout comme leur larme.
Yoongi n'avait pas besoin de le dire. Il lui manquait, atrocement. Tout comme Namjoon. Tout les deux savaient bien ce que l'autre ressentait mais ils avaient commencé par l'ignorer parce qu'il était plus simple de faire face à ses propres démons qu'à ceux des autres. Mais aujourd'hui, les choses allaient enfin changer. Peut-être même avancée ?
Namjoon se fit la réflexion silencieuse qu'il avait tendance à trop laisser de « peut-être » dans sa vie en ce moment, mais il n'était pas exactement sûr que ce soit une mauvaise chose. En tout cas, pour le moment, il se laissait aller à pleurer autant qu'il le pouvait, l'eau les recouvrant doucement mais ça n'avait pas d'importance.
Plus rien n'avait vraiment d'importance.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il se retrouva de nouveau dans un champ. Un champ de luzerne cette fois-ci, qu'il connaissait bien. Le vent frais du petit matin caressait son visage. Le soleil était entrain de se lever. Il portait son vieux jean délavé et cette chemise jaune poussin que Jimin détestait tant. Il avait de nouveau les cheveux coupés court et blond.
La première chose qu'il remarqua c'était la petite maison au fond du jardin. Elle paraissait dans un état lamentable mais Namjoon savait bien que c'était son esprit qui déformé les choses. Il voulait s'en souvenir dans cet état, pour donner un aspect encore plus misérable à tout ça.
Ce n'était qu'un souvenir. La projection de son inconscient et pourtant dès qu'il aperçut la bicoque, il se mit à courir vers elle sans même prendre le temps de réfléchir.
L'espoir même infime et fou de pouvoir le sauver. Au moins une foi. Même si ce n'était que pour lui-même.
De toute façon c'était le but de ce voyage non ?
Le sauver.
Se sauver.
Il n'avait rien à perdre à tenter sa chance. Si ?
Peut être bien son dernier bout de santé mental ?
Mais Yoongi l'avait dit : tout ça n'avait plus d'importance. Plus rien n'avait d'importance.
Alors Namjoon s'est précipité vers la maison. Il ne fut même pas étonné de trouver la porte ouverte. Même en réalité, elle ne pensait jamais à la fermer. Tout était comme dans ses souvenirs. Il arriva d'abord dans la cuisine. Le silence qui y planait était sans aucun doute le plus effrayant auquel il n'avait jamais fait face.
Le silence de la mort.
Namjoon s'était toujours un peu moqué de sa grand-mère quand elle utilisait cette expression. Maintenant il en fait des cauchemars.
Il était essoufflé, pourtant il n'avait pas l'impression d'avoir tant couru que ça. De toute manière, il était toujours essoufflé. Respirer était devenu un luxe. Un luxe qu'il était désormais le seul à avoir et dont il n'était même pas sûr de vouloir.
Il se dirigea à pas lent vers le salon. Dans l'encadrement de la porte il pouvait distinguer son corps. Elle était recroquevillée, au sol. Elle avait tout l'air d'une de ses bêtes mourantes. Son long cheveu noir était sale, mal coiffé, elle portait une de ses veilles robes usées qu'elle refusait de jeter, ses jambes squelettique et pâle se trainaient sur le parquet rugueux, son dos était vouté, ses ongles abimés grattaient le sol désespérément. Elle poussait des petits gémissements plaintifs insupportables.
-M-Maman... Murmura Namjoon.
Le blond avait senti le goût de la bile sur sa langue lorsque la femme s'était retournée vers lui, son visage creux et ses grands yeux vides le fixaient.
Une véritable vision cauchemardesque. C'était tout ce qui lui restait de sa mère.
C'était pour ça que Namjoon était parti. Parce qu'il ne pouvait plus supporter ce qu'il voyait. La folie avait englouti petit à petit sa mère ne laissant derrière elle qu'une épave. Elle n'avait plus rien d'humain.
Elle lui offrit un sourire jaune qui creusa encore plus ses joues, susurrant le prénom de son ainé comme si elle cherchait à savourer chaque syllabe qu'elle avait perdu l'habitude de prononcer. Elle semblait vouloir le rejoindre et l'idée même qu'elle se retrouve prêt de lui terroriser Namjoon. Il arrivait déjà à peine à la regarder. De toute façon, ce n'était plus vraiment sa mère qui se trouvait face à lui.
Il ne voyait pas sa mère, non.
Il voyait un monstre au milieu d'une mare de sang.
Il y en avait partout. Sur le parquet. Sur les meubles. Sur le plafond. Sur les rideaux. Sur ses mains. Ses mains qu'elle tendait vers Namjoon.
-Joonie... Chantonna-t-elle. Mon petit Joonie est revenu voir sa petite maman, n'est-ce pas ? Tu es revenu vers ta mère parce que toi tu l'aime... N'est ce pas que tu aimes ta maman Joonie ?
-T-TaeHyung... Bégaya Namjoon, se sentant tellement faible. Ou est ce qu'est TaeHyung maman ?
-Ne prononce pas ce nom ! Hurla-t-elle soudainement.
Elle se recroquevilla sur elle-même de nouveau, plaquant ses genoux contre son torse maigre et boucha ses oreilles avec ses mains couvertes de sang. Elle se mit à basculer d'avant en arrière, répétant en boucle que tout allait bien, qu'elle était à la maison et qu'il y avait des bonbons dans le placard.
Les garçons allaient rentrer de l'école et elle leur en donnerait un chacun. Puis leur père reviendrait du travail et ils passeront à table.
Namjoon sentit son estomac se retournait. Ce n'était même pas la première foi que cette scène se jouer devant ses yeux. Il avait déjà été témoin des crises de sa mère à de nombreuse reprise durant son adolescence.
Il se souvient parfaitement du jour ou son père l'a fait assoir dans le canapé. TaeHyung était encore un tout petit bébé qui passait ses journées à dormir. Il avait dit à Namjoon qu'il fallait qu'ils aient une conversation de grand.
D'abords papa et maman l'aimaient très fort.
Ils aimaient aussi TaeHyung très fort.
« Ta maman, elle... Elle est un peu spéciale... Elle entend des voix dans sa tête... Des voix qui lui disent des bêtises et qui lui font croire de vilaines choses... Et parfois, elle se met en colère parce qu'elle croit ses méchantes voix... Joonie, maman ne te veut aucun mal. Elle vous aime, ton frère et toi, et papa aussi. Mais maman... A besoin d'aide... Alors tu veux bien qu'on l'aide ensemble champion ? »
Et puis un matin, un peu après l'entrée de Namjoon au lycée et de TaeHyung au collège, leur père les avaient fait assoir dans le canapé.
Encore une fois : maman et papa les aimaient très fort.
Mais eux. Eux ils ne s'aimaient plus.
Enfin papa n'aimait plus maman. Parce que maman, elle, elle était folle de papa.
Enfin, elle était folle tout cours.
« Votre maman a besoin d'aide... D'un aide professionnel... Je sais bien qu'elle ne veut de mal à personne mais... Je n'ai plus la force les garçons... »
Alors papa a décidé de partir et d'emmener ses deux garçons et les choses n'étaient pas allées en s'arrangeant. Leur mère se laissait dévorer par la schizophrénie et TaeHyung avait décidé que leur père était responsable de sa maladie. Alors dès qu'il était entrain au lycée, il avait demandé à retourner vivre chez leur mère.
Leur père avait essayé de l'en empêcher.
Namjoon avait tout fait pour qu'il comprenne qu'il faisait une erreur mais TaeHyung était le genre d'idiot qui pensait que l'amour pouvait régler tous les problèmes.
« Elle a juste besoin qu'on l'aime, hyung... »
Sa mère n'avait jamais su tolérer les séparations. Lorsque le sujet du divorce avait été mis sur la table, elle avait essayé de se tuer à plusieurs reprises. Lorsque Namjoon avait décidé de suivre son père, elle avait essayé de tuer son mari et de se suicider par la suite. Lorsque leur père s'était remarié, elle avait agressé une femme au hasard dans la rue avant d'essayer de se tuer à nouveau.
TaeHyung voulait aller vivre chez Yoongi.
Parce qu'il aimait Yoongi.
Parce qu'il n'en pouvait plus.
Parce que Yoongi était sa porte de sortie et sa porte d'entrée vers le bonheur.
Parce que TaeHyung s'était enfin accordé le bonheur.
Et elle...
Soudainement, Namjoon sentit la colère montait en lui. Il s'agenouilla devant elle et attrapa ses deux poignets. Il écarta d'un coup sec ses mains de ses oreilles et planta son regard dur dans celui mort de la femme qui l'avait mis au monde.
-Qu'est ce que tu as fait à TaeHyung ? Demanda-t-il, la voix dure.
Elle eut un sourire presque mélancolique. Elle pencha légèrement la tête sur le côté et lentement caressa la joue de son fils malgré la faible résistance qu'il montrait. Il en frissonna de dégout.
-Tu es devenu un si bel homme, Joonie... Murmura-t-elle, admirative comme une enfant. Tout le portrait de ton père... TaeHyung aussi lui ressemble... Lui aussi il a voulu me laisser...
-Ou est TaeHyung maman ?!
-Toi aussi, Namjoon ! Toi aussi, tu as voulu m'abandonné n'est ce pas ?! Vous voulez tous vous éloigner de moi ! Hurla-t-elle en se dégageant de la prise de son fils.
Namjoon bascula en arrière, tombant sur les fesses.
Namjoon bascula en arrière, tombant sur les fesses. Son estomac se retourna plus violement cette fois-ci. Le visage de sa mère n'avait plus rien d'humain. Il s'était allongé comme une figure hurlante, ses yeux étaient devenus deux orbites creux des quels coulait un épais liquide noir que Namjoon commençait à trop bien connaître. Son visage entier se noircissait et donnait l'impression de fondre.
Prit de panique, le jeune homme se mit à reculer, donnant des coups de pieds dans l'air pour la faire reculer. Sa voix était distordue, grinçante et terrifiante et elle ne cessait d'appeler Namjoon encore et encore, comme une supplique. Elle tendait sa main brisée vers son fils, comme un appelle à l'aide.
Namjoon était terrorisé. Il pouvait entendre sa respiration, hachée, brutale, effrayée. Son cœur cognait en rythme avec son pou, pulsant puissamment contre sa peau. Il sentait sa sueur ruisselée dans le creux de son dos.
Il fallait qu'il sorte.
Il allait vomir.
Sa mère n'était plus qu'une forme dégoulinante, sombre, appelant à l'aide.
Un monstre pathétique.
Il fallait qu'il sorte.
Alors, les jambes tremblantes et lourdes, il avait essayé de se mettre debout tout en se retournant pour prendre la fuite. Mais ses jambes n'avaient pas encore la force de supporter son poids et de courir, alors il avait misérablement glissé et s'était retrouvé allonger de tout son long sur le parquet. Les larmes commençaient à dévaler sur ses joues. Son instinct lui hurlait de se lever, de fuir, de courir retrouver TaeHyung mais il arrivait à peine à se trainer sur le sol. Son corps lui paraissait si lourd, il était incapable de le bouger.
Soudain, il sentit quelque chose de froid et gluant s'enrouler de sa cheville. Il ne prit même pas le temps de jeter un coup d'œil en arrière et se mit à donner des coups de pieds. Il pouvait sentir sa chaussure s'enfoncer dans quelque chose de flasque. La substance s'accrochait à sa peau et à ses vêtements, le rendant encore plus lourd. Les larmes avaient redoublé en intensité, il appelait à l'aide de sa voix éreintée et faible, ses suppliques se mélangeaient à celle de sa génitrice. Il essayait tant bien que mal d'avancer jusqu'au pas de la porte. Il se trainait lourdement, lamentablement sur le sol, grattant le bois avec ses ongles.
-Restes avec maman, Joonie.... Maman t'aime si fort.... Ne laisse pas maman.... Maman est désolée, elle ne le refera plus.... Tu sais que maman ne vous veut aucun mal.... Maman vous aime, Joonie... Maman... Tu aimes ta maman, n'est ce pas Joonie... Maman...
Namjoon poussa alors un crie. Un long crie, grave, qui lui déchira la gorge et les entrailles. Un crie en colère et désespéré.
Un crie de lassitude.
Un crie empli de larmes.
Un crie solitaire.
Oui. Oui il aimait sa mère.
Oui. Oui il savait qu'elle n'avait jamais voulu tout ça.
Il savait qu'elle n'était pas responsable, que si leur père avait simplement accepté de lui donner les soins adéquates rien de tout ça ne serait arrivé.
Il savait qu'elle s'en voulait, qu'elle était au moins aussi terrorisée que lui, qu'eux.
Mais elle était encore là. Elle avait encore le choix. On lui laissait encore le choix : aller de l'avant et vivre, ou bien se laisser mourir.
TaeHyung n'avait plus ce choix. Elle ne lui avait pas laisser le choix.
Alors oui, Namjoon lui en voulait à en crever.
Oui, Namjoon était en colère contre sa propre mère.
Mais Namjoon n'arrivait pas à s'en vouloir, pas encore. Peut être bien qu'un jour, il jetterait un coup d'œil en arrière et serait prit de remord pour avoir condamné une femme malade. Sa propre mère.
Mais présentement, il en était incapable. Il était incapable de pardonner. A sa mère comme à lui-même.
Alors il criait.
La prise sur sa cheville disparue doucement et il en profita pour se remettre debout. Poussé par l'adrénaline, il se mit à courir vers la sortie, trébuchant en avant une ou deux fois. Il pouvait encore entendre les plaintes de sa mère, l'appelant, le suppliant de rester.
Une foi dehors, il continua de courir. Il fallait qu'il s'éloigne le plus possible de cette fichue maison. Alors il laissa ses jambes le porter jusqu'à ce que son estomac décide qu'il ne pourrait plus rien supporter. Il s'arrêta au milieu du champ de luzerne, les mains sur les genoux. Il toussa deux ou trois fois avant de cracher une bile transparente. Sa gorge le brulait, son estomac se tordait dans tout les sens, il sentait son corps trembler, sa respiration était lourde et douloureuse, ses yeux humides.
Il était à bout de force. Il ne pourrait pas supporter une autre vision. Il ne pourrait pas faire face à la suite.
Mais le destin n'a plus la moindre once de pitié pour Kim Namjoon.
Une sonnerie de téléphone résonna dans le silence. Une vielle sonnerie, aigüe, vrillant les tympans, interminable. Namjoon releva la tête précipitamment. Il était encore faible et il avait l'impression que le monde tanguait autour de lui.
Instinctivement, il s'était mit à marcher vers la sonnerie. Elle lui paraissait lointaine mais il savait que ce n'était pas le cas. Il se laissait guider par le tintement métallique qui résonnait dans le vide.
Il la voyait au loin. La cabine téléphonique en verre. Le métal de l'armature était rouillé et les vitres salles. C'était la seule cabine pour tout le pâté de maison. Namjoon se souvient bien, leurs parents n'aimaient pas qu'ils aillent trainer à coté de cette cabine. Elle était trop loin de la maison. C'est pour ça que gamin, ils s'amusaient à faire la course jusqu'à celle-ci. TaeHyung aimait s'y cacher aussi lorsque les parents se disputaient.
Il n'avait aucune idée du temps qu'il avait marché mais il n'était plus qu'à quelques pas de cette cabine téléphonique. A mesure qu'il avançait, le volume de la sonnerie se faisait plus grand. Il pouvait sentir ses tympans vibraient. Son cœur se resserrait à chaque pas qu'il faisait vers elle.
Elle se tenait là, devant lui, sales, en ruine et le téléphone ne voulait pas s'arrêter de sonner. La poigné de la porte était à portée de bras. Il suffisait de tendre la main et il pourrait y mettre fin. Tout pourrait enfin s'arrêter. Il n'entendait plus rien mise à part cette sonnerie. Il n'avait même plus conscience de lui-même. Tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait c'était ce téléphone.
-Hyung ? Qu'est ce que tu fais là ?
Le cœur de Namjoon s'arrêta brutalement tout comme la sonnerie du téléphone.
Cette voix. Cette voix si grave, si chaude. Elle lui avait tellement, tellement manqué.
Il n'osait pas se retourner. Il avait peur de lui faire face. Il avait peur que ce qu'il verrait. Il avait peur que ce ne soit pas son frère, son petit frère, que ce soit Kim TaeHyung. Il ne voulait pas qu'il soit devenu comme elle, un monstre qui n'avait plus rien à voir avec le beau jeune homme qu'il avait été.
De nouveau, la voix grave l'appela. Namjoon déglutit douloureusement et très lentement il se retourna pour faire face à son cadet. Il se figea lorsqu'il croisa son regard sombre.
Il n'avait pas changé.
Il était toujours aussi grand.
Toujours aussi beau.
Toujours aussi souriant.
Il portait un des vieux T-shirt à Namjoon, trop large pour lui et un vieux jean troué. Sa frange brune était devenue trop longue et elle lui tombait devant les yeux. Il avait un sac en papier Craft sous le bras.
Il avait leur heureux.
Il avait l'air innocent.
Il avait l'air vivant.
-T-Tae...
-Hm ? Qu'est ce que tu fais là ? Demanda le plus jeune en penchant légèrement la tête de côté. Tu es passé voir maman ?
Namjoon n'en croyait pas ses yeux. TaeHyung était là, devant lui. Il fit un pas en avant, chancelant légèrement. Il sentait les larmes le reprendre. Il sentait sa respiration se faire hasardeuse une nouvelle fois. Son corps pesait encore une foi une demie tonne. Il tendit une main tremblante vers son petit frère qui le fixait avec un air interrogateur et légèrement amusé sur le visage.
Il fallait qu'il le touche. Il fallait qu'il s'assure que tout c'était bien réel. Ou plutôt il fallait qu'il se rappelle que tout ça n'était rien d'autre que le fruit de son imagination. Il fallait qu'il se prouve que TaeHyung n'était pas devant lui. Qu'il était bel et bien entrain d'halluciner.
Une partie de lui-même voulait qu'il reste rationnel. Il ne pouvait pas se permettre de se créer trop d'espoir. Il ne pouvait pas se permettre de se laisser berner. Mais en même temps, est ce que ça serait si mal que ça de se laisser avoir ? De rester à rêver ? Si TaeHyung était là ? Si TaeHyung allait bien dans ses rêves ? Est-ce que ça valait bien le coup de se réveiller.
-T-TaeHyung, bégaya le plus vieux, luttant contre ses larmes. C'est b-bien toi ? Tu e-es vraiment l-là ?
-Qu'est ce que c'est que ces questions étranges ? Ria joyeusement TaeHyung. Bien sur que je suis là et que c'est bien moi ! Ou veux-tu que j'aille ? Qui veux-tu que ce soit ? T'es vraiment étrange parfois hyung !
Namjoon enroula ses bras autour des épaules de son cadet et le plaqua contre lui. Il avait la même odeur que dans ses souvenirs : un mélange de cannelle et d'orange fraîche. Namjoon s'était toujours demandé pourquoi son petit frère avait une odeur si particulière. Il adorait cette odeur et en cet instant encore plus. Elle était rassurante, chaleureuse et apaisante. Namjoon aurait été prêt à tout pour qu'on lui laisse la chance de la sentir encore une foi.
TaeHyung enroula à son tour ses bras autour des hanches de son aîné. Sa prise était plus lâche que celle du grand blond. Il ne lui rendait pas exactement son étreinte. C'était plutôt comme s'il cherchait juste à le tenir. Namjoon savait qu'il ne devrait pas être soulagé comme ça. Les choses n'avaient pas changé, elles étaient toujours exactement les mêmes. Mais pouvoir sentir son petit frère contre lui, ça avait quelque chose de magique, quelque chose de précieux et il ne voulait pas laisser partir cette sensation pour le moment.
Il ne voulait plus la laisser disparaitre.
Il essaya tant bien que mal de retenir ses larmes, enfouissant son visage dans le creux du cou de son petit frère, s'enivrant de son odeur. Il n'avait aucune idée de combien de temps ils étaient restés comme ça, debout, dans les bras l'un de l'autre ; Namjoon s'accrochant à TaeHyung comme un naufragé à sa bouée et TaeHyung tenant à peine du bout des doigts son frère contre lui ; mais il ne voulait pas que ça s'arrête. Il était prêt à tout pour qu'on lui laisse encore un peu de temps.
Il pourrait essayer de vivre dans un mensonge si ça veut dire vivre avec TaeHyung.
-Dis, hyung ? Demanda soudainement TaeHyung après une ou deux bonnes minutes de silence. Tu ne crois pas qu'il soit un peu tard pour pleurer ?
La respiration du plus vieux se bloqua de nouveau dans sa gorge. C'est TaeHyung qui brisa leur étreinte. Il avait un sourire doux sur les lèvres, comme s'il était vraiment désolé. Pourtant son regard disait autre chose. Son regard était vide.
Mort.
Namjoon sentit son corps se remettre à trembler. Il sentait sa respiration s'accélérer de nouveau, son cœur battait de nouveau à un rythme anormal. Il avait l'impression de faire face à la chose qu'il cherchait à fuir quelques temps plus tôt.
TaeHyung posa sa main sur son épaule, comme s'il cherchait à le réconforter. Il la pressa une ou deux fois avant de secouer la tête. Il eut un petit rire narquois. Soudain la sonnerie de téléphone reprit, faisant sursauter Namjoon. Il avait l'impression qu'elle était encore plus forte que précédemment. Il ne pouvait entendre qu'elle, elle résonnait dans ton son corps, le faisant vibrer de la tête au pied.
Il sentit quelque chose d'humide se rependre sur son abdomen, rendant sa chemise soudainement lourde et humide. Ça collait à la peau et la rendait visqueuse. Lentement, très lentement, il baissa le regard sur son ventre et il sentit son estomac se soulevait lorsqu'il vit une ombre rougeâtre sur sa chemise. Son regard remonta presque automatiquement vers le ventre de son cadet. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il vit la tâche rouge s'élargir sur le tissu qui recouvrait le ventre de son petit frère. Il releva les yeux vers le visage du plus jeune et il sentit un hoquet l'étrangler. Du sang coulait entre ses lèvres étirées en un sourire doux.
-T-aeH-TaeHyung! Murmura Namjoon.
Il était à peine audible tant sa voix était étranglée. Il sentait de nouveau le gout de la bile sur sa langue, se mélangeant à celui du sang. Il n'arrivait plus à respirer. Il n'arrivait plus à penser.
D'un mouvement de la tête, TaeHyung lui indiqua la cabine téléphonique qui sonnait encore.
-Hyung, tu ferais bien de décrocher. Je crois que ta conscience t'appelle.
La voix du plus jeune lui paraissait tellement cruelle. Chaque mot était aussi douloureux qu'une lame qui s'enfonce entre ses côtes. Sans rien ajouter, il fit tourner son ainé sur lui-même et le poussa gentiment vers la cabine. Namjoon se retrouva dans la petite boite de verre sans même essayer de lutter. Il était face à l'appareil. La sonnerie résonnait d'autant plus une fois à l'intérieur. Les mêmes quatre notes, répétées en boucle, encore et encore. Il pouvait les sentir vibrer jusqu'au plus profond de lui-même, provoquant un raz de marée de terreur et d'horreur. Le veille afficheur digital affichait une suite de forme qui ne faisait pas le moins du monde sens. Les vitres étaient recouvertes d'une fine pellicule d'eau parce qu'il avait plus ce soir-là. Il pouvait entendre le bruit des goutes qui tapaient doucement et en rythme contre la vitre fine. Une averse de fin de soirée comme il y en a souvent à cette période de l'année.
Namjoon se souvenait.
Tremblant comme une feuille, aussi terrorisé qu'un enfant qui se confronte pour la première fois à la mort, il attrapa le combiné et le portant lentement à son oreille. Il entendit d'abord un grésillement, comme ceux qu'on peut entendre au début des vieux enregistrement audio. Puis une respiration. Lourde, laborieuse, douloureuse. Le bruit de quelqu'un qui avale sa salive puis un grognement.
« Hyung... Hyung m-maman elle... Je... F-Faut que tu m'aide... M-Maman a... J'ai besoin de t-toi hyung... J-Je vais j-jamais y arriver t-tout s-seul... Hyung... »
Le bruit du tonnerre couvrit le reste de la communication. Namjoon se sentit vide. Atrocement vide. C'était le dernier message que son petit frère avait laissé sur son téléphone. C'était les dernières paroles de Kim TaeHyung. Il n'arrivait toujours pas à se rendre compte. Il n'arrivait toujours pas à accepter.
Une sensation humide enveloppa l'oreille qui était collée au combiné. Lentement, Namjoon l'écarta et le porta à son attention. Il était couvert de sang.
Il eut un nouveau haut le cœur violent. Il lâcha l'appareil qui tapa violemment contre la vitre, faisant vibrer toute la cabine. Il se précipita dehors, tombant à genoux dans l'herbe humide et il vida de nouveau le contenu inexistant de son estomac, s'étouffant avec sa bile acide.
-Tu n'avais pas promis de toujours me protéger, hyung ? Demanda la voix cruelle de son cadet.
Tremblant, les yeux rouges et humides, la gorge déchirée et le cœur battant comme un fou, il releva la tête vers lui et de nouveau il cracha frénétiquement son acide gastrique dans l'herbe. TaeHyung avait la moitié du visage couvert de sang. Ses cheveux collaient par paquet épais et gluant, un atroce mélange de noir et de rouge carmin. Il pouvait apercevoir un bout de son crâne défoncé.
Les images l'agressaient. Il les voyait défilées les unes après les autres. Les photos qu'on lui avait montré au commissariat. Ils avaient retrouvé le corps de son petit frère dans la cabine téléphonique qui se trouvait à vingt mètres de chez leur mère. C'était apparemment un jeune couple qui rentrait chez eux qui aurait aperçu quelque chose de suspect dans les champs de luzerne un peu plus tôt dans la soirée. Sa mère était avec lui, elle tenait le corps tout juste froid de son plus jeune garçon tout contre lui, se balançant d'avant en arrière tout en murmurant une comptine pour enfant.
Elle avait d'abord refusé qu'ils approchent la cabine. Elle répétait que TaeHyung était entrain de dormir, que c'était un gentil garçon et qu'il ne fallait pas le réveiller. Ils pourraient revenir jouer avec lui quand il serait réveillé. Elle appellerait leur parent.
Il a fallu qu'un des agents de police se fassent passer pour leur père pour qu'elle veuille bien sortir de la cabine. Ils l'ont tout de suite immobilisé et se sont précipités vers la cabine. Elle hurlait qu'il fallait laisser son fils dormir. Ils l'ont trouvé appuyé contre une vitre de la cabine.
Il était déjà trop tard.
Ils avaient commencé à se battre dans le salon. TaeHyung lui aurait expliqué qu'il comptait aller vivre chez Yoongi. Il se sentait assez grand pour mener sa propre vie. Elle n'aurait pas supporter la nouvelle. Elle aurait cherché à le convaincre de rester. Le ton serait monté et elle aurait attrapé une paire de ciseau de couture qui trainait sur la table basse. Elle l'aurait poignardé deux fois avec. TaeHyung se serrait défendu comme un diable -ils ont retrouvé plusieurs marques de coups sur leur mère- et aurait réussit à la repousser. Il serait sorti sous la pluie et aurait rejoint la cabine téléphonique pour appeler à l'aide. Il aurait cherché à joindre plusieurs fois le même numéro. Mais leur mère l'aurait rattrapé avant qu'il ait le temps d'avoir qui que ce soit et aurait finit par le frapper plusieurs fois à la tête avec le combiné du téléphone.
Il avait vu des photos du cadavre de son petit frère.
Il avait vu son corps allongé, froid, blanc, sans vie sur une des tables de la morgue.
Le numéro que TaeHyung avait cherché à joindre trois fois était le sien.
TaeHyung avait essayé d'appeler Namjoon. Il l'avait appelé lui pour qu'il l'aide, pour qu'il le sauve. Mais Namjoon était avec Jimin ce soir-là, il avait enfin réussi à obtenir un rendez-vous avec lui et il avait complétement oublié son téléphone. Il ne se souvenait même pas s'il avait entendu ou non la sonnerie de celui-ci. Tout ce qu'il avait bien pu faire ce soir n'était plus qu'un vague souvenir.
Il se revoyait rire avec Jimin. Il pouvait entendre des brides de conversations. Puis un appel qu'il avait prit parce que le plus jeune était parti aux toilettes. Puis il se revoit courir comme un fou au commissariat. Il se revoit écouter l'agent lui expliquer la situation. Il se revoit rire, dire que c'était une blague. Il se revoit nier. Il se revoit paniquer. Il se revoit pleurer. Il se revoit insulter sa mère. Il se revoit insulter son père. Il se revoit insulter la police. Il se revoit se débattre pour qu'on le laisse voir son frère. Il se revoit vomir quand il l'a vu. Il se revoit mourir de l'intérieur lorsqu'il découvre trois appels manqués dans son journal d'appel. Il se revoit écouter le dernier message que TaeHyung lui ait laissé.
Il se revoit et il se déteste.
Il aurait voulu mourir. Il aurait voulu que ce soit lui.
-Tu n'avais pas dis que je pourrai toujours compter sur toi, hyung ? Demanda de nouveau TaeHyung.
Il fallait que la torture prenne fin. Les images lui sautaient au visage. Ses émotions l'étranglaient. Il n'arrivait plus à respirer. Il n'arrivait plus à penser. Il toussait toujours plus fort, de la bile mélangée à de la bave coulait le long de son menton et il en crachait encore plus.
Il voulait que ça prenne fin. Il voulait que tout ça prenne fin. Il n'était plus capable de supporter cette torture.
-Pourquoi tu m'as menti, hyung ? Questionna TaeHyung.
Namjoon releva de nouveau la tête. Il pouvait entendre un murmure venir de la cabine téléphonique. Quelqu'un chanter pendant qu'on appelait faiblement à l'aide. Il sentit une nouvelle vague de bile le prendre. C'était la voix de sa mère qui se mélangeait aux suppliques de son petit frère. Il pouvait lire « Liard » écrit sur la vitre de la cabine.
Les lettres rouge sang et toutes leur signification écrasa Namjoon.
« Menteur. »
-Je sais que tu as toujours eut un faible pour l'anglais. Ricana de nouveau TaeHyung. Tu trouve ça plus intense, c'est ça ?
Namjoon laissa un hurlement pathétique déchirait sa gorge. Il n'en pouvait plus. Il n'avait plus la force de lutter. Il si minable, si monstrueux, si incapable. Il n'était rien. Il n'avait rien pu faire. Il aurait dû prendre la place de TaeHyung. Il aura dû l'empêcher de retourner chez leur mère. Il aura dû entendre son téléphone sonner. Il aurait dû le sauver. Il aurait dû être là.
Il aurait dû...
Mais il n'avait rien fait.
Et maintenant il n'avait plus que ses yeux pour pleurer.
Il ne pouvait plus qu'être désolé.
Alors il le répétait encore et encore. De sa voix brisée par les larmes, roque du manque d'oxygène.
-Dis-moi hyung ? Reprit encore une foi TaeHyung. Toi qui es si intelligent, tu peux me dire pourquoi, moi, je suis mort ? Hm ?
-T-TaeHyung... J-Je suis tellement désolé. S'étrangla Namjoon. Tellement tellement d-désolé...
Le rire de TaeHyung résonna et Namjoon sentit son cœur se déchirait encore une foi. Il pouvait rire après tout. Qu'est ce que ça allait changer qu'il soit désolé. Ce n'est pas comme si ça pouvait le faire revenir. Rien n'allait changer simplement parce qu'il était désolé. C'était pathétique mais c'était tout ce qui lui restait. Il n'avait plus rien à quoi se raccrocher. Il ne lui restait que ça.
Ses excuses.
Ses remords.
C'était tout ce qu'il avait encore à lui.
-Tu es « désolé » hyung ?! S'exclama le plus jeune. Tu ne crois pas qu'il soit un peu tard pour être « désolé » ?!
Namjoon sentit les longs doigts de TaeHyung agripper ses courts cheveux. D'un coup sec, le plus jeune releva sa tête et l'obligea à lui faire face. Son visage était déformé, sanguinolent pourtant il sourirait. Mais ce n'était pas un sourire sympathique. Ce n'était pas le sourire de TaeHyung. C'était un sourire mauvais, cruel, monstrueux. Ce n'était plus TaeHyung.
-Et tu es « désolé » pour quoi, au juste hyung ? Cracha TaeHyung. Tu es désolé de m'avoir laissé crever tout seul dans une cabine téléphonique pendant que tu te tapais mon meilleur ami ?! C'est ça, hyung ?!
-Nan... Nan... TaeHyung s'il te plait... Je suis t-tellement désolé et je... J-je ne sais p-pas quoi f-faire...
-Tu aurai peut-être pu commencer par « ne pas me laisser me faire massacrer à coup de téléphone par notre mère », hm ? Qu'est ce que tu en dis ?
-J-Je t'avais d-dis de ne pas r-retourner vivre... A-Avec elle... Sanglota lamentablement Namjoon.
TaeHyung eut un fou rire maniaque. Un rire à vous glacer le sang. Namjoon voulait que tout ça s'arrête. Il voulait se réveiller. Il voulait que la douleur disparaisse. Il en avait assez de lutter. Il voulait qu'on l'emmène loin de tout ça. Il voulait disparaitre.
-Tu n'es quand même pas en train d'essayer de me faire porter le chapeau hyung ?! Ria TaeHyung. Tu n'oseraie pas remettre la faute sur moi ?! T'es tout de même pas entrain de dire que je suis coupable ?
-Non ! Bien sûr que non-
-Tu n'est pas en train de dire que je me serais poignardé et éclater le crâne tout seul et par plaisir ?! Interrompit TaeHyung, hurlant.
-Evidement que non, Tae ! Explosa finalement Namjoon. Je sais bien que tout ça c'est de ma faute ! Je sais que je suis le pire grand frère du monde ! J'aurai dû t'en empêcher ! J'aurai dû la garder loin de toi ! J'aurai dû t'obliger à rester avec papa ! J'aurai dû venir avec toi ! J'aurai dû être là ! J'aurai dû rester avec toi quoiqu'il arrive ! J'aurai dû être là pour te protéger !
TaeHyung eut un petit rictus las.
-Comment tu aurais pu savoir que quelque chose aller arriver hyung ? Hm ? Tu aurais été prêt à sacrifier toute ta vie simplement pour rester et t'assurer que tout se passe bien ?
-Bien sûr ! Hurla Namjoon, en larme, essoufflé. Bien sur que j'en aurai été capable !
-Alors pourquoi tu n'étais pas là, hyung ? Pourquoi tu n'as pas répondu ? Est-ce que c'est parce que Jimin t'a empêché de répondre ? Il ne voulait pas que je vous embête pendant votre petit rencard ? Après tout avec moi mort, il aurait plus le problème de sortir avec le grand frère de son meilleur ami.
Le sourire qui ponctua la réplique de TaeHyung lui arracha un haut le cœur puissant. Il n'arrivait pas à croire qu'il essayait de rejeter ça sur Jimin ?!
-Jimin n'y est pour rien, reprit Namjoon. Comment il aurait pu deviner que c'était toi qui appeler ?! Comment il aurait pu deviner que maman avait pété les plombs ?! Comment veux-tu qu'il devine -
-Et toi hyung ? Coupa TaeHyung, sa voix à peine plus forte qu'un souffle. Comment tu aurais dû deviner hyung ? »
Namjoon n'eut jamais l'occasion de répondre à TaeHyung. Du moins pas cette fois-ci. Il se réveilla en sursaut, totalement en nage et essoufflé. Le plafond blanc crème du cabinet de son psychiatre lui brûlait la rétine. Il avait la gorge atrocement sèche et il n'arrivait pas à reprendre sa respiration.
Le docteur Jung lui tendit un verre d'eau, l'invitant à prendre de grandes inspirations, à bloquer le souffle et à relâcher au bout de trois. Namjoon s'exécuta, s'étouffant légèrement en avalant en une seule gorgé le contenu du verre. Il pouvait sentir l'oxygène emplir ses poumons intégralement et le quitter lentement, emportant avec lui un peu de sa panique et de ses angoisses. Il reprenait doucement contact avec la réalité.
Tout ça n'était qu'un cauchemar. Un truc de psychiatre pour l'aider à aller mieux. Il n'était pas tellement sûr que ce soit efficace vu l'état dans lequel il en ressortait mais d'après monsieur Jung, ils avaient fait de gros progrès et Jimin n'arrêtait pas de lui dire qu'il pouvait voir le bien que ça lui faisait.
Il repartait du cabinet avec toujours la même question.
« Est-ce que je finirai par oublier, doc ? »
La réponse était non. Il n'oublierait jamais.
On ne peut pas oublier ce genre de chose.
Mais il finirait par arrêter de se sentir coupable.
Et c'est tout ce dont il avait besoin pour continuer à avancer.
Et il fallait qu'il avance.
Au moins pour TaeHyung.
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