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La première chose dont Harry eut conscience quand il reprit enfin connaissance était qu'il était allongé sur le côté, les bras reposant juste devant son visage, les jambes légèrement repliées sur sa poitrine. Comme pour se protéger de tout danger extérieur qui pourrait lui tomber dessus. Harry ne bougea pas, refusant de se sentir de nouveau nauséeux. Il n'avait que trop bien reconnu cette drôle de sensation de tournoiement, puis ce choc dans ses jambes, l'obligeant à s'écrouler par terre sans la moindre chance de se rattraper sans s'étaler pitoyablement. Il avait encore été téléporté. Et il n'aimait toujours pas ça...

Prenant de grandes inspirations d'air frais, l'enfant chercha à faire passer son mal de ventre qui semblait s'accrocher à lui tel une sangsue, les yeux toujours fermés, effrayés de ce qu'il pourrait bien trouver face à lui. Le vide ? L'absence de l'homme en noir ? Ou pire, le groupe de personnes qui semblait lui vouloir du mal... Apeuré par cette perspective, Harry serra un peu plus fermement ses paupières jusqu'à s'en faire mal. Ainsi positionné, le temps semblait, pour lui, passer encore plus vite que prévu.

Pourtant, à un moment donné, son épaule qui reposait sur le sol, coincé entre la terre dure et son propre poids, commença à être douloureuse, lui engourdissant peu à peu tout le bras, jusque dans sa main. Harry voulait bouger, plus que tout, pour laisser passer cette douleur qui s'intensifiait peu à peu. Mais il avait bien trop peur de faire le moindre mouve ment. Et si les méchantes personnes étaient toujours là, tout autour de lui, attendant qu'il bouge ne serait-ce qu'un cheveu pour lui sauter dessus ? Et où était Severus ? Il avait terriblement besoin de lui, maintenant. Mais il n'était pas là... Et si... Et si Severus était blessé et ne pouvait pas bouger lui non plus ? Et si...

Et s'il était mort ?

La simple pensée de cela le fit frissonner de terreur. Severus ne pouvait pas l'avoir abandonné. Jamais... Il lui avait promis...

Et pourtant, malgré son déni, Harry savait, au plus profond de lui-même, bien caché dans sa conscience, qu'il y avait une possibilité pour que l'homme soit bel et bien mort. L'état dans lequel il avait été ne laissais presque aucun doute à ce sujet... Alors il se devait d'être fort à son tour, de ne pas abandonner, de ne pas renoncer alors qu'il était si prêt du but. Il se devait d'être fort pour Severus. Et cela commençait par le fait d'affronter sa peur immédiate en ouvrant les yeux, en changeant de position pour soulager son bras, et à affronter la possible réalité qu'il soit seul à nouveau.

Lentement, son cœur battant bien trop rapidement, Harry parvint à soulever ses paupières, d'abord hésitant. Il cligna plusieurs fois des yeux pour s'habituer à la légère luminosité qui s'était installé tout autour de lui. Le blanc l'agressa, l'empêchant de voir immédiatement où il se trouvait. Ce ne fut que lorsqu'il vit des petits grains blancs tomber du ciel qu'il se rendit compte qu'il était allongé dans la neige et que la moitié de son visage était totalement engourdi par le froid mordant sur sa peau nue. Lentement, prenant garde à ne pas faire de mouvement brusque avec son bras blessé et engourdi, Harry trouva la force de se relever pour s'asseoir, fixant droit devant lui ce qui semblait être un sous-bois. La pénombre, bien qu'encore très présente tout autour de lui, n'était pas assez sombre pour l'empêcher de voir les formes des arbres, des buissons, de quelques cailloux et rochers éparpillés tout autour de lui. La neige, blanche et immaculée était nue de toute empreinte humaine ou animal, recouvrant le sol telle une protection imperméable à toutes intempéries extérieures, rendant même l'endroit presque mystique et improbable. Harry n'avait jamais vu un tel décor de toute sa vie, si bien qu'il prit le temps de l'observer pour le graver à jamais dans son esprit.

Après quelques instants et avec des gestes lents pour éviter de se blesser davantage au bras, Harry détourna la tête de l'immensité du bois qui s'étendait devant lui, regardant d'abord à droite, puis à gauche, sans rien voir d'autre que des arbres et de la neige s'étendre sans fin dans l'horizon infini. Aucune trace de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Il était seul. Et même si cette perspective de ne plus être entouré par des gens lui voulant du mal aurait dû le rassurer, il était terriblement paniqué. Effrayé d'être laissé seul dans un endroit si grand et qu'il ne connaissait pas, sans avoir un seul indice de ce qu'il devait faire, ou d'où il devait aller...

Au loin, une chouette hulula, le faisant se retourner vivement de surprise, fixant le ciel sombre au-dessus de sa tête, espérant peut-être voir le volatile, seule preuve que le temps était toujours en train de s'écouler. Quelques secondes passèrent sans aucun nouveau bruit, sans aucun nouveau mouvement. Rien de plus que cette immense forêt, lui-même et son souffle produisant de la brume blanchâtre et brisant pendant de courts instants le silence lourd qui s'écrasait sur ce lieu. Puis, Harry baissa de nouveau la tête pour se figer de terreur, les yeux grands ouverts, son cœur battant plus vite dans sa poitrine, lui faisant presque mal.

Dans la neige blanche et immaculée de toutes traces, une grande masse sombre, grande et fine était allongée, immobile, face contre le manteau glacial et légèrement recroquevillée sur elle-même. Il ne fallait pas être un génie pour savoir qui était cette masse sombre...

Incapable de se relever, Harry se traina à quatre pattes jusque-là où se trouvait Severus, ses mains plongeant profondément dans la neige jusqu'à ce qu'il ne puisse plus les sentir tant le froid était mordant, son pantalon rendu collant par l'eau qui s'y était imbibé au niveau de ses genoux, incapable de prononcer le moindre mot, d'émettre le moindre son, sa gorge étant serrée comme jamais au paravent. Sans attendre plus longtemps, sans craindre la moindre représaille, Harry déposa sa main engourdie et gelée sur l'épaule de Severus et le secoua légèrement pour tenter de le sortir de son sommeil. Aucun mouvement. Aucun son. Pas même un grognement qui aurait voulu dire quelque chose du genre «fou moi la paix gamin de mes deux»...

Rien.

Et pire que tout, il n'y avait aucune respiration.

Le dos de Severus ne se soulevait pas pour témoigner qu'il inspirait et expirait encore de l'air.

Et Harry sut.

Sans un seul doute.

Et cela faisait mal.

Tellement mal...

Cela ne pouvait pas être vrai, et pourtant...

Jamais il n'avait ressenti une telle douleur dans sa poitrine, comme ci quelqu'un était entré en lui, s'était glissé au plus profond de sa chaire, juste à côté de son cœur, et avait commencé à le déchirer en tout petit morceau, voir même à le manger, morceaux par morceaux. Harry n'avait encore jamais ressenti une telle sensation, une sensation qu'il détestait plus que tout, mais il savait ce qu'elle signifiait. Il était triste. Désespérément triste. Et seul...

Et c'était probablement ce qui lui faisait le plus mal. La solitude d'être laissé derrière, sans personne pour le guider...

Harry ne parvint pas à savoir ce qu'il voulait faire. Quitter cet endroit le plus vite possible pour ne plus avoir à voir Severus ainsi, ou bien se recroqueviller contre ce corps encore chaud, espérant plus que tout pouvoir y trouver un nouveau souffle. Au lieu de cela, Harry resta là, regardant fixement l'homme en qui il avait eu confiance, l'homme qu'il avait aimé comme jamais il n'avait aimé quelqu'un au paravent, ne parvenant pas à réfléchir convenablement.

Le froid commençait peu à peu à lui engourdit les oreilles, le bout des doigts et les orteils. Mais Harry n'y faisait plus attention, son monde s'étant de nouveau écroulé tout autour de lui. Il pleurait silencieusement, les larmes gelant peu à peu sur ses joues, les rougissant davantage, contrastant avec le visage terriblement blanc de l'homme en noir allongé juste à côté de lui.

Les sanglots ne mirent pas longtemps à suivre, léger, à peine audible dans ce silence si pesant, mais terriblement lourd de douleur et de désespoir. Pour Harry, le temps sembla se figer, l'enfermant dans cette bulle de souffrance et de désespoir qu'était cette douleur nouvelle qui le rongeait peu à peu.

Harry finit par se rapprocher un peu plus de Severus, cherchant désespérément du réconfort qu'il savait ne plus jamais pouvoir recevoir auprès de l'homme. Mais juste une dernière fois. Il avait bien le droit de demander cette toute petite chose.

Pas vrai ?

Bien qu'hésitant quelque peu, Harry finit par se coucher de nouveau dans la neige, faisant totalement abstraction du froid mordant qui lui traversa les vêtements et qui le fit grelotter, son visage tout proche de celui de la poitrine de Severus, formant comme un cocon de protection tout autour de lui. Mais une protection vide, sans plus rien, une protection qui ne pourrait jamais plus lui prononcer des mots apaisants. Les larmes et les sanglots avaient fini par se tarir, laissant place à un sentiment de vide profond, comme si quelqu'un venait de lui enlever quelque chose de précieux. Et c'était tout à fait le cas.

La relation qu'il avait eu avec Severus, bien que récente et ponctuée de danger et de peur, était probablement la chose la plus précieuse qu'il n'ai jamais eu de toute sa vie...

Se sentant de plus en plus lourd, de plus en plus engourdi, Harry vint se caler un peu plus contre l'homme, recherchant désespérément le peu de chaleur qui était encore piégé dans le corps de Severus, fermant les yeux pour faire plus facilement abstraction de tout ce qui l'entourait. Le temps sembla ainsi passer un peu plus vite. C'était en tout cas l'impression qu'avait Harry. Et rien que cela le satisfaisait à cet instant précis. Peut-être que si le temps passait plus vite...

Il rejoindrait plus vite Severus ?

Oscillant entre l'éveille et le songe, Harry sentait son corps s'affaiblir de plus en plus rapidement, se refroidir de façon incontrôlable et sa respiration s'adapter lentement à son état. Il avait si froid maintenant qu'il ne grelottait plus.

Désormais dans un état plus proche du sommeil que précédemment, Harry fut soudainement ramené à la réalité par un bruit mat, régulier, lointain et lourd, son instinct le forçant à ouvrir les yeux pour voir d'où pouvait provenir ce nouveau danger. Harry ne vit que du noir. Les larmes lui remontèrent aux yeux quand il se rendit compte qu'il s'agissait du manteau que portait Severus, des larmes qu'il refusa de laisser couler. Plus tard peut-être. Mais pour l'instant, quelques choses étaient en train de se passer, et il devait savoir qui, même si cela ne ferait pas de grande différence pour son avenir ou celui de Severus...

Se concentrant aussi fort que son esprit fatigué et engourdi le lui permettait. Il lui fallut bien plus longtemps qu'il ne l'aurait voulu pour reconnaître ce bruit pourtant si caractéristique.

Des bruits de pas lourds et lointain le firent se redresser, provoquant en lui un soudain vertige qui le rendit malade et voilà ses yeux de noir pendant un court instant qui lui sembla tout de même bien trop long. Quand la vue lui revint finalement, Harry plissa ses yeux rougis par les larmes et la fatigue accumulée, il chercha à percevoir la moindre chose à proximité, n'y croyant tout de même pas réellement.

Le temps sembla s'éterniser, et Harry pensa à abandonner malgré la proximité de ses bruits de pas lorsque, au loin, une masse commença à apparaître au travers de la brume ambiante. Une masse qui se rapprochait lentement, lourdement, se dandinant d'un côté, puis de l'autre, géante, bien trop grande pour n'être qu'un humain, mais bel et bien un homme. Harry n'eut que le temps de voir une grande barbe brune et hirsute avant de finalement s'écrouler à côté de Severus, perdant enfin connaissance, laissant enfin de côté sa douleur...

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