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Le bus finit enfin par s'immobiliser, après plus d'une heure de route s'en s'arrêter une seule fois. Severus, tenant Harry par la main, l'aida à descendre les quelques marches du bus, posant enfin le pied sur le trottoir humide de Leeds. Ils avaient eu de la chance de trouver ce bus de nuit qui ne cessait de faire la navette entre les quelques villes de la région, Severus refusant d'attendre plus longtemps pour reprendre la route qui le mènerait à Poudlard. Ils avaient déjà perdu plus de trois jours dans cet hôpital maudit. Hors de question d'en perdre plus. Chaudement emmitouflé dans sa couverture, qui avait reprit la forme d'une longue écharpe douce et chaude, Harry suivait l'homme sans rien dire, lui faisant totalement confiance désormais.

L'enfant était sûr, après l'épreuve de la fuite de l'hôpital, que jamais Severus ne l'abandonnerait plus. Il le savait, tout simplement. Son ventre protesta. Il n'avait pas mangé depuis un certain temps, et son estomac avait apparemment décidé que maintenant était le bon moment pour se rappeler à son bon souvenir. Entendant les gargouillements, Severus s'arrêta pour regarder l'enfant face à lui. Ses yeux se posèrent sur ceux de Harry qui le regarda en retour, une lueur d'envie dans ses yeux verts.

-J'imagine que nous avons le temps de manger un petit morceau... Qu'en penses-tu ?

Le regard d'Harry s'illumina et un large sourire se dessina sur son visage joufflu et rougit. Ragaillardi par cette nouvelle, Harry redoubla l'allure de son pas pour se maintenir à la hauteur de Severus qui ne le quitta pas du regard pendant un long moment, ressentant toujours cette pointe de peur qui le tenaillait dans l'estomac. Severus marchait beaucoup moins vite qu'avant, son pas s'adaptant à celui de l'enfant. Mais surtout, son souffle semblait toujours terriblement difficile. Et le pire étant sans doute cette grimace qu'il tentait vainement de retenir à chaque pas, le contact avec le sol lui envoyant de violents pics de douleur dans la poitrine.

Mais Harry ne disait rien, sachant que Severus ne voulait pas perdre plus de temps pour l'emmener dans ce bel endroit avec plein de gens gentils. Ce n'est pas pour autant qu'il avait moins peur pour lui...

Parcourant les rues dans un silence agréable, illuminé uniquement par les lampadaires dont les lumières se reflétaient dans les flaques d'eau parsemées sur le sol. Les trottoirs étaient presque totalement vides de passants, la soirée étant déjà très avancée, la plupart des boutiques déjà fermées, les devantures dénuées de toutes lumières. Après avoir passé plusieurs minutes à chercher un endroit où se restaurer, Severus dû finalement se rabattre sur une petite boulangerie, y achetant suffisamment de vivre pour la soirée et la journée du lendemain avec de l'argent moldu qu'il avait eu la chance d'avoir sur lui.

Après cela, Severus réduisit les vivres d'un coup de baguette et les glissa soigneusement dans une de ses poches pour ensuite reprendre la main de Harry et le conduire à travers de nouvelles rues, de plus en plus large. Finalement, la gare finit par leur apparaître au loin, illuminée et encore bourdonnante de personne. Toujours en prenant garde de ne pas semer Harry, ni de s'essouffler plus qu'il ne l'était déjà, Severus guida l'enfant vers le grand bâtiment, désireux de si abriter pour y trouver un peu de chaleur et de repos. Une fois la porte poussée, le bruit des conversations et des pas sur le sol de marbre les percuta de plein fouet, les ramenant avec force dans une réalité bruyante et étourdissante.

Regardant les horaires qui s'affichaient avec attention, Severus finit par trouver un train en direction de Glasgow, la plus grande ville d'Écosse, le dernier grand point de leur route en direction de Poudlard, qui partirait d'ici une heure de Leeds.

-J'ai vraiment faim maintenant Severus...

-Je sais Harry. Juste encore cinq petites minutes et après nous pourrons manger d'accord ?

-D'accord.

Et ainsi, exactement cinq minutes plus tard, Harry se laissa tomber sur le banc en face de la voie trois de la gare encore presque totalement vide. Severus prit place à côté de lui en sortant un des sandwichs de sa poche qu'il ramena à sa taille initiale. Sans attendre, Harry le prit et mordit dedans avec avidité. Il avait tellement faim ! Severus le regarda manger, un mince sourire dessiné sur ses lèvres fines. La simple vue de ce petit garçon, heureux de pouvoir manger sans se soucier de quoi que ce soit, suffisait à l'apaiser dans sa tourmente. Oui, ce ne fut qu'à cet instant que Severus se rendit compte que son cœur n'était plus aussi lourd qu'avant, plus aussi chargé de remords et de culpabilité. Il avait pu, d'une manière ou d'une autre, se pardonner quelque peu pour ses actes passés en prenant soin de Harry.

Il allait mourir pour cet enfant, et cette idée semblait l'apaiser.

Pour une fois dans sa longue vie de souffrance et de haine, Severus allait faire quelque chose de bien.

-Tu dois manger aussi monsieur !

Sorti de ses pensées par les éclats de voix de Harry, Severus cligna plusieurs fois des yeux pour revenir à la réalité, se concentrant sur le petit visage de l'enfant qui le regardait avec beaucoup d'attention.

-Mange, toi aussi. Tu as été malade. Tu as besoin de reprendre des forces.

-Je n'ai pas très faim...

-Severuseuh !!

-Bon d'accord. Juste un peu alors.

Son estomac se contractait à chaque bouché, manquant à chaque fois de lui rendre le peu de nourriture qu'il parvenait à avaler, mais Severus se força à manger pour rassurer Harry. L'enfant ne le quittait pas des yeux, le surveillant du coin de l'œil tout en continuant d'engloutir son propre sandwich. Dès qu'il l'eut fini, Après s'être léché les doigts pour enlever les quelques miettes résiduelles, Harry se cala contre Severus qui ne fit pas le moindre mouvement pour s'extraire à son contact. Mettant le reste de sa nourriture de côté, Severus passa un bras protecteur autour des épaules de Harry, le pressant un peu plus contre lui pour le rassurer par sa présence et lui tenir chaud, ses yeux fixés sur cet enfant insouciant.

À peine une semaine plus tôt, si on lui avait dit que lui, Severus Snape, le sorcier le plus ténébreux de Poudlard haï de tous et assassin qui détestait les enfants plus que tout, ce serait retrouver à câliner un de ses dit enfants, fils de ses victimes en plus de ça, il aurait probablement ri comme jamais pour la première fois depuis... Toujours en fait...

-Quel enfant adorable.

Severus sursauta légèrement avant de tourner un regard impassible vers la femme qui l'avait sorti de sa rêverie. Perdu dans la contemplation de l'enfant qui dormait tout contre lui, Severus n'avait pas remarqué que cette femme, d'un certain âge, s'était assise juste à côté de lui, tenant en laisse un petit chien du genre bichon.

-C'est votre fils ?

La question déstabilisa légèrement Severus qui ne sut pas quoi répondre à cela. Il ne s'était absolument pas attendu à ce genre de question, mais il était vrai qu'après coup, cela pourrait paraître suspect de croiser un homme avec un enfant s'il n'avait pas de lien de parenté.

-Il ne vous ressemble pas du tout...

-C'est parce que...

Que pouvait-il dire ? Severus ne pouvait pas se faire passer pour son père. Il se sentit malade juste à l'idée de se faire passer pour son père. Cela serait tellement malsain... L'assassin de ses parents qui se fait passer pour le père d'Harry. Hors de question. Jamais. Il ne pouvait pas faire cela. Pas à cet enfant qui n'avait rien demandé.

-Je suis son oncle...

-Il ne vous ressemble pas du tout pour autant.

-C'est que... Il a tout pris de son père.

-Oh je vois. Vous êtes donc le frère de sa mère ?

Severus commença à sentir l'agacement monter en lieux. Cette vieille peau ne pouvait donc pas le laisser en paix ? En plus de cela, la douleur dans sa poitrine recommençait à devenir lancinante, et sa respiration plus laborieuse. Et ce train qui ne semblait pas vouloir arriver !

-Vous voyagez léger...

Et voilà, la suspicion qui revenait. Severus n'était pas assez vif d'esprit pour pouvoir trouver une réponse à cela, son esprit embué par la fatigue de ses derniers jours et la douleur. Il ouvrit la bouche, prêt à répondre quelque chose sans grande conviction quand il fut coupé.

-C'est parce que on est resté qu'une journée en ville. On est allé se balader dans le parc cet après on a mangé une glace tous les deux ! Pas vrai tonton Severus ?

-Oui... Une très bonne glace... Pas vrai ?

-Oh que oui ! J'adore la glace au chocolat et tonton Severus m'a permis de prendre deux grosses boules avec un cornet ! Elle était si grosse qu'après j'avais plus faim du tout ! C'était trop trop bien ! Mais maintenant je suis un peu fatigué. Alors tonton Severus me ramène à la maison avec plein de gens gentils qui m'attendent et je vais enfin pouvoir dormir un peu. J'aime faire pleins de choses avec tonton Severus mais après je suis toujours très fatigué.

Severus ne parvenait pas à détacher son regard de cet enfant qui parlait encore et encore sans aucune difficulté, racontant toute cette fantaisie sans jamais laisser supposer une seule fois que tout cela n'était qu'un mensonge éhonté. Mais la femme marcha dans ce mensonge sans se douter de quoi que ce soit. Tout était parfait, même cet air angélique peint sur le visage de l'enfant.

-Eh bien, tu en as de la chance mon grand.

-Oui. Tonton Severus est le plus gentil de tous les tontons !

Le fameux «tonton» en question se sentit de plus en plus mal. Ce mensonge semblait si vrai que cela le mettait de plus en plus mal à l'aise. L'enfant le voyait-il vraiment comme cela ? Le considérait-il comme un membre de sa famille ? Une personne réellement digne de confiance ? Il ne pouvait pas. Ce n'était pas bien. Et pourtant, avec le recul, Severus se rendit bien compte que cet attachement était inévitable après ce que tous deux avaient vécu ces derniers jours. Ils ne pouvaient faire confiance à personne d'autre qu'eux même. Inconsciemment, Severus porta sa main à son cœur, surpris d'y sentir une forme de douleur qu'il n'avait jamais connue auparavant. Cela faisait mal, mais pourtant, cela avait quelque chose de rassurant, qui le réchauffait de l'intérieur et qui le menait à un sentiment de plénitude.

Ce sentiment, c'était de l'amour.

Pour Harry.

Il aimait l'enfant.

Et il le protégerait à jamais.

Il n'avait jamais été aussi serein de toute sa vie...

Peut-être la pensée de sa mort prochaine aidait-elle...

-Ça va tonton Severus ?

L'homme baissa son regard sur le visage de l'enfant. Son geste avait dû être mal interprété par Harry qui devait sûrement penser qu'il avait de nouveau mal à la poitrine. Dans un sens, il n'avait pas tort.

-Oui petit gars. Ça va. Oh mais, voilà notre train !

Aussitôt, Harry reporta son attention sur le train qui entrait en gare. Cela serait une grande première pour lui, et il était si excité à l'idée d'utiliser ce moyen de transport qu'il était persuadé qu'il ne parviendrait pas à dormir de tout le trajet, trop occupé à regarder par la fenêtre. Suivi de prêt par Severus, l'enfant se trouva un siège et sauta dessus, observant déjà l'extérieur de la gare, ne prenant pas garde au nouvel air qu'affichait l'homme.

Severus prit place à côté d'Harry, heureux d'avoir un peu de temps pour reprendre le peu de force qu'il lui restait, heureux de s'être débarrassé de cette vieille femme un peu trop collante, et heureux de voir Harry plus enthousiaste qu'il ne l'avait jamais été depuis qu'ils s'étaient rencontrés.

Une seule ombre s'affichait au tableau : Il ne pourrait pas connaître cela encore longtemps...

Mais pour Harry, c'était un prix qu'il était prêt à payer.

De sa propre vie.

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