Il faisait terriblement froid. Son corps, qui ressentait la fraîcheur de manière décuplée à cause de l'épuisement, grelottait comme jamais auparavant, engourdissant ses membres, les rendant raides et immobile, mis à part ses tremblements incontrôlés qui s'était finalement emparé de ses mains déjà bleues. Pourtant, malgré le fait qu'il soit presque gelé sur place, il brûlait de l'intérieur, se consumait de chaleur. Comme ci son corps abritait un soleil ardent qui le rongeait à petit feu et qui ne demandait qu'à sortir de sa prison de chaire. Ses pas étaient lourds et hésitants, incertains de leur stabilité et de leur direction. Depuis combien de temps marchait-il ? Où était-il ? Dans combien de temps finirait-il par tomber sur une habitation ? Arriverait-il seulement à voir le lendemain ?

Severus ne savait pas, il était incapable de réfléchir rationnellement, incapable de penser à quoi que ce soit sans que son esprit malade ne dérive vers ses sombres pensées. Des pensées qu'il aurait plus que tout voulu enfermer au plus profond de son esprit, mais il en était totalement incapable à cet instant précis.

Ses épaules voûtées par le poids décuplé de sa culpabilité et de ses erreurs, il ne voyait rien d'autre devant lui que des yeux verts remplis de reproches et de colère envers lui. Des yeux chez qui il n'avait jamais vu une telle hostilité, et avait espéré ne jamais la voir. Mais ils étaient là, et le fixaient avec tant d'animosité que c'était très probablement ce qui le figeait le plus. Les yeux de Lily d'abord qui lui reprochait tout ce qui avait fait qu'elle n'était plus de ce monde, tout ce qu'il avait fait... Severus avait souffert de voir ses si beaux yeux le regarder ainsi. Mais le pire, et il s'en rendit compte instantanément, était de voir ses mêmes yeux, le regarder avec autant de haine, mais sur le visage de petit garçon qu'il connaissait désormais que trop bien. Harry le regardait. Harry le haïssait. Et cela le faisait souffrir.

Jamais il ne l'aurait avoué, mais cet enfant avait su se trouver une place dans le cœur du sombre sorcier sans qu'il ne parvienne ni à sans rendre compte, ni à l'empêcher. Harry avait été le seul à en être capable depuis de longues années, et le voir ainsi, l'observer avec tant de haine le brisait de plus en plus. Et la culpabilité qui l'avait presque entièrement dévoré venait de faire une prodigieuse avancée, l'avalant encore un peu plus, absorbant encore un peu de sa volonté de se battre. Car Severus avait déçu l'enfant. Il l'avait ignoré après l'avoir renvoyé quand il lui avait demandé de la nourriture, préférant plus que tout trouver un endroit pour que l'enfant puisse se reposer au chaud, manger à sa faim, sans faire attention aux besoins immédiats du petit. Il l'avait poussé à bout de force, et tout ça pour quoi ? Finalement se rendre compte qu'ils étaient au milieu de nulle part, au froid, et sans nourriture...

Quel genre de monstre était-il pour agir ainsi ?

Comment pouvait-il seulement croire pouvoir apporter un peu de réconfort à un enfant ?

Peut-être que sa volonté de se racheter avait fini par l'aveugler, avait fini par placer ce besoin personnel au-dessus de ce qui comptait vraiment : prendre soin de Harry et le ramener sain et sauf à Dumbledore. Severus se mordit la lèvre inférieure à cette réalisation. Tout ce qu'il avait fait jusqu'à maintenant, il pensait le faire pour l'enfant. Finalement, c'était avant tout pour lui-même, pour atteindre la reconnaissance qu'il rêvait d'avoir, pour qu'on le considère pour qui il était réellement... Mais quel idiot il était ! Personne ne le considérerait jamais comme quelqu'un. Il n'était qu'un meurtrier, rien de plus, et il le savait. Alors pourquoi s'acharner à vouloir prouver quoi que ce soit à des personnes qui avait déjà une idée bien précise de qui il était ?

À cette réalisation, un râle de douleur s'échappa de sa gorge, et il s'immobilisa, chancelant sur ses jambes tremblantes, plaçant avec hésitation une main tremblante sur son cœur. Pourquoi cela faisait-il si mal ? Plus encore que lorsqu'il avait perdu Lily...

Dans son esprit embrouillé, une pensée s'imposa à lui de façon très nette, de façon totalement évidente même. Demain, peu importe son état, il transplanerait à Poudlard pour que l'enfant soit en sécurité. Tant pis s'il devait y mettre le peu de force qui lui restait. Tant pis s'il devait mourir pour cela. Harry était bien plus important que lui.

Harry méritait d'être protégé. Pas lui...

Harry méritait la reconnaissance. Pas lui...

Harry méritait de vivre...

Pas lui...

-Harry...

Sa voix avait été terriblement faible, presque inaudible, rien de plus qu'un murmure empli de souffrance et de résignation, une sorte de dernier appel à l'aide que pousserait un animal mourant. Mais un appel envers qui ? Personne ne prendrait jamais la peine de venir l'aider lui, le traître et assassin. Et malgré que ses quelques mots furent prononcés aussi bas, dans ce terrible silence qui l'entourait, cela lui parut être un hurlement de douleur qui résonna longuement dans sa tête.

-On va s'arrêter un peu...

Severus, d'un revers de la main, essuya encore une fois la transpiration qui lui maculait le visage. Sa fièvre avait empiré au cours des dernières heures, le rendant encore plus grogi qu'il ne l'était déjà. Aucun doute là-dessus. Ça faisait quoi maintenant ? 38, 39, voire 40 degrés ? Il n'en savait rien, et il valait probablement mieux pour lui qu'il ne le sache pas s'il ne voulait pas commencer à sérieusement s'inquiéter de son état. L'enfant était la priorité.

-Harry ?

Severus se redressa autant qu'il le put grimaçant de douleur à cause de son dos qui le brûlait. Pourquoi l'enfant ne lui répondait-il pas ? Lui qui avait tant voulu faire une pause devrait sauter de joie désormais ou au moins pousser un petit soupir de soulagement... Mais il n'y avait aucune réflexion, aucun cri de joie, aucun soupir de soulagement, pas même un petit mouvement pour lui signifier qu'il avait compris. Peut-être qu'il était bien trop fatigué pour entendre ce murmure... Pourtant, cela lui avait paru être un cri terriblement puissant et fort, bien plus qu'une voix à peine audible, probablement à cause de la fièvre. Severus se retourna lentement pour garder son équilibre et ne pas s'écrouler au sol, prêt à réitérer ses mots avec plus de force.

Une chape de plomb lui tomba dessus.

Derrière lui s'étendait le noir de la nuit à perte de vue, jusque dans l'infini, tel un immense gouffre sans fin. Il pouvait vaguement distinguer les silhouettes tortueuses de quelques arbres et buissons. Mais Harry était invisible à ses yeux. Il n'était pas là. Nulle part.

-Harry ?

L'incrédulité l'avait saisi plus que la peur au début. Puis, la réalisation passa, lui remettant ses idées en place, et avec elle faisant remonter la terreur et ses deux yeux émeraude qui le regardait avec tant de reproche. Il l'avait perdu. Il avait perdu Harry. Comment avait-il pu être à ce point perdu dans son propre monde pour ne pas remarquer que le petit ne le suivait plus ? C'était... Impensable ! Et après il se disait grand occlumens et espion pour le directeur ? Mais bien sûr ! Quelle bonne blague ! Il n'était vraiment rien de plus qu'un incapable même pas fichu de surveiller un gamin...

Non ! Ce n'était pas le moment de se morfondre dans ses pensées, la priorité étant de retrouver le gamin le plus vite possible. Il n'osait même pas imaginer si leur poursuivant mettait la main sur le petit avant lui...

Revenant sur ses pas, Severus recommença à marcher, puisant des forces d'il ne savait où, accélérant un peu plus la cadence à chaque foulé. Son souffle rauque et sifflant était désormais la seule chose qu'il entendait, ses yeux restaient fixés sur la route face à lui qu'il ne faisait que deviner dans ce noir intense. Le gamin ne devait pas être bien loin tout de même. Il l'aurait appelé si jamais il ne parvenait plus à le suivre n'est-ce pas ? Après réflexion, probablement pas vu comment il l'avait rembarré à plusieurs reprises dès que Harry avait voulu ouvrir la bouche durant ses dernières heures.

Mais quel monstre était-il donc pour agir ainsi ?

Lui qui avait cru que son cœur avait réussi à s'ouvrir au petit garçon, il se rendait compte avec horreur qu'il n'en était rien, il était toujours le même bâtard graisseux que tout le monde haïssait. Severus voulait tellement changer... Mais à chaque fois il faisait quelque chose de travers qui l'empêchait d'avancer...

-Harry ! Cria-t-il de toutes ses forces.

La douleur explosa dans sa tête dès qu'il commença à crier, sa voix faible ne portant pourtant pas très loin, le faisant dangereusement vaciller, mais Severus passa au travers comme il put, accélérant encore le pas si bien qu'il se retrouva bientôt à trottiner. Son corps était si lourd, si bien que, même si chaque pas effectuais était plus rapide que le précédent, à chaque fois qu'il faisait un mètre, sa vue se brouillait un peu plus, l'empêchant de voir le peu de lumière qui éclairait la route, le plongeant bientôt dans une noirceur quasi-total. Sa tête se mit soudainement à tourner violemment, le sol à tanguer sous lui avec une telle force qu'il tomba à quatre pattes, la tête baissée vers le sol, haletant comme jamais.

À peine avait-il touché le sol que Severus tenta de se remettre sur pied pour continuer sa course désespérée. Mettant un pied en appui, il se releva de quelques centimètres avant de s'effondrer de nouveau sans parvenir à se rattraper cette fois, sa tête heurtant violemment le sol.

Son esprit fut totalement vidé par le choc, le laissant hébété, se demandant même ce qu'il faisait coucher au sol dans le noir de sa chambre. Puis, aussi vite que ses souvenirs étaient partis, ils refirent surface dans sa tête meurtrie, amenant avec eux toute la culpabilité et le mépris qu'il inspirait à lui-même.

-Qu'est-ce que j'ai fait...

Encore une fois, tu as merdé, répondit sa petite voix intérieure.

Oui, il avait encore fait une belle erreur. Une erreur qu'il ne se pardonnerait jamais. Une erreur qui le hanterait encore bien plus que tous les autres combinés. Il avait perdu un enfant bon sang ! En plein milieu d'une forêt ! Quel genre d'incapable pouvait réussit cela ? Lui apparemment. Toujours lui en fait. Toujours sa faute. Car oui, si l'enfant n'était plus derrière lui désormais, c'était parce qu'il n'avait absolument pas fait attention à lui. Parce qu'il n'avait pas pris la peine de se retourner une seule fois pour voir si l'enfant parvenait toujours à le suivre. Il avait perdu le sauveur du monde sorcier, l'élue, le Survivant, uniquement à cause de sa colère. Encore une fois, Severus se demanda comment il pouvait espérer obtenir la confiance de Dumbledore s'il n'était pas capable de protéger convenablement le gamin le plus important du monde sorcier.

Non, pas le gamin...

-Harry...

Il avait perdu Harry. Et bon sang, ça lui faisait tellement mal. Il s'était habitué à la présence d'Harry. Et maintenant il n'était plus là. Et il se sentait mal, bien plus mal qu'il ne l'aurait cru. Car il s'inquiétait pour l'enfant, bien plus qu'il ne s'inquiétait de sa réputation finalement. Oui, il était terrorisé à l'idée qu'il arrive du mal à ce petit être si gentil, si pur, si bon...

-Harry...

Severus pleura, les larmes coulant sur ses joues avec silence, sans aucun sanglot, sans aucun soubresaut, tandis que son visage reposait sur le sol gelé de la nuit. Ses yeux se voilèrent, sa respiration ralentit, son cœur battant furieusement dans sa poitrine commença à ralentir sa course. Il était incapable de faire le moindre mouvement, le froid l'ayant définitivement cloué au sol.

Harry...

Il devait....

Le trouver...

Mais il était si faible...

Si fatigué...

Trop fatigué...

...

...

Le noir fini par s'enfermer tout autour de lui...

*****