5. Janvier - Le château de Grignan
« Putain, tu me fais chier, Jessica ! J'en ai marre de toi ! T'es vraiment trop conne ! »
Le premier clash de janvier, en pleine classe, avait surpris tout le monde et fait s'étrangler le vieux Fontaine. Si personne n'avait capté la teneur de la discussion entre la pimbêche et son petit frère, personne n'avait manqué la réaction affirmée de ce dernier.
Si, en sixième et cinquième, Gaël avait fait contre mauvaise fortune bon cœur en se soumettant à l'autorité de sa sœur et en supportant les moqueries de certains camarades de classe – dont le plus lourd et insupportable à son égard avait toujours été Guillaume –, la quatrième s'était accompagnée d'une petite poussée hormonale. Entre la croissance, la puberté et la crise d'adolescence, le jeune garçon ne supportait plus d'être perpétuellement rabaissé. Il voulait à tout prix casser cette image de petit frère calme et soumis à sa débile de frangine aux cheveux décolorés. Il désirait exister par lui-même, être considéré par les autres, être respecté. Ce n'était pas parce qu'il était le plus jeune de sa classe qu'il n'était pas un ado comme les autres. Ce n'était pas parce qu'il avait une bouille de bébé qu'il n'avait aucune personnalité. Au contraire, même, il se passionnait pour le shock rock et le hard métal, qu'il écoutait à s'en déchirer les tympans dans son casque, seul dans sa chambre aux murs recouverts de posters de son dieu Brian Hugh Warner, d'Alice Cooper et de BlackRain, un groupe français qu'il avait eu la chance de pouvoir voir en concert et qui l'avait définitivement fait plonger dans cet univers. Depuis, il méprisait avec ferveur tous ceux qui n'y voyaient que des bruits sourds, bestiaux et inintelligible de mauvais goûts. Ceux-là, en se focalisant sur les apparences, passaient à côté de l'essentiel, à savoir la profondeur des paroles et la richesse mélodique et instrumentale. Sa chanson préférée, d'ailleurs, Coma White, était d'une grande douceur et traduisait à merveille sa souffrance intérieure. Dans ce monde qui passait son temps à le rejeter, il avait l'impression d'être constamment engourdi, comme si on cherchait toujours à le faire taire et à l'abrutir. Et la drogue qui le mettait dans cet état de déliquescence, c'étaient les autres.
Certes, si ses goûts musicaux étaient plutôt sombres, cela ne s'affichait pas trop sur son look. Toujours tiré à quatre épingles pour faire plaisir à sa mère qui lui fournissait sa garde-robe, sa seule petite fantaisie avait été de se faire faire un discret piercing au niveau sous la lèvre inférieure pendant l'été, sans en informer personne. Son petit bijou, il ne le portait que quand il était seul, mais le plus souvent possible afin que la plaie ne se referme pas. Quand, dans la salle de bain, il s'admirait dans la glace avec ses yeux clairs, ses joues parsemées de multiples petites taches, sa bouche de grand ahuri et ses cheveux entre le châtain et le blond vénitien coiffés en une large mèche jetée sur le côté, il se trouvait un certain charme. Même s'il restait frêle et petit, il n'était plus le gamin qu'on voulait voir. Il voulait s'affirmer. Il voulait plaire. Il voulait être comme les autres.
Le changement, les professeurs l'avaient noté vers la moitié du premier trimestre. Ce garçon d'habitude si doux et gentil semblait en pleine rébellion. Cela ne le rendait que plus solitaire. Dans la classe, un seul de ses camarades avait fait mine de s'intéresser à lui, Aaron. Le jeune brun avait passé presque deux mois à le coller et à le câliner, comme s'il recherchait la douceur d'une peluche qu'il avait oubliée derrière lui. Au début, Gaël s'était laissé faire. Même s'il se sentait gêné par cette promiscuité, au moins appréciait-il que quelqu'un se montre gentil avec lui. Puis en octobre, quelque chose avait changé. Une petite fêlure était apparue, une minuscule brisure l'avait fait se rebeller. Plusieurs années de frustration s'étaient échappées d'un coup de sa tête. Il en avait marre qu'on le rabaisse. Il en avait assez qu'on le traite comme un gosse. Il ne supportait plus qu'on le considère au mieux comme un être asexué, au pire comme une tapette. C'était faux, complètement faux. À ce niveau-là, il était loin d'être en retard, et ses draps pouvaient en témoigner. Ils portaient depuis plusieurs mois la trace de ses sentiments et de ses désirs pour la plus belle fille de la classe. Enfin, à ses yeux. Pour beaucoup, ce titre revenait à sa stupide sœur, chose qu'il n'avait jamais comprise d'ailleurs. Ils avaient forcément de la merde au fond des paupières pour ne pas réaliser que Samia les dominait toutes. Elle avait un petit je-ne-sais-quoi d'exotique qui le faisait craquer. Oh, ce n'était pas nouveau. Le premier frétillement datait de la sixième, après un cours de sport où, couverte de sueur, elle avait enlevé son t-shirt devant lui, faisant apparaitre une peau crémeuse et un soutien-gorge qui ne cachait pas grand-chose, mais qui masquait tout de même l'essentiel. Depuis, le frêle garçon avait passé son temps à rêver au moment où, enfin, il pourrait y poser ses mains. Malheureusement, le contact avec la belle était compliqué. En cause, les remarques stupides de Jessica, en guerre perpétuelle avec la déléguée. Déjà que Gaël ne se sentait pas aidé par son âge et son physique, s'il devait en plus assumer le racisme de sa sœur, il pouvait dire adieu à son opération séduction. De toutes manières, et même si la réalité était tout autre, il était persuadé qu'elle le détestait et qu'elle était trop bien pour lui, ce qui avait expliqué pourquoi, en deux ans, il n'avait rien tenté et tout gardé pour lui. Dans la classe, personne ne le savait, et c'était très bien comme ça.
Enfin, personne... à part Aaron. Quand, tout sourire le jour de la rentrée, le brun l'avait choppé par l'épaule et tiré à l'écart pour lui parler, Gaël avait halluciné. Puis nié en bloc. C'était peine perdue. Son camarade aux yeux noirs et à l'air malicieux l'avait bel et bien grillé.
« Me prends pas pour une bille, Gaëlou. Tu la kiffes, c'est tout ! J'ai bien vu comment tu me regardais quand je sortais avec. T'étais vert de jalousie. Et quand je l'ai fait pleurer, tu m'aurais tué si t'avais pu ! Ton problème, c'est que tu manques de confiance en toi. Faut que tu t'affirmes, que tu lui montres que tu n'es plus un gosse, mais un vrai mec avec ce qu'il faut où il faut. C'est ça qui les fait craquer ! J'vais te coacher, tu vas voir ! »
Blanc comme un linge, l'adolescent aux taches de rousseur n'avait pu eu d'autres choix que d'accepter la proposition. Et puis, après tout, il ne pouvait nier que son camarade en connaissait un rayon en matière de gonzesses. Ses nombreuses conquêtes en attestaient. En plus, de son côté, c'était la première fois qu'il pouvait se confier à quelqu'un, et cela lui faisait beaucoup de bien.
Pendant tout le mois de janvier, Aaron l'aida à évacuer sa frustration. Presque tous les jours, les deux adolescents discutèrent, de tout, de rien, et surtout de filles. En plus d'être une oreille attentive, le jeune brun était aussi de bon conseil. Son premier et sans doute meilleur avait été de pousser son jeune protégé à définitivement se rebeller contre sa sœur.
« Si Jessica ne te respecte pas, personne dans la classe ne le fera. Il faut qu'elle comprenne que, le mec de la maison, c'est toi. Faut pas hésiter à lui gueuler dessus et à la remettre à sa place si ça peut l'aider à piger. »
L'effet fut immédiat. Alors que sa frangine lui avait fait une remarque anodine sur son look au tout début d'un cours de maths, Gaël avait jeté un coup d'œil à Aaron qui lui faisait signe de ne pas se laisser faire, puis avait explosé devant toute la classe. Mouchée, l'adolescente s'était enfoncée dans sa chaise et n'avait plus ouvert la bouche pendant toute l'heure. C'était la première fois que son adorable petit frère trop bébé osait mal lui parler comme cela, devant tout le monde. Elle en avait pleuré, même, autant de surprise que d'émotion. Et pendant la récréation, ce fut Aaron qui se chargea du service après-vente, en lui posant la main sur l'épaule et en lui expliquant que son cadet commençait à grandir et à devenir un homme, et qu'elle devait plutôt en être fière et ajuster la façon dont elle le considérait devant les autres.
« Attends, t'as la chance d'avoir ton bro' avec toi ! C'est génial, vous pouvez faire plein de trucs ensemble, des sorties et tout, avec les mêmes amies, et ça te fait toujours un mec sur qui te reposer et qui peut te protéger si des gens t'emmerdent. Okay, il est encore un peu frêle, mais il pousse, là. Dans trois mois, il est plus grand que toi ! »
Ces paroles pleines de sagesses touchèrent l'adolescente. Ça, ce n'était pas son petit copain qui pouvait en avoir de la sorte. David, lui, préférait largement trainer avec ses potes plutôt que de se montrer à l'écoute. Ce manque d'intérêt à l'égard de sa dulcinée était d'ailleurs son principal défaut. Parfois, il occultait un peu ses nombreuses qualités physiques.
Ce simple petit évènement changea énormément de choses dans la relation entre Gaël et Jessica. Poussés par Aaron, ils se rapprochèrent et passèrent plus de temps ensemble, multipliant les sorties le week-end avec le brunet et quelques autres personnes de la classe, souvent piochées au hasard. En revenant d'un cinéma, le jeune garçon confessa même à sa sœur être amoureux d'une fille. Touchée par cette confession, l'adolescente serra son petit frère dans ses bras et lui promit de ne pas s'en mêler, même s'il s'agissait de cette « connasse » de Samia.
Ainsi se passa tout janvier, jusqu'au dernier vendredi du mois où était organisé une sortie scolaire au château de Grignan, à presque deux heures de route de la métropole lyonnaise. La visite, décidée par les adultes, s'inscrivait dans le cadre du parcours transversal « d'Histoire de l'art », qui comptait pour le brevet des collèges. Le module choisi par les professeurs pour les classes de quatrième avait été l'art architectural à la Renaissance, ce qui venait compléter et poursuivre avec malice ce que les élèves avaient vu en cinquième.
Fortification du douzième siècle construite sur un piton rocheux en pleine Drôme, le château de Grignan avait connu de nombreuses évolutions au cours de son existence. La plus importante avait sans aucun doute été celle décidée par le baron Louis Adhémar, qui, au seizième siècle, avait créé une terrasse que les touristes étaient encore nombreux à venir visiter et fait rénover la façade – dite aujourd'hui « François 1er » – pour qu'elle se fonde dans son temps, la renaissance. De fait, le site était particulièrement riche. Architecturalement, il mêlait plusieurs styles et époques. Aux extérieurs vulgaires en pierre succédaient des murs lisses délicatement décorés. Quelques gargouilles dans la cour du puits promettaient un véritable voyage dans le temps. Son intérieur abritait de véritables trésors : tapisseries, meubles anciens, tableau d'époque, et bien sûr, sa fameuse Galerie des Adhémar, aux murs et au sol recouverts de bois. Les professeurs en étaient sûrs, il y avait largement de quoi intéresser des adolescents. Les-leurs avaient malheureusement d'autres préoccupations.
Pendant tous le trajet aller, les principales discussions tournèrent autour de la guerre des coqs qui, étrangement, ressemblait de plus en plus à une guerre des nuggets surgelés. Depuis décembre, ni David ni Aaron n'avait porté le moindre coup à son adversaire. C'était comme si les deux camps s'observaient et plaçaient leurs pions en attente du moment où, enfin, ils se mettraient sur la tronche. Forcément, le délégué était méfiant. Il savait qu'une mauvaise entourloupe pouvait surgir n'importe quand. Mais là, le brunet semblait être trop investi dans son rôle de maman-poule auprès de Gaël pour lui chercher des noises. L'information, il la tenait de sa petite amie, Jessica, qui avait passé presque tout le mois de janvier à fréquenter son adversaire et à singer les espionnes de luxe. Pour cela, David n'était pas peu fier. En laissant sa petite copine se rapprocher de l'animal, il l'avait joué plutôt fine. Elle était beaucoup plus efficace dans la collecte d'informations que ce boulet de Guillaume. Celui-là, il ne servait vraiment à rien, c'en était exaspérant. Alors qu'il passait toujours une ou deux heures par semaine à travailler avec l'ennemi, il n'avait jamais rien d'intéressant à dire, comme si le brun ne se confiait jamais à lui. Tout ce que la petite peste arrivait à afficher, c'était une sorte de jalousie à ne pas être le centre d'intérêt principal de son professeur particulier. Gerbant. Cela méritait une petite correction en règle. En tout cas, Bastien et David en avaient bien envie. Cela faisait bien trop longtemps qu'ils n'avaient pas passé leurs nerfs sur leur victime préférée. Les occasions avaient manqué. Cette sortie en présentait une en or. Situé au ras d'une falaise qu'elle surplombait, l'ancienne enceinte fortifiée du château de Grignan offrait une vue imprenable sur la région. Le gouffre, lui, était sévère. Il n'était pas bon se pencher à la balustrade quand on avait la peur du vide. C'était d'ailleurs fortement déconseillé par le guide, qui avait insisté sur les mesures de sécurité au début de la visite. Raison de plus pour s'amuser, pensèrent les collégiens.
« Bah alors Guillaume ? On flippe sa mère ? C'est haut, hein ? Eh, fais gaffe de pas tomber... Oups... Non je rigole, je te tiens... Quoi que... Eh, David, j'le lâche pour voir ? J'sais pas, p'têt qu'il a un super pouvoir et qu'il peut voler. Ou pas... Moi je dis, on ne peut pas savoir si on ne teste pas. Eh Guillaume, bats des bras pour voir ! »
Tenant la petite peste par le col et le froc, Bastien s'était amusé à lui faire passer la tête et le torse par-dessus la rambarde, au plus grand plaisir de son meilleur ami qui rigolait grassement devant les gémissements et larmes de leur petit martyr. Pour le coup, ils avaient eu de la chance. Que Guillaume souffre naturellement du vertige dès qu'il était face à un précipice rajoutait beaucoup de piquant à la scène. En fait, le voir supplier était à se tordre de rire. Le pauvre était vraiment terrorisé.
« Mais lâchez-le, bande de guignols ! »
S'il y avait bien une question que Bastien se posait, c'était pourquoi, à chaque fois qu'il se distrayait, il fallait qu'un insupportable petit brun laisse partir le groupe devant et vienne ternir son plaisir. C'était rageant. Cela lui coupait même l'envie de s'amuser, tiens. D'un geste brusque, le « Patron » ramena Guillaume du bon côté de la terrasse et le jeta au sol, avant de faire mine de partir avec David, les mains dans les poches, en grognant qu'ils ne faisaient que jouer un peu avec la peur du vide de leur camarade et qu'il n'y avait pas de raison d'en faire toute une montagne. Ce n'était pas vraiment l'avis d'Aaron. En praticien de l'escalade, il avait une opinion très tranchée sur le sujet. Il n'en fallait pas plus pour le faire sortir de ses gonds et chopper les deux petits connards par le col. Secouant d'un air incrédule la tête de gauche à droite, il les alluma de toutes ses forces :
« Et en plus, il a le vertige ? Vous vous foutez de ma gueule ? Vous ne réalisez pas à quel point c'est dangereux ? Qu'encore vous lui cogniez dessus, à la limite, des fois il le mérite. Mais ça... j'vais vous détruire... »
Peu impressionnés, les deux compères se dégagèrent rapidement de l'étreinte et, comme des princes innocents, rejoignirent le reste de la classe. Restant seul avec Guillaume, Aaron avait du mal à contenir sa rage. Son visage contracté trahissait sa colère. Ses dents grinçaient de manière parfaitement audible. Son regard était glacial. Ses yeux hurlaient vengeance. Reprenant ses esprits, la petite peste essaya de rassurer son inattendu bienfaiteur :
« Ça va, ils plaisantaient juste, je n'ai rien, j'ai juste eu un peu p... »
L'empêchant de finir sa phrase, le brunet lui coupa la parole. Lui n'avait plus du tout envie de jouer.
« Ces deux merdes viennent de se mettre Game Over. J'vais les détruire, ils vont rien comprendre. Rien que ce soir, y en a un qui va méchamment chialer. »
Pour la première fois depuis qu'il connaissait son camarade, Guillaume percevait chez lui une véritable détermination. Pendant toute la visite qui suivit et qui connut comme points d'orgue l'analyse des maquettes présentant l'architecture du site – en plein dans le thème qui avait justifié ce petit voyage d'études – la petite peste se demanda ce qu'Aaron pouvait bien planifier comme coup foireux. Pendant toute la visite, ce dernier était resté en retrait, à discuter avec Gaël et sa sœur sans même réagir à la ridicule crise de panique de Bastien devant un chien errant qui lui reniflait les godasses.
Il fallut attendre l'heure du départ pour qu'enfin ses paroles deviennent réalité. Alors que plusieurs élèves étaient déjà montés dans le car, le brunet avait saisi Jessica par la taille et lui avait glissé d'une manière sensuelle les doigts dans les cheveux. Un sourire aux lèvres, il lui avait immédiatement murmuré quelques mots qui la firent rougir et que seules les oreilles les plus attentives purent capter.
« Je suis content d'avoir fait cette visite avec toi. C'était cool. J'suis comme Ulysse dans le poème de Du Bellay qu'on a vu en français il y a quelques mois. Heureux d'avoir fait un beau voyage. Et je serais encore plus heureux si, comme Jason, je pouvais conquérir la plus belle des toisons. »
Si ces petites phrases romantiques, en elles-mêmes, étaient plutôt innocentes, il n'en fut pas de même du petit bisou qu'il déposa furtivement dans le cou de la belle et qui la fit frissonner. Prisonnière des mains du jeune adolescent et ressentant leurs deux cœurs battre à un rythme de plus en plus rapide et synchrone, elle se laissa faire sans même calculer le regard choqué de son petit ami officiel. À quoi bon ? C'était déjà trop tard. Le subtil parfum de pomme du brunet l'avait déjà emporté loin ailleurs. Sa façon de caresser le flanc, avec fermeté mais sans violence ; son sourire charmeur qui semblait hurler « viens » ; sa peau blanche et suave qui lui donnait un air angélique ; ses cheveux noirs et soyeux dans lesquels il était si agréable de passer les doigts ; ses lèvres douces, enfin, qui embrassaient si bien... Avant même d'avoir pu réaliser ce qui lui arrivait, Jessica s'était retrouvée comprimée contre la poitrine du bel éphèbe et accrochée à ses lèvres. S'il n'avait fallu que quelques instants à Aaron pour emballer la fille la plus en vue de la classe, tout le trajet du retour ne suffit pas à David pour récupérer du choc. Tétanisé, il avait regardé son rival lui dérober sa petite amie à son nez et à sa barbe. Sa Jessica, sa petite Jessica, son plus grand trophée de chasse, le symbole même de sa virilité et de sa suprématie... la petite oiselle s'était envolée vers des horizons bien plus bruns. Et le pire, c'était qu'elle semblait plus heureuse et amoureuse dans les bras d'Aaron qu'elle ne l'avait jamais été dans les siens. Pendant plus de deux heures, incapable de prononcer le moindre mot et bien trop abattu pour oser affronter l'ordure qui venait de lui piquer sa meuf, le bellâtre pleura comme un nourrisson et démontra à tous ceux qui l'observèrent que ses chers muscles dont il était si fier n'étaient que de la gonflette masquant très mal la misérable contraction au fond de son slip de sa bien maigre virilité.
Pour Aaron, ces quelques larmes qui avaient coulé le long des sièges d'un vieil autocar avaient une saveur toute particulière, celle du poulet rôti. Sa victoire dans la guerre des coqs était définitive et totale. Elle nourrissait pleinement sa satisfaction née de son envie et de sa prétention. Comme promis à David, il lui avait tout pris, et sans la moindre violence. Sa meuf, son sourire et sa position dans la classe, le pauvre délégué avait tout perdu en quelques secondes et était trop abattu pour ne serait-ce qu'imaginer contester sa défaite. Silencieusement, Aaron jubilait. Son plan pensé depuis des semaines était une véritable réussite. Et le plus merveilleux dans tout cela, c'était que personne n'avait rien capté à son petit manège ni à la manière dont il avait procédé pour aboutir à un tel résultat. Personne, à l'exception de celui qui, en se faisant martyriser ce jour-là, en avait bien involontairement précipité l'issue. Assis à côté de son bienfaiteur du jour, Guillaume ne put s'empêcher de lui en faire la remarque :
« Quand même, c'est dégueulasse pour Gaël ce que tu as fait. Faire copain-copain avec lui pour pouvoir te rapprocher de sa sœur et la chopper, c'était salaud. Génial, mais salaud... D'ailleurs, je sais pas si tu as remarqué, mais il l'a presque aussi mauvaise que David. Ça fait plus d'une heure qu'on roule et qu'il tire la tronche. »
Haussant les épaules, Aaron laissa un petit rictus s'échapper de sa bouche. C'était rare et surprenant que la petite peste fasse preuve d'autant de compassion envers le camarade sur qui il adorait se venger de sa vie injuste.
« Ça va, je n'ai jamais prétendu que j'étais un gentil garçon. J'ai dit à Gaël que je lui montrerais comment faire avec les filles, eh bah il a vu. S'il n'est pas content, c'est la même. »
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