78 | « Je dirai que t'as utilisé BlaBlaCar »
N O L A
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— NOLA, T'ES BIEN SÛRE D'ÊTRE EN ÉTAT DE CONDUIRE ? insista Hortense, le visage à deux centimètres de moi. T'as les yeux défoncés !
— C'est la fatigue, grognai-je en poussant sans ménagement la tête de ma meilleure amie sur le côté — en réalité, c'était plutôt à cause de l'eau de javel dans laquelle j'avais trempé les baskets d'Hortense hier soir, d'ailleurs, elle n'avait rien capté. Vire, tu empiètes sur mon espace vital là !
Avec un sourire malicieux, je continuai en prenant une voix grave et sensuelle.
— Ça, c'est mon espace de vie, et ça, c'est ton espace de vie. Tu n'envahis pas mon espace, je n'envahis pas ton espace.
— Si tu crois que je vais te laisser tranquille parce que tu me sors une citation de Dirty Dancing remaniée à ta sauce, tu te mets le doigt dans l'œil, grinça Hortense malgré le fait qu'une lueur complice pétillait dans ses yeux.
— Allez, Hortense, intervint Maël. Tu vois bien que Nola est en parfait état. C'est une adulte responsable maintenant.
Le ton ironique du blondinet ne m'échappa pas et je lui balançai ma cuillère pleine de lait à la figure, qu'il n'évita d'ailleurs que de justesse. En réalité, le couvert atterrit sur la tête de Jules, qui était en train d'essayer vainement de fermer sa valise, à quatre pattes dans l'herbe.
— Aïe ! se plaignit-il en se frottant le dessus du crâne. Au lieu de rire comme des phoques du malheur des autres, vous feriez mieux de venir m'aider !
Maël soupira, mais se leva tout de même pour prêter assistance à son ami, suivit d'Hortense. Cette dernière s'assit sur la valise pendant que les deux garçons essayaient par tous les moyens de fermer la fermeture éclair. Pendant ce temps, avec Dorian, nous étions tranquillement assis sur nos chaises de camping. Un bol rempli de chocapic dans une main et un grand verre de jus de pomme dans l'autre.
Tant bien que mal, et grâce à l'aide d'Hortense et de Maël, Jules réussit enfin à fermer sa valise. Cette dernière était tellement bondée qu'elle semblait prête à exploser à tout moment, mais il n'en tint pas rigueur et la jeta dans le coffre de la voiture de Dorian.
Les trois bordelais étaient censés partir le lendemain, mais comme avec Hortense nous rentrions aujourd'hui, ils avaient changé leurs plans. Surtout qu'Ulysse aidait ses parents tout le week-end et Noé partait aujourd'hui dans la famille de son père, en Allemagne, pour quelques jours de vacances.
L'ambiance étrange du départ se faisait ressentir, quand bien même nous faisions tout pour conserver la légèreté habituelle. Ces trois semaines avaient eu le mérite d'être riches en émotions. Je pense qu'avec Hortense nous avions explosé notre record de catastrophes. Mais même si Pauline avait failli tout gâcher, les vacances à Montdesbois avaient été les plus riches de nos années d'adolescents et presque adultes.
— En tout cas, si un flic nous arrête pour te faire souffler dans le ballon, je ne te connais pas, me prévint Hortense en s'asseyant de nouveau à côté de moi.
— C'est ça, je dirai que t'as utilisé BlaBlaCar, ricanai-je en posant mon bol sur la table bancale.
Après que Jules et Maël, de corvée de vaisselle, soient partis aux lavabos du camping, j'entrepris d'enfin finir ma valise. Hortense ne me fit aucun commentaire sur la manière dont je la rangeais — si on pouvait parler de rangement bien évidemment — et c'était bien la preuve qu'elle était aussi triste que moi de quitter Montdesbois.
— Tu me passes les clefs ? quémanda Hortense tenant la poignée de son bagage. Je vais mettre ma valise dans le coffre.
— Faudra qu'on démonte la tente après, rappelai-je tout de même en lui lançant les clefs de ma Clio.
Après les avoir récupérées, Hortense traîna son énorme valise jusqu'au véhicule pendant que je finissais la mienne. Il ne restait rien dans la tente. Avec une pointe de nostalgie, je me rappelai la galère que cela avait été lorsqu'on avait dû la monter, le jour de notre arrivée. C'était d'ailleurs les trois guignols qui l'avaient fait pour nous.
Pendant qu'Hortense retirait les sardines du sol, j'essayai de retirer les arcs en ferrailles qui maintenaient la tente debout. Ma meilleure amie trébucha sur un des piquets qu'elle n'avait pas vu et s'étala de tout son long sur le sol. Quant à moi, je manquai de me crever un œil mais la tente fut enfin pliée et rangée.
— Waouhhhhhh, applaudit Dorian, qui n'avait pas levé le petit doigt pour venir nous aider. J'aurais pas cru que vous arriveriez à la ranger aussi rapidement. Vous avez juste mis trois quart d'heure.
Hortense lui montra son plus beau majeur et le métisse ricana.
— Dorian, arrête de manger tout les Chocapics ! m'insurgeai-je en me levant d'un bond.
Je lui arrachai la boîte des mains, mais le mal était déjà fait. Il avait englouti un tiers du paquet que j'avais acheté deux jours plus tôt. Le métisse fit la moue en se plaignant qu'il avait encore faim, mais le retour de Maël et Jules mit fin à ses supplications.
Une fois que toutes les affaires furent entassées dans les coffres des voitures, ce fut le moment des adieux. Après que Maël m'eut serrée dans ses bras en disant que sa seconde séparation avec Pauline avait été la meilleure chose de sa vie et qu'il nous devait — à Hortense et moi-même — beaucoup, je rejoignis Jules.
— Bon, commençai-je, en jouant distraitement avec mes phalanges, soudainement gênée.
— On se fait la bise pour se dire au revoir ? supposa alors le brun avec un sourire.
Je ris et le serrai dans mes bras. Bien que cela n'avait été qu'une relation d'été sans prises de têtes, il fallait tout de même avouer que nos caractères étaient extrêmement compatibles. Et que ça avait été franchement cool.
— On se reverra peut-être, déclara-je avec un sourire quand l'étreinte prit fin.
— Qui sait de quoi l'avenir est fait, me répondit Jules avec un clin d'œil.
Pendant qu'Hortense disait à son tour au revoir au brun, après une discussion avec Maël, je dirigeai mes pas vers Dorian. Je lui donnai un petit coup de coude pour le faire réagir car le Bordelais était bien trop occupé à vérifier que sa voiture n'était pas rayée.
— Alors, ces vacances ? m'enquis-je d'un ton léger.
— Plutôt chouette, avoua Dorian. Dommage qu'une fille brune insupportable m'ait collé comme un chewing-gum pendant trois semaines.
— Eh ! protestai-je. Tu ne peux pas te débarrasser de moi comme ça ! Dola forever, mon grand.
— J'ai toujours préféré Hortense, tu le sais ça ? asséna Dorian avec un sourire narquois.
Il esquiva de justesse la frappe que j'allais lui accorder sur son crâne et se mit à rire.
— Non, franchement, reprit-il plus sérieusement. Vous allez me manquer.
Je le pris dans mes bras pour un dernier câlin amical. Ces vacances avaient marqué un tournant décisif dans la vie de Dorian. Et j'étais très heureuse de voir qu'Hortense et moi avions contribué à son bien-être.
— Tiens, je te donne mes Chocapics pour le voyage. Je te connais, tu vas encore avoir faim, ricanai-je. Fais en bon usage !
Dorian m'arracha presque le paquet des mains avec un sourire enfantin et ravi, clamant qu'il ne risquait plus de mourir de faim pendant leur trajet interminable.
Une fois que tout le monde se fut dit au revoir, je m'installai au volant de ma petite Clio rouge. Hortense s'assit du côté passager, tout en râlant à propos du fait que la ceinture de sécurité la brûlait. Je ne prêtai guère attention à ses lamentations et démarrai le véhicule avant de m'engager le long de l'allée, jusqu'à passer devant le panneau indiquant la sortie du camping des Trois Dauphins.
Nous étions étrangement silencieuses. On n'entendait pas une mouche voler dans la voiture. C'était comme une veillée funèbre et nous enterrions nos vacances d'été.
— C'est quoi ce CD ? demandai-je, sourcils froncés, en voyant Hortense insérer un disque dans le lecteur de la voiture.
— C'est Dorian qui me l'a passée, expliqua ma meilleure amie. Quand je lui ai dit qu'on avait que deux CDs, dont un de Patrick Sébastien, il a eu pitié de nous et m'en a donnée un autre.
Quelques notes d'une chanson de Coldplay s'élevèrent dans l'habitacle alors que j'hochai de la tête. Les musiques s'enchaînèrent suite à cela, d'artistes différents, de genres différents. Et ce n'était qu'au bout de dix minutes d'éccoute que nous nous étions rendues compte qu'il s'agissait en réalité d'une compilation de toutes les chansons que nous avions écoutées en compagnie des trois guignols, de Noé, d'Ulysse et de la bande de campagnards.
Ce n'était qu'après avoir passé le panneau indiquant la sortie du village et après avoir laissé Montdesbois et notre été derrière nous, qu'Hortense reprit la parole.
— Tu sais, Nola, je crois qu'on devrait écrire un guide pour les gens comme nous. Un guide de survie en terrain hostile.
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FIN
chapitre de :
chercheusedemots
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