68 | « Je tire ou je pointe ? »
N O L A
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J'ÉTAIS TRANQUILLEMENT EN TRAIN DE FROTTER UNE ASSIETTE quand Hortense tourna brusquement la tête vers moi. Elle ouvrit la bouche, la referma, sembla vouloir dire quelque chose pour finalement se reconcentrer sur le verre qu'elle était en train d'essuyer. Agacée, je soufflai par le nez avant de poser, un peu trop violemment, mon assiette pleine de mousse dans sa bassine d'eau.
— Bon, qu'est-ce qu'il y a ?
— Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu sortais avec Jules ? m'accusa ma meilleure amie en essuyant la mouss qui avait giclée jusque sur son menton.
— Peut être parce qu'on ne sort pas ensemble, soupirai-je en retournant à ma vaisselle. Je te ferai remarquer qu'on ne se prend pas autant la tête que Maël et toi.
Hortense marmonna quelque chose que je ne compris pas — sûrement une ou deux insultes à mon encontre. Finalement, elle posa le verre propre à côté d'elle et entreprit de me bombarder de questions.
— C'était juste un baiser comme ça alors ? Et, à quel moment vous vous êtes rapprochés à ce point ?
— Oui. Et, pendant que tu étais occupée à vider la réserve d'alcool du bar, avant que tu ne te mettes à vomir sur le tee-shirt de Noé.
Hortense lança un regard paniqué dans ma direction.
— Quoi ? Quoi ? J'ai quand même pas fait une chose pareille, si ?
— C'était son tee-shirt préféré en plus, son polo Lacoste bleu marine, continuai-je avec un sourire en coin.
Hortense gémit d'un air désespéré.
— Pas un mot de plus ! Finalement, je préfère rester dans l'ignorance, avoua la brune en fermant les yeux — comme si ça allait retirer de son esprit les horribles images qu'elle inventait.
Devant l'air mal à l'aise de ma meilleure amie, j'éclatai de rire. C'était si rare de voir Hortense perdre le contrôle de la situation — notamment à cause de l'alcool — et je devinais sans peine ce qu'elle ressentait en ce moment même : moi-même je l'avais expérimenté plusieurs fois ce sentiment de honte qui ne vous quittait jamais.
— Tu n'envisages donc rien de sérieux avec Jules ? demanda innocemment la brune en revenant sur le sujet principal.
— Non. Et, lui non plus. On habite loin l'un de l'autre, j'envisage des études difficiles et on a dix-huit ans. On est trop jeunes pour s'enfermer dans une relation à distance.
Hortense acquiesça. Bien qu'elle ne fit aucun commentaire, je n'étais pas sûre qu'elle comprenne mon point de vue. Elle avait été très amoureuse de son premier copain, à tel point qu'aujourd'hui encore elle ne l'avait pas totalement oublié. Moi, je ne me torturait pas l'esprit avec les garçons ; c'était futile, et mes amis passaient bien avant. Finalement, de nous deux, c'était elle la plus mature en matière de relation amoureuse. De mon côté, j'étais satisfaite de vivre sans me prendre la tête.
— Au faite, lançai-je pour changer de sujet. Tu as discuté avec Maël hier, non ? Comment ça s'est passé ?
— Bien, je crois, avoua Hortense. Il espérait plus maintenant que le caniche est parti, mais j'ai mis les choses au clair. Et, je crois qu'il a compris. On devrait pouvoir rester amis.
— Cool, commentai-je en lavant les quelques couverts restants.
— Pourquoi ?
J'allais répondre quand un couteau, que j'étais en train de frotter, se piqua dans mon doigt, colorant l'eau et la mousse de la bassine d'une jolie couleur vermillon.
— Génial, grognai-je en regardant mon doigt d'où gouttaient des petites perles rouges. On dirait que tu m'as transmis ta maladresse.
— Ah, ben bravo ! me félicita Hortense avec un sourire. Tiens, t'as qu'à enrouler ce mouchoir autour de ton doigt et on va échanger de place.
Nous échangeâmes donc de place et je laissai Hortense laver puis rincer les couverts restants, pendant que j'essuyais ce qu'elle me donnait. Nous étions de corvée de vaisselles aujourd'hui, après avoir perdu contre Dorian et Maël au jeu du pierre-feuille-ciseau.
— Pourquoi ? réitéra finalement Hortense en se tournant vers moi.
— Dorian et Jules ont proposé qu'on fasse une partie de pétanque cette après-midi. Mais je voulais être sûre que ça ne te posait pas de problème avant d'accepter.
Hortense demeura silencieuse quelques instants avant de hocher la tête de haut en bas.
— C'est ok pour moi ! Je pense qu'on peut considérer que la parenthèse Hortense-Maël-Le caniche est désormais close.
J'esquissai un sourire, ravie. C'était décidément une belle journée.
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Dorian, lance le cochonnet un peu mieux s'il te plaît ! râla Hortense.
Le métisse venait de balancer la petite balle en bois hors de la piste de jeu. Et, heureusement qu'elle était jaune fluorescente sinon on aurait eu du mal à la retrouver dans l'herbe haute. Le jeune Bordelais marmonna quelques vagues excuses avant de relancer le cochonnet.
Il faisait extrêmement beau aujourd'hui. Les vieux habitants, qui avaient pris possession du terrain de pétanque toute la matinée, nous avaient cédés leur place pour aller faire une petite sieste avant de revenir jouer en fin d'après-midi. Ce qui nous laissait deux bonnes heures pour nous exercer à tirer correctement.
— T'es nul, rajouta Hortense quand Dorian eut tiré sa deuxième boule de pétanque, qui s'arrêta à une quarantaine de centimètre du cochonnet. Comment tu veux qu'on gagne ? Heureusement que Jules est là !
— Eh, je te signale que t'es aussi nulle que moi ! rétorqua le métisse.
La dispute aurait pu continuer longtemps, si je ne les avais pas poussé d'un coup d'épaule pour jouer à mon tour. Nous avions décidé de faire deux équipes : Hortense, Dorian et Jules d'un côté, et Maël, Noé — qui s'était incrusté — et moi de l'autre. Inutile de préciser quelle équipe avait gagné les deux parties précédentes.
— Je tire ou je pointe ?
Maël haussa les épaules et Noé — en bon provençale qu'il était — me fit signe de pointer. Je me mis donc en position.
— Nola, on dirait un vieux pépé du coin, remarqua Hortense. Il ne te manque plus que le ventre à bière.
— Et, un verre de Pastis dans la main, ajouta Jules avec un sourire narquois.
Je fronçai le nez, prête à leur faire ravaler leurs critiques, et préparai mon lancer. Par chance, ma boule tomba pile sur celle qu'Hortense avait envoyé quelques minutes plus tôt, l'éjectant loin du cochonnet, pour mon plus grand bonheur.
— Yess ! m'écriai-je en tapant dans la main que Noé me tendit d'un air complice.
— Joli tir, Nola ! remarqua le franco-allemand avant de passer la main dans ses boucles blondes.
Hortense grogna, et Jules et Dorian perdirent immédiatement leur sourire. Ils étaient en train de perdre pour la troisième fois en à peine une heure et demie. Dorian décida alors de prendre les choses en main car, quand il ne se plaça à l'endroit où on lançait, il n'avait jamais eu l'air aussi sérieux depuis que nous l'avions rencontré.
— Préparez-vous ! clama-t-il d'une voix théâtrale. Ceci, continua-t-il en désignant la boule de pétanque qui reposait au creux de sa paume. C'est elle qui va nous sauver. Personne ne peut vaincre Dorian, le roi de la pétanque !
Ce que Dorian avait oublié, c'était que si je voulais bien concéder qu'il était le meilleur au barbecue, ce n'était pas du tout le cas à la pétanque. En réalité, c'était peut-être le moins doué d'entre nous.
En voulant lancer sa boule de pétanque, la tongue de Dorian glissa sur le sable du terrain, et il envoya la masse de métal au mauvais endroit. Avec effroi, un cri s'échappa de mes lèvres et de celles de Noé simultanément.
— HORTENSE, ATTENTION !
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chapitre de :
chercheusedemots
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