51 | « Quoique je fasse, rien ne va »

H O R T E N S E
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         EST-CE QUE SI JE VOUS DIS que je me suis éclatée en plein milieu d'une flaque de boue, vous me croyez ? Bien, et si je vous dis que l'instant d'après, Jules me rejoignait et qu'au lieu de s'arrêter avant, il avait littéralement foncé sur moi, vous me croyez aussi ?

Bon et bien, je suis fière de vous annoncer que désormais, vous connaissez parfaitement les moindres ficelles de ma triste et insignifiante vie.

— Ça va Hortense ? demanda Jules alors que je tentais vainement de me débarrasser de la boue qui barrait mes genoux.

— Tu sais Jules, ça fait un moment que j'ai arrêté de répondre à cette question, puisque, quoique je fasse, rien ne va, raillai-je en soupirant.

Au lieu de me nettoyer les jambes, je n'avais fait que d'étaler davantage la terre humide qui barrait mes mollets. Voyant que cela ne rimait à rien, j'abandonnai, les mains pleines de boue, avant de me tourner vers mon compagnon de galère. Ce dernier aussi se retrouvait dans un état lamentable : le casque jaune qu'il portait lui aplatissait sa tignasse vagabonde, dont certaines mèches s'étaient extirpées de leur prison et recouvraient désormais le front suant de mon ami — beurk — ; son t-shirt vert bouteille était parsemé de boue, de même que le bout de ses Adidas blanches — quelle idée de mettre des baskets de cette couleur, surtout en sachant qu'il avait plus dans la mâtiné et que le terrain était détrempé ? — et son harnais pendait nonchalamment le long de ses hanches.

— J'crois qu'on va s'arrêter là..., constatai-je tandis que Jules retirait son casque jaune poussin, révélant une coiffure digne des plus grands. Oh bordel... On dirait...

— Wolverine ? Ouais, je sais, on me le dit souvent..., m'interrompit Jules en rejetant la tête en arrière, telle une diva des années soixante.

—... Le chanteur M, terminai-je en me retenant de rire. 

Jules me foudroya de son regard brun et je dus éviter de justesse une petite tape de sa part. La main du jeune homme, après m'avoir royalement manquée, atterrit en plein sur le tronc d'arbre le plus proche, et Jules lâcha un cri si strident que je ne pus m'empêcher de rire aux éclats. 

— Bordel de merde ! 

— J'crois que Dorian t'a refilé sa maladresse, me moquai-je alors que nous nous dirigions en direction du bar suspendu dont disposait le parc Wakakoudou.

— Pff... Tu parles, c'est Dorian qui a hérité de ma maladresse plutôt. Parce que bon, faut pas croire comme ça, mais j'ai deux mains gauches en réalité. C'est juste que... J'essaye de pas trop faire de gaffe devant Nola, tu vois. Sauf que... T'as pas l'impression qu'elle est sur Dorian ?

Je me stoppai nette suite à la question de Jules et coulai un regard dans la direction du brun : si j'avais l'impression que Nola en pinçait pour Dorian... Oh que oui. Néanmoins, je me voyais mal faire part de mes contestations à Jules, ou le garçon qui essayait par tous les moyens de se rapprocher d'elle depuis le début du séjour. Aussi, me contentai-je de hausser les épaules d'un air nonchalant, tout en reprenant ma marche.

— Je doute qu'il y ait quoique ce soit entre elle et lui, le rassurai-je finalement alors qu'il posait sa main sur mon épaule. Nola, quand elle apprécie quelqu'un, surtout lorsqu'il s'agit d'un gars, elle donne toujours l'impression qu'ils sont plus que de simples potes. Sauf que, la plupart du temps, le gars en question n'est qu'un simple ami selon elle.

— Donc, si je t'ai bien suivi, tu penses qu'il n'y a rien entre elle et Tarzan ? répéta-t-il en attrapant la rambarde de l'escalier menant au bar suspendu. 

— Oui, t'as toutes tes chances, mentis-je, bien que je détestais par dessus tout proférer de tels mensonges.

Le bar en hauteur du parc Wakakoudou n'était autre qu'une petite cabane perchée sur une structure en bois d'acajou. Situé près d'un grand chêne qui paraissait être centenaire, dont les feuillages de ce dernier ombrageaient la terrasse bondée de monde, on pouvait observer un splendide panorama.

De jeunes enfants couraient dans tous les sens, leurs harnais pendant autour de leurs tailles, et les parents des concernés les suivaient du regard, vérifiant qu'ils n'importunaient aucun autre client et qu'ils ne chutaient pas dans les escaliers. Un barman, vêtu d'un chapeau surmonté d'un koala en peluche, faisait des vas-et-viens entre les différentes tables, un plateau vert camouflage posé en équilibre sur son bras. 

J'indiquai du bout des doigts une table située à l'écart, et m'empressai de la rejoindre, Jules dans mon sillage. Une fois que nous l'eûmes atteinte, nous nous affalâmes sur les chaises en fer forgé, ne prêtant guère attention au fait qu'elles étaient aussi trempées que si elles avaient séjourné un peu trop longtemps dans de l'eau de mer.

Le serveur — celui avec le couvre-chef qui aurait fait pâlir de jalousie Kylie Jenner ou encore Karl Lagerfeld — s'approcha de nous et nous commandâmes tous deux un soda. Lorsque l'employé s'en fut allé, Jules rapprocha sa chaise de la table, avant de poser les coudes sur cette dernière, comme s'il s'apprêtait à mettre sur le tapis en sujet délicat. 

J'aurais mis ma main à couper qu'il allait me parler de Nola.

— Qu'est-ce qu'il t'a dit pendant que vous étiez enfermés dans le cabanon ? lâcha de but en blanc le brun.

Ah bah non finalement.

— De qui ? Qui m'a dit quoi ? rétorquai-je, bien que j'avais compris de qui il était question.

— Maël. Vous vous faisiez la gueule comme pas possible avant, et maintenant, vous vous parlez normal, sans la moindre animosité. Excuse-moi, mais je trouve cela étrange tout de même.

— Il... Il m'a parlée de Pauline, débutai-je avant de marquer une pause, jugeant du regard la réaction s'esquissant sur le faciès de Jules : le jeune homme se frottait l'arrête du nez, l'air mal à l'aise. Il m'a racontée son histoire avec elle, comment il l'avait aimée et l'aimait toujours, ainsi que la raison pour laquelle vous vous trouvez tous ici aujourd'hui. Il a dit que... Il a dit que je lui ressemblais et c'est pour cela qu'il a tout de suite était très proche de moi, et au feu d'artifice, j'en ai conclu qu'il avait tout simplement pété un câble, donc je lui ai pardonné. Jules, si c'est ce que tu te demandes : non, je n'ai jamais voulu sortir avec lui, ajoutai-je alors que le jeune homme s'apprêtait à délier sa langue. 

— Je sais, même si ça crevait les yeux que mater ses abdos était devenu ton passe-temps favori, me taquina le brun alors que je levais les yeux au ciel : non mais sérieusement. C'est bon, je rigole Miss Lagaffe ! s'empressa-t-il de lâcher en voyant ma physionomie contrariée.

— Mouais, pas très convaincue.

Jules renversa la tête en arrière, éprit d'un petit gloussement nerveux. Le serveur revint à cet instant précis et eut un mouvement de recul, en constatant que mon coéquipier gigotait dans tous les sens sur sa chaise. Son chapeau-peluche penchait dangereusement sur le côté désormais, aussi s'empressa-t-il de déposer notre commande ainsi que l'addition, avant de replacer correctement le koala sur le sommet de son crâne.

— Je crois qu'ils ont un vrai problème avec les chapeaux et les serre-têtes à l'effigie d'animaux dans cette région, constatai-je alors que Jules reprenait son souffle petit à petit.

— Tu l'as dit bouffi, approuva Jules en attrapant son verre de limonade — je fus surprise qu'il n'ait pas pris de bière à la place. Cependant, revenons à nos moutons...

— Et quels étaient nos moutons au juste ? m'enquis-je avant de détourner le regard en direction de l'espace sylvestre qui nous entourait.

Au loin, près d'une large plateforme munie de barrières en bambou, j'aperçus ce qui semblait être Nola et Maël. Je fus tentée de leur adresser un signe de la main, mais me ravisa au dernier moment : après tout, je me situais beaucoup trop loin d'eux pour qu'ils m'aperçoivent. Ainsi, je me contentai de les observer du coin de l'œil, et finis par remarquer que quelque chose n'allait pas. Nola et Maël agitaient les bras dans tous les sens, et ma meilleure amie tentait par tous les moyens possibles de s'approcher d'un rondin en bois suspendu dans les airs. 

Bordel, mais qu'avaient-ils fait encore ?

— On parlait de Maël, Hortense, répondit soudainement Jules, me tirant de ma contemplation.

— Ah bon, oui peut-être alors...

— Vu que tu connais l'existence de Pauline désormais, j'imagine que ça ne te fera rien si je te dis que Maël l'a invitée à nous rejoindre et qu'elle arrive demain après-midi ? tenta le brun en avalant une ultime gorgée de sa boisson.

J'ouvris la bouche, estomaquée. L'instant d'après, il pleuvait. 

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chapitre de :
-missIndecise

musique :
Slide — Calvin Harris,
Frank Ocean, Migos

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