29 | « Putain mais bien sûr que je saigne ! Ça se voit pas du con ?! »

H O R T E N S E
__________


          — ON LES A SEMÉS ! s'écria Maël en se retournant pour vérifier si les autres nous suivaient encore.

Je retirai ma pagaie de l'eau et fis de même. Effectivement, les canoës de Nola, Jules et Dorian avaient complètement disparu de notre champ de vision. De loin, j'arrivais tout de même à percevoir les cris que lançait Nola, histoire d'encourager Jules, mais pour ce qui était de Dorian, on avait aucune trace de lui.

— Je sais pas si on peut se réjouir pour le moment, renchéris-je en reprenant ma position.

Maël sembla réfléchir quelques instants et haussa les épaules. Il reprit par la suite sa pagaie et nous poursuivîmes notre course. La chaleur n'avait cessé de grimper depuis que nous nous étions installés dans les canoës, et même si je me mouillais régulièrement la nuque, mon corps ne parvenait pas à reprendre une température normale. Si Nola avait été là, elle aurait rejeté la faute sur le torse nu de Maël, mais moi, je savais que ce n'était pas ce petit gars qui était à l'origine de ma future insolation — du moins je ne l'aurais jamais avoué à voix haute.

Les berges défilaient à mesure que nous avançions et les promeneurs nous jetaient sans cesse de petits regards. Quelques enfants s'amusaient à nous adresser des signes de la main, auxquels Maël répondait en faisant son intéressant. Non mais je vous jure. Le pire avait quand même été lorsque nous avions croisé une bande de jeunes filles de mon âge. Ces dernières étaient allongées nonchalamment sur leurs serviettes colorées et bronzaient paisiblement. Lorsqu'elles avaient aperçu le blond, elles s'étaient mises à le siffler et à rigoler comme des tarés tout en donnant des petits surnoms à Maël.

Ce dernier avait semblé être flatté et leur avait répondu de son habituel sourire charmeur. Néanmoins, il avait aussitôt cessé son manège lorsqu'il s'était retourné vers moi, une fois ces sirènes démoniaques éloignées. Il faut dire que l'expression que j'arborais n'était guère enjouée : on aurait plutôt dit une cocotte minute sur le point d'exploser. J'avais alors désigné du regard sa pagaie et lui avais indiqué que le canoë n'allait pas avancer tout seul. Maël avait alors levé les mains en signe d'apaisement et s'était remis à la tâche.

Cependant, le pire du pire était arrivé lorsque nous avions voulu négocier le prochain virage pour une rapide. J'avais eu beau dire à Maël de tourner avant, ce dernier ne m'avait pas écouté et avait préféré m'assaillir de questions toutes plus débiles les unes que les autres. J'avais alors vu la berge se rapprocher rapidement de nous, et je n'avais eu d'autre choix que de prendre le courant sur le côté. La coque en plastique avait heurté de plein fouet une pierre et le canoë avait tangué. Bien évidemment, ce que je craignais était arrivé et bientôt, nous nous étions retrouvés tous les deux dans l'eau, avec notre embarcation retournée.

— Putain ! Mais écoute-moi quand je te dis un truc ! m'énervai-je en lui envoyant une vague d'eau dans la figure.

Maël n'eut pas le temps d'esquiver et se la prit en pleine figure. Miam... Un million de bactéries. Cette rébellion ne sembla pas plaire au blond et aussitôt, le sourire amusé qui le caractérisait, s'évanouit. Il grogna tandis que je nageais en direction du canoë, qui partait déjà loin de nous, emporté par le fort courant. J'avais du mal à avancer et à rattraper l'embarcation, mais m'aider ne sembla pas lui venir à l'esprit. Voilà pourquoi je jugeai qu'il était bon d'ajouter.

— Viens m'aider au lieu de rester planté là !

— Oui bah c'est bon ! J'arrive Princesse Hortense ! rétorqua-t-il en serrant les dents.

Il s'élança à ma suite alors que je peinais à m'accrocher au canoë. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, Maël m'avait rejoint, et m'aidait à retourner la coque en plastique. La tâche était ardue car de l'eau s'était infiltrée sur la partie exposée, mais à deux nous y arrivâmes au bout de quelques secondes de labeur.

Une fois cela fait, j'attrapai la petite ficelle présente à l'avant, et entraînai le canoë jusqu'à la berge la plus proche. Maël me suivit silencieusement et ne me fit pas la moindre remarque. À vrai dire, il n'y avait que moi qui me plaignait. Nous rejoignîmes enfin la terre ferme et entreprîmes de remonter à bord de notre "bateau de pauvre".

— Si t'avais pas déblatéré pendant dix minutes sur ces filles qui t'ont appelé, on en serait sûrement pas là ! m'énervai-je en me rendant compte qu'il nous manquait une pagaie.

— Excuse-moi ! Mais moi je suis pas le pro en canoë, et je pensais que tu maîtrisais la situation ! répliqua Maël en me pointant du doigt.

— Je la maîtrisais mais tu n'arrêtais pas de me distraire ! criai-je presque en courant vers la pagaie gisant dans l'eau.

Je m'abaissai pour m'en saisir mais mère Nature avait probablement décidé de me pourrir la vie. À peine avais-je compris que mon pied marchait sur la pâle en plastique, que la pagaie émergea d'un seul coup hors de l'eau, et que le manche heurta de plein fouet mon pauvre nez. Or, si vous devez savoir quelque chose, c'est que je saigne très, très facilement du nez. Que ce soit à cause de la chaleur, quand je me mouche ou encore quand je me prends un coup sur le nez, vous pouvez être sûrs que ça ne rate jamais !

Là, par exemple, ça n'avait pas raté.

— Bah si j'arrêtais pas de te distraire, t'aurais dû monter avec Jules plutôt qu'avec moi !

— J'te rappelle que c'est toi qui voulais être à tout prix avec moi ! J't'ai jamais forcé ! m'égosillai-je en me retournant, ma pagaie dans une main et me couvrant le nez de l'autre.

Maël se figea en se rendant compte que du sang coulait de ma narine. Il en oublia immédiatement que nous étions en pleine dispute et demanda, complètement perdu :

— Hortense ? Tu saignes ?

— Putain mais bien sûr que je saigne ! Ça se voit pas du con ?! lançai-je sarcastiquement en lui collant la pagaie dans la main.

Maël voulut dire quelque chose, mais referma aussitôt la bouche lorsque je passai devant lui. Il se racla la gorge et ses orbes verts me suivirent tandis que j'essayais d'enlever mon gilet de sauvetage orange. Je n'avais aucun mouchoir sur moi et la seule solution qui se présentait à moi, était de me servir de mon t-shirt comme d'un tissu pour faire pression sur mon nez. Je retirai alors avec hâte mon vieux t-shirt de danse rouge — ça tombait plutôt bien — et essuyai avec, le sang qui avait coulé le long de mes lèvres et de mon menton.

Derrière moi, Maël avait rejoint le canoë et tentait de chasser l'eau qui s'y était infiltrée. J'aurais dû lui dire que c'était peine perdu, mais bon, au moins il me lâchait les baskets pendant un petit moment. Finalement, après s'être rendu compte que tout ceci ne rimait à rien, il tira un peu plus le canoë sur la berge et se débarrassa également de son gilet de sauvetage. Il me rejoignit au moment où je m'asseyais sur un tronc d'arbre renversé et creux, et prit place à mes côtés, les mains nouées.

— Bas-y... Tu beux le dire, soufflai-je en appuyant toujours sur une de mes narines.

— Hein ? T'as dit quoi là ? s'enquit Maël en tournant la tête vers moi.

Je levai les yeux au ciel et retirai mon t-shirt de mon nez. Je passai un doigt sous ce dernier et constatai que le sang semblait s'être arrêté de couler : tant mieux ! Néanmoins, je préférai tout de même conserver le tissus près de moi et l'enroulai machinalement autour de mon poignet.

— J'ai dis : "vas-y... Tu peux le dire", répétai-je en prenant une longue inspiration — bon sang, que c'est bon de respirer librement.

— Qu'est-ce que tu veux que je dise ? Que je suis désolé de t'avoir déconcentré ? Que j'aurais pas dû te parler de ces filles ? Que c'est de ma faute si notre canoë s'est retourné ? proposa le blond en plissant les paupières, le pouce frottant son menton.

Je laissai échapper un petit rire et lui ébouriffai les cheveux. Maël prit cela pour une agression et se recula vivement, en me regardant avec des yeux ronds. Je fis semblant d'être vexée et détournai le regard, les bras croisés, mon t-shirt dans la main. Et c'est à cet instant que je me rendis enfin compte du paysage qui nous entourait. Une forêt de pin et d'autres arbres, dont je ne connaissais pas le nom, s'étendait à perte de vue. Des marcheurs émergeaient de cette dernière pour venir se rafraîchir au bord de l'eau.

Des jeunes de nos âges — ou un peu plus jeunes — s'amusaient à sauter du haut d'un petit rocher, pour atterrir dans l'onde modérément profonde sur laquelle évoluaient les canoës. Certains criaient, se poussaient sans retenu ou encore essayaient d'être synchronisés — une tâche plutôt ardue si vous voulez mon avis. Au loin, j'aperçus qu'un canoë venait également de se retourner et que les personnes, auparavant installées dedans, étaient également en train de se disputer. Je souris à leur vue, avant de sursauter comme une folle lorsque la tête de Maël se posa sur mes genoux.

Oui. Vous avez bien lu.

— Qu'est-ce que tu voulais que je dise du coup ? questionna-t-il en faisant comme si tout était normal.

— Que j'étais le pire boulet de la Terre, répondis-je finalement en portant instinctivement une main à mon nez.

Au loin, un canoë vert fit irruption et les cris qui s'échappèrent de ce dernier me firent sursauter une fois de plus.

— Nola ! On va les pulvériser !

||°

chapitre de :
-missIndecise

musique :
Can't feel my face — The Weeknd

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top