28 | « Dorian ! La pagaie c'est pas que d'un seul côté ! »

N O L A
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          — C'EST BON ? T'as fini de faire la gueule ? demandai-je en me tournant vers Hortense.

Allongée sur son lit, les yeux rivés sur son téléphone, elle faisait semblant de ne pas m'entendre. Et à chaque fois que je m'approchais d'elle et passais ma main devant son visage, elle m'ignorait délibérément. Elle avait commencé son petit manège dès lors que nous étions rentrés au camping, samedi soir, et depuis, elle ne m'avait adressée la parole que pour manger ou pour savoir qui allait à la douche en premier. Hortense avait catégoriquement refusé de me dire pourquoi elle demeurait silencieuse, mais j'aurais mis ma main à couper, que ce qu'il s'était passé à La Panthère Rose, était à l'origine d'un tel silence.

— T'es vraiment trop chiante, on peut jamais faire de conneries avec toi..., grommelai-je en sachant pertinemment qu'une telle réponse la ferait réagir.

Hortense détestait lorsqu'on lui indiquait qu'elle n'était pas cool.

Et comme de juste, la brune se redressa, jeta son téléphone sur son matelas gonflable et se tourna vers moi. Son expression était dure et elle semblait agacée. Néanmoins, ce n'était pas ça qui allait me faire peur : j'avais vu bien pire venant de sa part.

— C'est sûr que voler les oreilles du vigile, se faire expulser et interdire de séjour dans une boîte c'est drôle, répondit-elle avec son sarcasme habituel.

— Oh mais c'est bon quoi ! T'as rien dit lorsqu'on a volé le saucisson ! constatai-je en levant les yeux au ciel.

— N'implique pas ce pauvre saucisson dans l'histoire ! rétorqua Hortense brusquement en me pointant du doigt. C'était une situation d'urgence et puis...

— Et puis c'était du saucisson, achevai-je, un petit sourire en coin esquissé sur les lèvres.

— Rahhh tu m'agaces ! s'énerva ma meilleure amie avant de me lancer son cousin à la figure.

Je l'esquivai aisément et éclatai de rire. Hortense serra les dents avant de se jeter sur moi et bientôt, nous nous retrouvâmes toutes les deux écrasées sur mon matelas. Hortense me donnait des coups de coussin que je deviais avec plus ou moins de facilité. Tout à coup, alors que j'allais enfoncer mon oreiller sur la tête de la brune, la porte de la tente s'ouvrit sur un Jules légèrement perplexe.

— Euh..., commença le brun alors que ses yeux passèrent d'Hortense à moi. Vous venez ou pas ?

Ah oui. La sortie canoë.

Aujourd'hui, alors que nous étions en train de déjeuner — si vous voulez tout savoir on a fini aujourd'hui la viande du barbecue — Hortense avait eu la bonne idée de proposer une sortie en canoë. Tout le monde était emballé — moi la première — et on avait tout de suite appelé le directeur pour réserver nos places. Pour ma part, j'excellais dans le domaine du canoë-kayak, de même qu'Hortense qui, contre toute attente, arrivait à manier une telle embarcation sans la retourner. Nous avions donc conclu que c'était nous qui allions prendre les commandes, tandis que les garçons ne feront que suivre nos ordres — ils n'en avaient jamais fait auparavant.

— On arrive ! lança Hortense avant de se relever et de sortir de notre "maison" au pas de course.

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Le soleil tapait déjà fort lorsque nous arrivâmes au stand de canoë-kayak. Nous sortîmes de ma voiture et les rayons de lumière vinrent aussitôt agresser nos pauvres corps de jeunes adultes — bon, on exclut bien entendu Hortense du lot, car après tout, elle n'avait même pas encore dix-sept ans. Jules s'empara de la casquette orange fluo de Dorian et s'éventa avec, tandis que le métisse buvait à grandes goulées sa bouteille d'eau. Maël, une main posée en visière au-dessus de ses yeux, paraissait suer à grandes gouttes. Je fis la réflexion à Hortense et cette dernière se contenta de rouler des yeux.

Finalement, après s'être présentés à la caisse du cabanon en bois qui servait d'accueil, nous nous étions vus attribuer trois canoës : deux de deux places et un pour une seule personne. Aussitôt, Dorian s'était précipité vers ce dernier en clamant qu'il allait nous mettre la raclée du siècle avec sa super pagaie et ses muscles durs comme de l'acier. Avec Hortense nous avions échangé un petit regard amusé : Dorian avait plus la carrure d'une brindille plutôt que d'un rugbyman. Enfin bon, toujours est-il qu'il ne restait plus que nous quatre à caser.

— Ok, commençai-je en me frottant les mains — j'adorais jouer au chef, c'était mon petit péché mignon. Donc il reste deux canoës et on est quatre. Vu que vous n'en avez jamais fait auparavant, on va en prendre chacune un et...

— Je monte avec Hortense ! s'empressa de dire Maël en trottinant presque jusqu'à ma meilleure amie.

Bon sang, je sais pas ce qu'elle a fait pour avoir tant d'emprise sur lui, mais croyez-moi, je n'avais jamais vu un mec graviter autour d'elle de cette façon-ci.

— Donc je suppose que Jules va avec toi ? déduit ma meilleure amie tout en s'approchant de son embarcation.

Pour toute réponse j'esquissai un sourire bref et marchai jusqu'au canoë. Je sentais la présence de Jules dans mon dos, ce qui me perturbait un tant soit peu : j'avais l'impression que ses yeux étaient en train de sonder mon corps et croyez-moi, ça en devenait limite gênant. Néanmoins, au moment où je me retournai pour vérifier ses faits et gestes, mon regard s'arrêta sur du vide et je fronçai les sourcils : où pouvait-il bien être passé ? Et c'est là que je l'avais vu, assis à l'avant du canoë, en tailleur, comme un petit garçon bien élevé.

— Et maintenant on fait quoi, Cap'tain ? s'enquit Jules en m'adressant un clin d'œil.

Je souris légèrement et m'assis à mon tour dans l'embarcation en plastique vert. Je poussai le ponton à l'aide de ma pagaie et nous nous éloignâmes prudemment du bord de la berge. Maintenant, il ne restait plus qu'à expliquer à Jules comment on allait procéder.

— Nola ! Le dernier arrivé paye sa tournée au bar du camping ! s'égosilla Hortense tandis que son canoë filait comme une flèche sur l'eau.

— Prépare ton porte-monnaie ma petite, murmurai-je avant de me lancer dans la course, au même moment où Jules lâchait un cri de guerre peu crédible.

Je laissai échapper un rire et Jules se retourna, le sourire aux lèvres, sa pagaie dans les mains. Je lui expliquai brièvement comment on allait fonctionner et cinq minutes plus tard, nous étions partis. Hortense et Maël restaient en tête, bien qu'ils ne soient pas très loin de nous. Leur allure était certes, rapide, mais on pouvait largement les dépasser avec un peu d'entrain et de cadence. Et puis de toute façon, il y avait de fortes chances pour que Dorian arrive dernier de la course. Le métisse avait déjà eu du mal à démarrer et pendant que j'expliquais à Jules ma façon de ramer, j'avais remarqué que Dorian ne cessait de décrire des cercles sur lui-même.

— Dorian ! La pagaie c'est pas que d'un seul côté ! lui avais-je indiqué, exaspérée de le voir tourner en rond.

Franchement, ça me donnait un large aperçu de la suite.

— Première rapide ! s'époumona Hortense alors que nous arrivions à la fin du lac de départ.

L'instant d'après, son canoë avait disparu comme englouti par une force obscure et sous-marine. Jules se tordit le cou pour s'assurer qu'ils étaient toujours en vie, mais le cri de joie de Maël suffit à le rassurer. Au loin, le blond avait les bras tendus en l'air, formant le V de la victoire. À l'arrière de son canoë, Hortense gloussait et j'aurais mis ma main à couper qu'elle rougissait : après tout, une aussi belle vue cela ne pouvait avoir que cet effet sur elle. Je pouffai suite à cette pensée et rivai de nouveau mon regard sur la rampe aménagée, qui nous permettrait d'accéder au second plan d'eau.

— Attention c'est parti ! m'exclamai-je en donnant une ultime coup de rame pour m'élancer.

Et l'instant d'après, la voix de Jules et la mienne se mêlèrent en une symphonie de cri d'hystérie.

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chapitre de :
-missIndecise
exceptionnellement

musique :
I get around — The beach boys

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