[Fondamental] Scénes et Séquelles
— Où est donc Cullen ?
— Comment va le professeur auxiliaire ?
— Vous pouvez nous dire, qui il est, non ?
Les questions fusent dans la classe. Dramatov ne les entend pas. Il fixe le néon clignotant de la salle de cours.
Ce pressentiment... il l'a déjà eu. Il grimace et porte son regard vers la classe.
— Professeur tout va bien ?
La voix d'Hermione l'extirpe de ses pensées.
— Oui... désolé. Je réfléchissais au cours d'aujourd'hui, ment-il.
D'ailleurs vous vous rappelez le cours sur le conflit ? Hé bien, sachez que nous allons aller plus en profondeur avec cette notion. Je vais aborder les « scènes et séquelles » ?
— Scènes et séquelles ? On dirait le titre d'un roman, fait remarquer Hérmione.
— Ce n'est pas faux, répond Dramatov, mais c'est surtout un concept issu d'un livre dont je conseille la lecture « Techniques of the selling writer » de Dwight Swain. C'est vieux, mais diaboliquement efficace et indémodable.
— Nous sommes tout ouïe, dit Tyrion. Mais ne comptez pas vous en tirer à si bon compte. Nous attendons des réponses.
Dramatov fait mine de ne pas l'entendre et s'éclaircit la gorge.
— Bien êtes-vous prêt pour le traditionnel exposé de départ ? Je vais vous énoncer deux scènes. J'attends vos commentaires.
Scène 1 :
Diran est un guerrier voleur expert. Il a pour mission de voler un joyau dans le palais ducal. Après s'être introduit dans le palais, il déjoue la sécurité, affronte quelques gardes, et parvient après un rude combat contre un gardien à subtiliser le joyau et s'échapper.
Scène 2 :
Après une planque à l'auberge, il reprend la route le lendemain. Diran se fond parmi une caravane de marchands. Hélas, sur la route des brigands attaquent le convoi. Le guerrier voleur engage le combat, parvient à les repousser, mais écope d'une blessure. Malgré quelques pertes les marchands se remettent en route. Diran est affaibli, mais après s'être fait soigner, il parvient à rallier sa prochaine étape.
— Bien, je vous écoute.
— Vous avez parlé de conflit en début du cours, il y en a dans ce passage ! Ou voulez-vous en venir ? demande Légolas.
— Il aurait pu faire sauter quelques têtes, cela aurait eu plus de panache, hurle Conan l'épée à la main.
— Qui ne te dit qu'il l'a pas fait, conteste Hermione, c'est un résumé.
— Alors personne ne trouve ?
— Pour être passé par des expériences traumatisantes, je trouve qu'il s'en sort très bien Votre Diran, comment Tyrion. C'est un peu facile à mon gout.
Les yeux de Dramatov sont traversés par une lueur, sa mine s'éclaircit.
— Ha, Tyrion, tu as mis le doigt dessus. Tu n'es pas loin.
— Pourquoi est-ce toujours le nain qui répond juste, proteste Légolas.
— Peut-être que dans mon monde les nains sont plus... intelligents ?
— Fausse conception induite par les films, si tu fais référence à Gimli. Sache qu'il n'est en rien semblable à la caricature que Jackson en a faite.
Tyrion le regarde, la mine contrite.
— De quoi parles-tu ?
Légolas hausse les épaules et ne répond pas.
On dirait qu'il souffre du même mal que dramatov, dit Tyrion pour lui même.
— Revenons au sujet initial, voulez-vous. Quand Tyrion a parlé de facilité, c'était presque ça... Dans un roman, un conflit ne doit, sauf dans les derniers moments de l'histoire, jamais se solder par un succès !
— Mais... ce n'est pas juste pour les personnages, proteste Hermione.
— La justice n'a rien à voir la dedans, ni la clémence. Un lecteur continue de lire, car il est sous tension, il faut le surprendre, le frustrer, ne pas lui donner ce qu'il veut... sauf à la fin. Ce qui veut dire que les personnages doivent souffrir. La clé : c'est le maintien sous tension.
Silence dans la classe.
— Bien je vais donc en venir au sujet. D'après Swain, une scène doit se composer de trois éléments fondamentaux. Le personnage principal de la scène doit avoir un OBJECTIF, clair pour le lecteur. Pour y parvenir il doit passer par des épreuves, le CONFLIT et... doit échouer en raison d'un DÉSASTRE.
— Un désastre ! Ce n'est pas un peu fort ? Demande Katniss
— C'est une traduction littérale de l'anglais (GOAL, CONFLICT, DISASTER), mais ce que Dwain veut dire c'est qu'un évènement fait en sorte que le personnage principal de la scène ne parvient pas à atteindre son objectif.
— N'est-ce pas un peu flagrant comme structure et un peu téléphoné ? Êtes-vous sûr que cela produit de la bonne fiction ? Demande Tyrion.
— C'est efficace, solide et s'adresse surtout à la littérature populaire, n'oubliez pas le titre de son œuvre. Mais gardez à l'esprit qu'il s'agit d'une armature, d'un squelette. L'écrivain d'expérience saura la camoufler. Il saura jouer de son style subtil, tout en trompe l'œil. Tenez voyons voir, en admettant que l'OBJECTIF de Diran soit toujours de voler la pierre, que le conflit soit toujours composé de pièges et de gardes dans le palais ducal. Sauriez-vous me proposer un DÉSASTRE qui l'empêcherait d'atteindre son objectif ?
— Facile ! La pierre ne serait pas là ! Propose Katniss
— Il aurait été trahi par son commanditaire et tomberait dans une embuscade, il serait fait prisonnier.
— Un serpent géant garderait la pierre, Diran serait mordu dans le combat. Au final, il lui trancherait la tête, mais s'effondrerait juste après ! Propose Conan.
Dramatov hoche la tête.
— Bien, vous avez l'idée. Et maintenant, plus subtil, pouvez-vous imaginer un DESASTRE qui impliquerait que Diran, réussisse à prendre la pierre ?
Silence.
Hermione a la main levée.
— La pierre pourrait être maudite. Il aurait la pierre, mais devrait faire face à bien pire par la suite. Il se réveille lendemain pour s'apercevoir que sa peau a viré au noir ou mieux qu'un étrange compteur est apparu sur son avant bras !
— Il pourrait avoir la pierre, mais aurait tué le fils du Duc avant de la prendre, devenant ainsi l'ennemi numéro un du duché et pris dans une traque mortelle ! propose Katniss
— Le gardien qui défend la pierre pourrait être... le meilleur ami ou un frère du héros, sous l'emprise d'un sortilège. Il serait masqué et le personnage principal l'identifierait juste après avoir retiré sa lame du corps inerte. L'amertume et le regret le priveraient de sa victoire.
— Bravo s'exclame Dramatov, ce sont ce qu'on appelle des cas de « Hollow Victory ». Et c'est tout aussi valable, sinon mieux. Vous aurez donc compris que l'échec peut être total, partiel, à retardement. Mais il est nécessaire pour faire progresser l'intrigue.
— Et après ? L'histoire ne peut pas continuer comme vous l'avez spécifié au début. La scène 2 n'est plus valide ! dit Katniss.
— C'est pour le mieux et cela me permet d'introduire la « séquelle » ! Après un échec, le personnage principal accuse le coup, il a une RÉACTION, s'en suit une réflexion et de potentiels DILEMMES, et un choix, la DÉCISION. Aussi le DÉSASTRE est souvent un bon moyen d'introduire une nouvelle information qui propulse l'intrigue. C'était flagrant dans vos exemples. Pour les besoins de la démonstration. Imaginons que la pierre était maudite et qu'au moment ou il la prend, elle fusionne avec lui, remplace son cœur et qu'un mystérieux message apparaisse en lettres de feu sur son avant-bras. Quelle séquelle proposeriez-vous ?
— Sorcellerie, il aurait juste à se couper le bras ! propose Conan.
— C'est hors sujet, conteste Hermione.
— Je peux me lancer, propose Légolas.
Réfléchissons. RÉACTION. Diran ne comprend pas ce qui lui arrive. Était-ce voulu par son employeur ? Qu'est ce que cela signifie pour lui, quel est ce mystérieux message gravé sur son bras, peut-il recouvrer son état normal ? Ensuite, DILEMMES ! Que faire ? Peut-être retourner au Duc et demander des explications ? Mais en tant que voleur il risque de se faire recevoir ! Retourner voir l'employeur ? Mais soit ce puissant magnat du crime sait ce qu'il faisait ou pire il n'a rien à voir dans cette histoire et pourrait penser que Diran ment et veut garder la pierre pour lui ! Sinon, bien sûr il peut faire appel à un sorcier, il a déjà entendu parler de ces histoires de malédictions... mais voilà, Diran a une phobie de la sorcellerie.
Et enfin... la DÉCISION. Diran évalue les possibilités et décide d'opter pour le sorcier qu'il juge comme l'option la moins dangereuse. Diran a donc un nouvel OBJECTIF ! Il décide de se rendre dans le village ou vit le sorcier pour en apprendre plus sur ce qui lui arrive...
Dramatov sourit
— C'est bien Légolas, tu viens de comprendre la logique. OBJECTIF — CONFLIT — DÉSASTRE — RÉACTION — DILEMME — DÉCISION — OBJECTIF...
Remarquez que dans ce cas présent la scène avec les marchands est tout à fait exploitable.
OBJECTIF : Se rendre au village
CONFLIT : Les brigands attaquent le convoi
DÉSASTRE : Diran se fait capturer par les brigands
Bien il est donc temps de conclure :
Si vous êtes une jeune plume et que vous écrivez votre premier roman, essayez d'articuler vos chapitres autour de la structure Scène/Séquelle. C'est un moyen sûr de faire avancer votre histoire, de proposer un récit dynamique et de maintenir l'intérêt du lecteur. Éliminez le bla-bla inutile qui ne fait pas progresser l'intrigue.
Si vous êtes un auteur chevronné et que vous trouvez que votre récit patine, manque de rythme, essayez de voir si vous pouvez modifier votre structure et la faire rentrer dans le moule Scène Séquelle.
Dramatov marque une pause.
— Bien, le prochain cours portera sur...
— J'ai une question !
Tous les regards se tournent vers l'élève qui s'est levé. C'est un jeune homme dont le visage est dissimulé derrière une capuche rabattue.
— J'écoute... monsieur... ?
— Votre objectif est bien de nous donner un cours non, de nous faire comprendre la dramaturgie, la structure d'une histoire. Et je pourrais presque dire que vous êtes le personnage principal.
— C'est un point de vue intéressant... je dirais que oui, dans un sens, en admettons que nous soyons dans une fiction.
— un objectif... mais pas de conflit. Voilà qui est bien ennuyeux !
— Que voulez-vous dire ? Demande Dramatov.
— Rien... juste vous signaler qu'il est temps de passer à l'action.
Le jeune homme sort une arme de poing, et la pointe en direction de Dramatov.
Hurlements dans la salle de classe.
Il fait feu.
La balle atteint le professeur au niveau de l'épaule, il chancelle.
Katniss et Legolas réagissent et tirent leurs traits en même temps.
Une flèche se plante dans la main du jeune homme l'autre dans sa cuisse.
Le jeune homme lâche son arme.
Conan rugit. Il s'élance et fonce dessus. Il le ceinture.
Dramatov se relève, il grimace de douleur. Il pointe l'élève inconnu de son index.
— Vous... vous... c'est fini... Qui êtes-vous ?
— Rappellez vous professeur. La scène doit se finir sur un Désastre.
Le professeur sent un courant d'air et une présence derrière lui.
Dramatov s'électrise. Il vient de comprendre.
— Désolé professeur, fait la voix de Cullen. Pas de séquelle pour vous.
Et le vampire plante ses incisives dans la gorge de Dramatov, faisant gicler de longs traits rouges sur le sol de la salle de classe.
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