— Sa respiration est presque inexistante, constate Legolas

— Il va vivre, se contente de répondre le professeur auxiliaire.

— Comment pouvez-vous en être sur ? Demande Katniss.

— Je n'ai pas le choix. S'il meurt, nous mourrons tous ici.

— Et le mystère s'épaissit, lâche Tyrion. D'ailleurs vous nous aviez promis des réponses non ?

— Et vous allez en avoir... à la fin de ce cours qui porte justement sur le savoir des personnages et le savoir du lecteur. Alors commençons sans plus tarder voulez vous.

Le professeur s'approche du premier rang.

— Voici un exemple classique de scène de thriller.

Imaginons Sally, personnage dont on suit les péripéties depuis une quinzaine de chapitres. Elle va se promener dans un parc d'enfant avec sa fille de trois ans. Dans la scène presque banale, on l'a suit à travers chacune de ses actions. Elle parle à une autre mère, regarde son enfant jouer, pousse sa fille sur la balançoire, lui donne une collation, va papoter avec une collègue de bureau qu'elle aperçoit... Et pan, le drame arrive, le psychopathe à la hache surgit et commence à faire son carnage, s'attaquant à tout ce qui bouge. Sa fille est aux toboggans... et le tueur est sur son chemin...

— Mais c'est atroce, s'indigne Hermione.

— Ça l'est, confesse le professeur, mais la n'est pas le point du cours.

Conan se lève d'un bond

— Vous ne pensez pas qu'on devrait plutôt partir en guerre contre ce IL, et lui faire rendre gorge plutôt que de rester ici !

Le visage du professeur s'empourpre sous sa capuche.

— Et la meilleure façon de LE combattre est de faire ce que je vous dis !

Il se racle la gorge et se reprend.

— Pourriez-vous imaginer comment on pourrait augmenter le suspens dans la scène ?

— L'augmenter ? Avec l'arrivée du psychopathe, c'est assez non ? Dis Katniss.

— Ça, c'est la fin de la scène.  Non je parle de ce qui se passe avant. La succession d'actions banales.

— J'ai le droit de participer ? demande Tyrion

Le professeur reste silencieux un instant.

— Oui, bien sûr.

— Bien, puisque ce cours porte sur les savoirs du personnage et du savoir du lecteur, je suppose que l'idée est de faire en sorte que le lecteur sache à l'avance que le psychopathe est là.

— Exact !

— Cela ne ruine pas la révélation justement ? conteste Hermione. L'impact est plus grand si le lecteur ne sait rien.

Le professeur se frotte la barbe

— Oui, mais la il s'agit de surprise, d'un « twist » et non du suspens. La surprise finale vient trancher avec le ton de la scène. Non, la je parle de créer de la tension dans l'ensemble de la scène.

— Donc d'après ce que Tyrion a dit, je suppose qu'il faut que dans une scène précédente on ait prévenu le lecteur que le psychopathe allait frapper, dit Legolas.

— Tout à fait !

— Dans un récit à la première personne avec un seul narrateur, on fait comment ? Interroge Hermione.

— Dans ce cas-là, on ne peut pas. Le récit à focalisation interne à beaucoup d'avantages, mais prive aussi l'auteur de quelques outils pratiques. Le lecteur n'en sait jamais plus que le personnage. Mais  l'inverse peut être  vrai comme nous le verrons plus bas. Quelqu'un propose un exemple alors ?

Katniss prend la parole :

Dans la scène précédente, Jake le policier profiler parvient à identifier le mode opératoire du tueur et il sait où et quand il va frapper. Avec horreur, il se rend compte que son prochain carnage va prendre place précisément à l'endroit ou Sally, sa meilleure amie va promener sa fille. Il tente de la joindre sur son téléphone, mais tombe sur son répondeur. Merde, il est à trois heures de route. Peut-être est-ce jouable ?

— Bien. Aucun doute que dans la scène suivante, le lecteur sera sous tension et à l'affût, guettant dans la moindre phrase un indice sur la présence du tueur. Peut être même qu'on pourra faire hésiter Sally avant qu'elle ne se rende au parc ou encore mieux, elle ne devait pas y aller, mais un rendez-vous annulé va changer son destin. Bref, le lecteur craindra pour la vie de son personnage. Bien maintenant nous allons analyser un autre exemple.

Jake est toujours sur l'enquête du tueur. Lors de son investigation, il tombe sur un dossier médical confidentiel! Révélation. Le tueur est le frère jumeau de Sally son amie. Ils ont été séparés alors qu'ils avaient tous les deux dix ans et que le jeune psychopathe avait tué le père de la famille d'accueil. Il a ensuite été placé dans un établissement spécialisé sous le sceau du secret défense.

— Bien, comment feriez-vous pour créer une tension supplémentaire en utilisant la dynamique des savoirs ?

— À mon tour, dit Conan. Si j'ai bien compris, le personnage doit avoir un savoir plus grand que celui du lecteur ! Donc... il suffit de ne pas révéler le contenu du dossier.

— Bravo ! Robert E.Howard serait fier de toi !

Le Cimmérien le regarde, ses yeux perdus dans le vague.

— Bref, peu importe. L'idée est là. Jake a une ligne de dialogue lorsqu'il découvre le lien qui unit le tueur et sa cible.

Genre « Oh mon dieu... ». Et zou, on coupe ! À ce moment précis, vous venez de faire pousser un point d'interrogation dans la tête du lecteur. Mais qu'a donc découvert Jake ? Dans les lignes qui vont suivre, il va espérer trouver une réponse. Personne n'aime les questions sans réponses.

— OK, mais quand doit-on faire la révélation alors ?

— Plus tard, l'essentiel est de la faire. D'ailleurs si j'étais aux commandes de cette histoire, je ferais mourir Jake ou lui causerait un grave, accident. Le contenu du dossier serait relevé plus tard, par quelqu'un d'autre.

— C'est sadique ! proteste Hermione.

— Notre métier est de l'être, jeune enfant. Pour le bien de notre lectorat, bien sur !

— Le savoir du personnage supérieur à celui du lecteur fonctionne aussi en focalisation interne à la première personne non ? Demande katniss.

— Oui par exemple tu peux terminer une scène par « Je me figeai sur place. Je n'en croyais pas mes yeux », par contre attention ! La première personne crée un lien de « confiance » entre le lecteur et le personnage, une intimité. Il faudra vite faire la révélation, sous peine de briser ce lien.

— Oui, dans la scène suivante donc ?

— Exactement ! Bon, je vois que vous avez bien suivi. Ce qui augure du bon pour la suite de notre aventure les amis. Mais pour l'heure il est temps de conclure.

Pour créer et maintenir le suspense dans votre récit et pousser le lecteur à tourner les pages, usez et abusez de la dynamique des savoirs. Sachez les alterner avec intelligence. Nous sommes des bêtes étranges, nous avons un côté masochiste dans l'acte de lecture qui nous pousse à vouloir chercher cette tension pour mieux pouvoir l'apaiser. La dramaturgie fonctionne sur ce travers de l'être humain. Privez le lecteur d'informations, tendez-lui des pièges, trompez-le, mentez-lui. Il vous en sera reconnaissant en lisant vos œuvres et en tournant les pages.

Aussi, l'alternance des savoirs ne se limite pas aux jeux de dupes, à la politique, l'espionnage, aux conspirations, aux thrillers. Elle peut se retrouver dans la romance par exemple. Votre protagoniste rend une visite surprise à son mari alors que le lecteur sait pertinemment qu'il est en train de la tromper avec sa meilleure ami. Bam ! Tension. Elle saisit son téléphone en train de sonner, écoute un message, le lâche et tombe en pleurs sur le sol ? Bam ! Point d'interrogation dans la tête !

La classe acquiesce en silence. Le professeur marque une pause puis s'avance encore un peu plus vers les élèves.

— Bien je vous ai promis des révélations. Et vous allez en avoir.

D'un geste sec, le professeur auxiliaire ôte sa capuche.

— Mon nom est George Raymond Richard Martin. Je suis Auteur et écrivain, Tyrion est ma création, et nous sommes tous ici, les personnages d'une fiction.

***

Hello chez lecteurs. Juste une petite note pour vous signaler que j'ai besoin de vous (de votre avis en fait) sur une publication "Au dela du cercle".  J'hésite en effet à réécrire le début en le commençant par le chapitre 4 qui rentre  plus rapidement dans le vif du sujet. Vous pouvez commenter directement dessus ou m'envoyer un PM pour me donner votre avis. Merci d'avance !