Après avoir expliqué son rôle d'auteur et fait avaler à sa classe que tous ici sont issus d'une fiction, Georges s'assoit sur le bord du bureau.

— Je sais que cela fait beaucoup à encaisser, mais j'avais besoin de vous le dire afin que vous soyez parés pour la suite. J'estime que vous avez acquis assez de compétence pour que nous puissions enfin passer aux choses sérieuses.

Katniss se lève.

— Que nous voulez-vous au juste, monsieur Martin ? Quel est le sens de tout cela ?

— Déjà, appelez-moi Georges. Ensuite nous allons partir pour sauver notre vieil ami, le professeur Dramatov.

Un brouhaha agite la classe.

— Comment ça partir ? demande Hermione. Il est ici, entre la vie et la mort.

Georges sourit.

— Vous n'allez pas tarder à le découvrir, pour l'heure je vous demande juste de m'accorder votre confiance. Dans un premier temps, j'ai besoin de former des binômes.

Il prend une inspiration et désigne Katniss du doigt.

— Katniss, tu seras groupée avec Hermione.

La brune sulfureuse amorce une protestation, mais le regard sombre du professeur étouffe son élan de contestation dans l'œuf. Hermione se contente de soupirer.

— Tyrion, tu seras avec Conan.

— Par Crom, il va me ralentir, hurle Conan.

Georges secoue la tête.

— Vous serez parfait tous les deux.

Il désigne l'elfe d'un geste de la tête.

— Il ne reste que  moi comme personnage de fiction, observe Legolas. Et je suis seul.

— Peut-être pourrais-je faire partie du groupe, intervient David, un jeune qui était resté à l'écart.

Le visage de George de durcit.

— Désolé jeune homme, nous allons dans un endroit trop dangereux pour les inconnus. Seuls les personnages de fiction populaires auront une chance d'y survivre.

Le visage du jeune s'affaisse et dans ses yeux, un éclat d'espoir vient de mourir.

— Tu n'es pas seul Légolas. Il reste quelqu'un d'important.

— On dirait que j'arrive juste à temps, professeur.

Edward Cullen vient d'apparaître dans l'embrasure de la porte.

Conan extirpe l'épée de son fourreau, Katniss et Légolas tendent la corde de leur arc, Hermione brandit sa baguette, Tyrion sirote une rasade de vin dans sa coupe.

— Stop, hurle Georges. Il est avec nous.

— Comment ça ? proteste Legolas, il a agressé le professeur ! C'est à cause de lui qu'il git dans son sang.

— C'était voulu, c'était une mise en scène pour LE tromper. Cullen a été un agent double. Il est avec nous.

— Je connais, à Poudlard j'ai...

— Shut tu vas spoiler les gens qui n'ont pas lu ou vu Harry potter ! lui souffle Tyrion.

— Ça existe ? demande-t-elle en haussant les épaules.

— Revenons au sujet. Cullen est des nôtres, et Dramatov est exactement à l'endroit voulu. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas besoin de notre aide. Cullen va rejoindre Legolas et après nous partons.

— Vous pouvez peut-être nous le dire maintenant. Où allons-nous... Georges ? demande Hermione.

Le professeur se fend d'un large sourire.

— Au royaume des histoires mortes.

Dans un éclair, le groupe apparaît au bord d'un précipice. Tyrion manque de basculer dans le vide et Conan le saisit par le col.

Tous, mis à part Georges regardent autour d'eux, hébétés.

— Par crom, c'est de la sorcellerie !

— Un portail, commente Hermione.

— Étrange, la seule chose dont je me rappelle c'est la salle de classe. Ou sommes-nous ?

Gorges avance de quelques pas sur un chemin de terre qui s'éloigne du précipice.

— Nous sommes simplement passés par une ellipse narrative. Soyez heureux d'en avoir conscience, la plupart du temps les personnages ne s'en aperçoivent pas.

Un grondement de tonnerre secoue le sol, le tremblement déplace les gravillons d'obsidienne qui recouvrent le chemin. Au loin, des éclairs zèbrent un ciel bigarré noir et rouge sang. Le ciel de plomb qui domine le précipice s'ouvre et déverse un torrent de feuilles et lettre.

— C'est lugubre comme endroit ! Ce sont des pages que l'on voit tomber dans le précipice au loin, demande Katniss.

— C'est le précipice des oubliés. Les histoires mortes qui finissent par tomber dans le précipice. Et nous avons intérêt à bouger, sinon nous subirons le même sort. La protection que confère votre popularité ne sera peut-être pas suffisante si nous échouons.

George indique le chemin de terre.

— Suivons cette route.

Le chemin de graviers serpente à travers une terre de cendre grise exsangue et craquelée d'où s'échappent par moment des volutes verdâtres.

— Quel est notre objectif ici professeur ? Demande Legolas

George marque une pause.

— Tout acte deux d'un récit voit les protagonistes lutter pour retrouver l'équilibre brisé dans l'acte I. Notre nœud dramatique qui a propulsé l'histoire c'était l'attaque du professeur Dramatov. Nous sommes ici pour le ramener, et en toute logique, nous devrons passer par une série d'épreuves, de conflits.

Hermione accélère le pas et rejoint le professeur qui est en tête.

— Mais c'est vaste ici ? Et tout semble si mort. Pourquoi le sol est fait de cendre ? demande-t-elle.

— Les rêves ne poussent plus ici, il en va de même avec l'espoir. C'est un royaume ou les récits ont échoué. Ce monde est fait d'erreurs, de maladresses, d'inexpérience de l'auteur. Tout ce qui fait qu'une histoire ne parvient pas à survivre dans l'esprit et le cœur des lecteurs. C'est un cimetière et c'est son fief, son territoire. Mais tenez, regardez on dirait que voici notre première destination.

Une pancarte en bois vermoulu est plantée, au loin a quelques dizaines de mètres, on devine quelques silhouettes de maisons, prisonnière d'une brume épaisse.

Cullen s'approche du panneau.

— Le village des sans nom. Tout un programme, lâche le vampire sur un ton blasé.

Quelques minutes plus tard, le groupe arpente le petit village qui baigne dans une brume stagnante.

Après l'avoir exploré, ils se regroupent au centre près d'un puits.

— C'est vide, ici... ce ne sont pas des sans nom, mais des fantômes, observe Cullen

— Une grosse porte en métal nous bloque le chemin à l'autre bout du village. C'est un cul-de-sac. J'ai essayé de la frapper, mais rien n'y fait par Crom ! Peste Conan.

Georges secoue la tête.

— Ceci est notre première épreuve, je pense que la porte finira par s'ouvrir. Réfléchissez, tout ici est en rapport avec les erreurs des récits.

— Le village des sans nom doit faire référence aux personnages qui n'ont pas marqué le lecteur. Peut être sont-ils ici, mais que nous ne pouvons pas les voir, fait remarquer Tyrion.

— Ici ! Ici, regardez.

Hermione s'est détachée du groupe et invite les autres à la rejoindre.

Près d'une porte entrouverte, la jeune fille pointe les contours transparents de ce qui ressemble à une jeune femme.

— Elle est vide, je crois savoir pourquoi, elle n'a pas été assez bien définie.

Georges tape dans ses mains et applaudit.

— Bravo pour ton sens de l'observation et ta sagacité. Ton binôme sera donc désigné pour l'épreuve qui nous attend.

Katniss sort du groupe à son tour

— Comment ça ? Quelle épreuve ?

— Vous allez redonner vie à cette jeune femme ! Vous allez la définir. Allez à vous de jouer ! Je vous aiderai s'il le faut.

Les deux filles tournent autour de la forme fantomatique.

— Que sentez-vous ? je peux vous donner un indice, souvent les personnages mal définis n'ont pas été été assez travaillés et souffrent d'incohérence. Essayez d'imaginer la vie de la jeune fille et concentrez-vous sur des expériences marquantes dans sa vie, de celles qui peuvent forger le caractère.

Katniss prend la parole

— Lorsqu'elle était jeune, elle a passé beaucoup de temps à la ferme. Elle n'a pas connu beaucoup de repos. Sa famille était pauvre et n'avait pas le luxe de pouvoir s'offrir des employés, alors elle se levait très tôt pour aller aider son père et ses frères. Elle garde un bon souvenir de cette période, malgré le labeur quotidien. Je sens juste du regret, celui de ne pas avoir pu étudier et mettre plus à profit ses talents et son intelligence.

Les contours de la jeune femme apparaissent, on devine une brune, habillée d'une salopette en jeans.

Hermione reprend la parole.

— Son cœur a souffert, je sens un amour brisé. De la rancœur aussi, due à sa condition sociale. Un jeune homme de la ville, riche et instruit sur lequel elle a jeté son dévolu, mais qui a fini par la rejeter pour se lier avec une fille de son rang. Je ressens un complexe, presque un dégout de sa condition et l'envie de changer les choses.

Un visage d'une pâle opalescence se dessine alors, ses traits restent flous, mais ses yeux bleus brillent d'une froide lueur.

Katniss reprend le flambeau :

— Un conflit avec ses frères alors qu'elle abandonne la ferme, une violente altercation, de l'humiliation même alors que son père pourtant aimant lui dit qu'elle ne réussira jamais en ville, que seul le travail à la ferme donne un sens à sa vie. C'est la tradition depuis plusieurs générations de cultiver la terre.

La salopette disparait. La jeune femme est habillée dans un tailleur de marque, ses yeux ont gardé leur dureté et leur froideur. La silhouette n'est presque plus transparente.

George intervient.

— Bravo, vous venez de définir trois expériences de vie majeure qui vont définir les croyances du personnage.

— Mais c'était son histoire que nous avons ressentie ? demande Hermione ?

Le professeur secoue la tête.

— Non, plutôt son passé, ce qui vient avant l'histoire. Les événements qui ont contribué à forger son caractère. D'ailleurs ce n'est pas fini. À partir de ce que vous avez ressenti, seriez-vous capable de définir ses croyances ?

— Le travail est une vertu, on doit travailler dur pour s'en sortir. Ses années de labeur à la ferme lui ont enseigné cette règle dans la vie, dit Katniss.

La silhouette s'anime et les lèvres bougent

— Le monde est injuste et segmenté en classes, même l'amour ne parvient pas à traverser les frontières sociales. C'est une de ses croyances, déclare Hermione.

Les yeux clignotent et dardent dans leur direction.

— La fatalité n'existe pas, pour réussir et changer les choses il faut savoir se couper de ses racines et prendre de force ce que la vie peut vous offrir, conclut Hermione.

La jeune femme apparaît et commence à bouger.

— Bravo, s'exclame Georges, vous venez de définir les croyances majeures du personnage. Ces croyances vont donner du sens à ses actes dans le récit, son caractère, s'imprimer dans la tête de l'auteur ! Bon, et je m'adresse à tout le monde. Essayez de ranimer les personnages que vous allez trouver ici, pendant que je donne ma conclusion aux lecteurs qui nous observent.

Pour donner de la vie et de la consistance à vos personnages, tentez de trouver dans leurs passés au moins trois expériences marquantes et après, déterminez comment ces experiences on pu forger leurs croyances. Vous verrez que l'exercice donnera de la consistance aux protagonistes de vos récits. Au moment clé de vos intrigues, essayez de revenir à ces croyances lors de la prise de décisions de vos personnages. S'ils ont bien été définis, ils devraient vous empêcher de tomber dans le piège du « out of character » et faire naitre de la frustration ou des interrogations inutiles dans l'esprit de vos lecteurs ».

Conan trottine en direction de Georges.

— C'est fait, nous avons réussi ! Quelle est la suite ? La porte est toujours scellée.

Un large sourire tend les zygomatiques du professeur

— Bien, il va falloir les faire parler, je compte sur vous pour sortir tout ce que vous savez sur les dialogues.