Chapitre 9


4 janvier 2008


Trois ans s'étaient écoulés depuis que Shane était entré au service de Robin Lane. Trois ans qu'il tentait de s'adapter aux règles qu'imposaient la vie au sein d'un gang. Malgré les difficultés que ce choix de vie incombait, le garçon était enfin parvenu à trouver ses marques et à prouver son talent certain pour dérober toute sorte d'objets à n'importe qui sans jamais éveiller les soupçons.

Fidèle à son plan initial, le Rouge-Gorge avait réussi à faire de lui un homme de main de premier choix. Après de nombreuses missions rondement menées par sa nouvelle recrue, le chef avait donc décidé d'entrer dans la deuxième phase de son plan. Par un beau jour de printemps, au détour d'une conversation, Robin avait décelé la fascination que nourrissait Shane pour les œuvres picturales, et ce, depuis sa plus tendre enfance. La même qui l'habitait lui-même depuis toujours et qui avait donné naissance à de grands projets pour l'avenir de son gang.

Ainsi, voyant en cette révélation une nouvelle opportunité de mettre en exergue sa plus grande ambition, il avait décidé, à l'aube de ses dix-huit ans, d'élever le garçon au manteau noir au rang de bras droit, en lieu et place de Zara. Malgré les compétences hors normes qu'elle avait su acquérir en puisant dans les livres d'infirmière de sa mère — en particulier en ce qui concernait les anesthésiants — cette nouvelle ne fut pas une grande surprise pour Z. Au contraire, elle était tout à fait consciente que cette rétrogradation était la conséquence directe de son indifférence aux avances de son chef. À présent reléguée à la simple position de sbire, la jeune fille devait affronter la médisance de plusieurs de ses acolytes, qui ne voyait en elle que le dernier rempart de leur ancien chef face aux agissements de son frère. Néanmoins, elle savait pertinemment que cette situation inconfortable ne durerait pas et que Robin trouverait bien vite un nouveau stratagème pour obtenir ses faveurs.

De son côté, Shane tentait de s'épanouir à sa nouvelle place, tout en faisant régulièrement face aux insultes et coups bas de membres plus anciens, jaloux de sa supériorité injustifiée à leurs yeux. Mais leur chef leur ayant déjà prouvé maintes fois par le passé que ses ordres étaient indiscutables, la plupart gardaient leur mépris enfoui, le laissant de temps à autre refaire surface à travers quelques bousculades volontaires ou provocations verbales à l'encontre de Shane.

En vérité, peu d'entre eux comprenaient ce jeune homme, timide et discret, qui rejetait les plaisirs de la drogue, du Nest et même les avances éhontées des quelques silhouettes féminines qui composaient la bande. Personne n'était encore parvenu à comprendre ce que le chef lui trouvait de si fascinant, car personne n'avait encore été en mesure de sonder le cœur si pur du garçon aux yeux émeraude.

Personne, à part celle qui en détenait la clé.

Dans sa vie, Shane ne connaissait de moments plus doux que lorsque les rayons de l'astre de jour venaient taquiner la joue de Zara aux aurores et que l'odeur de ses cheveux dorés imprégnait ses narines. La chaleur de son corps au réveil balayait les souvenirs houleux des cauchemars de son intégration qui accompagnaient régulièrement ses nuits. La douceur de sa peau nue contre la sienne effaçait les empreintes invisibles que la violence avait laissées sur son âme et le goût de ses lèvres avait remplacé celui du sang qui imbibait son passé.

À mesure que les saisons défilaient, les deux amants entretenaient précieusement la flamme de leur passion à l'abri des regards du reste du gang, ainsi que des suspicions de leur chef. Cette lueur, cet espoir en un avenir meilleur avait réveillé en chacun d'eux une joie bien trop longtemps enfouie, mais qui ne devait pas être exposée aux yeux du monde, de peur de la voir s'évanouir dans le néant. Car bien qu'elle ne fut pas assez puissante pour guérir les blessures de leur passé, elle suffisait à entretenir l'exaltation qui brillait dans leurs iris dès que leur regard empli d'amour se croisait.

Elle était devenue son univers, sa raison d'être. Il était devenu son étoile au cœur de la nuit, l'étincelle d'espoir d'un amour qu'elle croyait à jamais perdu. Ils ne pouvaient faire l'un sans l'autre et chaque séparation, même temporaire, relevait du supplice.

D'ailleurs, en cette nuit de janvier, Shane ne tenait plus en place. Après avoir récupéré quelques bijoux dans une maison, située à l'ouest de Brooklyn, il avait pour mission de se rendre au hangar et d'y déposer la recette de la soirée. Il y retrouverait ensuite Zara, qu'il n'avait pas revue depuis une longue semaine et avec laquelle il devait regagner son appartement pour y finir la nuit. Il était donc un peu plus de quatre heures du matin quand le garçon au manteau noir pénétra dans le second repère du Rouge-Gorge, sans se douter une seule seconde de ce qu'il s'apprêtait à y découvrir.

Près du canapé, au fond de l'entrepôt, se tenait un petit groupe composé de trois hommes et d'une silhouette gracile à la crinière dorée. L'un d'eux était à genoux sur le sol, les poings liés dans son dos, et encaissait tant bien que mal les coups que les deux autres lui infligeaient. Zara, quant à elle, orbitait nerveusement autour de la scène, tentant de stopper les bourreaux de temps à autre en tirant vainement leur épaule en arrière.

Lorsqu'elle s'aperçut de la présence de Shane, elle se précipita à sa rencontre, s'empara du bras du garçon et le tira de toutes ses forces vers le trio en chuchotant :

— Tu tombes à pique. Il faut que tu fasses quelque chose, moi, ils ne m'écoutent plus. Vite !

Sans chercher à comprendre, il se laissa guider jusqu'à ses complices. Quand son regard se posa sur le visage tuméfié de la pauvre victime, Shane lutta pour ne pas se laisser engloutir par ses propres souvenirs. Malheureusement, les traits de l'enfant qui s'était éteint sous ses poings refirent surface en lui, en même temps qu'une violente nausée lui souleva l'estomac. Faisant un effort colossal pour ne pas perdre le contrôle de lui-même, il ordonna alors, d'une voix claire :

— Arrêtez ça. Tout de suite.

Joignant le geste à la parole, il s'interposa entre les bourreaux et leur victime, prêt à encaisser les coups à sa place. Stupéfaits, les deux hommes hésitèrent un instant, puis abaissèrent leur poing.

— Je peux savoir pourquoi vous avez décidé de refaire le portrait à ce pauvre type ?

L'un des deux sbires, qui se prénommait Aldo, désigna l'homme au sol d'un signe de la tête en expliquant :

— Le patron nous a demandé de lui remettre la main dessus. Apparemment, quand il était en taule, il a bossé pour lui. Mais visiblement, ses comptes ne sont pas bons. Il manque du fric, alors on essaie de lui faire cracher le morceau.

— Et bien sûr, vous n'avez pas trouvé de meilleur moyen pour le faire parler ?

— Ben...

Shane poussa un soupir bruyant. Lui qui se languissait de retrouver les bras de Zara et d'être enfin seul avec elle se retrouvait maintenant confronté à une nouvelle mission des plus ingrates. Sans plus de cérémonie, il se retourna vers la victime, s'accroupit face à elle et empoigna son menton d'une main.

— Écoute, l'affreux. Comme je ne suis pas d'humeur à traîner dehors ce soir, ça va être assez simple. Soit tu continues à mentir et à refuser de dire ce que tu as fait du fric de mon patron, et dans ce cas-là, mes copains se feront un plaisir de continuer à t'arranger la tronche jusqu'à que tu n'aies plus une seule dent. Soit tu te décides à me dire la vérité et je te promets qu'on te laissera partir tranquille.

— ... Shane ?

Lorsque la victime prononça son prénom, le garçon eut un vif mouvement de recul. Passé le choc, il s'empara du col de la chemise de l'homme en face de lui et grinça, furieux :

— Comment tu sais comment je m'appelle ? Réponds !

Le concerné releva alors lentement la tête vers lui et plongea son regard dans le sien. Soudain, un éclair traversa l'esprit du garçon ; sous les tuméfactions et les bleus, ce visage lui apparut tout à coup comme familier. Sans vraiment s'en rendre compte, Shane relâcha son emprise. Son cœur rata un battement avant de repartir de plus belle et son souffle s'emballa dans sa poitrine lorsqu'il reconnut sans le moindre doute le regard qui habitait ces prunelles sombres. Seule Zara s'aperçut du malaise de son compagnon, mais soumise à l'omerta de leur amour, elle se contenta de faire un infime pas vers lui, en silence.

— Shane ? C'est bien toi ?

Entendre une nouvelle fois son prénom dans cette bouche lui fit l'effet d'une bombe. Abasourdi, le bras droit murmura, le regard plongé dans celui de la victime :

— Georges. Georges Kenway... C'est toi, c'est ça ?

Soulagé d'avoir été reconnu, il acquiesça d'un bref signe de la tête en affichant un sourire qui ne fit qu'amplifier la nausée sordide du jeune homme.

— Je suis content de te voir, mon garçon ! Si tu savais comme...

Incapable de faire face à la fureur qui infiltrait ses veines, Shane le secoua par le col de sa chemise et pesta de plus belle :

— Pourquoi tu dois du fric au Rouge-Gorge ?!

Son ton acerbe et son geste violent réveillèrent brusquement une peur primaire chez Georges. Après une brève seconde de silence, il balbutia, d'une voix à peine audible :

— Quand j'étais en prison, j'ai connu deux ou trois de ses hommes de main. On s'est bien entendu alors quand je suis sorti, ils m'ont proposé de continuer à bosser un peu pour lui, le temps de remettre mon entreprise à flot. Je n'ai plus l'argent qu'il me demande, je l'ai investi dans ma boîte, mais je te promets que je vais tout faire pour le rembourser. Je te le jure.

Les mots que l'homme prononçait n'avaient aucun sens pour Shane. Seules deux informations revenaient sans cesse à sa mémoire : il était Georges Kenway. Il était l'homme qui avait tué sa mère.

— Je voulais te dire que je suis désolé. Je m'en veux tellement, si tu savais. Pour ta mère...

À l'évocation d'Angélique, Shane se releva d'un bond et agrippa une main dans ses cheveux. Zara se retint de faire un autre pas, décelant sans mal la douleur qui émanait de son compagnon et qu'elle ressentait au plus profond d'elle-même. Inquiets par la réaction du bras droit, ses complices échangèrent quelques regards, puis s'enquérirent :

— Hey, Shane ? Ça va ?

Les images se bousculaient dans la tête du jeune homme au rythme infernal que dictaient les pulsations de son cœur. Un acouphène s'était déclenché dans son oreille, l'empêchant de percevoir distinctement les appels de ses sbires. Son souffle s'accéléra et il tituba en arrière au bord de l'explosion quand Georges continua, à mi-voix :

— J'aurais tellement voulu la sauver. Si j'avais été là, elle ne serait pas...

Soudain, le rugissement de Shane résonna entre les parois de tôles.

— Tu mens ! Tu mens !! C'était toi, j'ai tout vu ! J'étais là ! Dans cette putain d'armoire, j'étais là ! C'est toi qui l'as tuée... C'est toi ! Tu as gâché ma vie, espèce de fils de... !

Emporté par sa rage, Shane se rua sur Georges, poings brandis, quand Aldo parvint non sans mal à s'interposer et à le retenir.

— Lâche-moi ! Te mêle pas de ça !

— Shane, arrête !

Pour la première fois depuis bien longtemps, même la voix de Zara n'était pas assez puissante pour apaiser sa douleur. Hors de lui, Shane se débattit un peu plus pour échapper à l'emprise de son complice. Trop de fois par le passé il avait été confronté à cet homme sans pouvoir l'affronter. Trop de fois, son corps d'enfant n'avait pu défendre sa mère de ses coups. Mais ce soir, sa force physique, décuplée par sa rage, surpassait de loin celle de Georges et la restriction que lui imposait Aldo ne faisait qu'accentuer sa fureur dévastatrice.

— Lâche-moi, je t'ai dit !

Aldo s'exécuta, bon gré mal gré. Mais au moment où Shane s'apprêta à fondre sur Georges, ses yeux accrochèrent ceux de Zara. Face à la supplication muette qui voilait ses iris bleutés, il chancela sur le côté, une main plaquée contre son front, en proie à de puissantes sueurs froides. Le monstre que la haine voulait faire naître à nouveau en lui se heurta de plein fouet à l'amour de la jeune fille. Alors, emporté dans un maelstrom d'émotions contraires, le garçon se laissa immerger par les souvenirs de son passé. La chaleur étouffante de cet après-midi-là, l'obscurité de l'armoire dans laquelle il avait trouvé refuge. Et puis les cris, les claquements incessants de la ceinture sur la peau d'Angélique et le craquement assourdissant de ses os contre le meuble de la cuisine... Son estomac se souleva. Les yeux brûlants de larmes de rage, Shane se plia en deux et se retint de justesse de souiller le sol poussiéreux du hangar.

Accablée par l'inquiétude, Zara se précipita vers lui et le redressa, posant au passage une main contre son cœur. Ce geste, empreint d'une grande tendresse, resta invisible aux yeux des deux autres hommes et apaisa brièvement le garçon au manteau noir. Derrière lui, Aldo s'impatienta et s'enquit, d'une voix calme :

— Alors, Shane ? Il a dit qu'il bosserait pour rembourser le patron. Qu'est-ce qu'on fait ? On le libère ?

Après quelques longues secondes de silence, le bras droit se redressa, délaissant ainsi la main réconfortante de Zara. Bouillonnant toujours d'une rage folle, il se retourna lentement et jeta un regard noir de haine à l'assassin de sa mère avant de déclarer, sur un ton glaçant :

— Non. Emmenez-le au Nest. Tout de suite.

À ces mots, les hommes de main échangèrent des regards inquiets avec Zara, puis Aldo rétorqua :

— Attends, tu es sûr de toi ? Si on l'emmène là-bas, je suis pas sûr qu'il soit encore vivant demain matin.

— Quoi ? Où est-ce que vous voulez m'emmener ? Shane ! Tu avais promis de me libérer si je te disais la vérité !

Ce vague sermon à son encontre ne fit que pousser le garçon dans ses retranchements. Il aboya :

— Toi, tu la fermes ! Et vous, obéissez ! Je m'en fous de ce qu'il peut lui arriver. Emmenez-le là-bas.

Au même instant, Zara décida d'intervenir. Elle fit un pas vers son compagnon et déclara, sur un ton calme :

— Shane... Je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée.

Furieux de se voir abandonné par tous ses soutiens, le jeune homme se braqua et fulmina de plus belle :

— Je ne le laisserai pas repartir comme si de rien n'était ! Cette ordure doit payer ses dettes. Pour toutes ses dettes. Quand le Rouge-Gorge saura que son fric n'existe plus, il sera plus que ravi d'avoir le responsable sous la main pour régler le problème. Alors, emmenez-le au Nest ! Et tout de suite, bordel !

Le dernier rugissement de Shane agit comme un électrochoc sur les deux hommes de main. Aussitôt, ils s'emparèrent de Georges et le forcèrent à se remettre debout. Celui-ci fixa son regard désespéré sur Shane et, dans un ultime élan d'espoir, commença à le supplier :

— Shane, je t'en conjure, laisse-moi partir ! Par pitié !

— Est-ce que tu as eu pitié d'elle quand elle te suppliait d'arrêter de la battre ? Non. Jamais. Je te souhaite un bon séjour en enfer, Georges.

Sur ces derniers mots, le garçon tourna les talons et s'éloigna à grandes enjambées, sans jamais plus se retourner. Dans son dos, Georges l'appela longuement, le priant de le pardonner et de le gracier. Mais le jeune homme resta sourd à ses appels. Anéanti par cette rencontre et par les souvenirs qu'elle avait éveillés, Shane se précipita à l'extérieur du hangar, et s'enfuit à toutes jambes vers les berges du port.

Ses poumons, endoloris par le froid, sifflaient en expulsant d'épais nuages blancs. Les larmes acides qui déferlaient sur ses joues brûlaient son visage, déjà fouetté par l'air glacial de la nuit. À bout de nerfs, le garçon s'arrêta à quelques mètres du bord de l'eau et s'assit lourdement sur le sol gelé. La tête plongée entre ses mains, il se laissa aller à un puissant sanglot de douleur, étouffant ses gémissements dans une des manches de son manteau noir. Le temps sembla se suspendre tout autour de lui, si bien qu'il ne réalisa même pas que Zara l'avait rejoint, et posé ses genoux à terre, tout près de lui. Délicatement, elle replaça alors ses longues boucles brunes derrière ses épaules pour dévoiler son visage rougi par les larmes. La détresse de son compagnon la laissa pantoise. Incapable de trouver les mots pour le réconforter, elle se contenta donc d'étreindre le bras de Shane et d'une voix à peine audible, déclara :

— Raconte-moi ce qu'il s'est passé.

Toujours secoué par un terrible sanglot de tristesse, le garçon secoua la tête, en signe de négation. Zara resserra son étreinte, accablée par cette peine comme si c'était la sienne.

— Je t'en prie... Dis-moi ce qui te fait mal, comme ça.

Shane laissa passer quelques longues secondes avant de pouvoir enfin articuler, la tête toujours enfouie dans ses bras :

— Ma mère est morte sous les coups de son compagnon. C'était lui. C'est lui qui l'a tuée. Tout le monde a toujours dit que c'était un accident, les médias, les juges, les avocats... Tout le monde. Mais c'est pas vrai. J'étais là, j'ai tout vu. J'avais dix ans, je m'étais caché dans l'armoire... et j'ai tout vu.

Zara pinça les lèvres et posa sa tête contre la sienne, dans un geste de réconfort.

— Ça va aller.

— Non, ça ne va pas aller. Ça ne va pas du tout, tu comprends ? C'est un monstre qui a été remis en liberté. Et moi, je suis comme lui. Je suis un monstre, moi aussi et je ne devrais pas vivre non plus.

— Mais qu'est-ce que tu racontes ?

— Tu sais très bien de quoi je parle.

Zara resta interdite un court instant, faisant rapidement le lien entre les agissements de cet homme et les regrets qui rongeait son amant depuis la nuit de son intégration. Elle redressa la tête et expliqua alors, d'une voix calme :

— Tu n'es pas un monstre parce que, la différence entre vous deux, c'est que toi, si Ethan t'avait supplié d'arrêter, tu l'aurais fait. Tu paies déjà ce que tu as fait pour survivre tous les jours de ta vie. Ne t'accable pas plus que tu ne l'es et laisse Robin s'occuper du reste.

Shane s'enfonça un peu plus dans une profonde léthargie. À bout de force, il se laissa rouler en arrière, jusqu'à s'étendre sur le dos. Le froid du bitume gelé s'immisça à travers la laine de son manteau et le tissu de son jean, apaisant peu à peu le feu qui dévorait encore son âme. Du bout de ses doigts, Zara caressa sa joue en murmurant :

— Et puis moi, je sais qui tu es au fond. Et tu n'es pas comme eux, Shane. Tu n'es pas une brute ou un meurtrier. Tu es juste un garçon, à qui il est arrivé beaucoup de malheurs et qui tente malgré tout de survivre... Ça ne fait pas de toi un monstre. Loin de là.

Attentif aux paroles de sa belle, Shane se laissa happer par l'immensité de l'espace, au-dessus de sa tête. Les étoiles qui brillaient à travers les nuages s'éteignaient, à mesure que le ciel pâlissait. Le garçon prit alors une profonde inspiration, laissant ses souvenirs s'endormir à nouveau sous la lumière d'un jour nouveau. Zara s'allongea à son tour sur le sol et se blottit contre son épaule. À ce geste, il répondit par une longue étreinte, puis déclara, d'une voix éraillée par ses larmes :

— Elle me manque... Si tu savais comme elle me manque.

Z ne répondit pas, se contentant de resserrer ses bras autour de lui. Comme si, par ce geste, elle voulait s'imprégner de toutes les affres dont souffrait son amant, afin de l'en libérer à jamais.

Le couple resta quelques longues minutes dans cette position, à observer le ciel de l'aube recouvrer cet éclat rosé qui n'appartient qu'à lui. Une à une, les étoiles disparurent, à mesure que Shane se délestait de ses regrets passés. Bientôt, le soleil fit son apparition, terminant d'annihiler les dernières ombres qui parcouraient encore son univers et Zara déclara alors, grelottante de froid :

— Allez, viens. On ne va pas rester là toute la journée. On rentre.

En prononçant ces paroles, la jeune fille se redressa et épousseta ses vêtements. Le regard braqué sur elle, Shane murmura alors, d'une voix douce :

— Merci, Zara. Je ne mérite vraiment pas une fille comme toi.

À ces mots, cette dernière se braqua et frappa le bras de Shane de son pied en fronçant les sourcils.

— Ça va pas, non ? Tu es la meilleure chose qui me soit arrivée depuis... je ne sais plus depuis quand. Et puis, qu'est ce que tu crois ? Que Robin me mérite plus que toi, peut-être ?

Shane se releva à son tour et secoua la tête, horrifié par cette idée. Il frotta lentement les pans humides de son manteau avant d'éponger rapidement ses yeux d'un revers de sa manche. Zara profita alors de ce moment d'accalmie pour se glisser entre ses bras et déclarer :

— C'est à moi de décider qui me mérite où non. Je suis à toi. Et d'ailleurs, si une autre fille essaie encore de te faire des avances, comme cette gourde de Liza avant-hier, je te promets que je me servirai de sa tignasse de fausse rousse pour dépoussiérer tout le hangar.

Shane laissa échapper un petit rire, tout en apposant ses mains de part et d'autre du visage de Zara. Il planta ensuite un long baiser sur ses lèvres roses et rétorqua alors, dans un souffle :

— Personne ne t'arrivera jamais à la cheville, Zara. Jamais. Je t'aime.

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