Chapitre 6 : Et toi tu t'appelleras...

       Le parfum du lait qui embauma délicieusement sa truffe lui rappela ses agréables souvenirs passés dans cette pouponnière. Être encore habitée par la naïveté, croire innocemment que le monde est beau et juste... Que les chats peuvent tout vaincre.

       Ils étaient bien loin à présent. Et pourtant elle n'était partie que depuis une demi-lune... La réalité l'avait vite avalé de ses dents cruelles, son estomac sans pitié.

       « Bonsoir Patte d'Agneau, l'accueillit Lac d'Oseille avec douceur, Petite Prêle aussi semble malade... »

       Elle hocha la tête, ne pouvant pas dire grand-chose avec son paquet de feuille. Malgré les soins urgents pour la chatonne noire, Jolie Brize voulait faire passer ses enfants prioritaires. Elle examina donc les deux souffrants après avoir posé son fardeau.

       Aux souvenirs de l'apprentie, les petits avaient deux lunes, et quelques jours de moins pour la portée de Lac d'Oseille. Elle les avait côtoyés durant la fin de son enfance, mais à cause de leur écart d'âge elle n'avait jamais joué avec eux, d'autant que leur mère ne voulait certainement pas que ses chéris se fassent bousculer par des rebelles turbulents...

       Leur nez coulait, Petit Cirse éternua et Petit Lièvre le suivit en toussant. Ils semblaient exténués alors que leur sœur Petite Plaine débordait d'énergie.

       « Oh, c'est quoi ces feuilles ? J'peux jouer avec Patte d'Agneau ?

       -Chut, la rabroua gentiment sa mère, c'est l'heure de dormir, laisse-la soigner tes frères.

       -Mais j'suis pas fatiguée ! »

       Pour appuyer ses propos elle bondit hors de son matelas et se rua dans le camp obscur. Sa reine sortit donc de la tanière pour la rattraper, la rappelant à voix basse pour ne pas réveiller tout le clan. Lac d'Oseille ronronna d'amusement.

       « Profite du calme avant qu'elles ne reviennent ! »

       La novice lui répondit par un faible sourire, la scène était comique, mais son devoir était sérieux. Elle se pencha donc sur le duo crème.

       Aussitôt Petit Cirse lui éternua sur le museau.

       « Dé... Désolé, bafouilla-t-il avec difficulté.

       -Ne t'inquiète pas, ce n'est pas grave. »

       Elle ronronna pour le rassurer et continua son diagnostic. Petit Lièvre tremblotait de froid, alors qu'il était lové contre son frère. Tous les symptômes étaient presque réunis, il ne manquait plus que la fièvre. Mais elle avait oublié de demander à Refrain de Ressac comment faire pour prendre la température d'un félin... Elle se tourna donc honteuse vers la femelle au dos noir.

       « Je ne sais pas comment faire pour savoir si un chat a de la température...

       -Utilise tes coussinets et compare avec l'un de mes petits. »

       Elle la remercia en agitant ses moustaches, reconnaissante qu'elle ne la juge pas. Elle posa tour à tour sa patte sur le crâne de ses patients. Ils étaient chauds et ravivèrent la brûlure de sa corne. Elle grimaça sous la douleur et se fit violence pour y faire abstraction.

       Une fois la sensation imprimée dans son esprit elle fit de même avec l'un des chatons sains de Lac d'Oseille, en faisant attention de changer de patte pour éviter une contamination. La tiédeur la picota, mais l'être qui bailla à son contact était nettement plus froid.

       « Alors ? questionna la reine.

       -La température de Petit Cirse et Petit Lièvre est nettement plus haute...

       -C'est aussi le cas de Petite Prêle. »

       Elle observa la fourrure sombre. Sa truffe coulait et elle toussait régulièrement. Ses tremblements secouaient également sa fratrie. Aucun doute, elle était aussi malade.

       « C'est le mal blanc, tu penses ? demanda la chatte noire et blanche avec inquiétude.

       -Je.. Je pense, Petit Cirse n'allait pas aussi mal quand il avait le rhume... »

       Un frisson d'angoisse parcouru l'échine de son aînée. La novice préféra se retourner et mâchonner sa menthe aquatique pour que ses patients puissent l'avaler plus facilement, c'était un acte qu'elle connaissait de Flèche de Courant d'Air. Comme l'avait précisé son professeur du Sel, il valait mieux garder le miel.

       Elle présenta ensuite la pulpe prémâchée aux deux frères.

       « Mangez ça, c'est pour vous guérir. »

       Malgré sa voix douce et rassurante Petit Cirse fronça le museau et Petit Lièvre ronchonna. Visiblement ils n'étaient pas d'avis d'être coopératifs...

       Elle se retint de soupirer de lassitude, ça c'était le rôle de Jolie Brize, elle était la mieux placer pour motiver ses chatons... Au même moment une dispute mère-fille éclata le calme du camp.

       « Oh c'est pas vrai... Je plains le futur mentor de Petite Plaine ! Elle ne sera pas facile à discipliner. »

       La reine semblait pourtant plus gênée que contrariée du tapage nocturne de la chatonne crème.

      Quelques secondes plus tard la silhouette tachetée d'Étoile de Crécerelle apparut dans la tanière douillette.

       « Patte d'Agneau ! Alors qu'est-ce que tu déduis avec ce premier cours ?

       -Le... Le mal blanc. Je crois... »



       Par la suite Étoile de Crécerelle avait convoqué une assemblée, Petite Plaine ayant de toute façon réveillé tout le monde. Elle avait tellement de décibels que certains avaient cru à une attaque ennemie... La chef avait mis au courant pour les cas de mal blanc en précisant que les chatons seraient transférés en isolement dans l'antre du guérisseur, sous le rocher plat.

       Au moins Patte d'Agneau allait avoir un peu de compagnie. Jolie Brize s'était portée volontaire pour dormir avec les trois malades qui avaient finalement réussi à prendre leur médicament. Mais malgré sa fatigue, la novice n'avait pas sommeil.

       Le mal blanc ! Comment allait-elle faire ?

       Lueur de Tornade souffla sur ses tourments en l'abordant peu après que le calme eut repris ses droits.

       « Bonsoir, je peux ravoir un peu de graines ? Celles que tu m'avais donné l'autre jour...

       -Heu... Oui, bien sûr. »

       Elle s'éclipsa dans son bosquet de ronce, hésita un moment, se décida, et ramena le remède demandé.

       « Je... Je crois que c'est celle-ci... Mais tu es sûre que tu le peux, ce n'est pas trop risqué ?

       -Mais oui ! »

       L'ancienne se dépêcha de gober l'anis avant que l'inexpérimentée ne les lui retire.

       « Merci, je te laisse dormir maintenant !

       -Je ne sais pas si j'y arriverais...

       -Tu veux de l'aide ? Je peux te raconter une histoire, il n'y a que ça qui a marché pour Flanc de Cheval, la veille de son baptême d'apprenti. Je t'ai déjà fait écouter le magnifique étalon ?

       -Oui merci, et non je ne crois pas.

       -Très bien ! »

       La vielle chatte semblait toute enthousiaste. Elle se coucha confortablement et l'invita à en faire de même. La conteuse lui transmit donc son récit avec une voix passionnée :

       « C'était l'époque où j'étais encore une valeureuse guerrière. J'étais pleine, presque à terme et je sortais pour la dernière fois loin du camp, à côté des prés aux chevaux. Là, seul dans son enclos il y avait un fougueux étalon. Sa robe était d'un blanc immaculé avec quelques taches rousses, sur la tête, la croupe, au découpage parfait ! Il en avait un port fier, à galoper sur son territoire. Il était puissant, hypnotisant, ses longs crins fouettaient même le vent. Le temps me semblait suspendu, il était si beau, si rapide ! A un moment il se dirigea vers moi, j'étais tapie sous la barrière. »

       Patte d'Agneau ne put s'empêcher de frissonner, repensant à sa propre aventure avec ces grands équidés, plus tôt dans la journée.

       « Là il accéléra, ses sabots frappaient le sol, trois sons sourds répétés, réguliers comme une chanson endiablée. J'ai bien cru qu'il allait fracasser le bois et recevoir un choc-surprise, mais il sauta, non, vola ! Il décolla de l'herbe, plana juste au-dessus de moi, et atterrit dans mon dos. Il était tellement gracieux ! Je me suis retournée mais il s'éloignait déjà vers l'horizon, comme une apparition vite évaporée... Quand mon fils unique est né, ses poils avait exactement les mêmes couleurs que celui de l'étalon, comme s'il lui avait transmis sa force et son panache. Je l'ai donc nommé Petit Cheval qui est devenu l'émérite guerrier que tu connais aujourd'hui. »

       L'ancienne acheva son anecdote en lui souriant.

       « Chaque reine donne une symbolique au nom de leur chaton ? la questionna-t-elle avec la curiosité insatiable d'un jeune chat.

       -Dès qu'elle en trouve une oui, en tout cas ils ont toujours un sens et perpétue la tradition de son Clan et de nos ancêtres.

       -Je vois... Et tu connais la symbolique de mon nom ?

       -Désolé, il faut que tu demandes à ta mère. Moi c'est parce qu'à ma naissance j'avais déjà l'énergie d'une tornade ! »

       Elles ronronnèrent d'amusement puis son aînée la laissa. Patte d'Agneau trouva vite le repos anesthésiant, encore bercée par l'écho de la voix apaisante de Lueur de Tornade.



       Le lendemain elle ne se leva pas très tôt, sa fatigue ayant finalement eut raison de sa nuit. Dès son réveil elle avait administré ses dernières feuilles de menthe aux chatons malades. Elle songeait maintenant à partir en cueillette. Le soleil était encore bas dans le ciel, elle avait du temps avant de partir à son cours, d'autant qu'elle ne pouvait pas compter sur les stocks de son mentor indéfiniment.

       Elle n'osait cependant pas aller demander une escorte, quelques détonations s'étaient fait entendre, non pas par timidité ou autre... Mais par peur de sortir du camp. En effet, ses muscles se crispaient à chaque hurlement effrayant, et lui faisaient revivre le souvenir de la mort de Flèche de Courant d'Air.

       Cependant la récolte n'était pas pour elle, mais pour son clan, pour Petit Cirse, Petit Lièvre et Petite Prêle. Elle jeta un coup d'œil à ses patients. Ils étaient blottis contre Jolie Brize, tremblotants. Ils éternuaient et toussaient, alors que leurs frères et sœurs jouaient dehors, au milieu du camp. La reine les léchait tendrement.

       Son cœur se serra, elle devait trouver de la grande camomille, ou bien du mouron des oiseaux... La rivière était bien trop loin pour la menthe aquatique.

       Alors elle sortit de son antre épineux, passa sous le rocher plat et chercha Rafale de Chevreuil. Le vent lui souffla à la figure, il était frais. Bien loin de la douce chaleur qu'il apportait à la saison du blé...

       Elle finit par trouver son lieutenant dans un coin avec Saut de Lapin et Pépin de Pomme, près d'un carré d'ortie et la fourrure au soleil quand ce dernier n'était pas masqué par un nuage vagabond.

       Elle déglutit mais plus elle prenait son temps pour retarder l'instant, et moins elle aurait de chance de trouver ses remèdes. Alors elle trottina vers les vétérans, essayant de paraître détendue pour faire bonne figure face à eux. Néanmoins sa queue restait raide de nervosité, seul son bout tressautait. Ils tournèrent la tête dans sa direction lorsqu'elle arriva à leur hauteur.

       « Oui ? fit Rafale de Chevreuil.

       -Je... J'aurais besoin d'une escorte pour aller cueillir des herbes, je n'ai plus de menthe aquatique. »

       Son aîné réfléchit, il semblait contrarié de cette nouvelle.

       « Je peux l'accompagner si tu veux, proposa la femelle au pelage lisse.

       -C'est d'accord, déclara-t-il après un bref silence.

       -Bien, on y va maintenant ? »

       Pépin de Pomme s'adressait à elle. L'apprentie hocha la tête et se dirigea vers la brèche, les oreilles déjà pivotantes, prudentes et attentives. La guerrière aguerrie la suivit plus posément, habituée à guetter les pattes-tueuses.

       Mais alors qu'elles s'apprêtèrent à sortir, à deux pas des fortifications d'ajonc, Patte de Vent surgit et failli lui rentrer dedans. Il fut aussitôt imité par Flanc de Cheval.

       Les deux matous se tenaient sur trois pattes, et le frère de la novice, aux yeux habituellement très calmes, était habité par la terreur. Pourtant leur membre meurtri ne présentait pas de plaie.

       « Que vous est-il arrivé ? demanda la reine stupéfaite,

       -On s'est fait courser par des chiens-tueurs, Patte de Vent s'est blessé à la patte, donc on est monté dans un arbre, et dans la précipitation je crois bien que je me suis déboîté la mienne. »

       Le fils de Lueur de Tornade grimaçait de douleur, mais il la combattait avec dignité pour donner un rapport clair.

       « Vous avez eu de la chance, tu ne les avais pas repérés ? c'était Rafale de Chevreuil qui s'était rapproché, et qui employait son habituelle voix parfaite et professionnelle.

       -Non, ils nous ont pris par surprise.

       -Patte d'Agneau, leur blessure est grave ? »

       L'intéressée se raidit, c'était la première fois qu'elle avait affaire à ce genre de traumatisme. Son premier professeur lui avait un jour brièvement parlé des entorses, pattes cassées ou déboîtées... Mais elle était incapable de les reconnaître, et encore moins de les soigner correctement ! Tout ce qu'elle savait c'était que plus elle prendrait de temps à les prendre en charge, et plus leur guérison serait longue et difficile.

       Une chose était sûre, elle devait aller demander de l'aide à Refrain de Ressac ! C'était urgent.

       Paniquée elle bondit inconsciemment dans la brèche, sans laisser le temps à ses camarades de dire un mot.


*****

Le mal blanc est officiellement dans le camp, et pour ne rien arranger de nouveaux blessés s'y rajoutent !

Sinon je me suis bien marrée avec Petite Plaine x)

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