Chapitre 19 : Y faire face
« Qu'est-ce que ça veut dire ? » répéta Patte d'Ormeau avec colère.
Patte d'Agneau se ratatina sur place, si elle voulait connaître le fin mot de l'histoire, elle ne tenait pas à détruire une famille et regretta aussitôt ses paroles. Le regard paniqué de Moustache de Méduse la tailladait tels des milliers de dards de guêpe en plein cœur. Remplie de culpabilité elle baissa la tête.
« Qu'est-ce qu'elle sait ? » continua le brun roux.
L'atmosphère déjà bien tendu s'intensifia encore plus. Après quelques instants, Patte de Frégate, gênée, décida de briser la symphonie de la houle :
« Je vais demander à Tourment d'Éponge si elle a faim... »
Et elle s'éclipsa en rasant le mur.
« Alors ? » tonna le jeune mâle.
La reine immaculée ne réagit toujours pas, immobile et les prunelles dorés rivées d'angoisse. Finalement, après plusieurs minutes elle contrôla ses émotions et soupira, les vibrisses lasses.
« Il est grand temps que je vous raconte cette histoire...
-Pas avec tête de mouton quand même ! s'écria Patte de Galathée.
-Elle en sait déjà trop de toute façon. »
Sentant sa mère fragile, Patte de Marée se frotta contre elle en ronronnant. Moustache de Méduse la remercia d'un coup de langue sur l'oreille et se coucha sur le sol, les pattes repliées sous son ventre. Patte de Galathée vint se poster à côté de son frère en décochant un coup d'œil peu sympathique à l'intruse qui se mit à l'écart, mal à l'aise, mais qui ne manqua aucune miette du récit.
« Il y a bien, au moins douze lunes, je me suis attachée à un guerrier du Clan des Champs. Nous nous sommes rencontrés à la frontière grâce à un corbeau qui se disputait une palourde avec un goéland, le bruit nous avait attiré tous les deux... Je suis aussitôt tombée sous son charme, c'était un véritable coup de foudre ! Pendant plusieurs lunes, presque tous les jours, nous nous rencontrons en cachette. Tous nos moments sont gravés à jamais dans ma mémoire... Un jour je me suis aperçue que j'étais pleine. J'étais si contente ! Mais il a décidé de stopper notre relation avant même que je n'ai eu le temps de lui annoncer la bonne nouvelle... sa voix se serra, il en avait assez de trahir son Clan et s'était déjà mis en couple avec une autre femelle. Et ils attendaient aussi des petits. »
Elle fit une courte pose alors qu'un voile de tristesse passa devant son visage.
« Je me suis sentie trahie, abusée, abandonnée... Et je suis tombée dans une colère noire que j'ai nourri d'une haine profonde. Je vous détestais... J'ai essayé d'avorter mais Refrain de Ressac a refusé. J'ai donc mis au monde cinq chatons, à ces mots la fratrie bouche bée ouvrit grand les yeux, que j'ai haïs. J'ai donc laissé Dent d'Astérie vous nommer. Lors de l'orage qui inonda notre Clan, j'ai essayé de m'enfuir sans vous, je voulais vous tuer... Dent d'Astérie et Plume de Fou sont intervenus pour vous épargner la noyade... Mais trop tard. Petite Mye et Petit Grain de Sable n'ont pas survécu. »
Sa voix s'était cassée et les mâchoires serrées elle reprit son souvenir avec le soutien de Patte de Marée.
« J'ai vu Plume de Fou les pleurer, et j'ai compris. J'ai compris que j'avais fait une grosse erreur, que vous n'avez rien fait, que vous étiez des victimes innocentes. J'ai réalisé que je vous aimais, après vous avoir renié, je vous ai aimé, de tout mon cœur. J'ai longtemps pleuré et culpabilisé pour la mort de votre frère et de votre sœur. Plume de Fou m'a proposé d'être votre père de Clan, et je ne l'en remercierais jamais assez... Sachez que peu importe vos origines vous faites partis du Clan du Sel, votre place ici est tout aussi légitime que celle de n'importe quel chat. »
Son histoire achevée, le silence plana à nouveau quelques instants, le temps que les quatre apprentis digèrent la nouvelle. La jeune champêtre sentait ses camarades effondrés, anéantis. Il lui restait encore cependant une information à connaitre, et c'est Patte de Galathée qui la demanda :
« Et... Quel est le nom de notre père de sang ? »
Sa mère ferma les yeux avec amertume puis révéla enfin :
« Saut de Lapin. »
Patte d'Agneau ressentit alors la même impression que la fratrie, la sensation que le monde se dérobait sous ses pattes, que tout ce qu'elle avait connu partait en poussière... Passé le choc son cerveau renia aussitôt l'affirmation :
« C'est impossible ! »
Moustache de Méduse la fixa calmement, clôt ses paupières un instant puis lui certifia doucement :
« Je t'assure, c'est peut-être dur à encaisser, mais c'est la vérité.
-Non c'est impossible... Saut de Lapin est mon père ! »
La surprise et la sidération se lit sur le visage des quatre félins, aucun ne s'attendaient à cela... C'est Patte de Marée qui réagit la première, elle se leva et, optimiste, déclara joyeusement :
« Ça veut dire que nous sommes demi-sœurs, c'est génial ! »
Elles étaient sœurs... Elles partageaient le même sang, Patte d'Ormeau et Patte de Galathée aussi...
Cette dernière gronda puis s'enfuit en lançant :
« C'est impossible ! Je refuse d'être la sœur de tête de mouton, je ne suis pas une bouse de vache ! »
Sa mère soupira puis la suivit la queue basse. Patte de Marée jeta un coup d'œil aux deux apprentis guérisseurs, ronronna un coup, puis sortit de l'antre au moment où Refrain de Ressac revenait de son entrevu.
« Bon alors ! Cette chélidoine... »
Patte d'Ormeau resta muet durant toute la fin de séance.
Un éclair déchira le ciel nocturne et le tonnerre gronda. Une pluie torrentielle fracassa le rocher plat alors que l'apprentie déchirée essayait de soigner son blessé. Elle avait du mal à se concentrer, les grondements, l'humidité la perturbaient... Et les dernières révélations ne cessaient de la hanter. Elle était la demi-sœur de Patte d'Ormeau... Il partageait le même père. Mais comment Saut de Lapin, un vétéran si appliqué dans son rôle de guerrier avait pu avoir une liaison interdite avec une chasseuse du Sel ?
« Je vais rester aveugle pas vrai ? »
Elle se pinça les babines en appliquant le suc de chélidoine donné par Refrain de Ressac. Ses yeux étaient si abîmés qu'ils ne laisseraient que deux orbites vides lacérées de cicatrices effrayantes.
« Je... Je pense... Désolé mais je ne peux rien faire...
-Je m'en doutais.
-On sait qui est responsable ! cracha une voix, la vie d'Étoile de Crécerelle, Serre de Choucas... Flèche de Courant d'Air l'aurait évité ! »
La novice ignora le commentaire de Feuille de Maïs, n'ayant pas la force de répliquer ou même de soutenir son regard. Et puis elle était d'accord avec lui. Elle finit donc de bander le visage meurtri et se mit en mouvement pour retrouver sa litière.
« Est-ce cet orage est le signe de ma mort ? »
Elle serra les mâchoires alors qu'un nouveau rugissement ébranla le firmament ténébreux, éclairant une fraction de seconde la tanière sous tension.
« Je ne sais pas... »
Et elle se réfugia sur sa couche, en sécurité entre les murs de ronce et bercée par le souffle furieux du vent.
« Patte d'Agneau ! Dépêche-toi de te lever ! C'est... C'est les chatons ! »
La plainte d'angoisse de Jolie Brize la tira de son sommeil agité. Alertée, elle ne prit même pas la peine de s'étirer ou de mettre un coup de langue sur sa fourrure ébouriffée, se dressant d'un bond.
« La tempête de cette nuit a empiré leur état... Vient vite ! »
Elle snoba les épines qui lui éraflèrent la peau quand elle plongea en vitesse dans l'ouverture de son cocon, puis elle suivit la reine jusqu'au matelas des trois boules de poils.
Petit Lièvre et Petite Prêle étaient si mal en point qu'elle n'avait pas besoin de réfléchir pour affirmer son prognostique, mais elle procéda quand même à un examen minutieux. Toux, éternuements à répétitions, truffe abondante... Grosse fatigue et fièvre alarmante, sans compter les tremblements effrayants.
« Alors ? » exigea la chatte paniquée.
L'apprentie prit une grande inspiration, redoutant la réaction des félins présents sous le rocher, puis donna son verdict :
« C'est... C'est, je crois... Le mal vert.
-Non ! »
Le hurlement déchirant de Jolie Brize réveilla tous ceux qui dormaient encore.
« C'est ta faute ! feula Feuille de Maïs.
-On va tous mourir ! gémit Pépin de Pomme.
-Soigne-les immédiatement ! » cria la mère en la bousculant.
Patte d'Agneau recula de quelques pas pour échapper à la fureur générale puis tenta de calmer le groupe d'une petite voix déboussolée :
« Je... Je les surveillerai toute la journée... Je te le promets, je n'irais pas à mon cours pour être avec eux...
-Ça tu en as intérêt ! » gronda Jolie Brize.
La novice se mit donc aussitôt au travail tandis que la reine alla en informer le reste du Clan.
*****
L'identité de l'amant mystérieux est enfin révélée ! Mais ce n'est pas le plus important puisque le mal vert débarque au même moment dans le Clan... Les vraies galères ne font que commencer !
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