Chapitre 15 : Ne pas craquer
Les chatons ne consommait que peu de menthe aquatique, donc il lui en restait encore assez pour quelques jours. Cependant, comme elle n'avait pas été assidue sur sa cueillette des plantes dont le réapprovisionnement était urgent, elle n'avait pas assez de baie de genêt et de consoude pour les cataplasmes de Feuille de Maïs et Pépin de Pomme. Et elle préférait ne pas songer au cas du jonc, totalement absent de son stock.
La bouche à moitié pleine, l'apprentie sortit de son antre et déposa son paquet devant Jolie Brize. Elle n'eut pas le temps de commencer à prémâcher la menthe que la reine l'interrompit d'un ton mauvais :
« Laisse, je suis capable de le faire ! Va plutôt t'occuper de Feuille de Maïs et Pépin de Pomme, eux aussi souffrent, si tu n'es pas capable de t'en apercevoir. »
La queue basse, Patte d'Agneau lui laissa les feuilles dentelées et aromatiques et se dirigea vers le jeune guerrier roux qui renifla à son approche, visiblement fortement sceptique. Elle examina rapidement sa fracture après avoir retiré les toiles d'araignée qu'elle avait posé pour stopper l'hémorragie.
L'os avait perforé la peau et la plaie qui avait longtemps saigné s'était tarie. Le tibia et le péroné s'étaient cassés net, se délogeant de leur axe naturel. Elle pouvait tenter de les remettre à leur place, mais l'écoulement abondant du liquide rouge reprendrait, et elle n'était pas sûre que le chasseur, encore faible, y survivrait...
Tandis qu'elle fixait le membre de son patient, l'esprit en pleine réflexion, Limbe de Mouron décida que c'était le bon moment pour se pointer, plombant l'ambiance déjà moisie de son énervement contagieux.
« Et maintenant ? Tu vas enfin pouvoir soulager mes articulations ? »
Elle n'eut pas le temps de répondre, Feuille de Maïs la devança, excédé :
« Attend ton tour vieux bouc, grogna-t-il, tu ne vois pas qu'elle est déjà occupée avec nous ?
-Ravale ta langue ou je ne partagerai jamais mes repas avec toi ! siffla le concerné, piqué au vif par l'insulte.
-Pourquoi j'irais partager mes repas avec toi d'abord ?
-Parce que les anciens partagent ! lâcha le gris comme une évidence.
-Je ne suis pas un ancien ! feula le jeune roux.
-Ah ! Parce que tu crois que Patte d'Agneau est capable de te soigner ? Tu as vu ta patte, elle est toute tordue ! se moqua le doyen, tu ne pourras plus jamais courir. »
Le poil hérissé Feuille de Maïs le fixa de son regard vert foudroyant. L'autre, qui se tenait debout, le surplombait de toute sa hauteur. Finalement le rouquin se tourna d'un geste brusque vers celle qui tentait de le guérir.
« C'est vrai ? » balança-t-il d'une voix pleine de colère.
Patte d'Agneau pour toute réponse, baissa la tête, honteuse et incapable de lui avouer la vérité, effectivement, elle doutait qu'il puisse un jour redevenir un guerrier... Même en faisant tout son possible, Refrain de Ressac lui avait bien indiqué que ce type de fracture ne se ressoudait jamais correctement. Le blessé resterait un infirme.
« Tu vois ? ricana Limbe de Mouron, nous pouvons rajouter une victime de plus à la liste de notre cher, soi-disant, apprentie guérisseuse ! »
La novice se perdit dans la contemplation de la terre sèche. Tous ses camarades la voyaient d'un œil mauvais, et à part continuer ses efforts qui restaient vains elle ne pouvait rien faire... Juste encaisser et se taire, n'ayant pas l'assurance nécessaire pour s'opposer aux critiques.
« J'en étais sûr », cracha Feuille de Maïs amer et plein de rancœur.
Tremblante, Patte d'Agneau commença à préparer le cataplasme de consoude. Elle comprenait le sentiment du rouquin, il n'était guerrier que depuis quelques lunes... Il avait toute la vie devant lui, et son rêve prenait fin brutalement. A présent il devait se considérer comme un poids mort, un stupide chat inutile.
« Au fait, Étoile de Crécerelle a choisi Serre de Choucas pour me remplacer dans le mentorat de Patte de Vent », l'informa Pépin de Pomme, restée silencieuse jusqu'à présent.
Elle hocha la tête en remerciement, passer d'un professeur à un autre semblait presque de famille.
« C'est sûr que c'est le choix parfait ! ironisa Feuille de Maïs.
-Serre de Choucas va s'ennuyer, je le plains, Patte de Vent est aussi bavard qu'une limace... Je n'ai jamais entendu sa voix ! renchérit Limbe de Mouron.
-Il est peut-être taciturne, mais il est doué », se décida à le défendre Pépin de Pomme.
L'apprentie guérisseuse s'hérissa, qu'on la critique, cela elle pouvait le supporter, mais il était hors de question que l'on dise du mal de son frère ! Elle finit sa mixture botanique en grinçant des dents et l'appliqua sur la blessure avec maladresse, donnant un coup involontaire au jeune guerrier.
« Eh ! Fais un peu attention ! hurla-t-il à moitié.
-Un guérisseur soigne ses patients ! feula l'ancien.
-Laissez tomber, une cervelle de mouche reste une cervelle de mouche ! lança Jolie Brize depuis sa litière.
-Tu devrais te taire, sinon tu vas réveiller tes précieux chatons, répliqua Limbe de Mouron.
-C'est toi qui vas les réveiller, vieux bouc ! cria-t-elle avec les griffes sorties, prête à attaquer.
-Que se passe-t-il ici ? » tonna une voix sèche et autoritaire.
Tous se tournèrent vers le nouveau venu. Rafale de Chevreuil, malgré sa fatigue et sa fourrure ébouriffée, toisait le petit groupe, instaurant aussitôt le silence. Seul Limbe de Mouron renifla avec insolence.
Patte d'Agneau lui fut reconnaissante, enfin les brimades cessaient quelques instants ! Après quelques secondes c'est Jolie Brize qui lui apporta la réponse de leur mécontentement :
« Patte d'Agneau est arrivée en retard, et elle est toujours aussi incompétente ! »
Leur lieutenant balaya l'air de sa queue, fronça les vibrisses et déclara :
« Elle est en retard à cause de deux chien-tueurs qui nous ont bloqué dans un arbre. Et j'aimerais bien vous voir à sa place, elle est la seule dans le Clan à pouvoir nous soigner ! Alors au lieu de la critiquer vous feriez mieux de la soutenir, le Clan des Champs est un Clan uni ! il fit une courte pose et continua, Limbe de Mouron va chercher Patte de Veau pour qu'il lui donne un coup de patte. »
Sur ces mots il tourna les coussinets et l'ancien le suivit en grommelant dans ses moustaches. L'apprentie, ayant fini de poser le cataplasme, retourna dans son antre pour chercher des toiles d'araignée propres.
« Je t'ai ramené un reste de lapin ! Désolé, ce n'est pas grand-chose, mais c'est tout ce qu'il y avait à la pile de gibier...
-C'est gentil, merci... Je meure de faim.
-Alors, qu'est-ce que je dois faire ? » ronronna son frère avec enthousiasme malgré ses yeux bouffis de sommeil.
Il venait de poser le morceau de viande à l'entrée de sa tanière, à l'instant où elle en sortait avec une petite boule de soie blanche. Elle réfléchit quelques instants. C'était un peu dangereux de lui confier le cataplasme de séneçon, compte tenu de la toxicité de la plante, alors elle lui montra du bout de la queue les dernières feuilles flétries de consoude gisant à côté de Feuille de Maïs.
« Tu peux commencer par mâcher ces feuilles. Il faut en faire un cataplasme, une sorte de pâte épaisse. »
Il agita les oreilles, lui indiquant son accord et se dirigea vers les limbes poilus. Elle le suivit et s'appliqua à fixer la bouillie botanique précédemment posée sur la patte de Feuille de Maïs. Ce dernier avait fini par se taire, le museau enfoui entre ses antérieurs.
Sa tâche finie elle lui présenta une graine de pavot qu'il goba en silence. Puis elle rejoignit Pépin de Pomme qui s'occupait à compter les gravillons sur le sol de la tanière.
« Et moi ? J'attends depuis plus longtemps ! » grommela Limbe de Mouron, revenu avec Patte de Veau.
L'apprentie guérisseuse préféra l'ignorer et examina le membre meurtri de la vétérane. L'hémorragie venait de la morsure du chien-tueur qui l'avait attaqué, il n'y avait donc pas de perforation de la peau par le squelette. Cependant la cassure était bien mal située, aux métacarpes, qui comportaient quatre os fins. Et d'après le récit de la guerrière, son agresseur l'avait mordu avec ses carnassières, lui broyant la patte avant. La fracture devait probablement être comminutive, et son emplacement ne laissait aucun doute sur sa guérison... Pépin de Pomme devrait abandonner son rang, direction la tanière des anciens.
« Comme ça, c'est bon ? »
Patte d'Agneau observa le cataplasme de son frère. Il était impeccable pour une première fois, si on excepte le jus barbouillant ses babines qui l'aurait amusé dans une autre situation moins critique.
« C'est parfait, merci. »
Elle étala du mieux qu'elle pu l'échantillon sur la plaie de la chasseuse toujours perdue dans la contemplation des petits cailloux, étrangement semblable à des fragments osseux. La novice en frissonna au moment de coller les toiles d'araignée.
« Et maintenant ? ronfla l'ancien énervé.
-Tu es le prochain », lui promit Patte de Veau en ronronnant.
Être enfin traité comme un ancien selon le code du guerrier sembla calmer, un peu, le doyen gris.
« Patte de Veau, tu peux le raccompagner à sa tanière ? J'ai presque fini avec Pépin de Pomme, je vous y rejoins avec mes remèdes.
-Pas de problème ! »
Le jeune brun tigré sortit donc du rocher plat avec le vieux félin qui ne protesta pas.
Une fois les soins terminés de Pépin de Pomme, sans même un remerciement, elle s'engouffra dans le bosquet servant de tanière aux anciens. Lueur de Tornade et Racine de Buisson étaient lovés sur leur couche respective, profondément endormis. Limbe de Mouron lui s'était carrément étendu de tout son long tandis que Patte de Veau s'était assis au niveau de sa tête. Elle posa son paquet à côté d'eux.
« Qu'est-ce que je dois faire maintenant ?
-Il faut que tu... broies ces feuilles de trèfle... très finement, tandis que je prépare le cataplasme de séneçon. »
Son frère se mit aussitôt au travail, très appliqué et concentré malgré son manque très visible d'entraînement. A côté de lui, elle entama sa mixture botanique, faisant attention de ne pas en ingérer.
« Au fait, Racine de Buisson se plaint depuis trois jours de rage de dent, déclara Limbe de Mouron.
-Pourquoi il n'est pas venu me voir ? s'étonna Patte d'Agneau.
-Il est trop fier pour t'avouer qu'il souffre, lui répondit son frère entre deux coups de mâchoire.
-Mais en attendant il est pénible pour ceux qui le supportent, à gémir toutes les trois minutes ! grommela à voix basse l'ancien, bien que les ronflements bruyants de son camarade indiquaient clairement que rien ne pouvait le réveiller.
-Tu exagères, il est rigolo Racine de Buisson ! ronronna Patte de Veau.
-Pas quand il te rabâche toute la journée qu'il souffre ! Et Lueur de Tornade est d'accord avec moi.
-Je demanderai demain à Refrain de Ressac, lui promit l'apprentie guérisseuse.
-Merci. »
Limbe de Mouron soigné, elle raccompagna son frère jusqu'à son gîte. Patte de Veau se frotta à elle en ronronnant.
« Tu tiens le coup ? s'enquit-il.
-Je... fais ce que je peux. Je n'ai pas le choix de toute manière...
-C'est vrai, mais n'oublie pas de te reposer, et de manger le reste de lapin ! lui rappela-t-il.
-Toi aussi.
-Aile de Chauve-Souris me fera juste courir deux fois plus si elle voit que je suis fatigué, fit-il avec un vague mouvement de la queue, toi en revanche... ajouta-t-il avec inquiétude.
-Je sais, soupira-t-elle, alors on ferait mieux d'aller se coucher.
-Oui... il bailla, prêt à se rendormir, bonne nuit.
-Bonne nuit. »
Et elle tourna les coussinets, le laissant glisser dans sa tanière. Malgré le soutien de son frère elle se sentait toujours aussi minable. Si Flèche de Courant d'Air avait été là, Pépin de Pomme et Feuille de Maïs seraient encore des guerriers, Limbe de Mouron n'aurait pas souffert, les chatons courraient avec leurs frères depuis longtemps... Et Petit Cirse serait encore en vie.
*****
Agneau fait face à ses camarades... Qui ne sont pas toujours faciles à supporter.
Désolé la sortie tardive du chapitre par rapport à d'habitude ^^'
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