Chapitre 8 : Soins
Le petit garçon, dans un état second, mit un moment à boire l'entièreté du bol tenu par Wulfried. Ce dernier guettait les premiers signes de somnolence qui ne tardèrent pas à arriver. Bientôt, l'enfant se détendit tout à fait sous l'effet de la drogue. Le pouls était régulier, la respiration lente. De toute évidence, cette première étape se passait bien.
Sans perdre de temps, le jeune homme se remit à palper le bras. Cette fois, les muscles relâchés lui révélèrent que l'os avait commencé à se ressouder, comme il le craignait. Cependant, la mauvaise position des morceaux devait lui faciliter la tâche. Il sentait parfaitement où il lui fallait casser à nouveau.
- Tu es sûr de toi ? chuchota Iscely, tendue. On peut attendre demain...
- Ah non ! maugréa Marhra. De toute façon, on ne va pas l'endormir deux fois de suite, ce petit !
Wulfried ne les écoutait plus. Il se positionna dans l'idée de faire levier pour exercer la plus grande pression possible sur le bras. Marhra s'installa derrière l'enfant pour le maintenir. Pour une fois silencieuse, Iscely se mordit les lèvres et attendit.
- Maintenez bien le bras, expliqua le jeune homme en sentant la tension l'envahir. Il est vraiment très relâché et je ne veux pas créer de dégâts plus importants en lui déboitant l'épaule ou je ne sais quoi.
- Ca va aller, mon garçon, l'encouragea Marhra. J'ai déjà participé à ce genre d'opération.
Pas moi, songea Wulfried. Il déglutit, la bouche sèche. Tout ce qu'il savait, dans cette situation, n'était que de la théorie... Mais, il était trop tard pour réfléchir davantage. Vérifiant d'un dernier regard que Marhra était prête, il prit une inspiration. Affermit sa prise. Puis poussa de toutes ses forces.
L'os craqua. L'enfant eut un violent sursaut et replongea aussitôt dans son sommeil artificiel. Fébrile, Wulfried palpa le bras à la recherche de la cassure. Un immense soulagement l'envahit : la rupture paraissait nette, pour autant qu'il puisse en juger. Il respira un grand coup pour se détendre. Cette deuxième étape était aussi une réussite.
- Je vais tirer pour remettre les deux bouts face à face, reprit-il d'une voix qu'il espérait assurée, malgré sa gorge nouée. Maintenez-le ici... et là...
Wulfried s'arc-bouta et commença à se reculer. Le bras résistait. Le jeune homme sentit ses muscles se tendre sous l'effort. Il avait sous-estimé la force nécessaire à l'opération. Iscely vint rapidement aider Marhra à maintenir le petit blessé toujours inconscient. Le jeune homme continua à tirer, le souffle coupé par l'effort.
Ses doigts menaçaient de glisser sous l'effet de la sueur, quand l'os se remit soudain en place, retrouvant sa position initiale. Les mains tremblantes, Wulfried attendit quelques secondes pour se calmer. Puis il palpa à nouveau le membre à la recherche de la cassure. La délimitation était à présent propre et nette : il n'aurait pu espérer mieux.
Son sourire soulagé suffit à Iscely pour qu'elle laisse éclater sa joie :
- Yiescpi ! Oh ! Mais tu es formidable ! Je...
- Iscely ! siffla Marhra en fronçant les sourcils. Va chercher le cataplasme.
La jeune fille se calma aussitôt pour obéir et tendit le matériel à Wulffried qui entreprit de badigeonner le bras gonflé de l'enfant sous l'œil averti de la vieille femme. Le guérisseur avait été tellement concentré sur son patient qu'il ignorait si Marhra avait fait appel à la magie pour l'aider.
- Je vais lui poser une attelle, expliqua-t-il. Mais, il faudra la lui réajuster dès que le bras aura dégonflé. Je vais rester près de lui pour le reste de la nuit et...
- Pas question ! s'exclama Iscely aussitôt. Tu étais venu pour te reposer, tu te souviens ? Et puis, c'est toi qui as fait tout le travail. Alors, à mon tour de me rendre utile !
Surpris de tant de gentillesse, Wulfried hésita. Dormir était tentant et il se sentait épuisé, aussi bien à cause de l'énergie déployée pour remettre l'os en place qu'à cause de la tension générée par la crainte d'échouer. A présent qu'il n'avait plus rien à faire, ses paupières se fermaient toutes seules. Cependant, un vrai guérisseur ne laissait pas un patient drogué, surtout un enfant, sans surveillance.
- S'il bouge, ne serait-ce que le petit doigt, je te réveillerai, promit Iscely qui devinait son dilemme. Je veille souvent les malades qui restent ici. Je vérifierai son pouls régulièrement, je sais faire.
- Elle dit la vérité, concéda Marhra du bout des lèvres.
La vieille femme était décidément avare en compliments. Vaincu par son manque de sommeil, Wulfried s'inclina, après avoir fait jurer à Iscely qu'au moindre doute, elle userait de la cloche d'alarme du donjon.
La volée de marches jusqu'à la chambre lui parut interminable et le jeune homme s'effondra sur sa couche, bien décidé à profiter enfin de sa nuit.
Bientôt, le sommeil l'emporta.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, tout était calme. L'obscurité régnait. Le froid saisit le guérisseur. La cheminée semblait éteinte, car il n'y voyait goutte. Cherchant à tâtons la porte donnant sur les escaliers, Wulfried entreprit de descendre dans le puits noir.
La pierre glacée sous ses doigts était son seul repère. Son cœur battant sans sa poitrine, le seul son audible.
Ce silence oppressant fut bientôt troublé par un lointain gémissement. Inquiet, Wulfried pressa le pas. Les marches qui tournaient sans fin, les ténèbres qui l'enveloppaient, tout concourait à l'empêcher d'avancer. Il le fallait, pourtant. Depuis combien de temps descendait-il ?
Il trébucha sur les derniers degrés alors que les pleurs se faisaient toujours lointains, comme en écho. S'éloignaient-ils ?
Wulfried s'immobilisa, tentant, en vain, de percer l'obscurité. Où se trouvait cette salle de soins ? Pourquoi n'avait-il pas réfléchi avant de s'élancer en aveugle ? Se laisser guider par les sanglots. A mesure que le jeune homme avançait, les plaintes s'affaiblissait. Il devait faire vite ! Où était la porte ? Le souffle court, les mains tendues devant lui, le guérisseur ne percevait que le néant.
Puis soudain, des murmures. Une flamme. Penchées sur l'enfant immobile, Marhra et Iscely maintenaient le petit corps sans défense :
- Tais-toi, siffla la vieille à l'oreille du bambin. Tu sais ce qui se passera si tu parles...
Pétrifié, Wulfried sentit sa poitrine se comprimer lorsqu'elle releva des yeux brillants vers lui. Vive comme l'éclair, Iscely vint se glisser dans son dos :
- Toi aussi, ne dis rien : tu es mon ami, maintenant. Mon ami pour toujours.
Le jeune homme hurla quand elle se saisit de lui.
Puis se redressa, en sueur, sur sa paillasse.
Le jour pointait derrière les rideaux. Un rêve, évidemment. Le cœur battant, Wulfried mit quelques secondes à se reprendre. Toujours ces stupides cauchemars ! Il se força à se lever pour aller à la porte donnant sur l'extérieur. Il avait besoin d'air. Au loin, le soleil apparaissait à peine. Au pied du donjon, Mreoria se réveillait, au gré des carioles déversant leur marchandise sur les étals des marchands qui commençaient leur journée à l'aube.
Wulfried respira le vent frais du matin et tâcha de chasser les images perturbantes de son rêve. Un songe récurrent, depuis des années, qui s'adaptait toujours à sa situation quoiqu'il fasse. Le jeune homme avait pensé y échapper en s'inventant une nouvelle vie, mais force lui était de constater qu'il avait échoué.
La descente des escaliers lui parut bien plus agréable et rapide que lors de son cauchemar. Dans la salle de soins, il trouva Iscely, assise sur une chaise, près de l'enfant inconscient. La jeune fille leva des yeux fatigués vers Wulfried, mais esquissa un de ses éternels sourire.
- Il va bien, il remue parfois, je pense qu'il rêve encore. Son pouls est resté régulier, sa respiration aussi. Le bras a commencé à dégonfler... Je peux le nettoyer avant qu'il se réveille, peut-être, et remettre de l'emplâtre frais.
Devant l'air épuisé qu'elle affichait, Wulfried secoua la tête :
- Inutile, je vais m'en charger. Va dormir.
Iscely bâilla et acquiesça sans se faire prier. Pour une fois, elle n'avait rien de plus à ajouter. Il l'entendit gravir les marches d'un pas lent. Les longues veillées ne réussissaient manifestement pas à la jeune fille. Il préférait continuer les soins lui-même et ne pas risquer qu'elle fasse une erreur due au manque de sommeil.
Wulfried fit chauffer de l'eau afin de concocter une tisane de fleurs de soucis pour désinfecter la plaie. Pendant ce temps, il défit l'attelle et examina le bras. Ce dernier était étonnamment peu gonflé et la blessure presque refermée. Ce petit avait de la chance ! Pour terminer, le jeune homme remit de l'onguent, satisfait de l'évolution de l'opération. Il fallut resserrer l'éclisse afin de la réadapter au membre blessé.
Le guérisseur se demandait s'il était normal que le petit patient ne soit toujours pas éveillé. En tant que Traqueur, Wulfried était davantage habitué à soigner des adultes. Il se méfiait des réactions du corps plus faible des enfants. N'avait-il pas trop forcé sur la dose de datura ?
- Alors, comment se porte le petit ? demanda la voix de Marhra derrière lui.
Après de brèves explications, la vieille femme vérifia par elle-même l'état du patient. Lorsqu'elle se fut assuré qu'il dormait paisiblement, elle se tourna vers Wulfried.
- Il est temps de parler magie, mon garçon. Te sens-tu prêt ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top