Chapitre 7 : Intervention

Iscely avait déjà remis sa robe blanche et disparaissait en dégringolant dans les escaliers. Encore désorienté, Wulfried se leva à son tour et passa sa chemise. Il faisait toujours nuit, à en croire l'absence de lumière derrière le rideau qui cachait la meurtrière. Une cloche sonnait au loin, qui n'était pas celle de l'église. Le son s'arrêta lorsque Wulfried se hâta de suivre la jeune fille.

Une interminable volée de marches plus tard et il déboucha au rez-de-chaussée, dans la salle typique d'une maison de sorcière, où un grand remue-ménage avait lieu. Plusieurs personnes se lamentaient autour du corps d'un enfant d'une dizaine d'années, tenu par un homme maigre au visage dévasté par la douleur. A leurs vêtements bariolés et usés, on devinait des colporteurs des plaines.

Marhra était occupée à regarder le malade de près et Iscely fit signe à Wulfried de la suivre dans la seconde pièce, celle qui ressemblait davantage à une salle de guérisseur.

- Tu as entendu la cloche ? C'est comme ça qu'on sait que quelqu'un demande en urgence à nous voir. Tu t'y habitueras, tu verras ! Bon, mets de l'eau à chauffer et allume quelques bougies supplémentaires, lui ordonna-t-elle en se dirigeant vers la table où se trouvait le matériel d'herboristerie. 

Surpris par ce ton sérieux qu'il ne lui connaissait pas, Wulfried obéit. La jeune fille avait déjà ouvert les pots et mesurait à l'aide d'une cuillère les quantités nécessaires.

- Comment sais-tu ce que tu dois utiliser ? lui demanda-t-il, perplexe, se rappelant qu'elle ne savait pas lire.

- Il y a des liens autour de certains pots, regarde. Ils sont noués de différentes façons. Pour d'autres, il y a un dessin sur l'étiquette. Et puis, de toute façon, je les connais par cœur, depuis le temps.

- Et qu'est-ce que ce garçon...

- Wulfried ! le coupa Marhra en criaillant de la pièce adjacente. Viens chercher le petit !

Le jeune homme s'empressa d'obtempérer. Le patient était brûlant de fièvre et couvert de sueur. Le guérisseur réprima une grimace en voyant l'angle étrange de son bras, surmonté d'une plaie purulente.

- Que s'est-il passé ? demanda-t-il à celui qui portait l'enfant en se saisissant avec précaution de ce dernier.

- Il est tombé et s'est cassé le bras. On a fait ce qu'on a pu pour venir vite. Mais, après, la roue du chariot s'est cassée. Et on s'est trompé de route... on voulait aller à Ranoria. Mais on n'a pas trouvé la capitale et le temps de venir, le petiot a commencé à avoir la fièvre. On ne savait pas quoi faire.

- Cela fait combien de temps ? demanda encore Wulfried.

- Deux semaines, à peu près.

Le guérisseur fronça les sourcils. Une vingtaine de jours, donc... L'os s'était sans doute en partie ressoudé.

- Qu'est-ce que tu attends, mon garçon ? Amène le gamin et dis-leur de revenir demain matin, pas avant, exigea Marhra en lui faisant signe d'approcher.

Wulfried se dépêcha d'obéir et déposa le petit patient sur la couche recouverte de drap blanc. Marhra, qui venait de se laver les mains, entreprit de le déshabiller doucement. L'enfant se mit à pleurer d'une voix faible.

- Qu'allez-vous faire ? demanda Wulfried à la vieille femme.

- Désinfecter la plaie, d'abord, pour voir ce qu'il en est.

Avec des gestes doux, elle passa un linge imbibé de l'infusion préparée par Iscely et enleva ce qui ressemblait à un mélange de sang, de pus et de chair déchirée. Une fois lavé, le bras se révéla toujours enflé. Quant à la bosse formée par l'os, il tira une moue peu engageante à la guérisseuse.

- Il est resté trop longtemps dans une mauvaise position. Il ne se remettra pas.

- Je peux ?

Wulfried s'était approché et, avec précaution, palpa le membre douloureux. L'enfant se remit à pleurer essayant d'échapper au supplice. Dès qu'il le put, le jeune homme cessa son examen et lui accorda un sourire.

- C'est bien, tu es très courageux !

Marhra donnait déjà des directives à Iscely pour préparer un cataplasme.

- Comment allez-vous replacer l'os ? demanda Wulfried en imaginant déjà la marche à suivre.

- Replacer l'os ! s'exclama Marhra en lui faisant les gros yeux. Tu n'y penses pas ! Il est trop jeune pour supporter la douleur !

- Mais il souffrira toute sa vie si on le laisse comme ça !

- Tu as senti comme moi que c'est probablement ressoudé.

Wulfried soupira. Il avait conscience de jouer gros. Il venait à peine d'arriver et il proposait une opération risquée. 

- On peut casser l'os et le replacer correctement. Vous avez vu la famille comme moi. Ces gens n'ont pas grand-chose, ils sont tout malingres. Je doute que les os de ce garçon soient très solides. Et ça ne fait que deux semaines qu'il s'est blessé.

- Et tu penses l'endormir comment, petit malin ? demanda Marhra en le défiant du regard.

Déjà perdu dans ses réflexions sur ses chances de réussite, Wulfried n'hésita pas.

- Au datura.

- Tu va le tuer ! Pour que ce soit efficace, il faudra une dose qui peut aussi bien être mortelle ! Je tiens à ma réputation. Je ne prendrai pas ce risque.

- Et si, moi, je le prends ?

La vieille femme hésita. Wulfried y vit une occasion pour insister.

- Si je réussis, la gloire est pour vous. Si je rate, je serai tenu pour seul responsable.

- Il n'y a pas que ça, Wulfried, intervint Iscely d'une voix peu assurée. Si tu échoues, le petit garçon meurt.

Le guérisseur soupira. Le jeu en valait-il la chandelle ? En tant qu'apprenti Traqueur, il avait déjà eu l'occasion de côtoyer des colporteurs. Ces petites communautés, composées de quelques familles, vivotaient de ville en ville en proposant des babioles aux curieux. Les superstitions y étaient monnaie courantes. Autant dire que ceux qui se montraient trop différents attiraient vite les ennuis dans la tête de leurs semblables. Un enfant estropié avait toutes les chances de finir rejeté tôt ou tard.

- Il faut demander à ses parents...

- Hors de question ! le coupa Marhra avec un mouvement d'humeur. Tu prends ta décision. Maintenant. Ces gens ont payé, je n'ai pas besoin de les avoir dans les pattes avec leurs craintes et leurs questions !

Tout en parlant, elle avait posé sa main sur le front du garçon et fermé les paupières un bref instant. Wulfried sentit une onde de froid se propager puis disparaitre. Quand elle rouvrit les yeux, la voix de la vieille femme s'était radoucie :

- Je pense que tu as raison. Comment veux-tu procéder ?

Wulfried eut un instant d'hésitation. Venait-elle d'user de sa magie ? D'ailleurs, n'était-elle pas censée guérir d'un claquement de doigts ? Comme si elle lisait dans ses pensées, elle lui lança un regard entendu, avant de s'adresser à Iscely :

- Je veux que tu ailles nous chercher de quoi faire des attelles. Monte aussi voir s'il reste des feuilles de datura fraîches, ce sera plus efficace.

Comme la jeune fille disparaissait, Marhra secoua la tête.

- Le Fil est presque rompu, mon garçon, chuchota-t-elle. Soit on se contente de fermer la plaie et il mourra sans doute dans quelques jours car il est trop affaibli et je ne peux toucher son Fil sans le briser. Soit ton idée réussit et... il mourra aussi de faiblesse, mais je pourrai alors démêler le Fil et peut-être le sauver.

Comme Wulfried tentait de comprendre ce qu'elle lui expliquait, elle ajouta :

- Je t'expliquerai plus tard comment cela fonctionne. Auras-tu la force de briser l'os ?

Wulfried hésita :

- Je le saurai quand il sera endormi. Il faut que je palpe son bras plus en profondeur.

- Très bien. Si tu t'en sens capable, tu t'en chargeras. De mon côté, je le maintiendrai, ce qui me permettra de soulager son Fil, j'ai besoin d'un contact physique. Iscely te donnera ce dont tu as besoin si nécessaire.

- Elle est habituée à ce genre... de situation ?

Autant la vieille femme semblait aguerrie, autant il imaginait mal la jeune fille rester de marbre face à un bras cassé volontairement.

- Il faudra bien qu'elle s'y fasse, commenta Marhra sans état d'âme alors que, justement, Iscely revenait dans la pièce, les bras chargés.

- Comment est-ce que je prépare le datura ? demanda-t-elle aussitôt.

- Cette quantité d'eau chaude, désigna Wulfried en passant en revue les différents bols à sa disposition. Tu peux mettre toute la plante... disons ces tiges-là. Fais-les bouillir. Avez-vous de la poudre de nard ?

- Pour un cataplasme ? demanda Iscely tout en préparant le datura. Oui, bien sûr ! Je te concocte ça ensuite. Tu devrais y ajouter de l'achillée.

C'était une bonne idée et Wulfried en fut étonné tant la jeune fille paraissait rester en retrait pour ce qui était de prendre des décisions face à Marhra. 

- Ajoute-y du datura, ordonna cette dernière en vérifiant qu'elle agissait correctement.

- Non, mauvaise idée ! s'exclama Wulfried sans s'apercevoir qu'il prenait la direction des opérations. Le corps aura déjà subi une dose conséquente pour être endormi, inutile d'en rajouter. 

La vieille femme parut sur le point de grogner, mais hocha la tête de mauvaise grâce.

- Tu as peut-être raison. Mais il va souffrir. Fais-nous une potion pour calmer la douleur, fillette.

Le silence se fit pendant qu'Iscely s'activait avec des gestes précis. Puis, enfin, le datura fut prêt et elle tendit le bol à Wulfried.

- A toi de jouer !

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