Chapitre 5 : Proposition

La magie ? Wulfried retint à grand peine un rire moqueur. Surtout, ne pas oublier que de ses réactions dépendait son lit pour la nuit. Aussi opta-t-il pour une réponse en demi-teinte.

— Non, je n'y connais rien. Pratiquez-vous des enchantements pour guérir ?

Le jeune homme était plus que sceptique, à juste titre. Tout le monde savait que les seules magies qui existaient vraiment, étaient celle de la reine, qui faisait fondre les neiges d'hiver et celle des Soliens, qui pratiquaient ce que beaucoup qualifiaient de sorcellerie nauséabonde. Pour tous les autres, il n'était souvent question que de charlatanisme. Certains s'opposaient d'ailleurs à la pratique de toute forme de sortilèges. Le peuple à la peau noire d'Iscely, les Esceliens, bannissaient même tous ceux qui prétendaient user de pouvoirs occultes.

— Il ne s'agit pas d'enchantements à proprement parler, expliqua Marhra avec patience. Vois-tu, chaque individu peut être réduit à ce que l'on appelle un Fil. Ce Fil représente sa force vitale. S'il est libre, alors la personne est en bonne santé. S'il s'emmêle ou, pire, s'il forme des nœuds, la maladie survient.

— Et s'il est rompu, je suppose que l'on meurt, compléta Wulfried qui avait déjà entendu parler de cette théorie farfelue.

Marhra sourit et, l'espace d'un instant, le jeune homme lui trouva un regard de prédateur.

— Tu as tout compris, mon garçon. Mais, ce qui nous intéresse, c'est qu'il est possible d'avoir accès à ce Fil et de traiter ainsi les maux, même les plus graves. 

Wulfried haussa les épaules :

— Je veux bien vous croire, mais je ne possède aucun pouvoir.

La vieille femme se leva pour aller jeter un œil par la porte. De toute évidence, elle ne tenait pas à ce qu'Iscely revienne participer à la conversation. Satisfaite de ne pas entendre les pas de la jeune fille dans l'escalier, elle retourna s'asseoir et se pencha vers Wulfried.

— Peu importe, affirma-t-elle à voix basse. Je peux t'enseigner. Tu apprendrais à travers moi dans un premier temps, puis tu pourrais pratiquer seul.

Voilà qui était encore plus étonnant. Il avait toujours entendu les soi-disant magiciens prétendre que leurs pouvoirs ancestraux se transmettaient de père en fils. Sans doute était-ce plus vendeur que d'avouer que n'importe qui pouvait être formé aux arts occultes. Cependant, Wulfried avait du mal à cacher son scepticisme. Pourquoi Marhra aurait-elle pris cette peine alors qu'elle le connaissait si peu ? Se moquait-elle de lui ? Mais alors, dans quel but ?

— Tu te méfies, remarqua la vieille femme. Je comprends. Mais, regarde ce qui t'entoure. Crois-tu qu'une simple guérisseuse pourrait vivre dans un tel lieu si elle se contentait de concocter quelques onguents ? Je suis réputée pour mon art et les plus riches viennent me voir afin d'être guéris.

L'argument méritait réflexion. Il était vrai que, si Marhra disait la vérité, alors Wulfried avait enfin trouvé le moyen de devenir riche ! La guérisseuse dut voir à son expression qu'elle avait visé juste car elle sourit de nouveau.

— Ce que je te propose n'a pas de prix, alors réfléchis vite parce que je ne me répèterai pas.

Le jeune homme détourna les yeux sous son regard inquisiteur. Quelque chose le dérangeait sans qu'il ne parvienne à saisir quoi. Peut-être, simplement, ce donjon qui le mettait mal à l'aise ? 

— Pourquoi moi ? finit-il par demander avec franchise. Nous nous connaissons à peine.

Iscely paraissait capable de ramener de nouveaux prétendus amis tous les jours. Wulfried ne devait pas être le premier à abuser de son hospitalité. Marhra demandait-elle à chacun de ses hôtes s'ils souhaitaient maîtriser la magie ?

— Tu parais être un jeune homme avide d'apprendre et j'ai besoin d'un apprenti capable de canaliser la petite.

— Iscely ?

— Tout à fait. Tu as dû remarquer qu'elle n'était pas des plus calmes. Je suis lassée de lui répéter sans cesse les bases de notre art. Elle a l'air de bien t'aimer... Tu t'en chargeras. En échange, je t'enseignerai la magie. Cela te convient-il ?

Wulfried l'observa, pensif. Les flammes de la cheminée se reflétaient sur son visage ridé, lui donnant des allures de sorcière de conte de fées. Cependant, s'il mettait de côté son trop plein d'imagination, Wulfried devait reconnaitre que l'argument qu'elle avançait était cohérent. Le peu que le jeune homme avait côtoyé Iscely, cette dernière lui avait paru écervelée : sans doute une telle apprentie devait-elle être épuisante, surtout pour une personne aussi âgée que Marhra.

De son côté, Wulfried avait obtenu quelques jours de relâche auprès de sa guilde, sous prétexte de se réapprovisionner en herbes médicinales. Il pouvait prendre un peu de temps pour vérifier les dires de la vieille femme.

— C'est d'accord.

La satisfaction brilla un instant dans les yeux de Marhra et Wulfried eut la désagréable impression d'avoir signé un pacte dont il ignorait les engagements.

— Une dernière chose, précisa la vieille femme. Je ne veux pas que tu parles de magie à Iscely. Elle ne connait pas l'étendue de mes pouvoirs et pense que je ne suis qu'une simple herboriste. Si elle l'apprenait, elle voudrait pratiquer aussi. Or, je pense que tu as compris que ce serait un véritable danger pour tout le monde de mettre de tels dons dans les mains de ce genre de personne ! Nous lui dirons que tu restes pour approfondir tes connaissances et l'aider à se perfectionner. Elle n'a guère besoin d'en savoir plus.

Wulfried acquiesça. Que la jeune fille apprenne ou non la magie lui importait peu. A choisir, il préférait même ne pas avoir de concurrence une fois qu'il maîtriserait cet art. Le seul détail qui le chagrinait, c'était qu'il allait devoir vraiment côtoyer la jeune fille et ne pourrait pas se contenter de l'ignorer s'il voulait remplir sa part du marché. Comment, par les Six, allait-il parvenir à inculquer quoi que ce soit à cette bavarde invétérée ? Allait-elle seulement le laisser placer un mot ?

Ils terminèrent de siroter leur tisane en silence. Wulfried, plongé dans ses pensées, cherchait à savoir comment ces Fils pouvaient fonctionner. Marhra avait fermé les yeux et il se demanda un instant si elle ne s'était pas endormie tant elle restait immobile. Un léger ronflement parut confirmer ses soupçons.

Iscely ne réapparut que quelques minutes plus tard, les mains vides.

— J'ai tout retourné, mais j'ai rien trouvé ! s'exclama-t-elle la mine penaude.

Marhra, qui se trouvait contre toute attente bien éveillée, haussa les épaules sans surprise. Wulfried la suspecta d'avoir simplement voulu éloigner l'apprentie. D'autant que la vieille femme lâcha aussitôt, en se levant :

— Tu n'as qu'à prendre un peu de pain d'épices dans la huche. Je te laisse ensuite montrer à Wulfried où il peut dormir. Je vais me coucher, je suis fatiguée.

Et, sur ces mots abrupts, elle quitta les lieux. Obéissante, Iscely ressortit pour aller chercher ce que la vieille femme avait demandé. Elle revint presque aussitôt et proposa une belle tranche à Wulfried.

— Alors ? demanda-t-elle en s'installant en tailleur dans le fauteuil laissé vacant. Qu'est-ce qu'elle a dit ?

Le jeune homme prit le temps d'engloutir son pain d'épices. Après tout, si les habitantes du donjon avaient voulu l'empoisonner, la tisane aurait fait l'affaire. Surtout, il n'avait rien mangé depuis le déjeuner et n'était pas enclin à se passer de repas.

— Elle a dit que je pouvais rester et t'apprendre ce que je savais et elle m'enseignerait...

— Yiescpi ! s'exclama la jeune fille sans lui laisser le temps de finir sa phrase. Tu vas voir, on, va bien s'amuser ! Tu sais, depuis que Grestan a disparu, je m'ennuie un peu ici ! Je suis toujours avec Mère-Grand et puis, bon, elle est gentille, hein, c'est pas ça mais, tu comprends, elle est un peu vieille. Des fois, faut lui faire des petites tisanes pour ses os qui craquent, mais bon, c'est pas grave, tant qu'elle a des bonnes dents, elle dit, parce qu'elle aime bien manger, tu vois, alors du coup...

— Iscely ? coupa Wulfried à bout de patience. Est-ce qu'on pourrait parler de tout ça demain ? Je suis vraiment fatigué, tu comprends...

Et tu me donnes mal à la tête, se garda-t-il d'ajouter en faisant un effort de politesse. Le sourire aimable qu'il parvint tout de même à décrocher dut cependant suffire à la jeune fille car elle bondit aussitôt sur ses pieds.

— Bien-sûr ! Je vais te montrer où dormir, suis-moi !

Elle apaisa le feu pour ne garder que des braises, puis s'empara d'une bougie. A nouveau, son rythme fut si rapide dans les étroits escaliers en colimaçon, que Wulfried se surprit à s'essouffler. Il n'avait plus l'impression de suivre un fantôme, mais plutôt un feu follet ! Restait à espérer que celui-ci ne finisse pas par l'entrainer dans un obscur bourbier. Le jeune homme se corrigea à nouveau : à laisser divaguer ainsi son imagination, il allait encore se ridiculiser ! Il valait mieux se concentrer sur la montée de ces multiples marches qui n'en finissaient pas !

Un étourdissement le saisissait, à force de tourner, lorsque la jeune fille s'immobilisa enfin. De toute évidence, ils étaient arrivés en haut. 

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