Chapitre 31 : Adieux

Iscely, réveillée et déjà habillée, s'apprêtait à descendre les escaliers. Elle s'immobilisa en voyant le jeune homme débouler dans la chambre :

— Tout va bien, Wulf ?

— Je dois partir. Tu viens avec moi ?

Surprise, l'apprentie le regarda récupérer le peu d'affaires qu'il possédait.

— Tu repars à la guilde ?

— Pour le moment, oui.

Wulfried passa son épée à sa ceinture, conscient que ce revirement de situation devait surprendre Iscely. Mais il avait pu réfléchir en montant les marches. Il était grand temps de reprendre la main sur son destin. Et tant pis s'il devait faire une croix sur la magie. Les manières de la vieille femme le mettaient mal à l'aise. Peut-être, un jour, retrouverait-il un maître en la matière mais, en attendant, il était hors de question de céder à ces pratiques douteuses.

— Marhra m'a signifié que je n'étais plus vraiment le bienvenu ici. Je crois que tu as raison et qu'il est possible pour moi de me rendre utile en tant que Traqueur.

Autrement qu'en obéissant sagement... Mais il aurait le temps d'y penser plus tard. De toute façon, il n'avait pas besoin d'expliquer à Iscely ce qu'il en était.

Cette dernière farfouillait sur sa table de travail où reposaient de multiples figurines.

— Je savais que tu allais partir tôt ou tard. Je te l'avais bien dit ! Personne reste jamais longtemps ici. Mais je suis contente que tu me préviennes avant de t'en aller ! Attends voir... J'ai...

— Je voudrais que tu viennes avec moi, la coupa Wulfried, un peu vexé qu'elle ne paraisse pas vraiment touchée par son départ.

Iscely arrêta de fourrager dans son bric-à-brac et releva la tête :

— Moi ? Mais pourquoi ? Et puis, je ferais quoi ?

Bonne question... Il se passa une main dans les cheveux, ennuyé. On n'intégrait pas n'importe qui aux Traqueurs. Cependant, hors de question de laisser Iscely aux mains de cette vieille folle. Il trouverait bien une façon de permettre à la jeune fille de s'en sortir, en admettant qu'elle ait réellement besoin de lui, compte tenu de ses capacités pour guérir. Mais, quand il la voyait le dévisager ainsi avec ses grands yeux innocents, il ne pouvait décemment pas l'abandonner sans remords.

— Je crois... que tu perds ton temps ici, commença-t-il sans trop savoir comment argumenter, puisqu'il ne pouvait avouer la vérité. Tu es douée, tu ferais une bonne guérisseuse. Marhra t'expl...

— Oublie ça, Wulf.

Iscely soupira et se remit à chercher sur sa table encombrée de babioles :

— J'ai aucune envie de partir. C'est vrai, Mère-Grand est pas parfaite, mais je peux pas m'en aller comme ça. Essaye même pas d'insister.

— Je ne comprends pas ce qui te retient. C'est elle qui te menace, ou quelque chose comme ça ?

La jeune fille lui jeta un bref coup d'œil surpris et esquissa un sourire amusé :

— Mais non, où vas-tu chercher des idées pareilles ? Non, je reste de mon plein gré, c'est promis. Et je vais encore demeurer au donjon quelques temps. Mais, je suis heureuse de t'avoir connu.

Wulfried sentit l'agacement le gagner alors qu'elle se détournait à nouveau pour chercher il ne savait quoi. Pourquoi ne voulait-elle pas comprendre qu'il agissait pour son bien ?

— Ecoute-moi, Iscely. Je sais que...

 — Je t'ai dit de pas insister.

Elle ne l'avait même pas regardé, mais le ton était cassant, sans appel. Elle n'avait pourtant pas l'air contrarié lorsqu'elle se tourna vers lui pour lui tendre un paquet :

— Tiens, un petit souvenir.

Intrigué, Wulfried découvrit deux figurines de paille soudées par un bras. Les cheveux de laine et les yeux de perles de bois, ainsi que la petite robe blanche et la minuscule épée ne laissaient pas de doute sur les personnages représentés. La première réaction du jeune homme fut de lancer une plaisanterie, mais l'air grave d'Iscely suffit à lui faire ravaler son humour habituel. Peut-être n'était-elle pas si détachée qu'elle voulait le laisser paraitre.

— Euh... merci.

Les poupées, ce n'était pas trop son truc, mais il devait reconnaitre que le geste avait un côté mignon. Lui n'avait rien à offrir en retour, alors, après un instant d'hésitation, il attrapa une paire de ciseaux sur la paillasse. Il sépara les deux figurines sous le regard interloqué de l'apprentie. Rangeant la mini-Iscely dans sa bourse, il tendit le mini-Wulf à la jeune fille :

— Tiens, garde celle-là pour te rappeler qu'un jour je reviendrai te rendre visite.

Pour vérifier que tu vas bien... se garda-t-il de préciser. Il avait bien réfléchi : des apprentis qui disparaissaient, dont au moins deux étaient morts sans vraiment d'explication ; Marhra qui jouait les enseignantes en magie sans scrupules ; Iscely qui restait liée à elle sans raison logique... Quelque chose ne tournait pas rond. Or, la seconde personne à avoir pâti de ces séances, c'était la jeune fille. Alors, Wulfried comptait bien revenir, un jour, afin de vérifier qu'un énième apprenti n'était pas pris sa place et décidé qu'Iscely faisait un parfait petit cobaye.

D'abord surprise, la jeune fille esquissa un sourire et reprit le mini-Wulf.

— Tu pars maintenant ? Je te raccompagne à la sortie de la ville, j'ai ma Tournée à faire.

Marhra avait disparu quand ils traversèrent la salle de divination pour sortir du donjon. Ils se faufilèrent entre les passants matinaux et les charrettes qui déversaient leurs marchandises sur les étals à peine ouverts. L'air chargé de miasmes de Mreoria n'allait pas manquer au Traqueur.

L'apprentie bavardait sans relâche de la pluie et du beau temps, à croire que ce matin-là n'avait rien de particulier. Silencieux, Wulfried gardait un goût amer dans la bouche. Était-ce ce sentiment d'échec ? Cette impression frustrante de revenir au point de départ ? Ou simplement cette bonne humeur enjouée, affichée par la jeune fille, qui l'horripilait ? Il avait pourtant pensé qu'elle s'était attachée à lui, au moins un peu...

— Iscely ! Iscely !

Un gamin aux cheveux hirsutes, l'air paniqué, saisit l'apprentie au vol et se mit à la tirer, pour qu'elle le suive :

— Mamah, elle va avoir son bébé ! Faut qu'tu viennes !

La jeune fille blêmit aussitôt :

— C'est l'aîné de la mère Rhanira ! Viens, Wulf !

Sur cette brève explication, elle se mit à courir à la suite de l'enfant éperdu.

Wulfried n'hésita pas. Il n'était pourtant pas convié par la famille et allait sans doute se faire encore jeter hors de la chambre. Cependant, la situation paraissait tellement tenir à cœur à Iscely que, s'il pouvait l'aider une dernière fois, il ferait son possible.

Quand il arriva en vue de la masure, le père criait à ses deux garçons d'aller délier tous les nœuds de la maison, même les cordes dans l'étable où se trouvait l'unique entlor. Cette coutume permettait aux Six de savoir qu'elles devaient veiller à ce que le cordon ne s'enroule pas autour du cou du bébé. Wulfried se demandait parfois si ce n'était pas une façon d'occuper les mains inutiles lors de cet important moment.

Quand il entra dans la chambre, sous les regards peu amènes des femmes de la maisonnée, le jeune homme découvrit Iscely en plein examen. Avec un calme professionnel, elle auscultait la parturiente.

— Je vois déjà la tête, il est trop tard pour empêcher la naissance, expliqua calmement la jeune fille.

En entendant ce ton tranquille, il était impossible de deviner qu'elle s'inquiétait de cet accouchement prématuré. La mère grogna sous une contraction et serra la main d'une vieille femme au visage inquiet. Cette dernière replaça la ceinture de naissance, faite d'une peau ornée de symboles lunaires destinés à quérir la bienveillance des Six.

— Je pense que le travail sera rapide, continua Iscely. Wulfried, je vais avoir besoin de toi. Il faudra que tu t'occupes de la délivrance. Prends ma suite dès que j'aurai coupé le cordon. 

Les femmes présentes échangèrent des coups d'œil désapprobateurs, mais la jeune fille leur fit face, intransigeante :

— Ce bébé arrive très tôt. Je dois m'en occuper rapidement, dès qu'il sera là, sinon il sera trop faible. Wulfried est un guérisseur compétent, vous devez lui faire confiance. Il me rejoindra dès qu'il aura terminé. Il me faut un autre endroit où travailler au calme.

On lui désigna une minuscule pièce, occupée par l'intégralité d'une paillasse qui avait au moins le mérite d'être propre.

— Parfait. Dès que le bébé est sorti, je le prends avec moi. Je sais que c'est pas commun mais, autrement, il survivra pas. Faites ce que Wulfried vous dit puis laissez-le me rejoindre.

Sur ce, le travail reprit. À la demande d'Iscely, on mit de l'eau à bouillir afin de préparer une infusion de fleurs de soucis. Le guérisseur, quant à lui, concocta un emplâtre cicatrisant à base de feuilles de consoude, utile en cas d'hémorragie. Enfin, la mère fut levée pour aider à la naissance et maintenue à la verticale par deux de ses parentes. Comme la jeune fille l'avait annoncé, l'enfant sortit rapidement.

Ce bébé était le plus petit que Wulfried n'avait jamais vu. Sa peau grise, couverte de l'habituelle matière visqueuse et blanchâtre, était de mauvais augure, d'autant que le nouveau-né ne criait pas. Iscely lui dégagea pourtant la bouche avec des gestes experts tandis que Wulfried prenait l'initiative de lier, puis couper, le cordon. Enfin, la jeune fille enveloppa l'enfant d'un linge en ignorant les murmures d'inquiétude qui l'environnaient. Elle se retira avec lui rapidement, non sans avoir jeté un coup d'œil au guérisseur pour s'assurer qu'il allait bien suivre ses instructions.

Dès que le placenta fut expulsé, le jeune homme vérifia que l'accouchée ne présentait aucun saignement anormal et demanda une bande absorbante. Puis il s'assura qu'une des femmes nettoie correctement la mère à l'aide de l'infusion désinfectante. Il prit à peine le temps de s'essuyer les mains pour retrouver Iscely dans la minuscule chambre. Qu'avait-elle derrière la tête ? Les enfants si petits n'avaient presque aucune chance de survivre. Celui-ci ne bougeait même pas. Respirait-il seulement ?

La jeune fille était assise sur la paillasse, le bébé contre elle. Les yeux fermés, elle semblait dormir, tout comme l'enfant qui avait retrouvé une couleur rosée rassurante. Sans doute lui avait-elle administré les premiers soins pour l'aider à prendre son premier souffle. Ce ne serait malheureusement pas suffisant pour compenser cette naissance prématurée.

Wulfried allait poser une main sur son épaule, afin de réveiller la jeune fille, lorsque cette dernière l'arrêta d'un mot :

— Recule.

Elle avait toujours les paupières closes et, à présent qu'il la voyait de près, elle paraissait concentrée à l'extrême, plutôt qu'endormie.

— Ne me touche surtout pas.

— Tu... vas bien ?

— Je t'avais promis de te révéler mon secret, tu te souviens ? poursuivit-elle sans bouger.

Elle parlait lentement, les yeux fermés, comme si réfléchir à la conversation lui demandait un effort. Quand il la voyait aussi grave, Wulfried n'était plus certain de vouloir en savoir plus.

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