Chapitre 14 : Fête
La taverne du Natimi d'Or était un de ces établissements chaleureux où les jeunes gens de Mreoria semblaient aimer se retrouver. En ce jour de fête, les propriétaires avaient ajouté tables et chaises en terrasse et, malgré le temps mitigé, les places étaient prises d'assaut alors que l'heure du déjeuner approchait. Sur la place, des musiciens égrenaient des notes entrainantes et les couples se relayaient pour leur faire honneur. Les rondes succédaient aux farandoles, entrecoupées de valses destinées aux amoureux.
Pour se donner bonne conscience, Wulfried accompagna Iscely, afin qu'elle prenne son service. Le guérisseur hésita, mais décida finalement de s'installer. Après tout, pourquoi pas ? Il pourrait tenir sa promesse à Marhra et cela ne l'empêcherait pas de s'amuser. Il avait demandé en échange à la vieille guérisseuse de lui donner quelques pièces et, contre toute attente, cette dernière avait accepté sans difficulté. Peut-être Iscely exagérait-elle le côté avare de Marhra ?
Vêtue d'un tablier beige, la jeune fille se faufilait entre les clients. Mais, ce n'était pas sur elle que le guérisseur dirigeait son attention. Il n'était pas question, en effet, de passer la soirée seul dans son coin.
- Excuse-moi... Je peux m'asseoir ?
La nouvelle venue devait avoir à peu près son âge. De longs cheveux bruns retenus par un ruban coloré, une robe lacée serrée sous la poitrine... Wulfried, s'interdit de loucher sur cette dernière. Un peu de tenue, tout de même : il valait mieux que cela ! Cependant, la fille était vraiment jolie et son air avenant ne gâchait rien.
- Bien sûr, je t'en prie ! s'exclama-t-il avec un sourire en se levant pour lui tirer la chaise qui se trouvait à ses côtés.
La galanterie, cela plaisait toujours. La demoiselle se mit à rire, mais ne parut pas désapprouver.
- Tu es nouveau en ville, non ? demanda-t-elle avec curiosité.
- Tu as le sens de l'observation ! Je suis ici depuis quelques jours. Je cherche un travail comme mercenaire et guérisseur.
Toujours plus impressionnant que de révéler qu'il se faisait martyriser par une petite vieille. Dommage qu'il ne puisse pas avouer qu'il était Traqueur, ce genre de statut fascinait les filles !
- Je m'appelle Wulfried.
- Et moi, Reserna. Tu...
- Bonsoir ! Je peux vous servir ? coupa une petite voix bien connue.
Iscely souriait, mais de cet air innocent qui ne pouvait tout à fait cacher le soupçon de moquerie au fond de ses yeux bleus malicieux. Wulfried se força à rester calme : n'allait-elle pas entrer dans un de ses monologues ? Ce serait le meilleur moyen de gâcher toutes ses chances avec la dénommée Reserna !
- Avec plaisir ! Je peux t'offrir un verre ? demanda-t-il en se tournant vers sa nouvelle connaissance.
Cette dernière parut hésiter et chercha du regard autour d'elle, avant de reporter son attention sur lui, un peu hésitante.
- C'est gentil, mais tu n'es pas obligé. J'attends que mes amis arrivent...
- Rien n'empêche de patienter agréablement ! répondit-il alors qu'il tirait sa bourse de sa ceinture.
Reserna acquiesça avec un petit rire et demanda un hydromel. Wulfried, qui appréciait la boisson alcoolisée au miel, fit de même. Si Iscely parut quelque peu surprise en voyant l'argent du jeune homme, elle ne fit aucun commentaire et prit la commande avec le sourire avant de tourner les talons.
- J'allais te demander si tu avais trouvé du travail, reprit Reserna dès que l'apprentie eut disparu.
- Pas tout à fait...
Hors de question de dévoiler qu'il avait un lien avec Marhra et ce donjon trop étrange pour donner confiance. Il ne voulait pas effrayer la jeune fille ! Cette dernière parut réellement peinée pour lui.
- C'est dommage que mon frère ne soit plus de ce monde. Grestan était un bon guérisseur et il aurait peut-être pu t'aider pour trouver un emploi dans ce domaine !
Sans lui laisser le temps de répondre, elle se leva soudain :
- Eh ! J'adore cette musique ! Tu me fais danser, en attendant nos verres ?
Inutile de prier le jeune homme qui adorait ce genre de divertissement et qui s'estimait plutôt bon dans ce domaine. Il découvrit bientôt que sa partenaire se tirait tout aussi bien des pas rapides qu'imposait la partition. Face à face, les couples devaient s'approcher, puis s'éloigner, tourner, taper des mains ou des pieds et ce, de plus en plus vite. L'orchestre improvisé se composait de musiciens hétéroclites aux notes parfois un peu fausses, mais toujours entrainantes.
Les joues rouges, Reserna sautillait en riant, ses longs cheveux s'enroulant autour d'elle. Wulfried tapa une dernière fois des mains et s'immobilisa comme l'air s'arrêtait. Tous deux étaient essoufflés, mais ravis de leur performance.
- Tu es doué, ne put s'empêcher de flatter le jeune homme.
Il était sincère : la demoiselle avait fait un sans-faute. Ce qui était assez rare pour être souligné.
- Je triche, rit Reserna en retour. Je connais ces danses par cœur, voilà le secret !
- Ce qui ne t'empêche pas de terminer tout échevelée, sourit Wulfried en dégageant une des mèches qui était restée plaquée sur son visage.
Il reprit ses distances en la raccompagnant à leur table, non sans avoir noté avec satisfaction qu'elle avait certes rougi, mais aucunement protesté de la liberté qu'il avait prise.
- Voilà vos verres, intervint Iscely. N'oublie pas les recommandations de Mère-Grand, Wulf !
Ce dernier serra les dents en la foudroyant du regard. Voilà un coup bas ! Lui rappeler devant Reserna qu'il était traité comme un enfant ! La petite peste était-elle jalouse ? Wulfried maugréa intérieurement. Cette idée ne lui aurait pas déplu, si cette approche n'avait pas risqué de voir sa nouvelle conquête se moquer de lui !
- Oh ! Vous vous connaissez ? demanda Reserna sans paraitre saisir la mauvaise humeur que le jeune homme camouflait à grand peine.
Ce dernier se força à sourire :
- Oui, je te présente Iscely. Je suis logé chez elle. Mais, elle a du travail. Pas vrai, Iscely ?
- Bien sûr, je vais vous laisser !
Iscely ne paraissait pas vexée qu'il la congédie aussi grossièrement et il se demanda s'il ne lui avait pas prêté les mauvais sentiments. Etait-elle seulement capable de faire du mal à quelqu'un ?
- Alors, reprit Wulfried, soulagé malgré tout que l'apprentie se soit éclipsée, que fais-tu, toi ?
- Je suis placée chez une fileuse depuis l'année dernière. Et... Tiens, voilà mes amis !
Reserna se leva pour faire un signe de la main. Quatre jeunes gens les rejoignirent aussitôt et elle entreprit de faire les présentations. De toute évidence, elle invitait Wulfried à se joindre à eux. Les nouveaux venus avaient leur âge, paraissaient de bonne compagnie et le guérisseur ne demandait pas mieux que de rester un peu plus longtemps près de la jeune fille.
Bientôt, les conversations allèrent bon train et les rires s'élevèrent. Wulfried appréciait cette ambiance : il n'avait jamais été un solitaire et l'atmosphère festive le mettait de bonne humeur.
- Alors, comme ça, tu vis chez la Mère-Grand ? demanda Reserna en terminant sa chope.
L'hydromel lui avait semblait-il un peu monté à la tête et elle saisit le bras de Wulfried dans un élan de rapprochement plutôt encourageant.
- La vieille du donjon ? C'est vrai ? Elle n'est pas un peu folle ? demanda un garçon maigrelet d'un air de conspirateur.
- On dit qu'elle mange des enfants, reprit un autre en riant sans paraitre ajouter foi à ces racontars.
Wulfried ne souhaitait pas s'étendre sur le sujet et il préféra tempérer aussitôt :
- Elle les soigne plutôt, pour autant que je sache.
- Moi, elle me fait peur, avoua Reserna. Je n'y mettrai plus jamais les pieds ! Dites, on danse ?
Tous se levèrent et Wulfried lui prit la main. Ce fut à ce moment qu'il les repéra.
Trois jeunes. Certes, bien habillés, mais à l'allure... sournoise. En tant qu'apprenti Traqueur, Wulfried avait déjà eu affaire à toute sorte de bandits de grands chemins et de personnes peu recommandables. Le vernis de politesse qui recouvrait la fourberie ne suffisait pas à le tromper. Ceux-là ne venaient pas faire la fête, mais chercher des ennuis. Ou plutôt... repérer quelqu'un, à en croire leurs yeux qui balayaient l'assemblée. Repensant à sa bagarre deux jours plus tôt, Wulfried espéra qu'il ne s'agissait pas de lui. Il n'avait pas emmené son épée, mais seulement sa dague, afin de ne pas s'encombrer pour danser. Peut-être aurait-il dû...
Cependant, leurs regards mauvais glissèrent sur lui sans s'arrêter.
Soulagé, le jeune homme fut heureux d'entendre que les musiciens venaient d'entamer une valse. Reserna, qui n'avait sans doute pas remarqué les nouveaux arrivants, le laissa la prendre sa taille en souriant.
Wulfried commençait à peine à esquisser les premiers pas, qu'il capta malgré lui un mouvement à l'entrée de la taverne. L'un des jeunes repéré un instant plus tôt faisait signe à quelqu'un pour lui intimer de le suivre.
Le guérisseur se figea en manquant écraser les pieds de sa partenaire : ce quelqu'un, c'était Iscely.
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