Chapitre 1 : Mreoria
Dans l'air chaud, chargé des relents nauséabonds des caniveaux, l'enseigne de la taverne pendait au bout de deux chaines rouillées. Une silhouette encapuchonnée s'arrêta pour la décrypter, malgré la pluie fine qui incitait les rares passants à trouver un abri.
Au Rund Famélique.
Le nom de l'établissement, que l'on devinait à peine tant la peinture s'écaillait, faisait écho à l'aspect peu engageant du lieu. Des fenêtres opaques de crasse, derrière lesquelles la lumière peinait à se faire remarquer. Des murs rongés par l'humidité et les mauvaises herbes. Un toit dégarni aux tuiles manquantes, réparé à la va-vite. Sans oublier l'écœurante odeur d'urine qui émanait de la ruelle adjacente. Un établissement délabré comme tant d'autres, niché entre deux boutiques fermées, dans les entrailles d'une ville boueuse. Rien de bien accueillant. Pourtant, derrière ces murs branlants, on entendait distinctement des rires et des choppes qui s'entrechoquaient.
Wulfried abandonna l'espoir de se protéger de la bruine qui s'immisçait sans vergogne dans son large manteau. Plutôt que resserrer les pans de ce dernier, il préféra les écarter, afin de dégager sa taille, où son épée pendait à sa ceinture. Ici, mieux valait tout de suite imposer le respect. Puis, le jeune homme vérifia que son capuchon était bien abaissé sur son visage et poussa la porte.
C'était stupide, il le savait, mais il ne put empêcher son cœur de s'accélérer. Ici, devait l'attendre celui qui lui proposerait un travail de guérisseur dans une expédition à travers tout le pays. Ici, le jeune homme espérait se défaire de son statut étouffant de Traqueur, hérité de ses parents. Ici, se trouvait la liberté tant espérée.
Pour se donner une contenance, il préféra froncer les sourcils. Trop d'espoir en l'avenir n'amenait jamais rien, sinon de cruelles déceptions. Il ne vivait pas dans une de ces aventures épiques où de joyeux compagnons partaient pour une quête héroïque. Même si le groupe espéré se formait, il lui faudrait encore être accepté, puis y faire sa place. De toute façon, il ne tenait pas à risquer sa vie, seulement à gagner de l'argent.
La lumière chiche des chandelles suffit à lui confirmer que la salle était aussi décrépie que l'extérieur. Quelques regards en coin accueillirent le jeune homme, qui plissa le nez dans l'atmosphère surchauffée, saturée de relents de mauvais alcool. Tous ici étaient armés, question de survie à Mreoria. Une demoiselle brune s'approcha aussitôt avec un sourire avenant. Il ne se gêna pas pour la détailler : à en croire son large décolleté et ses cheveux défaits, il s'agissait là d'une serveuse aussi bien que d'une fille de joie. Il s'en désintéressa aussitôt pour chercher des yeux celui qui était censé l'attendre.
— Je peux t'installer, mon petit ? insista la femme qui ne souhaitait sans doute pas voir s'échapper un client.
Wulfried hocha la tête en guise de réponse, quelque peu vexé qu'elle lui fasse remarquer son jeune âge. Il avait pourtant pris garde à ne pas montrer son visage. Sans doute sa carrure peu imposante qui l'avait trahi. Le jeune homme, quoique entrainé aux armes, n'avait jamais développé une musculature bien impressionnante. En combat, il pariait davantage sur sa rapidité, sa technique et, surtout, sa langue bien pendue qui l'aidait à se tirer des mauvais pas. Cependant, il venait tout de même d'avoir seize ans : il n'était plus un enfant !
La table que la demoiselle lui proposa était collante de saleté, mais Wulfried n'y prit pas garde. Mreoria était une ville ou jamais rien ne brillait par son luxe. Autour de lui, on ripaillait gaiement mais, dans les coins plus reculés, certains traitaient de transactions à la légalité toute relative. Le Rund Famélique était réputé pour la capacité du tavernier à se montrer tolérant envers ce qu'on qualifiait avec complaisance de petits commerces. Parfois, la milice apparaissait, pour la forme, et faisait mine de ne rien voir. On vivait plus longtemps, à Mreoria, quand on savait fermer les yeux.
— Qu'est-ce que j'te sers ? demanda la jeune femme, le tirant à nouveau de ses pensées.
— Le plat du jour, merci.
Wulfried ne se faisait pas d'illusion sur l'infâme brouet qui devait être le même qu'un peu partout dans la ville. Il n'était de toute façon pas venu pour manger. Mais, il avait beau scruter la salle, il ne voyait pas celui qu'il attendait. Les affaires commençaient mal.
— Dégage de là, c'est ma place !
L'homme qui venait de surgir face à lui devait sans doute avoir besoin de baisser la tête pour passer la porte. Aussi large que haut, il empestait la sueur et le mauvais vin, mais ses petits yeux perçants démontraient qu'il était parfaitement maître de ses pensées.
Wulfried soutint son regard en fronçant les sourcils :
— Non.
Pas question de laisser ce gros lourdaud lui dicter sa conduite. Sans doute habitué à obtenir le respect face à sa stature, l'autre eut un rictus :
— Tu devrais faire attention à ce que tu dis, l'avorton.
— Sinon quoi ? rétorqua le jeune homme sans se démonter.
Il y eu un instant de silence. Autour d'eux, les plus curieux suivaient déjà l'échange avec intérêt, avides de voir éclater une bagarre. Quoique cette dernière ne durerait pas bien longtemps au vu de la différence de carrure des deux adversaires.
Wulfried n'avait pas peur. Des balourds comme celui-ci, il en avait vu d'autres. Quelques coups d'épée et on n'en parlait plus. Il n'avait qu'à lui proposer de sortir pour régler leur différend et...
Le coup de poing le cueillit à la mâchoire. Le jeune homme valsa jusqu'au mur. A demi sonné, il se releva en titubant. L'autre arrivait déjà sur lui et le saisit au collet comme s'il n'eut rien pesé. L'agresseur leva à nouveau la main.
Ce fut au tour de l'homme d'être surpris. Wulfried profita de ce bras tendu vers lui : il tira son adversaire. Le fit pivoter. L'autre perdit l'équilibre et s'étala de tout son long sous les cris des clients excités. Une clef de bras pour l'empêcher de se relever et le jeune homme se fendit d'un sourire triomphant à l'adresse de son public.
Etant donné la force de son adversaire, il ne fallait rien exagérer et il le relâcha tout de suite, puis se recula pour éviter toute riposte. Un homme et une femme se rapprochèrent à leur tour, menaçants. Des amis du gros lourdaud ? Sans se départir de son sourire, Wulfried esquissa un geste pour inciter au calme. Manque de chance, les nouveaux venus ne parurent pas sensibles à son charme et serrèrent les poings. Peut-être, après réflexion, valait-il mieux s'épargner des ennuis et trouver une autre taverne ?
Wulfried se retint de masser sa mâchoire endolorie. Le goût de sang qui lui emplissait la bouche le fit prier pour n'avoir pas une dent cassée. Les jeunes filles n'aimaient pas les édentés ! L'autre s'était relevé. Il sembla réprimer un rictus moqueur. Il devait être partagé entre l'aspect juvénile de Wulfried et les capacités tout de même impressionnantes du guérisseur, pour son âge.
La main du jeune homme s'égara avec ostentation sur le pommeau de son épée. Pas question de se laisser davantage ébranler et de se voir embarqué dans des ennuis qui le dépassaient. Sans plus attendre que quiconque réagisse, il se dirigea d'un pas vif vers la sortie, bousculant quelques clients ivres. C'était rageant, mais il lui faudrait trouver une autre taverne pour ses affaires. Par bonheur, Mreoria n'en manquait pas.
La bruine grasse qui rendait l'air étouffant en ce début de soirée le fit grimacer, ajoutant à son exaspération. Les nuages lourds cachaient les lunes et, bientôt, il ferait nuit. Le couvre-feu instauré forçait Wulfried à remettre ses recherches au lendemain, sans quoi le jeune homme serait assimilé aux multiples crimes qui fleurissaient dans la pénombre, voire victime de l'un d'entre eux. Il maugréa un juron. Pourquoi avait-il fallu que la soirée tourne si mal ?
A présent, mieux valait dénicher une auberge où l'on ne le détrousserait pas pendant son sommeil. Plus facile à dire, qu'à faire, à Mreoria.
Pour commencer, combien contenait encore sa bourse ? Ce fut à ce moment que le jeune homme prit conscience de sa ceinture un peu trop légère. Son escarcelle avait disparu. Seuls restaient deux misérables lacets de cuir, coupés par un voleur habile.
Wulfried frappa la palissade la plus proche qui frémit sous le choc. Par les Six ! Il avait dû se faire détrousser lorsqu'il avait bousculé les clients ! Ou peut-être était-ce l'homme avec lequel il avait eu une altercation ? Voire même la serveuse ? Impossible de le savoir et il serait suicidaire de retourner dans la salle pour poser la question à la ronde. Sans argent, il était à la rue et donc à la merci du premier venu. Il se voyait déjà retourner vers le quartier général de la guilde des Traqueurs, honteux après son échec... Non ! Ses aventures ne pouvaient pas s'arrêter avant même d'avoir commencé !
— Tout va bien ?
Occupé à frotter son poing endolori, Wulfried sursauta en entendant la voix fluette derrière lui. Que lui voulait-on encore ?
*** Bonjour à tous et à toutes ! Je suis heureuse de vous accueillir - et peut-être de vous retrouver ^^ - pour cette nouvelle aventure ! J'espère que les péripéties de Wulfried vous plairont. J'ai mis un peu de temps à me décider pour la scène d'ouverture, mais c'est chose faite. Alors, qu'en pensez-vous ? ***
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