32. N'oublie pas de sourire

― C'est pas trop mal, murmuré-je.

J'apporte une nouvelle correction à mon passage en soupirant. Qui aurait cru que l'écriture était une tâche aussi complexe ? Je savais que rédiger un livre n'était pas simple, mais je m'attendais à ce que l'écriture d'une nouvelle soit plus facile. J'avais tort de croire une telle chose parce que c'est presque aussi difficile ! Le thème de cette année me donne des sueurs froides, il est trop complexe pour une débutante comme moi. Je suis parvenue à rédiger une petite nouvelle abordant le souvenir à ma façon. Je ne suis cependant pas certaine de l'envoyer, elle manque de profondeur et de professionnalisme. Je n'ai aucune chance face aux autres écrivains. De plus, mes proches ne sont toujours pas au courant de ma participation. Ma famille m'encouragerait et souhaiterait découvrir ma plume, mais c'est bien trop tôt.

Je reste néanmoins très contente de mon travail. Cette histoire est centrée sur deux meilleures amies dont les vies sont chamboulées à cause d'une maladie rare capable d'effacer la mémoire. Mon héroïne met tout en œuvre pour faire vivre les meilleurs moments à son amie et en consignant chaque journée dans un journal. Mon héroïne est bien plus courageuse que moi, je n'arriverais certainement pas à gérer tout ça.

Il reste deux semaines avant la fermeture des inscriptions. J'étais tellement concentrée sur mes cours que je n'ai même pas eu l'occasion de me plonger dans la lecture du journal de Nathaniel ! Pour être tout à fait franche, cela m'embarrasse de plonger dans les pensées intimes de mon ami alors je ne vais pas le faire avant d'avoir son accord. Je profite de ma soirée pour peaufiner les détails de ma nouvelle en délaissant le groupe de conversation Become Yourself. Clara ne semble pas mécontente de prendre davantage le contrôle du club. Ce n'est qu'une question de temps avant que nous lancions la prochaine phase du plan. Julian travaille sur la conception d'une application. Le but est de faire concurrence à Become Yourself du moins ce qu'il en reste. J'ai bien remarqué les changements apportés par ma nouvelle ennemie. Clara s'est permise de renvoyer quatre membres car ils ne correspondaient pas au profil. J'essaie de faire profil bas, mais c'est de plus en plus difficile.

― Encore réveillée ?

Je m'empresse de fermer mon ordinateur portable pour camoufler mon texte puis me tourne vers la porte. Papa porte son horrible robe de chambre offerte par grand-mère il y a quelques années et sa vieille paire de lunettes.

― J'avais encore du travail pour le lycée.

― Je suis très content que les cours t'intéressent davantage cette année, mais ce n'est pas une raison pour délaisser une bonne nuit de sommeil. Est-ce que quelque chose te tracasse ? Ces dernières semaines n'ont pas été faciles pour ta soeur et toi.

Mes mains tremblent d'elles-mêmes en songeant aux événements. Cette nouvelle année scolaire est encore plus épuisante que la précédente, je ne suis pas certaine d'être capable d'assumer un nouveau chamboulement. Mon père s'installe sur mon lit en me regardant. Il attend une réponse, mais que puis-je répondre ?

― Cela ne me regarde certainement pas, mais est-ce que tu as eu des nouvelles de...

― Elle m'envoie régulièrement des messages, mais je ne réponds jamais. Je ne peux pas faire semblant de lui pardonner uniquement parce qu'elle revient dans nos vies avec une histoire stupide. Comment peux-tu accepter sa présence ?

Il soupire.

― Tu es encore trop jeune pour le comprendre, mais j'ai tourné la page sur ces événements depuis quelques années. Je suis sur le point d'épouser une femme exceptionnelle et mes deux filles seront présentes pour vivre ce moment. Quand tu auras mon âge, tu comprendras l'importance d'avancer.

― Je ne supporte pas son culot de revenir après tant d'années...

― C'est un sentiment tout à fait normal, mais je sais que tu es suffisamment intelligente pour prendre la bonne décision. En tant que père, je ne t'empêcherai jamais de voir ta mère ou de l'effacer de ta vie. La liberté est une chose importante et je refuse de te priver de ce choix.

Il dépose un baiser sur le sommet de ma tête.

― Attention à l'heure, nous allons chez mamie tu te souviens ?

― Ne t'inquiète pas, je ne vais pas tarder.

Mon père hoche la tête avant de sortir de ma chambre. Je suis heureuse que mon père ne m'oblige pas à répondre à cette femme. Quand je le compare avec le père de Nathaniel et Julia, je remarque à quel point la différence est grande. James Hayes est vraiment monstrueux, j'aurais aimé qu'ils aient la chance de connaître le véritable amour paternel.

Je me connecte de nouveau sur ma session afin de terminer mon travail du jour lorsque mon portable vibre. Qui peut m'envoyer un message en plein milieu de la nuit ? Cela ressemble à un début de film d'horreur !

De Ava
15 Novembre - 01h10
La lumière de ta chambre m'empêche de dormir.

De Max
15 Novembre - 01h11
Ferme les rideaux dans ce cas !

Je sais que ce n'est qu'une excuse pour m'envoyer un message. Nous échangeons régulièrement sur l'avancement du plan et c'est souvent le soir. Au fil des conversations, j'ai découvert que Ava souffrait d'insomnie, ce qui la pousse à vivre la nuit. Durant les vacances, elle a un cycle de sommeil inversé, ce qui lui gâche la vie.

De Ava
15 Novembre - 01h12
Qu'est-ce que tu fais encore debout à une heure pareille ? Tu essaies de peaufiner les détails du plan pour renverser la dangereuse Clara Cohen ?

De Max
15 Novembre - 01h14
Rassure-moi tu sais que je n'ai pas soixante-dix ans ? Je travaille juste sur mes cours avant de partir en week-end chez ma grand-mère. On ne capte jamais dans sa maison alors autant m'avancer. Et toi ? Qu'est-ce que tu fais au milieu de la nuit ?

De Ava
15 Novembre - 01h16
Justement je m'ennuie alors j'allais te proposer d'aller faire un tour.

De Max
15 Novembre - 01h19
Tu veux que je fasse le mur ? Mon père ne dort pas encore alors je doute de pouvoir passer par la porte d'entrée. Désolée, mais je n'ai aucune autre option à proposer.

Cette conversation me rappelle le soir où je suis allée rejoindre Nathaniel dans la nuit. Je me souviendrais toujours de ce sentiment euphorique. Ava provoque la même chose, ce qui me rend nostalgique de Nathaniel. Il hante presque chacune de mes pensées alors que nous ne sommes plus ensemble. Il faudrait que je passe à autre chose, ce n'est pas bien compliqué !

De Ava
15 Novembre - 01h23
On a une vieille échelle, je peux très bien passer par la clôture séparant nos jardins et coller l'échelle contre le mur. Promis, on restera tranquillement dans mon jardin à discuter et si tu te sens d'humeur aventureuse, je te propose d'aller faire un tour dans la rue. Convaincue ?

Incapable de répondre à cette demande, je fixe le message durant de longues minutes. Papa n'accepterait jamais que je passe par la fenêtre au milieu de la nuit pour rejoindre une amie. Est-ce que je peux vraiment considérer Ava ainsi ? Nous nous sommes rapprochées pour le plan néanmoins il m'est impossible d'affirmer un quelconque lien amical. Je chasse ces pensées de mon esprit afin d'enfiler un gros pull par-dessus mon pyjama.
J'enfile mes chaussons parce que je n'ai absolument rien d'autre sous la main. Je repousse les rideaux afin d'ouvrir la fenêtre. Je remarque une silhouette dans le jardin des voisins, il s'agit sans aucun doute de Ava.

De Ava
15 Novembre - 01h27
Je n'ai eu aucune réponse à mon message, mais je te vois à ta fenêtre. Encore cinq minutes et je viens te rejoindre princesse !

Je me penche un peu plus en avant en ignorant mon vertige. Dans l'obscurité, Ava ressemble à une cambrioleuse, il faut espérer que personne d'autre ne remarque cette étrange personne portant une échelle. Elle la plaque doucement sur le mur pour que je puisse descendre. Je glisse mon portable dans la poche de mon pull puis inhale une grande bouffée d'air.

― Si tu tombes, je promets pas de te rattraper ! chuchote-t-elle.

― Merci de me rassurer !

Je pose mon pied sur la première marche de l'échelle en tremblant. Malheureusement, ma pantoufle gauche décide de se faire la malle et de descendre à ma place. Elle tombe directement sur la tête de ma voisine. Je ferme les yeux tout en descendant doucement l'échelle afin de rejoindre Ava. Ce n'est pas dans mes habitudes de faire le mur, mais je considère le message de ma voisine comme un signe du destin.

Une fois en bas, je récupère ma pantoufle en me retenant de crier de joie. Ava m'entraîne dans la rue en se retenant de rire. Pour la première fois depuis notre rencontre, j'arrive à voir derrière son masque.
Lorsque nous sommes seules, elle n'est pas inaccessible. Je la trouve souriante et pleine de vie. Plantée au milieu de la route, Ava tourbillonne sur elle-même en levant les yeux vers le ciel.

― Qu'est-ce que ça fait de devenir une rebelle, Maxine ?

― Prochaine étape : la prison ?

Elle éclate de rire.

― Je t'ai vraiment mal jugée lors de notre emménagement. Tu es loin d'être la fille ennuyante que tu montres au lycée, j'aime bien ton petit grain de folie. C'est dommage que tu ne le montres pas plus souvent.

― Je n'en ai pas vraiment l'occasion.

― C'est peut-être une partie de toi que tu ne connaissais pas encore ?

Les mots de Nathaniel me reviennent en tête. Il m'encourage toujours à devenir celle que je suis et ne plus me cacher. Je n'ai pas encore lu la lettre du mois de Novembre par manque de temps, mais je m'efforce d'accomplir chaque défi même les plus compliqués. Je remarque à quel point les deux se ressemblent. Nathaniel me manque tellement que j'arrive à voir une ressemblance avec Ava ! Des larmes me montent immédiatement aux yeux.

― Excuse-moi je ne voulais pas te faire pleurer.

― Tu n'es pas responsable... Une personne que j'aime me manque terriblement et putain qu'est-ce que ça fait mal ! On s'envoie régulièrement des messages, mais ce n'est pas la même chose.

― Le contact physique est toujours meilleur que le digital.

Ava glisse sa main dans la mienne pour m'emmener un peu plus loin. Je lance un regard à ma maison. C'est une nuit spéciale et un peu triste alors je ne veux pas la passer seule. Nous nous installons à l'arrêt de bus proche de la maison. L'unique banc dans le quartier !

― Je t'ai menti, avoué-je.

― Sur quel sujet ?

― Je ne travaillais pas sur mes cours, mais sur une histoire que... j'écris.

― Attends ! Tu écris un livre ?

Je secoue la tête.

― Ce n'est pas vraiment un livre, mais une nouvelle pour un concours. La date butoire approche, mais je ne suis plus certaine de vouloir participer. Mon travail n'est pas suffisamment bon pour être lu.

― Bon je ne connais pas la qualité de tes écrits, mais il faut bien commencer quelque part ? Je vais pas te mentir, il y a peu de chance que tu gagnes ce concours si c'est ta première histoire, mais tu as songé à t'inscrire sur des plateformes d'écriture ?

― Non... je ne veux pas qu'on me reconnaisse.

― C'est tout l'intérêt d'une plateforme d'écriture !
Tu es libre d'utiliser un pseudo si tu veux rester anonyme et cela te permettrait d'écrire et rencontrer d'autres auteurs. Je ne suis pas une spécialiste, mais peut-être que ça t'aiderait à prendre confiance en ta plume.

― Je vais y réfléchir.

Ava est la première personne avec laquelle j'évoque l'existence de mon histoire. Elle ne s'est pas moquée de moi et c'est ce dont j'avais besoin. J'ignore combien de temps nous passons à discuter, mais suffisamment pour que le soleil commence à se lever. Cette soirée restera gravée dans ma mémoire.

24.06.2023

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