16. Bonbons et larmes séchées
La sensation de trahison ne quitte pas mon corps et mon esprit. Je ne suis qu'une imbécile de première. Pourquoi ai-je accepté ce rendez-vous alors que je savais au fond de moi que ça me ferait du mal ? On répète souvent qu'il ne faut pas accorder de seconde chance aux personnes mauvaises, mais c'est difficile lorsqu'il s'agit de votre propre mère. Elle est une menteuse, manipulatrice qui joue avec nos sentiments.
Perdue dans mes propres pensées, je marche pour me mettre à l'abris sous un arbre suffisamment épais pour empêcher la pluie de me mouiller davantage. Le ciel pleure avec moi. C'est ironique quand on pense que le soleil brillait encore il y a moins de quarante-cinq minutes. Mon portable sonne dans ma poche, mais je ne prends même pas la peine de le regarder. Je ne veux parler a personne et surtout pas cette traîtresse.
Je tremble a cause de mes vêtements humides, mais je n'éprouve aucune envie de retourner à la maison. Affronter les regards de ma famille me donne envie de vomir. Je m'adosse contre l'arbre en fermant les yeux. Combien de temps vais-je rester dehors à attendre ? Qu'est-ce que j'attends au juste ? Les miracles n'existent pas tout comme les familles parfaites et aimantes. Ce ne sont que des mythes, des histoires à dormir debout.
Le soleil est lentement en train de se coucher, cela doit faire un certain temps que je suis installée au pied de cet arbre. Personne n'a remarqué ma présence, je suis comme un fantôme qu'on remarque à peine. Je ne suis pas encore prête à rebrousser chemin pour retourner à la maison. C'est peut-être de la lâcheté, mais j'ai besoin d'un moment de calme et de solitude.
Je parviens à me redresser avec difficulté. La sensation de mon jean collant contre mes jambes est désagréable. Je pourrais aller au Lovely Coffee cependant je sais que ma présence là-bas ne serait pas inconnue. Alors je marche dans les rues de Dunwood sans adresser un regard aux personnes que je croise sur mon chemin. Je n'ai pas regardé les notifications de mon portable une seule fois. Il vibre un nombre incalculable de fois et pourtant je m'en fiche.
— Il manque encore les légumes, mais maman a demandé à ce qu'ils viennent directement de la petite ferme locale.
— Tu ne pouvais pas le dire cinq minutes plus tôt, Julian ? On va devoir faire demi tour et j'ai encore une tonne de devoirs à terminer. Tu fais chier !
Des voix familières attirent mon attention. Plongée dans mon propre mutisme j'avais oublié que le monde continuait à tourner. Destin ou pas destin, c'est ironique de croiser Julian et Ava. Les deux adolescents se disputent quelques minutes avant que le garçon ne fasse finalement demi tour laissant Ava toute seule.
Elle soupire puis dépose le sachet de courses à ses pieds en tapotant sur son portable. Ce n'est pas un des derniers à la mode, il semble plutôt ancien avec des touches. Un modèle qui n'existe plus aujourd'hui. Ava grommelle des mots incompréhensibles avant de lever les yeux et remarquer ma présence. Nous nous sommes jamais adressées la parole, mais elle m'intrigue. Je détourne les yeux la première afin de ne pas paraître trop suspecte.
Une vieille sonnerie retentit, ce qui me ferait presque sursauter. Ava grommelle de nouveau avant de répondre.
— Allô ? La voisine ?
Elle lève immédiatement les yeux vers moi.
— Non je ne l'ai pas vu, désolée maman. Je te tiens au courant si elle est en ville ou non. Oui je te le promets, à tout à l'heure.
Ava soupire puis prend son grand sac de course avant de se rapprocher de moi. Sa présence me trouble, elle n'est pas comme les autres filles que j'ai rencontré jusqu'ici. Elle n'a pas une apparence méchante, mais il y a quelque chose de différent.
— C'est pas très sympa d'épier les conversations des autres, Maxine Price. Je t'ai vu rôder près de ma maison l'autre nuit et maintenant je te retrouve en ville en train d'écouter ma conversation au téléphone.
— Désolée... ce n'est pas volontaire.
Un éclat de rire s'échappe de sa bouche.
— Pas de panique, je rigole. Je m'en fous qu'on écoute mes conversations surtout que tu n'as jamais rien dit à personne.
— Je ne suis pas le genre de filles à tout répéter.
Elle hoche la tête.
— Ne le prend pas mal, mais qu'est-ce que tu fais toute seule sous la pluie alors que ta famille est actuellement en train de te chercher ?
— Je ne sais pas, j'essaie de garder la tête froide.
— Tu as surtout l'air d'une fille paumée et complètement paniquée. Désolée, je préfère être honnête que raconter des bobards à dormir debout.
Elle extirpe de sa poche son paquet de cigarettes ainsi qu'un briquet. Cela me ramène immédiatement une année en arrière. Nathaniel et moi avons fait connaissance dans les toilettes avec une cigarette pour témoin. Ce n'est peut-être pas la même personne, mais je ressens le même apaisement.
Ava coince la cigarette entre ses lèvres puis fouille dans le sac de courses afin de sortir un paquet de bonbons acidulés.
— Je ne sais pas ce qui se passe dans ta vie actuelle, mais un bonbon piquant efface les tracas. Je suis bien placée pour savoir à quel point la vie peut être merdique.
— La famille surtout.
— Je suis bien d'accord. La famille c'est trop compliquée pour que tu te prennes trop la tête. Fais-moi confiance tu devrais davantage songer à toi-même au lieu de te préoccuper de la merde.
Je suis encore surprise par son franc parler mais elle a le mérite de ne pas mâcher ses mots. Elle ne cherche pas à s'abriter de la pluie, elle se contente de basculer sa tête en arrière afin de contempler les nuages parsemant le ciel.
J'essuie les dernières traces de larmes puis prend timidement un bonbon dans le paquet. Ava porte une perruque verte pomme aujourd'hui, on la remarque de loin. Cela fait parti de son identité je présume.
— Tu devrais peut-être retourner chez toi, tes proches s'inquiètent. Je ne sais pas pourquoi tu es toute seule sous la pluie, mais toutes les situations finissent par s'arranger.
— C'est ce que tu penses vraiment ou tu espères juste m'attendrir ?
Elle rit.
— Je te l'ai dit, j'aime la franchise. Ma mère vient de m'appeler parce que tes parents te cherche partout et apparemment tu ne réponds pas au téléphone.
— J'avais besoin de m'éloigner pour réfléchir sans la moindre distraction. Ma famille est plus minable que je ne le croyais.
Ava écrase le reste de sa cigarette sous la semelle de ses chaussures puis se tourne vers moi. Je croise ses yeux marron étonnamment chaleureux. Elle ne ressemble pas à la fille froide et solitaire avec qui je partage quelques cours.
― Toute ta famille craint ou bien quelques personnes ?
― Non juste mon idiote de mère.
― Ne te préoccupe pas de ces personnes qui te font du mal, mais de ceux qui veilleront toujours sur toi. Je sais que c'est facile à dire, mais crois-moi tu seras beaucoup plus heureuse en accordant de l'importance à ceux qui le mérite vraiment.
Nous sommes interrompues par le retour de Julian avec les fameux légumes. Il me lance un regard surpris avant de se tourner vers Ava. Qui aurait cru que j'aurais une conversation avec la fille la plus solitaire de tout le lycée ?
― Maman t'a appelé aussi pour te dire que la voisine avait disparu ?
― Oui, mais je ne lui ai pas dit que Maxine était avec moi.
Julian ne semble pas heureux de cette réponse, mais c'est sûrement parce qu'il ne connaît pas la raison de ma fuite improvisée. Ava soupire en faisant les gros yeux à son frère puis se tourne de nouveau vers moi.
― Tu ne vas pas rester dans le froid quand même ? demande-t-elle.
― Je ne suis pas certaine de vouloir rentrer chez moi.
― D'accord, mais il est hors de question que tu restes dans le froid. Envoie un message pour les informer que tu vas bien et que tu as besoin de solitude. En attendant, tu vas passer un peu de temps avec nous.
Je me contente de hocher la tête, touchée par la proposition de ma voisine. Nous prenons la direction de l'arrêt de bus le plus proche afin de rentrer. En attendant que le bus arrive, j'écris un message à ma soeur pour qu'elle rassure tout le monde. Je ne prends pas la peine de lire les autres messages surtout ceux de Mary.
De Max
06 Septembre - 17h29
Je suis désolée pour le manque de nouvelles, mais j'avais vraiment besoin de temps pour digérer certaines choses. Tout va bien, je ne suis pas toute seule et je compte rentrer bientôt. Promis, j'expliquerai tout quand je serais prête, mais laissez-moi ces quelques heures de solitude.
Le bus arrive finalement quelques minutes plus tard, nous trouvons facilement des places. La chaleur à l'intérieur du véhicule me réchauffe. Je n'avais pas conscience à quel point j'avais froid à cause de mes vêtements mouillés. Julian me lance quelques regards curieux, mais ne pose aucune question indiscrète. Il me rappelle Alex sur certains points, c'est sûrement la raison pour laquelle je l'apprécie autant.
Nous dépassons l'ancien salon de thé, ce qui est suffisant pour me faire pleurer. Je croyais que la colère avait emporté la tristesse malheureusement ce n'est pas le cas. Julian change de place pour se mettre à côté de moi et me prendre dans ses bras. Je l'aurais habituellement repoussé, mais aujourd'hui j'ai besoin de réconfort d'une personne qui ne connaît pas toutes mes casseroles.
04.03.2023
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