48. Miettes d'un coeur brisé

J'enfonce la cuillère dans ma glace aux pépites de chocolat en soupirant. Cette soirée d'anniversaire était fantastique, j'ai passé un excellent moment en compagnie de mes meilleurs amis. Clara s'est donnée beaucoup de mal pour rendre cette soirée magique aux yeux de mon meilleur ami. Je regrette de ne pas avoir eu le courage de retourner auprès des autres lors du départ de Nathaniel. J'ai passé une bonne heure installée près de la piscine, tremblante de froid sans prononcer un mot. Plusieurs personnes ont tenté de me pousser à retourner dans la maison, sans succès. Emy est la seule avec laquelle j'ai accepté de discuter de ce qui s'est produit entre Nathaniel et moi.

J'ai passé le reste de la soirée enfermée dans la chambre en pleurant pour oublier la conversation entendue entre Nathaniel et ma soeur. Mes amis n'ont pas hésité à venir me rendre visite pour surveiller mon état, mais je n'ai adressé la parole à personne en dehors de ma meilleure amie. Je ne me suis pas attardée dans la maison des jumelles ce matin, j'ai marché jusque l'arrêt de bus le plus proche pour rentrer chez moi le plus vite possible.

Je retire mon casque de mes oreilles en voyant ma belle-mère sur le seuil de ma chambre. Elle sourit tristement en me voyant recroquevillée dans mon lit, la glace en pot entre mes cuisses ainsi que mon ordinateur portable un peu plus loin diffusant une série. La robe que je portais la veille repose tristement dans un coin de ma chambre. Il est hors de question que je la reporte un jour, ça risque de me rappeler les souvenirs de cette mauvaise soirée. Ella s'avance dans ma direction. Mon comportement n'a échappé à personne dans la maison, mais ils ont la bienveillance de ne pas poser de questions indiscrètes.

― Est-ce que tu souhaites en parler ?

― Il n'y a rien à dire.

― Ce n'est pas bon de tout garder pour soi-même et s'enfermer dans sa chambre. Depuis le début de l'année scolaire, tu es devenue une personne tellement sociable. Je comprends ton besoin d'intimité, mais sache que je suis toujours présente pour t'écouter et te conseiller.

Ella dépose un baiser sur mon front puis quitte ma chambre. J'appuie sur le bouton pour éteindre mon casque puis le dépose sur ma table de chevet. C'est difficile d'évoquer ce sujet alors que tout date de quelques heures à peine. Psychologiquement je me sens incapable de prononcer ce mot si banal et tellement dur à la fois. Je repousse une mèche de mes cheveux derrière mon oreille puis décide de quitter mon lit. J'attrape mon portable auquel je n'ai pas touché depuis mon retour puis soupire en voyant un nombre incalculable de messages de Nathaniel.

De Nathaniel
Je suis sincèrement désolé de ne pas avoir eu le courage nécessaire pour te rattraper et t'expliquer la situation. Est-il possible de se voir pour qu'on puisse s'expliquer ? C'est important...

De Nathaniel
Il est encore tôt, mais pourrais-tu répondre à ma demande ? Je suis certainement la dernière personne que tu souhaites voir, mais j'ai besoin de te parler. Tu mérites d'avoir une véritable explication. Rappelle-moi quand tu pourras.

De Nathaniel
J'ai besoin de te voir c'est important, Max. Ne me laisse pas je t'en prie.

Je supprime chaque message envoyé par ce garçon que je croyais connaître. Il est la cause de la souffrance de ma soeur, ce qui explique la raison pour laquelle Sam souhaitait tant que je m'éloigne de lui. Son comportement n'est rien d'autre que de la lâcheté, c'est inadmissible. Je m'approche de la fenêtre afin de regarder le ciel sombre. Le ciel s'adapte parfaitement à mon humeur maussade. J'enfile mon gilet en laine puis décide de quitter ma chambre. Je ramasse mon pot de glace abandonné sur ma table de chevet puis décide de ne plus me lamenter.

Ce n'est pas un garçon qui va détruire ma santé mentale et remettre en doute tout ce que j'ai eu autant de mal à construire. Je descends les escaliers pour rejoindre la cuisine et ranger mon pot. Je suis Maxine Price, il me faut bien plus qu'un coeur brisé pour m'effondrer. J'ai un club à gérer ainsi qu'un spectacle à préparer pour la fin de l'année. Je ne peux pas me permettre de tout abandonner à cause d'un imbécile qui s'est moqué de moi.

― Est-ce que tu as besoin d'aide ? murmuré-je d'une voix tremblante.

Ella remarque ma présence dans la cuisine et me lance un grand sourire. Je ne veux pas me lamenter parce que je n'ai pas le temps pour ça. Ma belle-mère est en train de trier les boîtes de céréales achetées il y a quelques mois auxquelles Sam ne touche plus. Elle adopte un régime saint en mangeant presque des fruits au petit-déjeuner.

― Je vais apporter certaines choses à une épicerie solidaire cette après-midi pour les personnes dans le besoin. Nous avons une grande collection de céréales qui peuvent toujours servir à des familles ainsi que des gels douches et shampoings. Je suis en train de faire une liste de ce qui est pratique dans ce genre de situation. Tu as des suggestions ?

― Il me semble que nous avons encore quelques tablettes de chocolat, cela pourrait faire plaisir. On pourrait également donner quelques paquets de pâtes et de riz afin de leur permettre de les aider à finir les fins de mois.

Dans ce monde, il y a malheureusement beaucoup de personnes souffrant de pauvreté et qui ont beaucoup de mal à terminer les fins de mois. Les épiceries solidaires permettent à ces personnes d'acheter le nécessaire à un prix relativement bas. Ella est bénévole dans l'une de ces structures et essaie d'apporter un maximum de produits lorsque c'est possible. J'aimerais me rendre utile et accompagner ma belle-mère, mais papa répète que je suis encore trop jeune. Lorsque j'aurais seize ans je pourrais m'y rendre, mais pas avant. J'ai encore quelques mois à attendre mon anniversaire.

Ella et moi passons deux bonnes heures à trier nos placards à la recherche d'articles à donner. Cette activité m'aide à ne pas penser et me concentrer sur autre chose. Je ne suis pas mécontente que les préparations du spectacle secret débutent demain. Qui aurait cru que cette année scolaire comporterait autant de rebondissements. Papa rentre du travail en milieu d'après-midi épuisé et ne s'attarde pas auprès de nous. Sam est de nouveau en vadrouille aujourd'hui, mais cela ne me dérange pas, je ne voulais pas l'affronter et évoquer avec elle ce qui s'est produit hier.

La sonnette de la porte retentit interrompant le fil de mes pensées intérieures. Je dépose le paquet de biscuits dans le sachet puis m'approche de la porte. Mon coeur rate un battement en voyant Nathaniel sur le seuil de la porte. Il tient une boîte rose dans la main contenant certainement des pâtisseries ainsi que des tulipes. Des cernes violacées trônent sous ses pupilles et je peux voir à quel point il est triste.

― Qu'est-ce que tu fais ici ? demandé-je d'une voix cassante.

― Tu mérites une vraie explication, Max.

― La seule chose que je souhaite est de ne plus te voir dans mon champ de vision. Casse-toi ! Je ne veux plus que tu t'approches de moi ou de mes amis. Ta présence me rappelle à quel point j'ai été conne de faire confiance à quelqu'un d'autre que moi-même.

Il tend la main dans ma direction, mais je recule d'un pas en fronçant les sourcils. Je refuse d'entendre la moindre explication provenant de sa part. Il s'est montré sincère sur un grand nombre de choses, mais pas sur le passé avec ma soeur. Ce n'est qu'un lâche qui s'est moqué de moi depuis le début. Toutes ces marques d'affections et cette gentillesse camouflaient un énorme secret. Qui pourrait aimer une fille comme moi ? J'ai été si stupide d'y croire ne serait-ce que deux minutes.

― Les apparences sont contre moi, laisse-moi m'expliquer.

― J'ai parfaitement compris la situation, Nathaniel. Tu éprouves une grande culpabilité parce que tu n'as pas eu le courage de plaider la cause de ma soeur et la libérer de l'emprise de Jason. Au lieu de ça, tu as appris le lendemain ce qui s'était produit dans notre maison. Alors en apprenant que Samantha Price avait une petite soeur, tu as décidé de te faire pardonner en la fréquentant et prétendant éprouver des sentiments pour elle.

― Tu te trompes, Max...

Je lève la main pour l'interrompre.

― Il n'y a que les proches et amis qui peuvent m'appeler ainsi. Maintenant, tu vas quitter cette maison et ne plus jamais revenir. Nous sommes contraints de passer du temps ensemble pour le spectacle, mais tu as l'interdiction de m'adresser la parole.

― Mes sentiments pour toi ont toujours été sincères.

Nathaniel dépose les cadeaux à mes pieds puis s'éloigne sans prononcer un mot de plus. Je fixe la boîte de gâteaux ainsi que les fleurs. Je les écrase violemment avec mon pied en ignorant la douleur de mon coeur. Telle une enragée, j'arrache les pétales en poussant un hurlement à en faire trembler les murs de la maison. Quelques passants observent la scène avec une curiosité malsaine. Un sanglot s'échappe de ma bouche ainsi que des larmes. Je ne devrais pas craquer, c'est une preuve de faiblesse et je refuse de me soumettre à une telle émotion. Des bras enveloppent ma taille tandis que je laisse la douleur s'accaparer de mon coeur. Pourquoi ai-je laissé mes sentiments m'aveugler ? C'est une chose qui ne se reproduira plus.

24.09.2022

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