1. Haine du dimanche
Recroquevillée dans le canapé du salon, je regarde les gouttes de pluie rouler délicatement sur le carreau. Je souffle sur mon chocolat chaud, unique source de chaleur dans ma maison. Mon père n'a pas encore allumé le chauffage et par sa faute je suis lentement en train de mourir de froid. Mon épaisse couverture polaire recouvre mon corps, mais elle n'est pas suffisamment chaude pour me réchauffer. Je profite de cette journée calme pour me reposer et ne rien faire de particulier. Mes devoirs attendent sagement dans mon sac la correction, ma mission pour le lycée est accomplie. La télévision diffuse un vieux dessin animé que je ne suis plus supposée regarder à mon âge, mais en ce dimanche pluvieux je m'en accorde le droit. Quoi de mieux qu'une journée détente devant la télévision dans un pyjama confortable ?
Les dernières semaines ont été particulièrement épuisantes. Mon entrée au lycée s'est accompagnée de travaux difficiles à rendre, la rencontre de nouveaux professeurs ainsi que mes nouveaux camarades. Je n'ai pas encore réussi à trouver mes marques malgré mon envie de m'intégrer. Les choses doivent absolument être différentes cette année. J'ai besoin de cette normalité. En toute franchise, j'avais l'espoir que ce changement apporterait un vent de fraîcheur dans ma vie, mais le lycée n'est en soit qu'une vague copie du collège en bien plus angoissant. Les professeurs n'arrêtent pas de répéter à quel point ces prochaines années sont importantes pour notre avenir professionnel. Ces paroles m'ont glacé le sang. Ils ne se souviennent probablement plus de l'époque où eux-mêmes étaient des adolescents. Comment peut-on demander à une bande de lycéens ne connaissant rien à la vie de prendre les bonnes décisions ? Nous ne sommes que des gamins souhaitant profiter de la vie le plus longtemps possible avant de faire notre entrée dans le terrible cercle des adultes. L'avenir est une chose effrayante à laquelle je m'efforce de ne pas penser.
Je soupire puis avale une gorgée de ma boisson sucrée. L'automne est une saison que j'affectionne beaucoup. J'aime voir les feuilles virevolter dans les airs et s'échouer sur le sol encore humide. J'aime l'odeur après la pluie et le bruit de nos chaussures sur le béton. Un sourire étire mes lèvres en songeant aux longues balades que ma soeur et moi faisions avant que tout ne change. Nous avions l'habitude de nous promener chaque dimanche et partir à la recherche du meilleur chocolat chaud de la ville. C'était tellement plus simple de lui parler et de lui confier toutes mes craintes. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et je le regrette. La sœur attentive et bienveillante s'est envolée ne laissant qu'un clone sans sentiment. Elle représente à elle seule le cliché de la fille populaire, mais je sais que ce n'est pas sa véritable personnalité. Je garde l'espoir qu'elle redevienne comme avant, mais peut-être ai-je tort d'attendre ?
Je coince mon mug entre mes cuisses en veillant bien à ne rien renverser puis ouvre une page de mon carnet. Je m'efforce de repousser le moment où je devrais changer de support d'écriture car celui-ci sera peuplé de mots, gribouillages et vagues idées. La plupart de mes pensées sont enfermées dans ce carnet qui ne me quitte jamais. Il représente bien plus à mes yeux qu'un simple portable. Ma mère répétait souvent qu'il est important de garder une trace de son passé parce que la mémoire n'est pas éternelle, mais les mots le sont.
— Encore en pyjama, Max ?
Je lève les yeux au ciel en voyant ma sœur débarquer dans le salon.
— Il faut croire que oui.
— Ce n'est pas vraiment une bonne idée de rester enfermée toute la journée, tu sais. Il y a tellement de choses à faire dehors, mais toi tu préfères traîner devant la télé dans ton horrible pyjama !
Je tire sur mon t-shirt.
— Il est très bien mon pyjama !
— Ce n'est pas la question.
Sam fronce les sourcils en me regardant droit dans les yeux.
— Papa ne t'avait pas demandé de t'occuper des corvées aujourd'hui ?
Mon regard se pose sur la liste inscrite sur le tableau attendant bien sagement. Je soupire de nouveau puis dépose ma tasse sur la table basse du salon.
— Oui sûrement.
— Tu comptes remuer tes fesses ?
— Non, je vais appeler la fée du ménage pour qu'elle le fasse à ma place.
Sam soupire à son tour.
— Ne compte pas sur moi pour te trouver une nouvelle excuse.
Je hausse les épaules. Mon père risque de ne pas être très content, mais je parviens généralement à m'en sortir en appliquant mon arme secrète. Mon grand sourire et des yeux tristes suffisent à le convaincre de me laisser tranquille et de ne pas avoir de punition. Cela fonctionne la plupart du temps, j'ai bon espoir de continuer sur cette lancée.
— J'aimerai te voir heureuse et épanouie, Max.
— Qui te dit que je ne le suis pas ?
— Parce que tu ne serais pas à la maison en pyjama devant des émissions pour enfants ! Si tu as honte de ton physique, tu peux toujours changer ton mode de vie. Pourquoi ne pas rejoindre un club de sport ?
Je croise les bras en lui lançant un regard noir.
— Tu as conscience que le sport n'est pas toujours la meilleure solution aux problèmes ?
Sam cherche seulement à m'aider, mais ces remarques blessantes commencent à m'agacer de plus en plus. J'ai l'habitude d'être critiqué sur mon physique et d'entendre des choses désagréables dans mon dos. Il y a encore quelques mois, je me trouvais trop grosse pour être bien habillée alors je me camouflais derrière des tenues immondes. Je n'arrivais pas à me rentrer dans le crâne que toutes les femmes étaient belles. Ce n'est pas le poids qui définit la beauté, ce sont des conneries entendues à la télévision. Il m'arrive de douter encore de moi-même et de cacher les miroirs de la maison pour ne pas me voir, mais j'avance à mon propre rythme. J'ai conscience de ne pas être parfaite, mais l'important c'est que je sois bien dans ma tête et dans mon corps. Pourquoi une femme devrait-elle porter du 34 et être maquillée pour être aimée ? La différence est-elle à ce point un fléau ?
Comme à mon habitude depuis le changement de Sam, j'opte pour l'ignorance, préférant oublier ce grotesque comportement et me concentrer sur des choses positives. Je reporte mon attention sur mon carnet, ma main dessine d'elle-même des formes au hasard. Il est de plus en plus difficile de s'accepter dans un monde aussi merdique que le nôtre. Combien de personnes souffrent-elles en silence ? Les masques sont tellement plus simples à porter, n'est-ce pas ? Je serre fermement le stylo dans ma main lorsque mon esprit est inondé par des souvenirs douloureux. Les moqueries, les rires et les critiques sont comme des mélodies tranchantes ouvrant des plaies invisibles sur ma peau.
J'aimerais que le monde soit un peu plus beau et que la différence ne soit pas considérée comme un fléau. Je ne suis pas un monstre, mais une jeune femme qui tente désespérement de trouver sa place. Il existe probablement d'autres filles, garçons dans le même cas que moi, souffrant du regard des gens.
Je me perds dans ces mots prenant place sur les lignes de mon carnet, oubliant au passage la présence de ma grande sœur. C'est devenu une habitude de m'échapper en couchant mes pensées sur le papier. Je me remémore les moments durant lesquels Sam était présente pour m'aider et non me rabaisser.
— Tu m'écoutes au moins ?
Cela fait bien longtemps que je n'écoute plus les mots venant de cette étrangère. Elle n'est que le reflet d'une destruction interne que nul n'est capable de réparer. La douleur est capable de créer bien des choses.
— Ce n'est pas pour te blesser que je te fais la remarque, Max. Beaucoup profiteront de ton poids pour te faire des remarques blessantes et t'humilier. Je veux seulement t'aider alors essaie de m'écouter.
— C'est toi qui ose dire ça ? Aurais-tu oublié ce qui s'est passé l'année dernière ?
Ses lèvres tremblent légèrement cependant elle secoue la tête. Ma sœur me lance un regard triste tout en prenant la direction de l'entrée. Elle attrape son sac à mains marron puis claque la porte d'entrée derrière elle. Je déteste ce qu'elle est devenue, mais je ne supporte pas lui faire du mal. C'est peut-être une personne différente aujourd'hui, elle reste néanmoins ma sœur que j'aime. Parfois, j'aimerai lui parler de la difficulté de vivre dans son ombre et prétendre ne pas entendre les murmures dans mon dos, mais Sam n'écouterait pas. Cela fait un moment qu'elle n'écoute plus.
15.01.2022
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