Tu ne serais pas enceinte toi ?

Je regarde la pluie tomber par la fenêtre. Les gouttes forment un rideau opaque qui perturbe la régularité des façades Hausmanniens. Le temps est maussade et mon humeur n'est pas en reste. Ca fait bientôt une semaine que je couve une mauvaise gastro. Je suis fatiguée, j'ai des nausées, je vomis peu cependant... Sauf que... Vous en avez déjà vu vous des gastros qui durent aussi longtemps ?

Lorsque j'en ai parlé naïvement à Mathilde, ma collègue de boulot, elle m'a fait un sourire caustique. « Tu ne serais pas enceinte toi ? » Elle m'aurait giflée, ça m'aurait fait le même effet. Mon coeur a fait un bond dans ma poitrine, ma gorge s'est serrée et tout mon corps s'est chargé d'adrénaline en mode panique. Mais bien sûr ! Quelle gourde de ne pas y avoir pensé plus tôt. Mathilde a pouffé de rire devant mon air mortifié. « Je plaisante ! Eh, t'inquiète, je te connais Léa, depuis le temps. Je sais bien que la maternité c'est pas pour toi. Mais plus sérieusement, prends rendez-vous chez le médecin. C'est bizarre ton truc... » Elle ponctue ses mots avec une portion de gel hydroalcoolique et se frictionne les mains. « Ca me rappelle Solange, elle a eu de la fièvre pendant plus d'une semaine avant d'aller chez le médecin, et bien figure toi qu'elle était convaincue d'avoir le palu. Et pourtant je te promets qu'elle... »

Je ne l'écoute plus. Je repense à mon week-end avec Jules en Vendée, pour le mariage d'Elina. C'était tellement bien. Je me suis crue en vacances. La journée de mariage s'est enchaînée avec une vitesse folle et la soirée a duré jusqu'au petit matin. Le lendemain, après deux courtes heures de sommeil, nous avons déjeuné en compagnie des mariés et des autres invités. Nous étions ivres de fatigue mais tellement heureux et tellement bien. Nous avons tenu à profiter un peu du front de mer avant de rentrer. Résultat, nous avons retrouvé notre appartement tard dans la nuit. Le réveil le lendemain a été effroyable, mais tant pis, j'avais bien profité. Je me suis rendue au boulot comme un zombie. C'est à peine si je me suis rendue compte que je prenais le métro. Je n'ai rien ressenti, ni les gens entassés contre moi, ni les marches qui jouent aux montagnes russes. De toute façon, mes pieds connaissent la route tout seuls. Les écouteurs sur les oreilles, j'étais en pilote automatique. On pourrait penser que c'était comme d'habitude un lundi matin, mais c'était pire. Toute la journée, assise sur mon fauteuil de bureau, j'ai lutté contre la somnolence, abreuvée de café soluble. Enfin le soir, je suis rentrée et j'ai eu un éclair de lucidité inattendu. Ma pilule ! J'ai pu constater avec désespoir que je n'y avais pas touché depuis jeudi. Je l'avais pourtant emmenée... Tout au fond d'une poche de mon sac... Mais quelle boulet ! Une pilule du lendemain plus tard, je me sentais mieux. L'oubli était un peu long mais ça m'arrivait tellement fréquemment, sans qu'il y ait eu de conséquences jusque-là... A part avoir rempli mon armoire à pharmacie d'un stock de pilule du lendemain... Je ne me suis pas trop inquiétée. La vie a repris son cours. Je n'ai pas eu de règles la semaine dernière, mais je n'en ai jamais eu avec cette pilule. Rien d'alarmant en somme.

Là, aujourd'hui, maintenant, au vu des indices, je ne le sens pas, mais alors pas du tout. Je jette un oui oui précipité au monologue de Mathilde. Elle ne devait pas pas attendre de réponse car elle lève un sourcil peu convaincue. Tant pis. Je fais semblant de me concentrer sur mon écran et deux minutes après, me retrouve à nouveau happée par la contemplation du temps gris.

Gris c'est une bonne définition de ma journée de travail. Elle passe avec une lenteur insupportable, j'ai l'impression de voir toutes les minutes me narguer sur mon écran, je n'arrive plus à me concentrer sur rien. De temps en temps, je surfe furtivement sur mon téléphone. Mes seins ont-ils gonflé ? Je louche sur ma poitrine, mon soutien-gorge n'a pas explosé pour le moment. Est-ce qu'ils me font mal ? Non. Sont-ils tendus ? Je ne vais pas me lancer dans une séance de massage, Mathilde risquerait de ne pas comprendre...

Enfin, arrive l'heure fatidique à laquelle je suis enfin autorisée à quitter mon poste, je m'échappe. J'ai une tonne de boulot à boucler pour la fin de la semaine, mais vu mon niveau de productivité, ce n'est pas la peine. Je rattraperai demain.

Je me laisse porter par le métro et descends un peu plus tôt que d'habitude. Le temps s'est éclairci. Le sol humide remonte cette odeur caractéristique de bitume et de crotte de pigeons.

Une pharmacie. J'inspecte les clients. Aucune tête connue. Parfait. Je suis loin du boulot et pas assez près de chez moi pour croiser quelqu'un que je connais. Je pense particulièrement à Madame Rucher, la voisine fouineuse du premier étage qui a l'air de passer sa vie à épier les allers et venus de tout son entourage. Lorsque j'arrive au guichet, je jette des oeillades autour de moi. J'ai l'impression d'être une adolescente en train d'acheter sa première boîte de préservatif. Je chuchote presque en demandant un test de grossesse. La pharmacienne n'a pas détecté ma gêne car elle répète après moi à voix haute « Un test de grossesse ? Venez par ici ! » Elle passe de l'autre côté du comptoir pour me désigner le rayon et, une fois plantée devant, me décrit les différents tests. Cerise sur le gâteau, elle a un enthousiasme débordant, écoeurant. La tendance absolue ? Le modèle qui me donne exactement le nombre de semaines de grossesse. Je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir autant de choix. Il y a même des lots de deux au cas où je veuille retenter l'expérience... « Ils ont tous la même efficacité ? Oui ? Alors le moins cher m'ira très bien ».

Je rentre à l'appart avant Jules. Je laisse le test dans mon sac à main. La pharmacienne, très au point sur le sujet, m'a préconisé d'attendre le matin. Et je n'ai pas envie de risquer de le faire pour rien. Morte d'impatience et frustrée, j'attrape mes vêtements de running et dix minutes après je suis dehors pour une session d'entraînement. Je mets la musique à fond et me laisse porter par mon corps tandis que ma tête se vide, concentrée sur mon souffle et entraînée par le rythme.

Toute la soirée, je suis d'une humeur exécrable. Jules se contente d'esquiver mes piques sans chercher à comprendre. Il a l'habitude de mon caractère lunatique. Il me laisse déverser ma mauvaise humeur, stoïque. Lorsqu'on s'est couché, il s'est endormi immédiatement, tandis que moi, j'ai plongé dans les bras de l'insomnie. J'ai roulé dans tous les sens possible, en imaginant ma vie avec un bébé. Je voyais tous mes rêves s'écrouler. Ma carrière qui démarrait si bien, mes envies de voyage... Et tout ça pour s'occuper d'un mioche braillard et morveux. Quand je vois tous ces parents gagas devant leurs gamins intenables, j'ai envie de m'enfuir en courant. Au bout d'un moment mon délire s'est transformé en sommeil agité et 4 heures plus tard, mon réveil a sonné.

Et me voilà, dans ma salle de bain à pisser sur une bandelette en papier. Je lance le chrono sur mon mobile. 3 minutes. Je contemple le test, angoissée. Il y a déjà un petit indicateur rose. Si un deuxième apparaît je suis mal barrée. Les secondes s'égrainent quand soudain... Non, non, non, non. Ce n'est pas possible ! Le deuxième indicateur est là, ça ne fait que 48 secondes. Le temps ne s'est pas encore totalement écoulé, ça peut disparaitre, non ?

Je contemple les chiffres qui défilent sur mon smartphone avec angoisse, le temps s'étend de toute sa longueur. Les 3 minutes passent finalement. Les deux barres roses sont toujours là, moqueuses, tandis que je reste abrutie à continuer de fixer les secondes du compteur, posée sur la lunette des toilettes.

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