23 - Calme et... réflexions

L'odeur de chocolat chaud me chatouille les narines. Maman est la meilleure !

Je m'arrête quelques secondes sur le pas de la porte de la cuisine, juste pour savourer ce moment.

Papa est assis à table avec son éternel et immense bol de café au lait rempli jusqu'au bord. Je ne vois pas son bandage caché par ses vêtements et il ne paraît pas souffrir. Il lit tranquillement le journal. Maman me tourne le dos : elle ne m'a pas entendue arriver et se fait un café.

Cette vision routinière m'enchante et me ramène quelques mois plus tôt. Avant que tout ne bascule. Avant que je n'entre dans ce fichu monde caché qui n'a de fantastique que le nom.

Je sais au fond de moi que je suis injuste. Être une sirène, ce n'est pas seulement avoir des problèmes. Être une Mage Élémentaire, ce n'est pas vivre que catastrophe sur catastrophe.

Mais il faut avouer que je cumule pas mal de choses négatives, ces temps-ci. Un petit retour à la normale, comme ce matin, ça ne fait vraiment pas de mal !

― Oh tu es là, ma chérie ! Viens, ton chocolat est chaud.

Ma mère pose mon bol sur la table avant de me sourire tendrement.

Je rentre enfin dans la cuisine et me glisse dans ses bras puis y reste blottie pendant de longues secondes. Son parfum me ramène encore plus en enfance que la vision routinière que je viens de contempler.

Je refoule mes larmes. Décidément, elles se font faciles, en ce moment.

Après avoir quitté l'étreinte maternelle avec regret, je m'assois à ma place habituelle et commence à savourer mon chocolat chaud en me tartinant une tranche de pain frais.

Le silence règne dans la cuisine. La radio émet une petite musique de fond sympathique, mes pensées en profitent pour s'évader vers des souvenirs agréables. Des moments chouettes passés en famille, surtout. Ce petit voyage interne en enfance me fait le plus grand bien, je suis presque en train de me rendormir au-dessus de mon bol.

La musique s'arrête et laisse place aux informations. J'écoute distraitement la femme qui prend la parole d'une voix atone pour énumérer tout un tas de faits qui ne m'intéressent pas.

Je me tartine une deuxième tranche de pain, lorsqu'un mot attire mon attention et me fait tendre l'oreille plus attentivement :

« ... iceberg qui dérive dans l'océan Atlantique. Ce phénomène est effectivement toujours inexplicable par les scientifiques. Ils n'ont pas pu identifier l'endroit d'où s'est décroché cet immense iceberg, des analyses sont en cours. La température de l'océan s'est également considérablement refroidie en quelque heures, les scientifiques se penchent sur ce phénomène étrange et inédit. Une invitée spéciale répondra à nos questions en soirée, ne manquez pas l'émission qui se déroulera... »

Je ferme les yeux et me masse les tempes sans écouter la suite. Lorsque je lève la tête, je croise le regard de mon père qui me fixe avec une moue embarrassée.

Retour brutal à la réalité.

― C'est moi qui ai fait ça, n'est-ce pas ? demandé-je pour être sûre d'avoir bien compris.

― Ne t'inquiète pas, ça va se régler rapidement, me rassure mon père.

― Comment ?

― J'ai eu la responsable de l'Académie au téléphone, elle a déjà envoyé quelqu'un pour s'en occuper et faire disparaître discrètement toute trace de notre passage.

Je reste silencieuse quelque secondes, soulagée, bien que me sentant encore coupable de tout ce bazar.

Je me masse de nouveau les tempes. Un mal de crâne est en train de s'installer en même temps qu'une gêne au niveau du ventre. Rapidement, je fais le calcul dans ma tête. Je vais avoir mes règles.

Super.

J'espère que ça ne sera pas aussi agité que la dernière fois !

Mais au moins, ce n'est pas tombé au beau milieu du Conseil...

Et puis, la maîtrise de ma magie étant bien meilleure maintenant, ça devrait aller.

Mon père n'a pas fini, sa voix me sort de mes pensées :

― On a aussi parlé d'Aron.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine à l'évocation du mage.

― Il n'est pas retourné à l'Académie, continue mon père. Maître Océana ne l'a pas vu alors qu'il devait s'occuper d'un groupe de jeunes. Elle n'en revenait pas de ce que nous lui avons rapporté sur lui, et va mener son enquête de son côté.

Je me ratatine sur ma chaise, incapable de répondre quoi que ce soit.

― Sarah, murmure encore mon père avec douceur. Il faut qu'on en rediscute avec toi.

Je soupire en passant la main dans ma tignasse qui doit ne ressembler à rien, coinçant mes doigts dans des nœuds récalcitrants.

― Ça peut pas attendre ? grimacé-je en souhaitant profiter un peu plus longuement de ce temps de répit qui m'est donné dans ma petite maison confortable, gardant mes yeux fixés sur mon lait qui commence à refroidir.

― Je comprends ta réticence, ma puce, mais Aron est dans la nature, sans nouvelle et sans explication. Il nous a été d'une grande aide contre Attrattiva cette fois-ci. Mais pour parer à toutes éventualités maintenant, il faut qu'on comprenne quel rôle il a joué la fois précédente...

Je fronce les sourcils en entendant la fin de sa phrase.

― La fois précédente ? répété-je sans comprendre.

― Oui. Lors de la tentative d'invasion de la surface.

― Je ne vois pas le rapport, râlé-je. Je ne le connaissais même pas, à ce moment. C'était avant qu'il me fasse comprendre que j'étais une mage.

― L'un n'empêche pas l'autre, insiste mon père, d'un air que je trouve triste et qui m'inquiète.

Je ferme les yeux pour mieux réfléchir. De toute façon, je n'y couperai pas. Autant le faire sérieusement tout de suite. L'espoir concernant la bonne foi d'Aron face à son comportement de la veille est à peine réapparu qu'il se fissure déjà devant les insinuations de mon père.

― Dis-moi à quoi tu penses, papa. Ça ira plus vite, soupiré-je.

Il prend une grande inspiration en prenant son temps. Peut-être cherche-t-il ses mots pour ne pas me blesser. Mais il a toute mon attention maintenant, même si ça doit encore faire mal.

Du coin de l'œil, je remarque que ça bouge du côté du canapé, dans le salon, et je vois une tête hirsute en sortir. Les cheveux roux en bataille et le regard vitreux de sommeil, Elya est visiblement intéressée aussi.

― Pour commencer, sache que je ne fais aucune conclusion, mais seulement des rapprochements de faits et des hypothèses.

― Ça va, papa, accouche ! grogné-je, perdant patience.

Ses lèvres s'étirent sur un sourire léger qui disparaît presque aussitôt :

― Bien. Concernant ce qui vient de se passer, on a Aron qui nous suit jusqu'à mon Royaume, ce qui est plus que suspect. Nous n'avons toujours aucune idée de ce qu'il faisait là.

Je hoche la tête. Je n'ai rien réussi à lui faire dire là-dessus...

― Ensuite, on a Attrattiva qui semble en connaître plus que de raison sur le fonctionnement de l'énergie magique. Elya m'en a touché un mot pendant que tu dormais.

J'acquiesce de nouveau : je me souviens m'être fait la même réflexion lorsqu'elle a parlé de l'énergie d'Aron, sous l'eau. Le cœur cognant de plus en plus vite dans ma poitrine, j'attends la suite.

― Après, Attrattiva parle d'Aron comme si elle le connaissait personnellement.

― Mais elle s'est trompée en disant qu'il ne serait pas notre allié, le coupé-je, cherchant désespérément à trouver une parade à la conclusion que je sens inexorablement arriver.

― Exact. Il nous a aidés ; pas le moindre doute à ce propos. Ça n'empêche pas le fait qu'Attrattiva le connaissait, lui, ainsi que la raison de sa plongée à notre suite, visiblement. Il était même peut-être là à sa demande...

― Peut-être qu'il l'a surprise en retournant sa veste ? propose alors Elya en se levant.

Elle vient s'assoir près de nous en baillant à s'en décrocher la mâchoire. Notant machinalement que maman est partie, je fixe mon amie en prenant une grande inspiration et je sors enfin la phrase qui me hante depuis le début de cette conversation :

― Vous pensez donc qu'il était l'allié d'Attrattiva avant la bataille d'hier ? Il lui aurait donné un coup de main lors de l'attaque par la plage, mais aurait changé d'avis après ça ?

Un lourd silence me répond et mon cœur se sert.

― Pourquoi est-ce que vous paraissez persuadés qu'il ait joué un rôle lors de l'invasion du mois dernier ? demandé-je encore, un soupçon se formant pourtant peu à peu dans mon esprit troublé.

― Le seul fait que nous n'avons pas pu expliquer lors de cette attaque, et dont s'est servi Attrattiva pour nous coincer pendant le Conseil... soupire mon père.

Elya enchaine :

― Tout pourrait s'expliquer avec l'aide d'un Mage de l'Air. Une légère couche d'air sec autour de chaque membre de l'armée pouvait les maintenir sous forme humaine alors qu'ils marchaient dans l'eau. On y a réfléchi longtemps, on ne voit vraiment pas comment cela aurait été possible autrement...

― Ils étaient des centaines, protesté-je encore, même si je sentais bien que ça ne servait plus à grand-chose de chercher des contre-arguments.

― Aron nous a montré la puissance de sa magie en créant cette bulle capable de résister à la pression de la profondeur de l'océan, murmure Elya. Ce n'est pas donné à tous les mages de maîtriser leur élément à ce stade.

― Alors quoi ? Il connaît Attrattiva, il l'aide à envahir la surface, mais ça rate. Et ensuite ?

― Ensuite... vous faites connaissance, répond doucement mon père.

― Mais il est toujours lié à la Suvrana par je ne sais quel contrat, continue Elya. Peut-être même que c'est sous ses ordres à elle qu'il te harcèle de mots insultants, après ce que tu lui as fait subir. Nous ne pouvons pas non plus affirmer que son revirement d'hier était sincère ou bien encore pour nous manipuler. Ou tout simplement pour survivre lui-même.

Je n'en peux plus. C'est trop pour moi. Je me lève d'un bond, les mains tremblantes, la gorge serrée et le cœur au bord des lèvres.

― Ce ne sont que des hypothèses ! crié-je presque, ne sachant plus que dire d'autre. Tout cela n'est que supposition !

Mon père ouvre les mains vers le plafond avec une moue à la fois désolée et... sévère, en me répondant :

― Mais il a disparu, Sarah. Sans explication. Qui sait où il est maintenant, avec qui, et ce qu'il fait ? Ce qu'il prépare peut-être ?

― Je croyais que tu pensais que c'était « un chic type » ! Je te site !

Sans attendre sa répondre, je sors de la pièce sans un mot de plus. Je ne veux pas en entendre davantage. Le frigo tremble et le robinet se met à couler tout seul à mon passage. Ma Putenza vibre en moi, il faut que je me calme.


🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵🍵

Salut salut ! ☺️

Oh là là ! Je me demande bien ce que vous pensez de ce chapitre ? 🫣

J'ai eu du mal à l'écrire ! Ce gars me rendra aussi folle que Sarah ! 🤯😅

Est-ce qu'il y a encore un petit espoir pour qu'Aron ne soit pas celui qui paraît être maintenant assez clairement ? 😭

Hâte de lire la suite ? ça sera pour samedi prochain ! 😉

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top