20 - Porte de sortie ?

J'observe Aron en silence : il a visiblement perdu son masque et regarde partout autour de lui comme s'il allait trouver une solution dans les parois d'eau qui nous entourent. J'espère qu'il n'est pas encore en train de me manipuler. Il a l'air vraiment sincère. Et il a peut-être raison. La priorité est de le faire sortir de là. Mais comment ?

Je jette un œil en direction du groupe qui attend, dans l'eau. Ils sont visiblement en grande discussion. La voix de mon père me parvient :

      Sarah, ce qui nous sert de loi ici est claire. Pour un espion, c'est l'Interrogatoire puis la peine de mort. Je ne sais pas ce qu'il fait là, mais si tu veux le sauver, ça sera difficile, même s'il t'a suivie simplement par curiosité. Explique-lui ce qui l'attend et propose-lui de jouer le rôle de l'homme éperdument amoureux et un peu bête, je pense que ça pourrait peut-être passer.

Je pousse un long soupir. Mes yeux suivent Aron qui fait les cents pas dans la grotte sous-marine. Son visage est tourmenté. Va-t-il craquer et enfin parler ? Nous n'avons pas le temps. Si on veut le sauver, c'est maintenant.

Mais... est-ce que je désire vraiment le sauver ? Alors qu'il me persécute, me ment, et a je ne sais quelle idée en tête pour être venu jusqu'ici au péril de sa vie ?

Mes sentiments se battent encore en duel dans ma poitrine oppressée.

Même si une partie de moi le déteste, je ne peux pas le laisser dans cette situation.

L'amoureux éperdu... l'idée de mon père n'est pas mauvaise, je dois laisser mes sentiments de côté.

Je ne suis pas sûre qu'on puisse passer à côté de l'Interrogatoire, mais nous n'avons pas d'autre choix que d'essayer.

Le souvenir de l'intrusion forcée d'Attrattiva dans mon esprit me fait frissonner.

Ce serait cependant un très bon moyen pour avoir des réponses... On pourrait comprendre... JE pourrais comprendre ce qu'Aron a contre moi, et les projets malveillants qu'il semble avoir également à mon égard.

Mais ma raison n'a pas le dessus cette fois. Je ne peux pas lui faire quelque chose que je détesterais qu'on me fasse.

Je ne peux pas laisser un autre Suvranu le faire à ma place non plus.

Il va falloir jouer serrer, et qu'il y mette du sien !

Je reprends la parole, sèche, autoritaire, me redressant sur ma queue de poisson aussi haut que je le peux, et lui explique ce qu'il doit faire après lui avoir répété les propos de mon père.

Son visage se referme encore davantage, mais il ne proteste pas. Je pense qu'il a vraiment compris que sa vie était en jeu, et qu'il nous mettait tous en péril également.

La gorge serrée par l'appréhension, je rentre de nouveau dans l'eau et me retourne vers Aron pour le voir faire de même. Il a reformé une grosse bulle d'air autour de lui afin de rester au sec et ne pas ressentir les effets de la profondeur.

Parler avec lui devient impossible, et il fuit mon regard. Mais ce n'est pas le moment. Nous sommes attendus.

La Suvrana Piantra est là, en discussion avec mon père. Je ne vois pas Attrativa, ni le Souverain des Abysses.

Elya est là également. Je suis son regard reptilien et remarque que mon grand-père est en plein discussion avec une sirène qui n'était pas au Conseil. J'ai l'impression qu'il l'empêche de passer, leurs gestes sont agacés et leurs visages tendus, ça paraît chauffer entre eux. Les longs cheveux blonds de la femme sont joliment tressés et un diadème fait de corail orne son front qu'elle tient haut pour, semble-t-il, tenir tête au Suvranu.

Je devine qu'il s'agit de ma grand-mère en remarquant sa ressemblance avec mon père. Sa queue brille d'un bleu turquoise aux reflets verts.

Personne n'ose faire quoi que ce soit tant qu'ils n'ont pas achevé leur altercation tendue.

Ma grand-mère finit par poser un doigt accusateur sur le poitrail de son conjoint et le pousse sans ménagement pour passer. Il n'essaye plus de l'arrêter, mais on voit bien qu'il est mécontent.

La Suvrana Tenera se dirige alors vers mon père. Son regard est doux et son sourire triste. Sa main palmée vient caresser la joue de son fils avec tendresse. Puis, lorsque son regard turquoise se pose sur moi, j'y vois tant d'amour et de tristesse que je sens les larmes me monter aux yeux.

Elle vient aussi me caresser la joue, c'est un baume pour mon cœur chaviré par toutes les émotions de ces dernières heures. Peut-être que je pleure. Je n'en sais rien. Nous sommes sous l'eau, je ne sens pas couler de larme.

Le temps me semble s'être arrêté. Elle ne me dit rien. Elle me regarde juste. Avec tout l'amour qu'une grand-mère peut avoir pour une petite-fille qu'elle voit pour la première fois.

Elle prend enfin la parole, et je devine que tous les présents l'entendent :

      Danatu, Sarah et Elya, vont partir. Que personne ne les retienne, nous les reconvoquerons en présence de témoins pour éclaircir les événements de la dernière pleine lune. Quelqu'un a-t-il une objection à faire ?

Sa voix est douce mais autoritaire. Un silence surpris suit ses mots.

      Que fait-on du Mage ? Il a pénétré dans votre Royaume... demande Piantra, après quelques instants.

      Il me semble que ce n'est pas à nous d'en décider. Ce n'est pas nous qu'il suivait, il ne s'agit donc pas de notre prisonnier.

Elle fait un signe à mon père et continue :

      Selon la Règle, c'est le vôtre. Faites-en ce qu'il vous semble bon.

Je cligne plusieurs fois des yeux sans trop y croire. Arrabiatu semble bouillir sur place, ses oreilles pointues sont devenues toutes rouges, mais il ne dit rien.

Alors c'est tout ? On y va ? Le plan proposé par mon père, la tirade que j'avais préparée, le rôle à jouer, tout cela ne sert plus à rien ? Et avec Aron en plus ?

Comme je reste plantée sur place, Elya vient me chercher et me pousse gentiment vers la sortie du Royaume.

Un merci est glissé vers ma grand-mère que j'ai du mal à quitter des yeux. Je ne sais pas pourquoi elle n'était pas présente au Conseil, ni ce qu'elle a dit à mon grand-père, mais elle vient de nous sortir d'une impasse en un claquement de doigt. Elle me sourit encore juste avant que je la perde de vue. Et moi je me retrouve de l'autre côté de la barrière de corail sans trop savoir comment, dans un état second.


**


Nous nageons en silence. Les émotions se mélangent encore dans ma tête et mon cœur. Je choisis de ne pas m'y attarder, j'aurai bien le temps de faire le tri plus tard.

Je commence à m'apaiser en refermant tous mes tiroirs mentaux, quand mon père s'arrête brusquement devant moi.

      Il y a quelque chose là-bas, partage-t-il dans une pensée qui me semble nerveuse.

Nous avons déjà croisé plusieurs bancs de poissons, un groupe de tortues, et même une baleine bleue que j'ai pu admirer de près avec ravissement, je me demande pourquoi il s'inquiète.

Elya s'est arrêtée aussi, et lâche un :

      Et merde !

Entendre mon amie jurer me fait l'effet d'un électrochoc. Je ne l'ai jamais entendu prononcer un seul mot grossier. Qu'est-ce qui lui prend ?

Je suis leurs regards et distingue en effet des formes blanches sans parvenir à comprendre de quoi il s'agit.

On dirait des gros requins, mais... plus ils s'approchent et plus leur forme me semble étrange.

Quand mon cerveau assimile enfin ce qu'il voit, un long frisson parcourt ma colonne vertébrale.

Moi qui pensais qu'on avait passé le plus dur, je prends conscience que je me suis bien trompée...

Cette journée ne finira donc jamais...


🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈🦈

La porte de sortie se referme-t-elle déjà ? 😨

Vous croyez que Sarah va tenir le coup ? 😬

Vous avez deviné de quoi il s'agit ? 🤔

A très vite pour la suiiiite !! 😁

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