19 - Intrusion
Non !
Non, ce n'est pas possible !
C'est un cauchemar.
Je ferme les yeux puis les rouvre.
Il est toujours là. Entouré de quatre tritons, les lances pointées dans sa direction, menaçant de lui ôter la vie à tout instant...
Aron.
Aron qui me fixe avec ses yeux gris inexpressifs.
Il ne peut pas être là, si profond sous l'océan. Je vais me réveiller, c'est sûr.
Je sursaute lorsque la voix tonitruante d'Arrabiatu retentit de nouveau :
Cette intrusion est grave et ne peut être impunie ! Danatu, as-tu une explication ?
Mon père n'a pas la réponse. Il ne peut pas savoir. Il ne connaît même pas Aron.
Je suis obligée de prendre la parole sans autorisation :
C'est un Mage de l'Air, dis-je en fixant le Souverain du Royaume de Corallomare.
Un ricanement me répond :
Évidemment ! Pour qui me prends-tu ? La question est : que fait-il là ? Et comment a-t-il trouvé notre Royaume alors qu'aucun Mage n'y a pénétré depuis des siècles ?
Personne ici ne sait que je suis également Mage de l'Eau. Que dois-je dire ?
Mon cœur tambourine tellement fort dans ma poitrine et dans mon crâne que j'ai du mal à formuler ma réponse :
Aron est une de mes connaissances sur terre, il a dû nous suivre sans que nous ne le sachions.
Tout en formulant ces mots, mon regard ne peut se détourner du garçon qui n'en mène pas large. Nos regards restent accrochés pendant de longues secondes. Comme j'aimerais connaître ses pensées !
La nausée s'est de nouveau installée au creux de mon ventre. Pourquoi nous a-t-il suivi ? Dans quel but ?
Il flotte dans une grosse bulle d'air qui lui permet de respirer et de ne pas être embêté par la profondeur. Mais j'ai peur qu'un simple coup de lance ne déchire sa bulle, et alors s'en sera fini de lui.
La première chose à faire serait de l'emmener dans un lieu sûr. Elya a la même idée et me devance en s'adressant au Suvranu et partageant sa pensée :
Y a-t-il une bulle d'air stable dans votre Royaume ?
Elle continue cependant avec un ton froid :
Nous allons l'interroger directement !
Elle est furieuse, et je la comprends. La discussion surprise hier soir prend un nouveau sens, je n'ose pas trop y réfléchir. Chaque chose en son temps.
La proposition d'Elya est acceptée, le Conseil momentanément levé.
Le monstre rouge s'est légèrement surélevé par rapport aux sirènes, je comprends que c'est voulu lorsque la voix d'Elya retentit de nouveau, ferme, autoritaire :
Nous sollicitons un entretien individuel avec le Mage.
Et de quel droit ? Vous êtes ici sur notre territoire !
Du droit que nous avons de savoir pourquoi cette demi-portion nous a suivi !
Un nouveau frisson descend le long de ma colonne vertébrale. Elya est impressionnante. Je ne sais pas comment elle fait ça, mais sa voix gronde comme le tonnerre. Mon grand-père n'hésite que quelques instants à satisfaire son désir. La colère du serpent géant est palpable, et je me demande si Arrabiatu n'est pas en train de se dire qu'elle va ne faire qu'une bouchée de ce mini-mage.
Tout en fixant sans retenue le Suvranu du Royaume, Elya me lance un rapide :
Fais attention à ta magie, j'ai l'impression qu'il fait plus froid depuis qu'Aron est arrivé.
Elle a raison. Il faut que je calme ma Putenza. Mes tiroirs commencent sérieusement à être remplis... Est-ce que je vais tenir ?
Des ordres sont visiblement donnés car on pousse sans ménagement la bulle d'air d'Aron en direction du palais.
Tremblante, je suis Elya qui nage derrière eux.
Lorsque la bulle d'Aron entre en contact avec la plus grosse que nous venons d'atteindre, il se retrouve au sec de l'autre côté de la paroi. Je le vois qui chancelle et manque de tomber. Ses mains tremblent.
C'est à toi d'y aller, je pense, me souffle Elya en me faisant un signe avec sa grosse tête.
Le temps du trajet, et le fait de le voir en sécurité (pour l'instant) ont atténué ma peur pour lui, c'est l'incompréhension et la colère qui commencent à prendre le dessus. Ça va être difficile de rester calme. Mais je dois le faire. Je dois comprendre.
Je traverse à mon tour la paroi d'eau verticale qui délimite l'énorme bulle d'air coincée entre des coraux de toutes les couleurs. Je ne peux me tenir debout, et cela ne me donne pas vraiment une position de force, mais on va faire avec. Je me redresse le plus possible, plie ma queue sous moi et m'assoie dessus pour être à peu près à sa hauteur.
Aron s'approche et s'assoit à côté de moi. Son regard est fuyant. Après un court moment de silence pendant lequel je réfléchis à ce que je vais lui dire, il me jette un coup d'œil avec un petit sourire en coin :
― Tu es magnifique, en sirène, me souffle-t-il.
Je ne sais pas si c'est l'absence de pesanteur de l'eau qui fait ça, mais ma main part aussi vite qu'un éclair. Mon voisin fait un vol plané tandis que le claquement de la gifle résonne dans le vide qui nous entoure.
Penaud, il se redresse en se tenant la joue.
― Tu es complétement inconscient ! hurlé-je, furieuse pour de bon. Tu crois que c'est le moment ? Est-ce que tu te rends compte dans quelle situation tu t'es mise ? Tu NOUS as mise ?
Il pousse un long soupire en frottant sa joue cuisante.
― Ça va, ça va, je sais. Je n'aurais jamais dû venir, c'était de la folie. Mais maintenant c'est fait, et je ne peux pas revenir en arrière. Tu as une solution pour me sortir de là ?
― Tu es vraiment gonflé ! Tu t'es mis tout seul dans ce pétrin, et tu me demandes de t'aider maintenant ? Tu joues avec ta vie, mon vieux !
― Tu exagères un peu, quand même...
Je m'étrangle presque en lui répondant :
― J'exagère ? Mais enfin, ils auraient pu te tuer tout de suite ! Le fait de connaître l'emplacement de leur Royaume est une raison assez valable à leurs yeux, crois-moi. On peut savoir pourquoi tu as pris autant de risques, d'ailleurs ?
Le silence qui suit m'horripile encore plus. Je secoue la tête de dépit :
― On a une maigre chance de régler les choses à l'amiable, mais si tu ne coopères pas, ça ne va pas le faire ! Pourquoi tu nous as suivis ?
― Si je te dis que j'étais curieux, ça te suffit ?
― Evidemment que non ! La curiosité a ses limites, tu les as largement dépassées !
Il reste encore silencieux, mais je vois qu'il perd de sa superbe. Il a voulu jouer la carte « sûr le lui », mais c'est raté. Elle ne sert à rien. Peut-être va-t-il se dévoiler un peu plus maintenant ?
― Pourquoi tu fais ça ? soufflé-je presque pour moi-même. Pourquoi ce double-jeu, ces méchancetés, pourquoi tu me détestes ?
A peine les mots sont sortis de ma bouche, je regrette de les avoir prononcés. Lui, il a ouvert de grands yeux surpris et réagit tout de suite :
― Qu'est-ce que tu racontes, je ne te déteste p...
― Aron ! Ça suffit ! C'est plus la peine de jouer avec moi ! Si tu ne me dis pas pourquoi tu es ici, eux, le découvriront très facilement, et crois-moi ça sera très désagréable !
― Comment ça ?
― Leur interrogatoire est une intrusion forcée dans tes pensées, tes souvenirs, sans aucun moyen d'y échapper, sauf si tu es un triton de sang royal. Ça te va, comme explication ?
Je dois être convaincante, car la peur commence à se lire sur son visage. Il fait les cents pas. Je lui laisse un peu de temps, mais nous n'en avons pas beaucoup. Les sirènes doivent commencer à se demander ce qu'il se passe, et vouloir interroger eux-mêmes Aron.
Je suis sur le point de le lui faire remarquer, lorsqu'il se retourne brusquement vers moi, les traits tirés, l'air désespéré, et lance d'une seule traite :
― Je ne peux pas ! Voilà. Je ne peux rien dire, parce que j'ai fait une promesse. C'est bon ? On cherche un moyen de sortir d'ici vivants, maintenant ?
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Hey hey ! Comment allez-vous, chers petits poissons lecteurs ? ☺️(et mes patates, aussi, je ne vous oublie pas 😜)
Vous pensez quoi de la suite de l'aventure ? 🥲
Non mais franchement, Aron, va falloir cracher le morceau un jour, non ? 😡
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