18 - Le Conseil
Attrattiva est là, à quelques brasses de moi, le regard noir et les traits tirés par la haine et la colère. Malgré son port de tête toujours aussi princier et fier, je devine la détresse qu'elle essaye de cacher. J'en sais trop sur son passé pour ne pas le voir.
Lorsque nous avons détruit sa Putenza, avec mon père, je n'ai pas réussi à empêcher mon esprit de voir des images d'une enfance douloureuse et injuste, mais je ne sais pas si elle l'a remarqué ou non.
Elle crache avec haine sans me quitter du regard :
La Suvrana Attrattiva a été traitreusement attaquée par Danatu, sa rejeton et cette... chose. Sa Putenza, pouvoir ancestral et royal, a été détruite, elle demande réparation et vengeance.
Eh bien... ça commence dur.
J'avais oublié qu'elle parlait d'elle à la troisième personne. Heureusement qu'ils ne le font pas tous, c'est assez fatiguant.
Tous les yeux se tournent vers le Suvranu Arrabiatu pour savoir à qui il va donner la parole.
Danatu, annonce-t-il seulement, comme si ce prénom lui écorchait l'esprit.
Mon père commence alors à raconter le déroulé des événements en prenant son temps. C'est long, mais nécessaire ; mon grand-père ne l'en empêche pas, c'est plutôt bon signe. A moins qu'il y ait une règle qui interdise de couper la parole ?
Lorsque mon père se tait, je sens que la tension est encore montée d'un cran. L'idée que la Suvrana Attrattiva ait tenté une invasion de la surface, avec son peuple, est difficilement acceptable par ses semblables, j'en mettrais ma main à couper. Pourtant, les faits sont décrits avec tellement de précisions et de détails, que les avoir inventés est encore moins plausible.
Suvrana Attrattiva, qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
Tout simplement que ceci n'est que mensonges, et que le prouver ne prendra guère de temps.
Alors que je commençais à me détendre, je me fige de nouveau en entendant ces mots. Je n'ai pas longtemps à me demander à quoi elle pense, elle continue avec calme et maitrise de soi, ainsi qu'un petit sourire narquois qui ne présage rien de bon :
Lorsqu'il a inventé cette histoire, certes fascinante et bien ficelée, Danatu a pensé à tout, sauf à une chose. Attaquer par la plage est impossible pour notre espèce : vous vous doutez que le temps pour perdre notre queue serait trop long. Prétend-il que le peuple de Rocciosumare est arrivé à pied sur le sable ? Je pense que les années passées à la surface lui auront fait perdre cette notion des plus évidentes.
Merci pour votre remarque pleine de bon sens, Suvrana Attrattiva, enchaine mon grand-père. Je comptais bien poser une question à ce sujet, supposant avoir mal compris.
Affolée, je jette des regards inquiets en direction de mon voisin. Attrattiva a raison. Je n'en reviens pas qu'on ait oublié ce détail. Je me souviens maintenant de la surprise que nous avons eue en découvrant les sirènes et les tritons sur leurs pieds, alors qu'ils n'étaient pas encore sortis de l'eau. On n'a pas compris sur le moment, puis on a oublié.
La sang-mêlé a peut-être quelque chose à dire à ce sujet ?
Je mets quelques secondes à comprendre qu'il parle de moi. Je fixe mon grand-père avec incrédulité. Je suis sa petite-fille, la fille de son fils, et il m'appelle... la sang-mêlé... ? Sérieusement ?
Un coup de coude de mon père me fait revenir à la réalité. Les questions sentimentales et familiales ne sont pas à l'ordre du jour. Encore un tiroir mental à refermer. Mais quelle réponse dois-je donner ?
Je jette un œil rapide vers Elya qui me fixe avec son regard de reptile. J'y lis la volonté d'être droite, et donc de dire la vérité. Rien que la vérité. Attrattiva se permet, malgré le Serment prononcé, de tordre les faits. Hors de question de me prêter à ce jeu malhonnête.
Je me tourne de nouveau vers mon grand-père en le fixant droit dans les yeux. Cachant mes mains tremblantes, je partage ma pensée avec le plus de fermeté possible :
Tout ce qui a été dit par mon père est vrai. Les tritons et les sirènes sont sortis de l'eau sur leurs pieds. Nous n'avons pas d'explication à ce phénomène.
Nous restons plusieurs secondes – minutes peut-être ? – à nous fixer sans qu'un mot ne soit prononcé.
C'est lui qui détourne le regard le premier, pour s'adresser à un autre Suvranu :
Qu'en pense le Suvranu Scuru ?
Je ne sais pas de qui il parle, je cherche la sirène du regard et rencontre celui d'une Suvrana aux longs cheveux d'argent qui se tient droite et immobile. Ses écailles sont vertes et sa couronne est faite de plantes de la même couleur. Je devine rapidement qu'il s'agit de la Souveraine du Royaume des Algues : Algamare. Son expression est indéchiffrable...
La voix qui retentit dans mon esprit est grave, rauque, molle et trainante. Je trouve que ça ne lui va vraiment pas. Je comprends que ce n'est en effet pas elle qui parle lorsqu'elle tourne enfin son regard vers celle qui se tient juste à droite de mon grand-père. A moitié cachée par lui, elle vient de s'avancer un peu dans le cercle.
En la voyant, j'ai du mal à retenir une grimace de dégoût. Est-ce que c'est vraiment une sirène ? Sa peau est translucide à en voir presque ses organes, ses membres paraissent flasques et disproportionnés. Elle n'a pas de cheveux et ses gros yeux blancs sont vraiment effrayants.
Je fais un effort pour passer au-dessus du physique repoussant de cette créature qui ressemble plus à une méduse qu'à une sirène. Il faut que je me concentre sur ce qu'elle dit :
...pourquoi écouter ces créatures... la surface n'a rien de bon à nous apporter... ils ne devraient pas être là, qu'on les exécute ! Voilà ce que nous en pensons...
Suvrana Piantra ? Quelque chose à dire ?
Je devine qu'il s'agit de la sirène aux écailles vertes et aux chevaux d'argent dont le signe de main agacé n'est pas passé inaperçu.
Je ne suis pas d'accord, clame-t-elle. Nous n'avons pas ici des êtres de la surface, mais bien un des nôtres et sa progéniture. Quant au... serpent, n'est-ce pas un être tout aussi aquatique que nous ?
Suvranu Scuru c'est à vous, enchaine Arrabiatu en voyant l'agitation de son voisin.
Un des nôtres ? C'est un traître à sa race ! Piantra ! Comment pouvez-vous parler de lui comme étant des nôtres !
Il faut évoluer, mon cher .... Les temps changent, répond-elle. Le fait d'être allé vivre à la surface n'est plus, selon moi, une trahison. Plusieurs de mon peuple y sont heureux.
Comment ?!
Un peu de calme s'il vous plaît, le coupe mon grand-père. Vous vous emportez. Nous nous sommes éloignés du sujet qui nous importe aujourd'hui. Piantra ?
Au contraire, nous sommes exactement dans le sujet, sauf votre respect, Arrabiatu. Il s'agit là de juger un triton qui n'a finalement rien fait de mal que d'être allé vivre avec les humains.
Vous oubliez la Suvrana Attrattiva ! continue Scuru en agitant ses membres qui semblent gluants.
Nous ne l'oublions pas, tranche encore le triton sur son trône. Nous allons d'ailleurs laisser la parole à Dame Elya.
Je souris intérieurement de l'utilisation de ce titre qui montre qu'il a du respect pour mon amie. Puis je me souviens avec un pincement au cœur qu'il n'en a pas du tout pour moi.
Mon amie met quelques secondes à s'exprimer. Personnellement, je ne sais plus où l'on en est, j'ai du mal à suivre les échanges et à réfléchir en même temps à une échappatoire. La voix grave du monstre des mers retentit dans mon esprit et dans celui de tous les présents :
Pour revenir aux accusations de la Suvrana Attrattiva, il me semble que l'on devrait avoir recours à des témoignages extérieurs. Je pense par exemple à cette sirène, Diritta, qui nous a prévenus du projet d'invasion de sa Suvrana. Elle devrait avoir la parole aujourd'hui.
Elle n'est pas là ! intervient Attrattiva d'un ton sec.
Arrabiatu lève la main pour la stopper et déclare en regardant Elya :
Ceci est un Conseil de Suvranus. Nous n'avons pas pour habitude d'y convoquer des gens du peuple.
Dans ce cas, que fais-je ici ? reprend sans autorisation Elya.
Un silence lui répond. Le regard de mon grand-père fait le tour des Suvranus convoqués, s'arrêtant sur chacun quelques secondes. La tension est à son comble, les sirènes et tritons se jettent des regards en biais en attendant le verdict. Arrabiatu me fait moins peur qu'au début et je remarque qu'il me fait penser à mon père quand celui-ci a une lourde décision à prendre.
Sera-t-il juste ?
Je vois dans son expression qu'il s'est décidé, et il commence enfin avec ces mots :
La demande de Dame Elya me semble juste. Il faudrait...
Il s'arrête brusquement dans sa phrase et tourne la tête dans notre direction. Il s'est redressé sur son trône, le corps tendu. Son regard n'est plus bleu, il est noir. Il a soudain l'air furieux.
Qu'est-ce qu'il se passe ?
Les autres sirènes commencent sérieusement à s'agiter. Je me tourne vers mon père a qui je n'ai pas le droit de poser de question, il a l'air aussi dérouté que moi.
L'espèce de sirène méduse tend le doigt vers nous, mais je comprends soudain que ce n'est pas nous qu'elle montre.
D'un coup de nageoire rapide, je me retourne, et me fige de stupeur.
🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟🐟
Helloooo ! 😊❤️
Et ça continue par ici ! Qu'est-ce que vous pensez de ce chapitre ? J'ai un peu de mal avec ce genre de dialogues, vous arrivez à suivre ? 😅
Est-ce que vous avez une petite idée de ce qui va se passer maintenant ? 😱
(Je précise que j'ai rajouté des faits sur Attrattiva dans le premier tome, d'où le passage parlant rapidement de son passé : ça se trouve dans les chapitres 44 et 45 de BLEU OCEAN)
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