16 - Balayage géomagique
Je pose la tête sur mon fauteuil et ferme les yeux. Je suis crevée, mais je n'ai plus du tout envie de dormir maintenant.
J'ai promis d'être prudente. Pas de ne pas utiliser ma magie. Ce n'est d'ailleurs pas interdit. Il faut juste le faire sans que les humains ne puissent le voir.
Les nombreux exercices effectués depuis plusieurs jours ont prouvé que ma maîtrise a nettement progressé ; les catastrophes sont loin derrière moi.
J'ai également eu plusieurs cours sur l'Energie de ma magie pour connaître mes limites. Je sais que mon hologramme magique peut atteindre un kilomètre, comme tous les Intermédiaires, en reconnaissant les signes de mon corps qui me disent stop.
Si la raison qui nous immobilise sur la route ne se trouve pas trop loin, je pourrai la "voir" dans mon balayage géomagique.
Sereine, je fais le vide en moi, et je visualise ma magie qui court le long de la route sans difficulté. Les voitures apparaissent sous formes holographiques de fils bleus entrelacés. Ma perception des choses est un peu gênée par la pluie qui tombe et celle qui dégouline sur les véhicules et le sol en scintillant d'un bleu soutenu, rendant toute l'image un peu floue.
Heureusement l'averse se calme, et je continue de m'éloigner mentalement de notre voiture en visualisant mieux ce qui m'entoure. J'arrive bientôt au maximum que j'ai déjà expérimenté en cours, l'embouteillage va peut-être être trop long pour que j'en arrive à la tête.
A contre-cœur, j'arrête bientôt l'extension de mon hologramme mental lorsque je sens la source de ma magie "grésiller" : j'ai atteint la distance conseillée par mes professeurs.
Sarah ?
La voix de mon père fait soudain tressauter tout mon hologramme, je dois faire un effort pour ne pas rejoindre mon corps. Je mets quelques secondes à me concentrer de nouveau sur l'endroit où mon moi mental se trouve, avant de répondre :
Quoi ?
On peut savoir ce que tu fais ?
Petit bémol lorsque l'on se concentre un peu trop sur le balayage géomagique : on n'a plus notion de la réalité... La sensation de mon corps est encore là, mais si loin que je n'y faisais plus attention.
J'essaye un truc...
Ne prends pas de risque. On va attendre.
D'accord. De toute façon c'est trop loin.
Je sens la connexion télépathique de mon père se couper. Déçue de ne pas pouvoir aller plus loin, je reste encore un peu à contempler la file de voitures en grilles bleutées en trois dimensions qui se trouve à environ un kilomètre de mon corps.
Mais au moment de cesser l'extension de ma magie pour revenir à moi, j'ai un temps d'arrêt, surprise.
Quelque chose a changé. Je le sens, mais je n'arrive pas tout de suite à comprendre quoi. Le balayage géomagique n'a pas bougé, les voitures non plus, tout est pareil, sauf...
Ma putenza, source de ma magie, ne grésille plus. Le signe qui alerte quant à la distance limite de son utilisation n'est plus. Est-ce que j'ai reculé un peu sans le vouloir lorsque mon père m'a parlé par télépathie ?
Pour en avoir le cœur net, je fais quelques "pas mentaux" qui m'éloignent encore de notre voiture. Puis encore, et encore. Pas la moindre sensation alerte. Pourtant, j'en suis sûre, lorsque je l'ai ressentie tout à l'heure, j'étais bien à côté de ce camion que j'ai maintenant dépassé de vingt bons mètres.
Que s'est-il passé ? Est-ce que ma magie a encore évolué, comme me l'a expliqué Cassie ? Mais pourquoi maintenant ? Et est-ce que c'est raisonnable d'essayer d'aller encore un peu plus loin ?
La tentation est trop forte et ne me semble pas dangereuse tant que je ne sens pas le stop de ma magie. J'agrandis donc encore mon balayage mental, doucement, prudemment, attentive, et j'atteins plusieurs centaines de mètres de plus. La sensation de limite ne se fait toujours pas sentir, et je peux même enfin voir l'accident qui bouche entièrement la route.
C'est un camion qui s'est renversé ; impossible de dégager le passage sans un grue. Tout en voyant celle-ci arriver enfin, toujours sous forme d'entrelacements de fils bleus, je me pose encore la question de ce qui a pu se passer pour que ma limite de distance change soudainement.
Cherchant ce qui a été différent cette fois-ci par rapport aux autres, je me rends compte que j'ai utilisé ma capacité télépathique en même temps que mon balayage géomagique. C'est la première fois que ça arrive.
Sur cette conclusion qui mériterait un plus ample approfondissement, j'éteins l'étendue de ma magie et regagne mon corps.
Je cligne plusieurs fois des yeux devant le visage de mon amie tout près du mien.
― Enfin ! s'exclame-t-elle en se reculant.
― Désolée, soupiré-je. J'ai vu l'accident, le camion renversé est en train de se faire remorquer par une grue.
― Je croyais que c'était trop loin ? s'étonne mon père en se retournant sur son siège.
― Euh... ouais. Jusqu'à ce que tu me contactes.
― Comment ça ?
― Je ne suis pas sûre...
― Mais encore ?
― Lorsque tu m'as envoyé ta pensée télépathique, j'étais au bout de mes capacités quant à la distance de mon pouvoir élémentaire. Ce qui n'était plus le cas après. Donc j'ai pu aller plus loin. Ça se pourrait que... l'utilisation de ma magie en même temps que la télépathie ait modifié ce paramètre.
Un silence suit mes paroles. Mon père n'y connait rien concernant la magie, et hausse les épaules. Il ne comprend pas combien ça peut changer tellement de choses pour moi.
Elya, elle, fronce les sourcils. Elle est au courant de plus de choses, mais je ne suis pas sûre qu'elle sache concrètement ce que cela implique. Si vraiment la distance de mon pouvoir s'est considérablement agrandie, je ne fais plus partie des Mages Intermédiaire, mais des Avancés. C'est une catégorie bien plus rare.
Je décide d'épargner papa d'une telle discussion et en touche un mot par télépathie à Elya, alors que les voitures devant nous commencent à avancer doucement.
Nous continuons à discuter silencieusement pendant le reste du trajet. Ça n'a pas l'air de déranger mon père qui s'est enfermé dans un mutisme pensif. Ça fait plus de vingt ans qu'il n'a pas vu ses parents, et c'est un traitre à leurs yeux. Ça ne doit pas être facile pour lui. D'autant qu'ils risquent peut-être d'être choqués par son apparence physique ?
J'en suis là de mes réflexions, quand il lance soudain :
― C'est le moment !
Il a un sourire un peu crispé. Sa gaieté sonne faux, mais je ne relève pas.
― Le moment de quoi ? m'étonné-je.
― De prendre notre forme aquatique.
― Ah.
En effet, la voiture est arrêtée et il est déjà en train d'en sortir en s'étirant de tout son long. Est-ce que je me suis endormie ? Le soleil est assez haut dans le ciel, je me demande combien de distance il nous reste à parcourir.
Nous sommes dans un endroit qui semble désert, papa doit savoir ce qu'il fait. Je sors à mon tour du véhicule et tourne la tête vers l'étendue bleue qui nous attend. Ou plutôt, dans laquelle nous attend toute une floppée de sirènes peut-être furieuses de notre intervention et dont le but est de nous exterminer...
Une brusque claque dans le dos me fait basculer en avant, me prenant au dépourvu. Je ne m'attendais pas à ce que la "petite" Elya fasse preuve d'autant de force !
― Haut les cœurs ! clame-t-elle, juste avant de prendre sa forme de monstre des mers.
La métamorphose de mon amie est toujours aussi impressionnante. Ses membres se déforment et disparaissent, ses os craquent, sa peau se couvre d'écailles d'un rouge vif et son visage grossit et s'allonge pour prendre la forme de celle d'un énorme serpent. Sa taille augmente jusqu'à atteindre les trois mètres de long. Elle met sa tête à hauteur de la mienne et tire sa langue fourchue en clignant des yeux et me faisant parvenir sa pensée par télépathie :
A ton tour, petit poisson !
Je lui tire la langue en retour : c'est effectivement moi qui suis petite, maintenant !
Je me tourne vers mon père pour lui faire signe que je suis prête, et je remarque avec amusement qu'il fixe Elya avec des yeux écarquillés et la bouche pendante. J'avais oublié qu'il ne l'avait pas encore vue sous cette forme, et surtout qu'il n'avait jamais assisté à une métamorphose.
― Tu... euh, tu ne veux pas prendre ta forme de dauphin, plutôt ? bafouille-t-il.
Je ne pourrai pas aller assez profond, lui répond-elle en me partageant également sa réponse et secouant sa grosse tête rouge.
Mon père soupire :
― Ça va être encore plus compliqué... Il faut que j'en touche un mot à Vera, pour qu'ils soient au courant. Ils seraient capables de t'attaquer en te voyant entrer dans le Royaume !
Je n'avais pas pensé à ça. C'est vrai qu'un monstre marin, ça ne doit pas être très courant, même parmi les sirènes...
En entendant le nom de Vera prononcé par mon père, je me souviens de la visite que nous avons reçue d'elle, quelques semaines plus tôt. Et quelque chose fait soudain sens pour moi : le fait qu'elle l'ait appelé « mon petit » alors qu'elle avait l'air plus jeune que lui. Faisant partie des Anciens de son Royaume, Vera est sûrement plus âgée, mais la différence de vitesse de vieillissement est flagrante, maintenant que je sais.
Nous nageons depuis quelques minutes, côtes à côtes. Mon père, sous sa forme de triton, a des écailles d'un bleu plus profond que les miennes, comme ses yeux. Sa façon d'avancer est plus souple que moi. Malgré les rides humaines et sa musculature quelque peu amoindrie, il est beau. Ses oreilles pointues et ses doigts palmés lui donnent un air féérique presque irréel.
Cependant, son front est soucieux et son regard inquiet.
Je viens de prévenir Vera de la présence d'Elya, nous informe-t-il. Et aussi de notre arrivée tardive. Elle est embêtée, car la tension est déjà énorme sur place.
La nage est interminable. Je m'apprête à demander à mon père combien de temps cela va encore durer.
Et si... ?
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Hey hey ! Comment ça va ? ☺️
Merci beaucoup d'être encore là à me lire ! ❤️
Qu'est-ce que vous pensez de ce chapitre ? 😏
Quelle idée vient de traverser (encore !) l'esprit de Sarah, à votre avis ? 😅
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