Comment ce petit bout de papier s'est-il retrouvé là, sur le rebord extérieur de la fenêtre ? Qui l'y a mis et comment a-t-on deviné que j'allais poser les yeux dessus ?

Une chose est sûre, cette personne en sait trop sur moi à mon goût, et ça n'a pas l'air de la réjouir tellement non plus...

C'est une écriture en pattes de mouche quasiment illisible, à l'encre noire, sur une feuille à carreau basique. Je tourne et retourne le papier pour tenter de trouver un indice, mais en vain. Il n'y a rien qui peut m'aider à en deviner l'auteur.

Je relis les mots pour la troisième fois pour être sûre de ne pas les avoir compris de travers :

"Je sais ce que tu es et ce que tu as fait. Tu n'es qu'une aberration ! Et tu n'as rien à faire dans l'Académie !"

Machinalement, je tourne encore la tête vers la fenêtre, et mon cœur s'emballe de nouveau : il y a quelqu'un dans la cour. Il fait sombre, je ne distingue que vaguement la silhouette immobile qui semble regarder dans ma direction. La personne se met alors en mouvement et s'éloigne pour disparaître totalement dans le noir, d'une démarche qui me semble familière.

Est-ce que mes yeux et mon cœur me jouent des tours ? Ou bien c'était effectivement Aron ?

Le bruit de la douche s'est arrêté et j'entends Cassandra fredonner une mélodie derrière la porte fermée. Dois-je lui parler de tout ça ? Ma décision est vite prise : elle ne sait rien de ma nature aquatique, et j'aimerais bien garder cette information secrète le plus longtemps possible !

Je fourre la feuille griffonnée dans la poche de mon pantalon et fais semblant d'observer avec attention une photo que je viens de repérer sur le bureau, lorsque Cassie me rejoint dans la chambre.

― C'est ma tante, m'explique-t-elle sans que je ne lui aie rien demandé. Elle est décédée et je l'aimais beaucoup.

― Je suis désolée, dis-je sincèrement en regardant le portrait avec plus d'attention cette fois.

J'ai l'impression d'avoir déjà vu la femme brune, souriante et très belle qui s'y trouve, et j'en conclue que Cassie doit lui ressembler. Je n'ai pas la force de réfléchir davantage à ce qui n'a de toute façon aucune importance, je sens brusquement la fatigue peser lourdement sur mes épaules. La journée a été éprouvante. Une envie irrésistible de m'enfouir sous la couette pour tout oublier prend soudain toute la place.

C'est d'ailleurs ce que je fais rapidement, et Cassie comprend.

Sous ma couverture, alors que je pensais m'endormir rapidement, je tourne en rond. Mes pensées s'entrechoquent dans ma tête pourtant fatiguée...

Qui est au courant de « ce que je suis » et de « ce que j'ai fait » ? Et d'ailleurs, qu'est-ce que j'ai fait ?

J'ai explosé une bombonne d'eau, c'est pas la fin du monde... J'ai fait tomber le distributeur de boissons puis j'ai provoqué un syphon dans l'océan, mais ça s'est plutôt bien fini, non ? Plus tôt, j'ai arrêté, avec l'aide de mon père et d'Elya, la Souveraine Attrattiva dans son projet d'attaquer la surface avec son armée de sirènes... Ça, c'est déjà un peu plus énorme. Mais pourquoi essayer de m'intimider pour ce fait qui a rendu service ?

Le mot aberration tourne également dans mon crâne. Le fait d'être une demi-mage, pour certains, en est une. Mais est-ce la raison d'être de ce mot anonyme ? Je ne suis pas la seule dans ce cas, dans l'Académie.

Alors, qui est au courant que je suis une sirène, à part certains professeurs ? ...et Aron ?

**

Le lendemain matin, j'ai les yeux piquants de sommeil tellement ma nuit a été agitée. Dormir dans un nouveau lit est déjà source de mauvaise nuit d'habitude, alors avec une phrase accusatrice qui tourne dans ma tête sans relâche, c'est encore pire !

Je suis de mauvaise humeur, et ma magie n'a rien à voir là-dedans. Dès les premiers regards inquisiteurs posés sur moi le matin, je sens que je vais avoir du mal à m'y faire.

Cassie envoie balader les quelques curieux qui osent poser des questions indiscrètes, et je l'en remercie du regard.

Je dois rendre visite à Maître Océana afin de mettre en place un nouveau planning et marche en direction de son bureau dans un état second. Je connais bien le chemin, maintenant, et Cassandra est partie pour un autre cours.

J'espère que les entrainements avec la Maître de l'Eau seront toujours aussi agréables, malgré les événements récents malheureux.

Je suis à quelques mètres de la porte de son bureau, pile à l'heure malgré ma fatigue. Avant que je ne l'atteigne, elle s'ouvre.

Une jeune fille en sort et ferme tout doucement derrière elle, comme si elle voulait que personne ne l'entende ou ne la voie. Je me suis arrêtée pour ne pas l'effrayer. Elle reste là, la tête penchée, le front posé contre la porte close.

Ses longs cheveux noirs et crépus me cachent ses traits, mais j'ai l'impression de l'avoir déjà vue.

Lorsqu'elle relève enfin la tête, je reconnais tout de suite ce visage à la teinte café au lait, à l'air toujours aussi triste. Elle remarque ma présence et je lui souris.

― Bonjour Laïla, dis-je doucement. Tu te souviens de moi ?

Les yeux rougis et gonflés, elle me fixe sans dire un mot, la bouche entrouverte.

Je vois ses épaules se soulever, se rabaisser, puis elle parle enfin :

― Tu... Tu fais partie de l'Académie ? s'étonne-t-elle en articulant avec difficulté.

― Maintenant oui. Ma magie ne s'est réveillée que tard.

Ses yeux s'ouvrent grand, une étincelle s'y allume, elle renifle et s'essuie rapidement les yeux.

― Mais tu as quel âge ? me demande-t-elle, l'air soudain intéressée.

― Dix-huit ans, soupiré-je. Ça fait tard, hein ?

Je m'attends à ce qu'elle ait une exclamation de surprise, voire de mépris, mais non. A la place, un grand sourire. Une rangée de dents blanches et des yeux qui pétillent soudain, et illuminent tout son visage pendant quelques secondes.

― Alors c'est possible, souffle-t-elle comme pour elle-même.

Après un léger blanc, sans avoir compris sa dernière phrase, je lui demande à mon tour :

― Et toi ? Tu es Apprentis ?

Son sourire disparaît aussitôt et elle me répond d'une toute petite voix, secouant sa tête de gauche à droite en fixant ses chaussures :

― Seulement Aspirante. J'ai seize ans, continue-t-elle pour répondre à la question que je n'ose poser.

Puis elle relève la tête et me fixe encore intensément avant de reprendre :

― Je n'avais jamais entendu parler d'un réveil de magie si tard que le tiens. Ça me redonne un peu d'espoir. Je comprends mieux pourquoi Maître Océana insistait pour que je rencontre la nouvelle : c'est toi, n'est-ce pas ?

J'acquiesce, tout en réfléchissant à ce qu'elle vient de me dire.

― Alors c'est pour ça, que tu m'as répondu que tu n'étais rien ? demandé-je en me souvenant de notre première rencontre.

― Oui...

― Et... le comportement d'Erwan, c'est aussi lié ?

Elle hausse les épaules en détournant le regard.

― Pour lui, et pour beaucoup d'autres, je suis une aberration. Je ne devrais pas être à l'Académie.

Je tique au mot "aberration" qui m'a empêchée de dormir cette nuit.

― Mais tes parents sont Mages, n'est-ce pas ? continué-je à demander.

― Oui. Les deux. Donc je devrais l'être aussi.

Je ne sais pas quoi répondre, mais je comprends mieux sa tristesse, et son envie de rester chez elle.

― Tu loges où, lui demandé-je encore.

― Pour l'instant encore chez moi, mais Maître Océana insiste pour que je revienne ici. J'avoue que je n'en ai aucune envie...

Je hoche la tête en compatissant : on est deux... ça me donne d'ailleurs une idée :

― Il y a encore un lit de libre dans le dortoir de Cassandra. Ça te dirait de venir avec nous ?

Surprise, Laïla relève la tête et réfléchit quelques secondes. Un petit sourire vient éclairer sa triste mine et elle finit par accepter.

Ce soir-là, nous sommes donc trois dans la chambre. Cassie a tout de suite été d'accord, elle connaît bien l'histoire de Laïla et est contente de pouvoir l'aider.

Nous papotons longuement et je suis contente de voir le sourire s'installer sur le visage de l'Aspirante. Au cours de la discussion, l'idée que le mot trouvé la veille pourrait lui être adressé tout autant qu'à moi m'effleure, et je décide de laisser le doute planer dans mes pensées. Peut-être que je me fais des idées concernant ces mots blessants. Il est même possible que le papier ait été là pendant des jours ou des semaines ? Que ce soit une habitude – certes mauvaise – que de s'insulter entre mages et demi-mages ? ...

Ce soir-là, je me couche un peu rassurée. Mes pensées se tournent vers Aron que je n'ai pas croisé depuis la visite. J'aimerais vraiment faire plus ample connaissance avec lui. Je crois que je m'endors le sourire aux lèvres.

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Saluuuut ! J'avais oublié qu'on était mercredi ... 😱

Mais le nouveau chapitre est là ! Un peu plus long que d'habitude, j'espère que ça ne vous gêne pas ! 😇

Est-ce que vous vous souveniez de Laïla ? 

Eh oui, encore un personnage à intégrer dans l'histoire. Il va falloir que je m'arrête là, hein, ça commence à faire beaucoup... 😅

Qu'est-ce que vous pensez de ce chapitre et du mot trouvé ?