7| Le high five

HÉLIOS

Daphné : Cette situation craint.

Hélios : Je sais, c'est nul.

Au moment précis où j'appuie sur envoyer, j'entends un gros craquement juste derrière moi. Je fais aussitôt volte-face et tombe nez-à-nez avec Allison, qui me fixe d'un air choqué.

— Tu te fous de moi ?! rugit-elle, énervée.

— Quoi ? rétorqué-je en me reculant.

Ma sœur est dans un sale état. Son plaid sur les épaules – je rappelle qu'on est en août – cache le pyjama qu'elle n'a pas quitté depuis deux jours et je vois d'ici qu'elle a les pieds tous noirs à force de traîner pieds nus dans la maison comme une âme en peine.

— Tu es mon frère, Hélios ! Tu es censé être de mon côté quand je me dispute avec ma meuf, pas lui envoyer des messages !

Elle a l'air tellement énervée que je suis surpris de ne pas la voir tirer sur ses boucles noires comme elle le fait d'habitude en situation de crise.

— Je ne prends pas parti, OK ? Je suis aussi neutre que la Suisse en temps de guerre, dis-je en levant les deux mains en l'air en signe d'innocence.

Ma sœur renifle d'un air dédaigneux.

— Hmh. Ça ne sert à rien de parler avec toi, tu la défends toujours.

— Oh, arrête de faire la victime, réponds-je en roulant des yeux tandis qu'elle se remplit un bol de céréales dans la cuisine. Je te rappelle que c'est toi qui en veux à Daphné, pas l'inverse.

Allison me fusille du regard.

— Oui, parce qu'elle ne m'a pas parlé de cette fille débile qui habite en face.

J'arque un sourcil.

— Si je peux me permettre, elle n'a pas l'air déb...

— Non, tu ne peux pas te permettre, me coupe-t-elle.

J'hausse une épaule.

— Bon, dans ce cas, OK : elle est débile et toi tu es géniale. Et bouh, mon dieu, Daphné est une hérétique ! Elle ne t'a pas parlé d'une seule de ses amies, la traîtresse ! Qu'on lui coupe la tête !

Mon sarcasme lui arrache une grimace.

— Laisse tomber, finit-elle par souffler. Tu ne comprends rien.

Sur ce, elle s'éloigne dans le couloir avec son bol à la main.

— Allez, Allison ! Arrête de bouder !

Je m'apprête à enchaîner sur une blague en imitant Maître Yoda – c'est l'un de mes nombreux talents cachés – quand j'entends un bruit de verre cassé. Les yeux ronds, je me lève si vite du canapé que dans d'autres circonstances, j'aurai probablement vu des tâches noires danser devant mes paupières.

Juste devant sa chambre, je trouve une Allison bouche-bée. Elle est toujours dans l'encadrement de la porte et des bouts de verre sont projetés partout autour de ses pieds, mélangés à des céréales.

— Elle est partie.

Sa voix est blanche, comme si elle venait de voir un fantôme.

Je lui lance un regard désolé.

— Je pensais que vous en aviez parlé ensemble, dis-je doucement.

— Non.

Je reste planté dans le couloir et couve ma sœur d'un regard protecteur tandis qu'elle resserre son plaid plus près d'elle. Elle fixe la chambre d'un air vide, probablement parce que les affaires de Daphné ne doivent plus y être.

— C'est drôle parce qu'on ne s'est quasiment jamais disputées en deux ans de relation et en une semaine, cette fille débarque et détruit tout.

J'ai envie de lui répondre que c'est plutôt elle qui a piqué une crise pour rien, mais je me retiens. Ce n'est probablement pas le moment d'enfoncer le couteau dans la plaie.

— Ça va s'arranger.

Je marque une pause puis ajoute, pince-sans-rire :

— De toute façon, la maison est à son nom, alors y'a pas le choix.

Allison me lance un regard dénué d'expression.

— Si tu le dis.

L'avantage d'avoir une sœur qui sort avec une femme c'est qu'elle ne peut pas tomber amoureuse de mes potes et donc, créer un énorme malaise.

Par contre, le désavantage c'est que lorsqu'elle se sépare de cette femme en question, en tant que frère c'est moi qui dois me coltiner le rôle de tampon entre les deux parties et qui doit essayer de régler les choses entre elles. Et comme je ne comprends rien aux femmes, je suis toujours dans la merde.

— Daphné, par pitié, il faut que tu...

Je m'interromps de moi-même en croisant un regard couleur noisette. Non seulement je suis surpris de tomber face à elle mais en plus, quelque chose me chiffonne dans son regard, comme la dernière fois. Il y a toujours ce truc étrange, comme changeant, qui me saute aux yeux chaque fois que je la vois.

— Ah, salut, répliqué-je.

— Salut.

Nous nous regardons une seconde en silence.

— Désolé, je pensais trouver Daphné ici. Elle m'a dit qu'elle avait emménagé chez toi le temps que les choses s'apaisent avec Allison.

Maia baisse les yeux, me permettant de la détailler un instant. Cette fois encore elle porte une tenue très décontractée : un crop-top vert pâle pour le haut et un jogging noir pour le bas. Elle joue du bout des doigts avec les fines chaînes qui entourent son cou et qu'elle semble porter sans arrêt.

— En parlant de ça : ce serait top si tu pouvais les réconcilier. J'adore Daphné, mais elle est maniaque et surtout, elle refuse de se nourrir uniquement de pizza. C'est hyper problématique.

Je lui souris, une fossette se creusant sur ma joue gauche. Belle, et drôle en plus de ça ? Décidément, cette fille me plaît de plus en plus – quand elle ne me tape pas sur les nerfs, évidemment.

— En effet, il faut que j'arrange ça au plus vite, réponds-je alors.

Nous échangeons un regard amusé.

— Bon, ben... finis-je par dire. Je repasserai quand elle sera là.

Maia me fixe d'un drôle d'air, puis tend une main vers moi.

— Tu n'as qu'à me donner ton numéro, je t'enverrai un message.

J'arque un sourcil, une soudaine vague de courage montant en moi.

— C'est une technique de drague ?

Les mots ont à peine passé mes lèvres que je les regrette. Mentalement, je suis en train de me tabasser tout seul.

Putain, pourquoi est-ce que je suis si con ?

En face de moi, Maia me regarde d'un drôle d'air.

— Non, loin de là.

Oh.

C'est ce qu'on appelle une rafale en pleine gueule, ça. Je crois que la prochaine fois que je réfléchirai à ma vie pendant des heures avant de dormir, ce sera la conversation que je me repasserai sans cesse en tête en me demandant ce que je pourrais dire de mieux.

— Ah. Dommage pour toi, je suis un très bon parti, blagué-je pour détendre l'atmosphère.

— Ah oui ?

Un petit sourire étire ses lèvres, ce qui me rassure. Je crois que sur une échelle des râteaux où 1 serait le refus le plus gentil du monde et 10 le plus violent, je suis à 3. Ouais, non, ça pourrait définitivement être pire.

OK, j'avoue, j'essaie de me rassurer tout seul.

— Yep, poursuivis-je. Ma sœur est insupportable donc je comptais l'offrir en pâture à ton chat si tu acceptais de sortir avec moi.

Oh merde, je m'enfonce.

— C'est noté, répond Maia avec un regard indéchiffrable.

— Cool.

Merde, je suis définitivement blacklisté à vie par cette fille. Si je vivais dans un film pour ados, je serai le petit gros maladroit et bizarre qui va seul au bal de promo parce que personne ne veut s'afficher avec lui.

— Yes, dis-je avec une moue embarrassée. Bon, bah, ouais, du coup tu m'enverras un message quand Daphné sera là et puis... Ouais.

Cette phrase n'a foutrement aucun sens, putain.

— OK, répond la brune, toujours impassible.

— OK, répété-je.

Je la fixe une seconde de plus sans rien dire, ce qui rend la situation extrêmement bizarre. Alors, comme j'adoooore m'enfoncer et que visiblement, je n'en avais pas assez fait, je cogne mon poing contre le sien en disant :

Check. Allez, à la prochaine.

Sur ce, je fais demi-tour et me dirige précipitamment vers ma maison en me frappant mentalement.

Cependant, je suis un optimiste dans l'âme alors remettons les choses en perspective :

- Je venais voir Daphné pour régler les choses avec Allison mais elle n'était pas là. Conclusion : rien n'est réglé.

- J'ai eu le numéro de Maia sans même avoir à lui demander, mais elle me l'a donné pour une raison nulle. Conclusion : je suis nul.

- J'ai indirectement demandé à cette fille de sortir avec moi, et elle a dit non. Conclusion : je suis vraiment nul.

Bon, bah je crois que ça pourrait être pire.

Je veux dire, objectivement, des tas de gens vivent des choses bien pire : le cancer, les accidents de la route où l'ananas sur la pizza. Ça, ce sont des vrais crimes contre l'humanité.

Moi qui me fais rejeter par ma voisine super cool et inaccessible qui manie le sarcasme comme une pro, c'est juste... La réalité.

— Et donc, tu as eu son numéro ? demande Axel.

— Oui, mais elle me l'a donné par nécessité. Pas pour qu'on apprenne plus à se connaître.

Il hausse une épaule, geste difficile puisqu'il est littéralement engoncé dans le canapé, confortablement calé entre un tas de coussins – d'où je suis j'en compte au moins neuf, sans compter celui qu'il a foutu tout à l'heure sous son t-shirt pour imiter une femme enceinte et qu'il n'a toujours pas retiré.

– C'était peut-être juste une technique pour que tu l'aies, propose-t-il.

Ses pouces s'activent à toute vitesse sur la manette de Playstation, faisant des tic tic tic insupportables qui résonnent presque plus fort que ma voix. D'un côté, ce n'est peut-être pas plus mal ; je suis sûr que j'ai l'air d'un gros bouffon mais qu'il n'ose pas me le dire.

— Mais au moins, je lui ai tenu la main ! m'exclamai-je alors pour éviter d'avoir l'air trop pathétique.

— Ah ouais ?

Je me gratte le menton.

— Euh non, en fait. C'était plus un high five mais bon, c'est la même chose.

Les yeux rivés sur la télé, Axel grimace légèrement puis rétorque :

— Mec, je crois que tu romantises un peu la situation.

Je pousse un soupir en me massant les tempes.

— Ouais, t'as raison. De toute façon, je crois que j'en ai définitivement fini avec les filles.

Je marque une petite pause, puis ajoute :

— Pas que j'aie déjà commencé quoi que ce soit, mais j'en ai fini quand même.

À ma droite, Axel étouffe un rire. Malheureusement, il tue un type sur la Play au même moment donc je n'arrive pas à saisir s'il rit parce que je suis drôle (2 % de chance), parce que je lui fais pitié (plus probable) ou parce qu'il est tout simplement fier de son tir (encore plus probable).

— Tu sais, je pense que tu compliques vraiment les choses, finit-il par dire, toujours sans me regarder. Cette meuf a l'air complètement déphasée et en plus elle compte partir bientôt. T'as littéralement zéro raison de vouloir plus la connaître.

— Ouais, mais... Elle est cool. Et différente.

Axel me lance un regard résigné.

— Et elle ne veut pas de toi.

— Ouais, mais ça c'est un détail. Si je devais crusher sur des filles à qui je plais, ça réduirait considérablement mon champ d'action.

Axel se met à rire doucement, puis s'interrompt d'un seul coup pour tirer sur un autre type à travers la TV. Décidément, il est d'humeur massacrante aujourd'hui (prière de noter mon jeu de mots sur 10 s'il vous plaît.)

— En tout cas, je pense que tu devrais laisser tomber. Ou alors, tu kidnappes son chat et comme ça, elle sera obligée de te parler pour le retrouver. C'est comme ça que vous vous êtes parlés la première fois, non ?

J'arque un sourcil et le fixe d'un drôle d'air.

— C'est une idée tellement nulle que je me demande si tu n'as pas un problème cérébral – ce qui ne m'étonnerait pas tellement, désolé.

Puis, je marque une légère pause, et...

— Mais sinon, tu voudrais bien m'aider ?

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