16| La danse
MAIA
Depuis que j'ai revu Sam au gala, son visage n'arrête pas de me hanter.
Cette semaine, il était dans chacun de mes cauchemars. J'avais des flash-backs douloureux et je revivais ce soir-là, encore et encore, avec toujours la même fin.
À savoir, moi qui prend un sac à dos et qui quitte la ville.
Chaque fois, je me suis réveillée en sueur, les cheveux collés à mes tempes et le cœur affolé. Ensuite, je reprenais ma respiration et montais jusqu'à l'étage, où je m'asseyais devant la porte de ma chambre d'adolescente pendant des heures sans jamais entrer.
Aussi, après avoir si peu dormi ces derniers jours, j'ai une vraie tête d'enterrement ; porter mes lunettes de soleil alors qu'il ne fait même pas vraiment beau dehors était donc une nécessité. Et puis, ça me permet aussi de ne pas être reconnue.
Tandis que je jette un coup d'œil anxieux à mes ongles tout en me mordillant l'intérieur de la joue, j'entends une sonnerie mélodieuse retentir quelques mètres plus loin. Aussitôt, je relève la tête, pile à temps pour que mes yeux se posent sur le flot d'enfant qui s'apprête à sortir de l'école.
Les premiers enfants à sortir sont grands, trop grands. Je leur donne au moins huit ans, voire dix pour certains. Leurs sourires édentés sont aveuglants – même sous mes lunettes de soleil – quand ils retrouvent leurs parents et les enlacent, visiblement tout heureux d'enfin rentrer chez eux.
Plusieurs classes sortent ensuite, jusqu'à ce que l'une d'elle m'interpelle. Les enfants sont relativement petits – entre cinq et six ans je dirais – et attendent à la grille que leurs parents viennent les chercher. Ma poitrine se serre tandis qu'ils partent un par un.
Je guette une tête châtain dans la foule de gosses, mais je n'en vois aucune. Mon cœur se gonfle de déception à l'idée que je sois venue pour rien toutes ces fois, que je sois partie en pleurant avant le moment fatidique de croiser son regard.
Elle n'est sûrement même pas dans cette école, pensé-je avec amertume.
Mes yeux me piquent sous mes lunettes de soleil, alors je les soulève légèrement pour pouvoir me frotter les paupières histoire de reprendre mes esprits. Le truc, c'est que je n'avais pas anticipé que quand les ouvrirai, je la verrais.
C'est bête, mais je sais tout de suite que c'est elle, même de loin. Elle ne ressemble pas à ce que j'avais imaginé, non ; elle est mieux. Tellement mieux, tellement belle, tellement tout. Parfaite.
Ses cheveux sont châtains, plus bruns que blonds, et sont attachés en deux petits chignons de chaque côté de sa minuscule tête. Elle a les pommettes hautes et de bonnes joues rebondies, et surtout ce menton brusqué que je connais si bien.
Un feu d'artifice explose dans ma cage thoracique et soudain, j'ai l'impression que dois aller la voir de plus près. Sans même savoir pourquoi ni penser aux conséquences, je me mets soudain à traverser l'étendue de pelouse et à me faufiler entre les parents et les gosses surexcités, le tout sans la quitter des yeux. Je marche, encore et encore, sans réfléchir, et je fonce vers elle, je m'approche, j'y suis presque, et...
— Maia ?!
Mon cœur s'arrête. Une seconde, puis deux.
— Oh.
C'est la seule chose que j'arrive à dire quand mon regard croise celui de Céline. Elle me regarde d'un air estomaqué, ses lèvres roses entrouvertes par la surprise.
— Bonjour ! dit-elle ensuite poliment. Je suis surprise de te voir, je ne savais pas que tu étais rentrée à Bellevue !
Son enthousiasme me tord les entrailles. Son sourire me fait mal, son chignon blond me fait mal, son tailleur à la fois chic et décontracté qui lui donne un vrai air de working girl me fait mal.
En fait, tout chez elle me fait mal. Elle ressemble à ces mères de magazine, celles qu'on voit imprimées sur papier glacé et qu'on déteste parce qu'elles sont trop loin de ce que l'on est.
En réalité, elle est tout ce que je n'ai pas su être et surtout, tout ce que je ne serai jamais.
— Alors, ça t'a plu le Canada ? enchaîne-t-elle en voyant que je suis complètement bouche-bée.
Je jette un regard par-dessus son épaule. Je n'aperçois plus les macarons châtain que je suivais.
— Oui, beaucoup. C'était... différent.
— Je veux bien te croire, répond-t-elle gentiment. Ça a l'air sacrément beau, le Québec.
J'acquiesce, la poitrine en feu.
Ensuite, nous nous regardons en silence un court instant, juste avant qu'elle ne passe une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille en disant :
— Bon, ben... Je vais y aller, on m'attend. Ça m'a fait plaisir de te voir.
Elle me lance un regard empli d'une bienveillance que je ne mérite pas et se détourne, son sac à main dans une main et un goûter dans l'autre. Pendant de longues secondes, je la regarde s'éloigner, complètement immobile, comme paralysée.
Puis, soudain, une impulsion me prend et je m'exclame dans son dos :
— Comment va Rose ?
Voilà, je l'ai dit.
Je ne réalise qu'à cet instant à quel point j'avais envie de le lui demander. Ces mots ont germé dans ma poitrine il y a bien longtemps déjà et n'ont fait que grandir au fur-et-à-mesure des années, comme une plante qu'on arrose sans même le savoir. Mais cette fois, il fallait qu'ils sortent. Il fallait que cette plante voit le soleil, au moins une fois.
Tout près de moi, Céline s'interrompt dans son mouvement et fait volte-face dans ma direction. Elle me sourit d'une drôle de façon, à mi-chemin entre la tristesse et la peine.
Je crois que c'est pour moi qu'elle a de la peine.
— Bien. Elle va très bien.
Un poids s'envole de mes épaules et de lourdes larmes commencent à poindre aux coins de mes yeux.
— Oh, soupiré-je, soulagée. Tant mieux. Tant mieux, répété-je.
Céline penche légèrement la tête, son chignon blond se défaisant légèrement au passage.
— Tu veux que je t'en dise plus ? propose-t-elle alors d'une voix emplie d'une infinie douceur.
Les mots s'échappent de ma bouche avant même que je ne puisse penser à les retenir.
— Oui, s'il te plaît.
Elle me sourit encore avant de répondre, à la fois enthousiaste et rêveuse :
— Elle vient de rentrer en grande section, et elle adore. D'ailleurs, elle a fait sa rentrée il y a déjà plusieurs semaines ; elle a cours seulement l'après-midi pour l'instant, c'est pour les habituer selon les maîtresses. Sinon, elle a commencé la danse – ah la la, qu'est-ce qu'elle aime danser ! Marc met du Queen dans la voiture et chaque fois, elle finit par nous faire une chorégraphie, même attachée à son siège.
Des tas d'images me viennent en tête au-fur-et-à-mesure de son discours. Je la vois rire aux éclats, manger du chocolat et s'en mettre partout, serrer ses petites mains autour du cou de Marc, danser toute nue dans le salon pour faire rire Céline.
Malgré les larmes qui me voilent le regard, je ne peux m'empêcher de sourire.
— C'est génial, soufflé-je.
— Oui, confirme Céline, tout sourire. Oh, et puis, elle a une nouvelle passion pour les paillettes en ce moment : elle en veut sur tous ses habits. Elle m'a même fait acheter un tutu brillant – attends, je vais te montrer.
Sur ce, elle sort son portable et se met à faire défiler les photos dans sa galerie. Malgré moi, je ne peux m'empêcher de zyeuter les clichés qui apparaissent quelques secondes sur l'écran quand elle swipe. On y voit un couple souriant, des couchers de soleil, et surtout la petite, encore et toujours, partout et dans toutes les positions, endormie, éveillée, souriante, qui pleure, qui mange, qui rit, qui chante, qui danse, qui fait une grimace. Elle est partout.
— Désolée mais je ne retrouve pas la photo, finit par admettre Céline en grimaçant. Mais si tu veux, tu peux me donner ton numéro et je te l'enverrai par message.
J'acquiesce et le rentre moi-même dans ses contacts, les doigts tremblants. Ensuite, je me permets de demander doucement :
— Si tu as d'autres jolies photos, je, euh... Je voudrai bien que tu me les envoie.
Céline acquiesce, un sourire compatissant aux lèvres.
— Bien sûr.
Alors, je hoche légèrement la tête et recule d'un pas. Je sais que c'est l'heure, qu'il faut que j'y aille. Je la fixe une seconde de plus, le cœur en vrac, puis lui glisse :
— À bientôt.
Ensuite, je me détourne et commence à m'éloigner, essuyant mes yeux humides du revers de la main.
— Maia, attends ! s'exclame soudain Céline derrière moi.
Je me retourne, le cœur battant, et tombe nez-à-nez avec elle. Elle semble avoir le cœur au bord des lèvres quand elle me demande :
— Est-ce que tu voudrais venir au gala de Rose samedi prochain ? Son école de danse organise un petit spectacle de rentrée dans le gymnase de la ville. C'est tout petit, ce n'est vraiment pas grand-chose et ce ne sera sûrement pas très impressionnant mais si tu veux, tu peux...
— Je serai là.
Ma voix est assurée, déterminée.
Bien sûr que je serai là, comment aurais-je pu répondre autre chose ?
— Très bien, me répond alors Céline. Je t'enverrai les infos par SMS.
— Merci. Pour tout, ajouté-je.
Elle hoche la tête et semble soudain hésiter à me dire quelque chose. Au bout de quelques instants, elle finit tout de même par oser me dire :
— Par contre, tu ne pourras pas rentrer en contact avec elle. Je sais que Marc ne sera pas d'accord, et, euh... Je pense que c'est mieux pour elle.
J'avale difficilement ma salive.
— Évidemment. Je resterai en retrait.
Un sourire soulagé étire ses traits harmonieux.
— Parfait. À samedi, alors.
Je la regarde rejoindre le portail, où la petite attend à côté de d'autres enfants. Dès qu'elle aperçoit sa mère, celle-ci se jette dans ses bras et Céline lui embrasse le front dans un geste à la fois affectueux et protecteur avant de lui donner son goûter. Elles se sourient, s'enlacent, se tiennent la main. Elles s'aiment.
Quant à moi, je replace mes lunettes de soleil sur mon nez et étouffe un sanglot avant de disparaître sur le parking.
∞
C'est le jour J. Le jour du gala de danse.
Je n'ai fait qu'y penser depuis lundi, jour où j'ai croisé Céline devant l'école. Mon sang boue littéralement dans mes veines à l'idée de pouvoir être si près de Rose pendant deux longues heures, même si je serai assise tout au fond des gradins. Cela faisait partie des conditions que m'a demandé Céline pour que je puisse venir, et j'ai tout accepté sans rechigner.
Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il essaie de s'échapper de ma cage thoracique. Plus j'essaie de le calmer, plus il s'emballe. On dirait un animal sauvage enfermé dans une cage qui n'attend qu'une chose : s'enfuir. Mais en attendant de trouver un échappatoire, il rugit en espérant que je le libère.
Pour l'instant, je crois que ça va. Je gère.
— Allez, murmuré-je entre mes dents. Sonne.
Je lève les yeux sur la sonnette, stressée. Je pousse un léger soupir qui fait voleter les mèches rebelles éparpillées sur mon front, puis compte jusqu'à dix.
Allez, à dix, je sonne.
Un, deux, trois, quatre...
Soudain, la porte s'ouvre juste sous mes yeux. Mon cœur loupe un battement quand je me retrouve nez-à-nez avec Hélios, qui semble tout aussi surpris que moi de me voir devant sa porte.
— Salut, lâche-t-il, étonné.
— Salut, réponds-je.
Un seul coup d'œil à son visage suffit pour que je remarque qu'il s'est fait beau – pourquoi, je n'en sais rien, mais le fait est qu'il a fait un effort. Il a enfilé un grand pull bleu électrique à col rond d'où dépasse une chemise blanche et sous sa casquette à l'envers, ses boucles noir corbeau semblent presque coiffées.
— Tu n'as pas mis de lentilles, remarque-t-il d'un drôle de ton.
Presque instantanément, je porte une main à mes yeux avant de la laisser retomber le long de mon corps.
— Oui, euh... Ça me semblait trop être un déguisement, aujourd'hui.
Il me regarde d'un air surpris, puis se racle la gorge.
— Et du coup, tu venais voir Daphné ? suppose-t-il. Parce que si c'est le cas, elle est en haut avec Allison. Elles ont décidé de recommencer à mater tous les Barbie en pleine nuit et elles y sont encore. Elles en sont au bal des douze princesses, si je ne me trompe pas.
— C'est l'un des meilleurs, soufflé-je avec un petit sourire.
Il hausse une épaule.
— Tu ne parles pas à un professionnel, alors je serai complètement incapable d'affirmer ou d'infirmer ce que tu viens de me dire.
Nous échangeons un sourire complice.
— En tout cas, hum... Je ne venais pas voir Daphné, finis-je par dire, les yeux rivés sur le sol pour éviter de croiser son regard. Je venais te voir toi.
— Moi ?
Il a l'air profondément surpris, ce qui fait tressauter mon cœur. Sérieusement, croit-il que je ne l'aime pas plus que ça ? Ou qu'il m'indiffère ?
Parce qu'il se plante complètement, dans ce cas.
— Oui, mais tu as l'air déçu. Est-ce que je devrais m'enfuir en courant ? plaisanté-je, la gorge tout de même nouée.
— Non, non, pas du tout ! C'est juste que je trouve ça drôle parce que je venais te voir, moi aussi, avoue-t-il.
— Ah oui ? répliqué-je, sentant mes joues rosir.
— Oui. Il faut que, euh... Il faut que je te dise quelque chose.
Je fronce les sourcils. Comment ça, il a quelque chose à me dire ?
— Quoi ? questionné-je, sur la défensive.
Hélios me fixe pendant quelques secondes, la bouche entrouverte... puis se ravise. Il finit par secouer la tête et répond :
— Ce n'est pas important, on pourra en parler plus tard. Et toi, qu'est-ce que tu viens faire ici ?
Mon cœur accélère à l'idée de ce qui va bientôt arriver, d'autant plus à l'idée de ce que je vais lui demander.
— Je suis là pour te demander si tu veux m'accompagner quelque part, ce soir. C'est... c'est important pour moi que tu sois là.
Il semble surpris et écarquille légèrement les yeux le temps d'une seconde.
— Oh. Waouh. Euh, OK, ça me va ! s'empresse-t-il de répondre. On part quand ?
— Maintenant, rétorqué-je en jetant un œil à ma montre.
Il annonce devoir aller chercher quelques affaires à l'étage et disparaît dans l'escalier tandis que je reprends mes esprits, le cœur complètement en vrac. Je n'arrive pas à croire que je viens de lui demander de m'accompagner, bon sang.
Aller à cette soirée toute seule me semblait trop... difficile. Plus j'y pensais, plus mon angoisse montait et plus je sentais que j'allais avoir besoin de quelqu'un à mes côtés pour me forcer à garder les pieds sur terre. Et qui de mieux qu'Hélios pour ça ? C'est une personne de confiance, quelqu'un de fiable, sur qui on peut compter. C'est une bouée dans la tempête, un pilier.
C'est peut-être pour ça que les gens l'apprécient tant, finalement : parce qu'il vous donne l'impression qu'il sera toujours là, quoi qu'il arrive.
— C'est bon, on peut y aller, dit-il, essoufflé, en réapparaissant.
Sur ce, nous nous mettons en route vers le gymnase. Sur le chemin, nous discutons de tout et de rien ; ou du moins, il fait la conversation et je m'efforce de répondre quand je le peux. Ma gorge est trop nouée pour faire des phrases complètes et heureusement, je crois qu'il le comprend vite car il n'insiste pas et ne me fait pas de remarque désobligeante. Il se contente de parler pour deux, toujours gentil et compréhensif.
Lorsque nous arrivons devant le gymnase, nous nous arrêtons à une petite table derrière laquelle se trouve une mère de famille venue aider pour l'occasion. Je lui présente l'invitation que Céline m'a envoyé et elle nous souhaite une bonne soirée avant de nous ouvrir la porte.
— Oh mon dieu, est-ce qu'on va voir un match de football ? Me glisse-t-il à l'oreille tandis que nous traversons le couloir qui mène à la salle principale. Parce que je te préviens, je suis une brêle en football. Je me débrouille en basket, mais c'est tout – et encore, je préfère la natation.
Son souffle sur mon oreille me déconcentre, alors je me contente de lui répondre simplement :
— Non. C'est un autre genre de sport.
Il me lance un regard intrigué pile au moment où nous débouchons dans la salle. Je m'engouffre en premier dans la rangée de gradins et emprunte les premiers escaliers que je trouve. Je m'installe tout en haut, comme convenu avec Céline.
Hélios s'assied à côté de moi, visiblement avide de découvrir ce qui se passe ici. Il regarde autour de lui avec une mine intéressée et curieuse, comme s'il cherchait à deviner ce que nous faisons ici.
— Il y a un tas de familles, remarque-t-il. C'est un cirque, c'est ça ?
Je secoue la tête.
— Tu vas voir.
Il arque un sourcil.
— Je ne savais pas que tu étais du genre à aimer les surprises.
Je me mordille légèrement les lèvres, réprimant un sourire.
— J'aime seulement en faire aux autres.
Lui ne se retient pas de sourire. Il me laisse admirer ses dents à tout va et me regarde tout en m'offrant l'un des plus beaux sourires que j'ai jamais vu. Ça fait tout drôle de savoir qu'il m'est destiné.
Soudain, mes yeux s'accrochent à ceux d'une personne bien connue en contrebas. Il s'agit de Céline, qui me lance un signe de main. À sa droite, Marc a passé un bras autour de ses épaules et se contente d'un regard dans ma direction. Il est plus sur la réserve me concernant, ce que je comprends. Je ne vois pas comment il aurait pu faire autrement vu le passé qui nous lie.
— Du coup, qu'est-ce que tu voulais me dire ? demandé-je soudain à Hélios.
Il semble pris de court et me fixe droit dans les yeux, sa poitrine se soulevant rapidement sous son pull bleu. Mais au moment où il s'apprête à me répondre, les lumières s'éteignent comme par magie et se concentrent sur une femme placée au milieu du gymnase.
— Bonjour à tous ! dit-elle d'une voix enjouée amplifiée par un micro. Je suis ravie de vous voir aussi nombreux pour venir admirer nos petits pious-pious. Ils sont tous très motivés à l'idée de vous montrer ce qu'ils ont appris pendant leurs cours d'été, alors ne soyez pas surpris s'ils vous aveuglent avec leurs sourires ! Promis, nous ne les avons pas forcés.
Des rires retentissent dans la salle.
— En tout cas, je vous prierai de faire un tonnerre d'applaudissements pour nos petits danseurs et danseuses en herbe. Et que le spectacle commence !
Aussitôt, le halo de lumière qui était dirigé sur elle disparaît et lorsque les lumières se rallument, une flopée de petites filles en justaucorps apparaissent sur scène. Elles doivent avoir trois ou quatre ans et dès que la musique commencent, elles se mettent à danser. Leurs mouvements sont maladroits mais c'est justement ce qui rend la scène si adorable. Plus je les regarde, plus mon sourire s'élargit. Je suis d'ailleurs si heureuse que je n'ose pas regarder si Hélios est content d'être là lui aussi, de peur d'être déçue. Aussi, je me contente de coller mon genou au sien, le regard dirigé droit sur le gymnase.
Les danses s'enchaînent, toutes plus mignonnes les unes que les autres. Une troupe de garçons fait du breakdance, quelques adolescentes tentent une chorégraphie contemporaine et des tas de groupes de petites filles se succèdent sur du modern jazz. Puis, au bout d'un moment, j'aperçois deux petits macarons châtain entrer en scène parmi une foule d'autres petites têtes.
Mais pour moi, c'est la plus belle de toutes.
Dès que la musique commence, elle est l'une des premières à danser – probablement car c'est l'une des seules à se souvenir de la chorégraphie. Tandis qu'elle lève les bras au-dessus de sa tête, elle me paraît minuscule dans son petit justaucorps rose pâle. Sa jupette met en valeur ses jambes potelées qui me paraissent être des miniatures et ses petits chaussons noirs complètent son look de ballerine.
Elle est fabuleuse.
Tout au long de la chorégraphie, mes yeux ne quittent jamais sa silhouette même lorsqu'elle est éclipsée par d'autres filles quand elles font des rotations. Je la suis des yeux et la regarde bouger, sauter, lever les bras. Mais ce que je vois le plus, c'est son sourire. Même tout en haut des gradins, je remarque à quel point il est aveuglant. Mon cœur se serre quand je réalise que cela me rappelle quelqu'un.
Quand la musique s'arrête, toutes les apprenties danseuses saluent tandis qu'un tonnerre d'applaudissement retentit dans la salle. Sans réfléchir, je me mets debout et applaudis à tout rompre, les paumes rouges.
— Tu as les larmes aux yeux, remarque soudain une voix douce près de mon oreille.
Je me tourne légèrement vers Hélios, qui est debout lui aussi. Savoir qu'il m'a suivie quand j'ai applaudi pour ne pas que j'ai l'air trop ridicule me tord les entrailles.
Alors, je sais que c'est le moments.
Je peux lui faire confiance, il me l'a déjà prouvé et de toute façon je le sens quand je suis près de lui. Je peux lui dire.
— Tu vois la petite fille là-bas, la deuxième en partant de la droite ? lui glissé-je en m'approchant au maximum de son visage pour qu'il m'entende.
Il me regarde d'un air hypnotisant, passant d'un œil à un autre. Je me rappelle seulement à cet instant que je n'ai pas mis de lentilles, ce soir. Je crois qu'au fond de moi, j'espérais qu'elle me reconnaîtrait ainsi.
— Oui, répond-t-il.
Alors, lentement, je me détourne de nouveau vers la scène. Et quand les mots s'échappent de mes lèvres, je sens que rien ne sera plus jamais comme avant.
— C'est ma fille.
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