entrée six : hôpital

En rentrant du cimetière, nous croisons les problèmes. Littéralement.

PQ et moi étions en train de rentrer du cimetière, en plaisantant sur le nouvel anime qu'on devrait regarder quand on aurait fini notre animé actuel, et le fait qu'il faut réviser pour le brevet blanc et qu'on devrait se planifier des sessions révisions ensemble, quand on a croisé trois ados de notre collège. Diego, Lyla, Elana, je les connais de nom. Je ne leur ai jamais parlé.

Mon ami si, apparemment, puisqu'il se met à trembler quand il les voit. Elana le salue amicalement.

— Coucou Bébert, ça va depuis le temps ?

Le garçon tressaille, et je prends sa main à nouveau, que j'avais lâché. Il me remercie du regard et même si je ne comprends pas tout à la situation, je suis heureux de pouvoir lui être un soutien moral au moins.

— Oui, oui, ça va, répond PQ distraitement.

— Oh, allez, fais pas ton timide ! S'écrie Diego en partant d'un rire gras.

— Je ne fais pas...

— Et lui, c'est qui ? Un pote à toi ?

— Ou ton mec ? Demande Lyla avec un sourire mauvais.

Je me crispe. Je le sens super mal.

— C'est un ami, il s'appelle Greg, il est dans notre collège, maintenant lâchez moi, dit PQ faiblement.

— On se rend à une fête. Tu veux venir ? Relance Diego. Tu peux inviter ton pote si tu veux.

Je vois PQ avoir du mal à ouvrir la bouche pour dire qu'il ne veut pas y aller, mais je le connais alors je réponds :

— Désolé mais il va mal, moi aussi, alors on va juste rentrer et se faire un chocolat chaud. Peut-être une autre fois.

Elana nous envoie un sourire hypocrite et je tente de me retenir de lever les yeux au ciel.

— C'est vrai, à la prochaine !

Ils s'éloignent en gloussant comme des dingues et je roule des yeux. PQ tremble a côté de moi, alors je passe mon bras autour de son épaule et je le serre contre moi.

— C'était qui ? Je demande prudemment.

— D'anciens amis, me répond-il. Enfin, on peut les appeler comme ça je suppose.

Il hausse les épaules.

— Je les porte pas trop dans mon cœur.

J'attends qu'il continue mais comme il ne le fait pas je n'insiste pas. Il m'en parlera s'il en a envie. Puisqu'il ne relance pas la conversation, je propose avec hésitation :

— Ça te dit de... Mmh... Dormir chez moi ce soir ? Peut-être que ma mère sera chez son nouveau copain et ça me dit pas trop de dormir seul, surtout... Ouais, ce jour-là.

Ça a beau être vrai, c'est surtout une excuse pour passer plus de temps avec PQ, parce que j'ai l'impression d'être accro à sa présence, alors je prie secrètement pour qu'il accepte.

Le garçon me sourit avec les dents et dit :

— Te laisser seul ? Jamais.

Et je sens une chaleur étrange se répandre dans mon cœur, parce que je ne crois pas que quelqu'un m'ait déjà dit ces mots, et surtout, je n'en reviens pas que j'y crois vraiment.

***

Le lendemain matin, ma mère étant effectivement chez son nouveau copain, je me lève sans réveiller PQ, qui dors dans la chambre de ma mère, et je me fais des céréales, un sourire idiot sur le visage.

Juste me rappeler de sa présence dans la même maison que moi me met de bonne humeur, y a rien qui va.

Je check mes réseaux sociaux pour voir si quelqu'un a posté un truc intéressant. Je vois que Milo a posté une story sur ses nouvelles chaussures et qu'hier soir Loan est allé à une soirée. Ok, cool pour eux. Moi j'ai passé la nuit à bouffer des marshmallow avec un mec génial qui me fait trop marrer, on est pas au même niveau.

Alors que je continue à scroller mes réseaux sociaux, je me rends compte qu'on est samedi, et que c'est le jour où je vais voir Fiona d'habitude, à part le mercredi. J'avais complétement zappé.

— Bien dormi ?

Je sursaute quand PQ entre dans la cuisine en passant une main dans ses cheveux roux (je me suis enfin décidé). C'est la deuxième fois, mais ça me fait toujours aussi étrange de le voir sans son bandana vert.

— Ça aurait pu être mieux, mais ça aurait pu être pire.

— C'est déjà ça. Faut se contenter de peu pour réussir à survivre.

Il hausse les épaules et pique une cornflake dans mon bol.

— Hey ! Je fais semblant de m'offusquer.

Je me reprends.

— Tu penses partir vers quelle heure ?

Mon ami hausse les épaules.

— Tu voudrais que je parte à quelle heure ?

Jamais.

— Je dois aller voir Fiona vers quatorze heures. Les visites ne sont ouvertes que le mercredi et le samedi entre quatorze et dix-huit heures.

Je ne me souviens même plus si je lui ai parlé de Fiona pendant nos longues discussions nocturnes de ces derniers jours. Ou avant.

Il reste silencieux quelques secondes et j'ai peur d'avoir fait une gaffe, mais il finit par demander, d'un ton incertain :

— Je peux t'accompagner ? Enfin, si ça ne te dérange pas ! Je veux pas m'imposer, c'est juste que j'ai envie de faire sa connaissance et -

Sa panique me fait éclater de rire. Il semble décontenancé mais se met à rire aussi.

Je finis par me calmer et déclare :

— Perso j'adorerais te la présenter, surtout que vous avez l'honneur d'être mes deux seuls amis, mais faut que je voie avec elle. Ça a toujours été elle et moi depuis tellement longtemps... Tu sais quoi, on va lui demander maintenant.

PQ affiche une expression de panique totale sur son visage quand j'appelle Fiona et que je mets le haut parleur en attendant qu'elle décroche. Il siffle entre ses dents :

— Je n'ai pas répété mes phrases avant ! J'ai aucun talent de sociabilité !

Je lui donne un petit coup dans le tibia et lève les yeux au ciel.

— On s'en fout. Allô Fio’ ?

— Allô Greg ! Tu vas bien ?

— Ça pourrait aller mieux, mais ça pourrait aller pire.

J'entends un bruit de respiration de l'autre côté. Elle s'est rappelée.

— Oh, merde. Merde, merde, merde, je suis désolée, j'espère que ça va, enfin non évidemment que ça va pas qu'est-ce que je suis idiote...

Sa panique me fait rire.

— C'est rien, meuf, calme-toi. Ça va un peu mieux que les autres années.

— Non mais franchement, quelle idiote je suis pour avoir oublié... T'es pas obligé de venir me voir cet aprem si tu le sens pas, tu le sais, hein ?

— Arrête de te flageller Fiona ! T'as rien fais de mal et je t'en veux pas. Je compte quand même venir te voir cet après-midi, et je t'appelais seulement parce que je suis avec PQ, et je me demandais s'il pouvait se ramener avec moi.

— Oh, le fameux ! S'exclame ma meilleure amie. Ramène-le, je serai plus que ravie de le rencontrer, après en avoir entendu autant parler.

Je sens qu'elle va rajouter une connerie, alors l'espace d'une seconde je couvre le haut-parleur avec ma main et je jette un coup d'œil gêné à mon ami, qui ne se gêne pas pour lancer :

— Alors comme ça tu parles de moi à ta meilleure amie ?

J'essaie de balbutier quelque chose mais je me sens rougir à vu d'œil. Ça fait ricaner PQ et je me sens bête. Je réactive le haut parleur juste le temps de lâcher “Je te hais salope” entre mes dents avant de raccrocher. Un peu violent, mais c'est comme ça entre nous, faut pas chercher.

— Bon, bah c'est un oui, je dis en haussant les épaules dans ce qui essaie d'être un geste nonchalant.

PQ hausse un sourcil.

— Je vois ça.

Merde. Complètement raté.

***

— Ça t'as fais quoi, quand Fiona est partie à l'hosto pour la première fois ?

L'adolescent dévisage les murs blancs et angoissants de l'hôpital en déglutissant nerveusement. Je ne sais pas à quel moment le père de Fiona s'est dit que c'était une bonne idée de ne mettre de la déco nulle part dans la section adultes, dans laquelle Fiona a été déplacée il y a quelques mois, quand elle a eu quinze ans. À l'aide. Je déteste avoir bientôt quinze piges.

— C'était difficile, j'admets. Je lui en ai voulu de ne pas avoir réussi à s'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. J'en ai voulu à son père d'avoir jugé que ça devenait trop grave et de me l'avoir enlevée au lieu de la traiter de chez elle. Je m'en suis voulu de ne pas avoir réussi à la sauver.

J'échange un regard peiné avec PQ puis je hausse les épaules.

— Mais j'ai fini par prendre conscience qu'elle s'était faite interner pour son bien, parce qu'elle avait besoin d'une aide que je ne pouvais pas lui procurer. C'était dur de me retrouver soudainement tout seul et je l'ai très mal vécu, par exemple j'ai raté toute la première semaine de cours je sais pas si tu te souviens, et j'ai vomi de stress plein de fois. Mais maintenant elle va beaucoup mieux qu'avant.

Je marque une pause, tourne dans un couloir, puis reprend :

— T'attends pas à une personne en super forme, mais dis-toi que c'était mille fois pires y a deux ans, et qu'elle est tellement mieux physiquement et mentalement que je sais que ça lui fait du bien d'être là.

Je la ferme et regarde PQ en attendant qu'il réplique quelque chose. Il reste muet pendant quelques secondes, mais finit par dire :

— T'es vraiment une bonne personne, Greg. Et après tu te demandes pourquoi des gens t'apprécieraient...

Le compliment me prends par surprise et je ne sais pas quoi répondre. Heureusement, je n'en ai pas besoin parce qu'on arrive devant la chambre de Fiona.

— Évite de la dévisager quand tu la verras, je préviens. Je sais qu'elle est un peu... Atypique, que ce soit physiquement ou mentalement, mais même si elle fait comme si ça ne la touchait pas, elle en a un peu marre que tout le monde la regarde bizarrement parce qu'elle est un peu chelou. Si elle dit un truc étrange, cherche pas à comprendre et rentre dans son délire.

PQ lève les yeux au ciel.

— Tu me prends pour qui ? Comme si nous on avait pas des délires ultra chelous. Je serais bien, de la juger pour ça, dis donc.

— Eh, tu m'as compris !

Je toque et la voix de ma meilleure amie répond : “ENTRE !”

Ses cheveux blonds presque blancs ont un peu repris de la couleur et de la texture, sa peau est moins pâle, elle est toujours très maigre mais la différence est visible depuis le mois dernier et ce mois-ci. Apparemment pas assez conséquente pour retirer le tube dans son nez, mais c'est déjà un petit pas. Elle est dans sa tenue de sport, une brassière noir, des brassards blancs et un short noir. Le chignon sur sa tête menace de se défaire et les cicatrices sur ses bras sont visibles, au lieu d'être cachées comme elles l'ont si souvent été.

Je ressens soudainement une bouffée de fierté pour ma meilleure amie, et je la serre dans mes bras. Mon ami me suit et ne laisse rien paraître, que ce soit négatif ou positif.

— Salut, jeune paysan ! S'exclame Fiona en voyant PQ. Alors comme ça, t'es celui qui a volé le cœur de mon meilleur ami.

Je lui donne un coup dans les côtes et elle me renvoie un sourire diabolique.

— Ouais, il paraît, répond PQ avec un sourire en coin. Je suis plus doué pour ça que pour voler les rouleaux de papier toilettes.

Je pouffe, et Fiona sourit en faisant voguer ses yeux de lui à moi. C'est alors que la porte s'ouvre et qu'un mec un peu plus âgé que nous entre. Fiona souffle :

— Enfin ! T'as mis du temps à arriver. (Elle se tourne vers PQ et moi.) C'est N. Je me suis dis que puisque tu me présentais PQ, j'allais te le présenter. Tu dois en avoir marre de m'entendre parler de lui sans le voir de tes propres yeux.

— C'est qui ? Demande PQ, un peu paumé.

— Un... (Fiona hésite.) Un citoyen de mon royaume ? Ouais, c'est ça. Au même titre que toi. Rien de plus.

Son rire nerveux ne fait que la rendre plus suspecte, mais je ne lui fais pas remarquer. PQ aussi le remarque puisqu'il me jette un coup d'œil amusé.

— OK, alors, qui est Greg et qui est PQ ?

On se retourne tous les deux vers N, enfin Illan, qui a parlé pour la première fois depuis qu'il est entré dans la pièce. Je suis un peu sceptique par rapport à son allure, parce que ma meilleure pote a décidé de crush sur un sacré morceau, pour le coup.

Le gars est visiblement albinos, avec ses yeux rouges pâle et ses cheveux aussi blancs que de la neige, mais pas d'un blanc artificiel, d'un blanc un peu sale, tirant sur le gris. Ses sourcils sont froncés, il a une veste en cuir, les bras croisés sur son torse et un pantalon de cuir. Il ressemble à un vieux motard dans les livres d'amour hétéros clichés. Malgré son apparence, il ne semble pas avoir plus d'un an ou deux d'écart avec nous.

— Je suis PQ, répond mon ami à ma place, et lui c'est Greg.

Illan hoche la tête.

— C'est cool de vous rencontrer. Les amis de Fiona sont mes amis.

Il vient s'asseoir à côté d'elle et il passe sa main sur sa taille pour l'attirer près de lui pendant qu'elle pose sa tête sur son épaule.

Dites surtout si on dérange... Je siffle assez doucement pour que personne d'autre n'entende sauf PQ.

Il étouffe un rire dans sa main, et Fiona et Illan lèvent les sourcils, perplexes. Fiona finit par demander :

— Vous voulez faire quoi ? Je me disais qu'on pouvait se faire un Monopoly, mais si vous avez pas envie...

— Moi, ça me va, je déclare. PQ ?

— Nickel.

Illan hoche la tête pour montrer son accord alors Fiona nous sort un jeu de société.

— Qui prend quoi ?

— Le dé à coudre, je réponds immédiatement.

— La voiture, marmonne Illan.

— Bon, je me rabat sur le chapeau, soupire Fiona.

Je ris et alors qu'on commence à jouer, je sens PQ poser sa tête sur mon épaule, ses yeux luttant pour rester ouverts. Il n'y a pas que moi qui ait eu une mauvaise nuit, apparemment.

Machinalement, mes doigts passent à travers ses douces mèches rousses, et je soupire intérieurement d'être aussi bête. Imagine être près à s'agenouiller devant un mec qui te voit probablement que comme un ami. Pas moi du tout. Jamais.

(Bien sûr que si c'est moi.)

***

Le reste de l'après-midi se passe dans le calme et je m'amuse avec Illan, PQ et Fiona. Le premier est très sympa, malgré les apparences. Il ne s'est pas énervé en perdant la partie (que Fiona a d'ailleurs gagné, parce qu'elle est comme ça Fiona, c'est une gagnante, et elle ne pourrait jamais perdre même si elle en avait envie), et je me suis dis que mes préjugés méritaient d'être revus. Il a fait quelques traits d'humour et honnêtement je ne sais pas si c'est mon humour qui est nul mais j'ai lâché des rires.

Mais alors que je rentre chez moi, je me rends compte que j'ai l'impression que quelque chose cloche. Je m'allonge tête sur l'accoudoir sur le canapé de mon salon en essayant de comprendre, et l'épiphanie me paralyse.

Évidemment. Il n'est pas là.

Je me suis tellement habitué, ces dernières semaines, à ce que PQ passe tout son temps libre chez moi, à regarder des animes avec moi, à dormir chez moi, à ce qu'on parle toute la nuit et qu'on dispute des parties de Mario Kart le matin quand on est encore tete la première dans notre bol de céréales, que j'ai oublié qu'il ne vivait pas ici et que j'étais en réalité complètement seul, ma mère ne vivant presque pas ici.

C'est quand même fou que je vois mon pote plus que ma propre mère.

Je n'arrive pas à arrêter de penser à lui et ça me rend presque fou, alors je decide d'éclairer ma lanterne une bonne fois pour toute. Je me rends sur la page WikHow qui apparaît, je me munis d'un crayon et je m'y mets.

Étape un : Retracez le développement de vos émotions.

Je n'ai pas besoin de beaucoup réfléchir pour me rendre compte que je n'avais pas du tout cet attachement quand j'ai rencontré PQ pour la première fois. Normal, on a été dans la même classe pendant quatre ans, et la première fois où on s'est vraiment parlé, c'est en se disputent un rouleau de papier toilettes.

Étape 2 : Faites une liste de positif et de négatif chez cette personne.

OK, d'accord, ça va être dur ça.

Qualités : Il est intéressant, original, mignon, gentil, empathique, il m'écoute quand je me plains et ne me presse jamais à faire quelque chose que je ne peux pas faire, il est passionné par ce qu'il fait, courageux, souriant, rayonnant, lumineux et j'en passe.

Défauts : un peu désordonné, mal organisé, un peu trop dans la lune par moment mais je ne peux pas lui en vouloir.

Mon dieu, c'est affreusement déséquilibré...

Étape 3 : Analysez votre liste.

Oui, bon, je l'idéalise certainement un peu, mais chacun à ses défauts, ok ?

Étape 4 : Voyez si vous avez de l'empathie pour cette personne.

Vu comment entendre son histoire m'a rendu triste la dernière fois dans le cimetière...

Étape 5 : Évaluez ce que vous ressentez en son absence.

Du vide ? Du manque ? La sensation que quelque chose n'est pas à sa place ? OK, c'est pas normal.

Étape 6 : Analysez vos projets d'avenir pour voir si vous incluez la personne dedans.

Évidemment. Qu'est-ce que ça serait, une vie sans lui, maintenant ? Probablement supportable, mais beaucoup plus agréable s'il était dedans. Même dans des années. Probablement que je me débrouillerai pour le convaincre de prendre une coloc ensemble. C'est moins cher. Et au moins on pourrait se voir souvent.

Étape 7 : Déterminez si cette personne vous a changé.

C'est la première question qui me fait vraiment réfléchir. Je me compare à avant lui et après lui, et je me rends compte que ce qui me choque le plus, c'est la différence de bonheur. J'étais tout le temps malheureux, à trainer avec des mecs que j'appréciais même pas, et maintenant j'en arrive à avoir hâte de me rendre au lycée pour le voir.

Il y a quelques autres questions auxquelles je peux toutes répondre par l'affirmative. WikiHow est catégorique, et le résultat ne me fais pas plaisir.

— Merde, je laisse échapper entre mes dents. Franchement, Greg, t'étais obligé de tomber amoureux de ton seul pote ?

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