entrée sept : bataille d'eau
Je n'ai jamais été amoureux de quelqu'un.
J'ai été un enfant de sixième comme les autres, qui parlait aux mecs de sa classe, même si je préférais de loin trainer avec Fiona dès que je le pouvais. Et les mecs au collège, ça pense qu'aux meufs.
Je me rappelle que dès qu'on me demandait de qui j'étais amoureux, je désignais une fille jolie au hasard de la classe, et les mecs essayaient désespérément de me foutre avec, alors je les laissais faire jusqu'à ce que la fille vienne me voir et que je lui dise que j'étais pas amoureux d'elle.
Je sais que c'est bizarre, atteindre les quatorze ans, presque quinze, sans jamais être tombé amoureux ou même avoir eu un crush sur une seule personne. Alors maintenant que je sais ce que ça fait, c'est pour le moins... Bizarre.
Je m'apprête à préparer mon petit déjeuner en passant mes mains sur mon visage quand mon téléphone se met à vibrer contre la table. Je regarde de qui vient l'appel. Quand on parle du loup.
— Allô PQ ?
— Allô Greg ! Tu savais que les manchots se prostituent ?
Je hausse les sourcils.
— Non, mais maintenant je le sais. Quel est le but de cet appel ?
— Je me demandais juste si t'avais envie qu'on révise ensemble pour l'éval de demain. J'sais pas, histoire d'être prêts.
J'm'en fous de l'histoire, je veux juste passer du temps avec lui.
— Je suis vraiment dans la merde, j'ai même pas ouvert mon cahier. Ramène-toi chez moi.
Mon ami pouffe et son rire cristallin paralyse mon cerveau. J'suis putain d'atteint à ce stade.
— Avec plaisir. J'arrive quand ?
— En vrai, viens direct. Ma mère est pas là et j'ai vraiment rien à foutre à part des trucs chiants comme la vaisselle et le ménage. Qui seront moins chiants si t'es là.
— N'en profite pas pour tenter de me prendre comme esclave, ça ne marchera pas.
— Ne me donne pas d'idées et ramène tes fesses.
— Je préviens mon daron et j'arrive !
Il raccroche et je laisse mon regard vagabonder dans le vide en essayant de me motiver le temps qu'il arrive. J'enfile un sweat et un jogging, comme d'habitude, et je me mets à faire la vaisselle de mauvaise grâce. J'en ai vraiment marre de devoir m'occuper de la maison comme si j'étais l'adulte et que ma mère n'existait pas. Combien de temps ça fait, qu'elle n'est pas revenue à la maison ? Quatre, cinq jours ?
J'entends la porte s'ouvrir et je sursaute, manquant de lâcher la poêle par terre.
— Tu devrais songer à fermer ta porte tu sais ? Genre, à clé, dis tranquillement PQ en entrant.
— Et toi tu devrais songer à ne pas entrer chez les gens par effraction.
— Ce n'est pas une effraction si la porte est ouverte.
Je souris comme un idiot, parce que je ne peux pas m'en empêcher quand il est là. Je pose la vaisselle que je lavais et ferme le robinet. Je m'essuie les mains et demande :
— T'as pris ton matériel d'histoire ?
— Ouaip. Je peux m'installer sur la table ?
— Fais toi plaiz'.
Je vais dans ma minuscule chambre cherche mes cahiers et je les ramène dans le salon en tentant d'oublier à quel point je suis heureux que PQ soit là. Je prends une bouteille d'eau dans mon frigo au passage et la pose à côté de moi sur la table.
— On commence par quoi ? Je demande en m'installant en face de lui.
— Les bilans ?
— Tu me fais réciter en premier, j'suis vraiment dans la merde j'ai rien appris.
— Ça me va.
***
On révise pendant une petite heure mais je sens que la concentration de PQ commence à décliner. Après tout, c'est vrai qu'il est TDAH, ça doit être l'enfer pour lui de se concentrer. Je le vois commencer à taper du pied sous sa chaise et fixer le plafond d'un air rêveur. Je finis par souffler et dire :
— Bon, on s'arrête là.
Ça le sort de ses pensées et il répond :
— Hein ? Mais pourquoi ?
Ça me fait pouffer.
— Mec, tu t'es vu ? T'es tellement peu concentré que ce qu'on fait ça sert à rien. Je sais même pas pourquoi t'es venu réviser si t'es pas capable de te concentrer deux minutes.
Je sais que ça a l'air méchant, dis comme ça, mais vous avez pas le ton, et promis je disais ça en ayant du mal à garder mon sérieux.
— De toute façon c'était juste une excuse pour te voir, marmonne PQ le plus naturellement du monde.
Je manque de m'étouffer avec ma salive et je sens une chaleur étrange me parcourir le corps. Purée. Et ne me jugez pas, parce que vous réagiriez pareil si le mec dont vous êtes amoureux vous disait ça.
— T'avais pas besoin d'une excuse, je réponds en détournant le regard.
Il ne me regarde pas non plus, et on se retrouve comme deux idiots, à éviter le regard de l'autre. C'est ridicule, honnêtement.
— Tu penses quoi d'Illan et Fiona ? Je finis par demander quand le silence devient trop pour moi.
— Ils sont super sympas. Maintenant, je comprends ce que tu voulais dire, quand tu disais que Fiona était perchée, mais ça m'a pas dérangé du tout. Et Illan a l'air un peu brute de décoffrage, mais c'est une bonne personne.
Je hoche la tête.
— C'est exactement ce que je pense.
— Je peux voir pourquoi Fiona est ta meilleure amie depuis tant de temps. (Il soupire.) C'est pas comme si je faisais le poids de toute façon.
Je soupire, passablement saoulé. Pourquoi il se compare à elle ?
— Vous êtes tous les deux des personnes incroyables, pourquoi tu te compares à elle ?
Il hausse les épaules et finit par souffler :
— Je sais pas, c'est ça le pire. Ça m'énerve de penser qu'elle est moins bien que moi ou que tu préférerais sa compagnie à moi. Je veux pas que tu me lâches. (Il me regarde pendant une fraction de seconde.) Moi j'ai que toi.
Je me mords la lèvre. C'est vrai que je ne l'ai jamais vu avec quelqu'un d'autre que moi, depuis qu'on est amis. Bon, il dit ça, mais à part Fiona c'est pas comme si j'avais grand monde non plus. Il parle comme si j'étais super populaire et ami avec la terre entière alors que depuis que je le connais j'ai tej mais deux autres seuls amis parce que je considère que j'ai besoin que de lui dans ma vie.
Je m'autorise à penser qu'il y a une petite part de jalousie là-dedans. Une toute petite part. Ça m'énerve quand même.
J'attrape la bouteille d'eau à côté de moi, la dévisse et asperge PQ dans la face avec. Je m'en fous que le sol soit mouillé, c'est rien, je nettoierai après.
— Eh !
— Je vais recommencer chaque fois que tu vas te déprécier à nouveau.
Il fait un rictus maléfique. Je me prépare à courir.
— Tu vas voir, je vais me venger !
Il attrape la bouteille d'eau et, avant que j'ai eu le temps de réagir, il asperge mon t-shirt d'eau. Je frissonne sous l'eau mouillée mais je ne compte pas me laisser faire. Je fais moi aussi un rictus effrayant et je me dépêche d'aller attraper une nouvelle bouteille d'eau.
Quand PQ comprend ce que je m'apprête à faire il se met à courir dans mon appart.
— Tu ne m'échapperas pas comme ça !
Je le poursuis et on continue de s'arroser avec l'eau de nos bouteilles, alors on finit tous les deux trempés jusqu'aux os. Je me mets à claquer des dents et on part dans un fou rire.
— T'es vraiment trop bête ! PQ s'exclame.
— C'est ta faute ! J'aurais pas commencé si t'avais pas dis de la merde sur toi-même.
Il me regarde avec un sourire doux sur les lèvres et mon dieu j'ai l'impression que je vais mourir.
— T'as d'autres vêtements ? Demande mon ami timidement.
Je lève les yeux au ciel.
— Oui, je vais te prêter un de mes vieux sweat et un de mes t-shirt, mais va pas te plaindre parce qu'ils sont trop grands.
— Moi ? Jamais.
Je le fusille du regard et vais chercher des fringues dans ma chambre. Quand je reviens dans le salon, il n'est plus là.
Je me bats contre l'idée qu'il est parti quand je ne regardais pas, ce qui est complètement idiot, et je m'exclame :
— T'ES OÙ ?
— LÀ ! Me répond sa voix du fond de l'appartement.
Je vois qu'il s'est rendu dans la salle de bain et il est en train de se déshabiller quand j'entre. Je détourne le regard immédiatement en rougissant.
— Oups, désolé.
— Nan, nan, c'est bon, tu peux entrer.
Je jette un œil à PQ qui est en short. Je déglutis.
— T'es sûr ?
— Eh, c'est bon, tu vas pas t'offusquer parce que tu vois mon torse alors qu'on a le même, dit-il en levant les yeux au ciel. Enlève ton haut.
Je hausse les sourcils.
— Pour ?
— On est dégueulasse, mate un peu ton t-shirt.
Je baisse les yeux et grimace. Je suis vraiment mouillé de la tête aux pieds. Je repense au gâchis d'eau et je grimace encore davantage.
— Ma mère va me tuer quand elle verra qu'on a gaspillé deux bouteilles d'eau.
— Et tu ne vas évidemment pas lui dire que je t'ai aidé avec ce carnage parce que sinon elle ne va plus jamais accepter que je vienne ici, pas vrai ? Demande PQ avec un sourire en s'appuyant contre le mur.
— Tu pourrais toujours venir quand elle est pas là mec, elle passe une nuit par semaine à la maison. Je dois survivre avec le peu d'argent qu'elle me donne chaque lundi pour manger et acheter du papier toilettes.
Je me décide enfin à enlever mon t-shirt en tentant de ne pas être trop gêné.
— Greg, tu sais que si t'as pas assez tu peux me demander de te passer de la thune, hein ? Je te demanderais pas de me rembourser, et franchement avec mon daron on manque de rien.
Je hausse les épaules.
— Mec, je vais pas te demander ça. Petit un, j'ai trop de fierté, deux, c'est juste pas poli.
Il se rapproche de moi et me décoche une pichenette dans le bras. Je grimace.
— Eh ! C'était gratuit.
— Nan. Si jamais je vois que t'as des problèmes d'argent et que tu veux pas m'en parler pour pas me déranger ou que sais-je, non seulement je te donne de l'argent de force en en cachant partout dans ton appart', mais en plus j'appelle Fiona pour qu'elle te passe un savon, et je parie qu'elle fait ça bien mieux que moi.
— Tu te débrouilles déjà très bien, je grommelle. Attends, t'as le numéro de Fiona ?
L'adolescent hausse les épaules.
— On se l'est passé samedi, avant de partir. J'ai aussi récupéré celui d'Illan, d'ailleurs.
— Envoie-le moi, je marmonne, n'ayant pas pensé à lui demander.
— Avec plaisir, dit-il en se marrant. Maintenant, va dans cette putain de baignoire. Dont je ne comprends d'ailleurs toujours pas l'existence vu que vous avez pas une thune.
Je mets une main sur mon cœur et fait mine d'être choqué.
— Le grand Bertrand Snecke a dit un gros mot pour la première fois ? Merde, je suis ému.
— Et le grand Grégoire Moreau m'a enfin appelé par mon prénom pour la première fois, à ce que je vois, réplique mon pote.
— Ne t'habitues pas à ça, ton prénom est toujours aussi moche.
— Tu peux parler !
Je pouffe et entre dans la baignoire. Il me suit. Je ne suis pas en short alors j'enlève mon jogging pour ne pas le mouiller encore plus qu'il ne l'est déjà.
Alors que je m'autorise à mater PQ pour la première fois depuis que je suis entré dans la salle de bain, ayant passé les dernières minutes à forcer mon regard sur tout sauf lui, je vois qu'il y a une énorme trace de brûlure sur sa hanche, et une autre sur son bras. Je les désigne d'une main en me mordant la lèvre inférieure.
— C'est... Ça vient de l'incendie ? Je demande avec hésitation.
— Oui, chuchote-t-il en retour. J'ai tenté de sortir ma mère des flammes, au début. Ça m'a brûlé ici et là, dit-il en montrant une tâche de brûlé à l'arrière de son cou. C'est toujours pas glorieux, mais c'était bien pire au début. (Il hausse les épaules.) Je crois que c'est de là que j'ai commencé à me faire harceler.
Je hausse un sourcil, pas sûr de comprendre.
— Mais pourquoi ?
— Les gens me trouvaient dégueu, souffle-t-il.
Je ne comprends définitivement pas. C'est juste des tâches ! Certes, ça devait être un peu plus moche, quand il avait sept-huit ans et qu'elles étaient fraîches, mais c'est les traces du malheur de quelqu'un, ça rend juste la personne encore plus magnifique. Ça prouve qu'il a vécu des trucs que personne ne devrait avoir à vivre, et qu'il en est sorti vivant.
Peu importe ce que les autres disent, je penserai toujours que les cicatrices devraient être montrées fièrement, parce qu'elles sont une preuve de courage. À mes yeux, la personne en devient encore plus belle.
À mes yeux, il en devient encore plus beau.
PQ détourne le regard et allume le jet d'eau.
— Arrête de me regarder comme ça, souffle-t-il.
— Comme quoi ? Je demande, perplexe.
— Comme... (Il balaie l'air de sa main droite, celle qui ne tient pas le pommeau. Il est gaucher. Je suis droitier. Deux contraires, comme nous.) Comme si il y avait quelque chose de bien à propos de moi que personne n'arrive à voir sauf toi.
Je me mords l'intérieur des joues. J'ai pas besoin de me regarder pour savoir que je le regarde exactement de cette manière. Ça fait deux mois et demi qu'on se connait mais j'ai l'impression de l'avoir connu toute ma vie.
Je hausse les épaules et attend qu'il finisse de s'arroser pour lui prendre le pommeau des mains. La baignoire est petite alors nos genoux s'entrechoquent et ça me fait frissonner.
J'ouvre la bouche pour lui dire de prendre le gel douche avec un emballage jaune au lieu de celui avec un emballage rouge, mais à la place je dis :
— Je suis super amoureux de toi.
PQ se fige. Je m'attends à regretter mes mots, mais je continue sur ma lancée pour ne pas m'en laisser le temps.
— Toi t'as dis que t'avais jamais été amoureux de qui que ce soit et que ce que tu ressentais avec moi c'était proche du sentiment amoureux, mais moi j'ai jamais été amoureux de quelqu'un et pourtant je suis sûr que je suis super amoureux de toi et que je le serai plus jamais comme ça de qui que ce soit dans toute ma vie, même si c'est niais. Et ça me met la rage dès que tu te dénigres parce que pour moi, à l'intérieur et à l'extérieur, tu ressembles à la huitième merveille du monde et tous les petits trucs que tu fais me font tomber amoureux de toi un peu plus toutes les secondes.
Je détourne les yeux et rajoute.
— Ouais. Voilà, c'est tout.
PQ ouvre et referme la bouche, ne sachant pas quoi dire. Ma nervosité reprend le dessus et je m'empresse de rajouter :
— T'as pas à répondre quoi que ce soit, hein, on peut juste faire comme s'il s'était jamais rien passé. Et prends le gel douche jaune au lieu du rouge.
Sans un mot, il prend le gel douche, le débouche, en met dans sa main et demande :
— T'as besoin d'aide pour faire ton dos ?
Je hoche la tête. Ses mains sont tellement douces. Je l'ai déjà dis, mais c'est vrai. Les miennes, on dirait que j'ai coupé du bois avec tellement elles sont rugueuses, mais pas les siennes. Je frissonne.
— Pourquoi tu fais ça ?
— De quoi ? Demande-t-il, véritablement confus.
— Je viens de te dire que j'étais amoureux de toi et tu... Fin tu te doutes bien que ça me donne juste ultra envie de me retourner et t'embrasser.
— Pourquoi tu le fais pas ?
J'écarquille les yeux et me retourne. PQ me sourit.
— T'as dis que t'avais jamais été amoureux de quelqu'un.
— Et ?
— Embrasser quelqu'un si t'es pas amoureux, c'est bizarre.
— Je peux pas être sûr que je le suis pas si tu m'embrasses pas.
Je lui jette un coup d'œil.
— PQ, je ne vais pas t'embrasser si t'en as pas envie.
— Est-ce que tu en as envie ?
— Oui, mais...
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase parce qu'il pose ses lèvres sur les miennes.
Clairement, c'est pas parfait. Ça se sent que c'est notre premier baiser. Je ne sais pas trop quoi faire de mes mains, et je n'ai pas le réflexe de fermer les yeux tout de suite, et nos dents se cognent à un moment, mais je ne crois pas que je déteste ça. Pas du tout.
J'aurais même littéralement pas pu rêver mieux pour un premier baiser.
Je m'écarte de PQ, à regrets, et je demande :
— Alors ? Joue pas avec mes sentiments et dis-moi direct.
Il prend une de mes mains mouillées et pose son front contre le mien.
— J'avais pas besoin de t'embrasser pour savoir que j'suis amoureux de toi.
Un sourire idiot s'empare de mon visage et je l'embrasse sur la joue et une douce chaleur se répand dans mon estomac.
— Faut qu'on se sèche, et après je passe la prochaine heure à t'embrasser jusqu'à plus savoir comment respirer.
— Très bonne idée.
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