entrée neuf : maman

Après moultes disputes, j'ai fini par convaincre PQ de faire quelque chose à propos de ses harceleurs. Il n'était pas chaud de ouf au départ, mais je sais être particulièrement convainquant parfois.

— Ok, commençons par le début. T'as des preuves ? Je demande.

Mon copain réfléchit quelques secondes avant de secouer négativement la tête.

— Non, mais je pense que je peux en retrouver. Il faudrait que je remonte un peu les conversations, que je les débloque, mais ça devrait le faire.

Je plante un baiser sur sa joue et ne lui laisse pas le temps de rougir avant de dire :

— Ça devrait aller. Du moment qu'on a quelque chose, ça a pas besoin d'être énorme. Juste une preuve qu'ils sont dégueulasses avec toi. Franchement, qu'ils t'harcèlent sur les réseaux en plus du reste... Pourquoi t'as pas désinstallé les réseaux sociaux ?

— J'aurais pu, soupire-t-il, mais je me suis vite rendu compte que ça ne menait à rien. Ils trouvaient toujours une parade.

Je grimace et prend sa main.

— Je suis désolé que tu aies dû passer par ça.

— T'inquiètes, c'est rien, murmure-t-il, et je sens que pour lui fa ne l'est pas.

Alors que je m'apprête à répondre quelque chose comme quoi il ne devrait pas invalider ses sentiments comme ça, vous savez un truc de psy, comme si j'étais son thérapeute nan mais quel idiot, comme si ça pouvait l'aider à aller mieux, j'entends la clé tourner dans la porte.

Ah, Maman adorée. On est sur un nouveau record cette fois. Trois semaines sans être venue à la maison. J'ai eu le temps d'inviter PQ à dormir presque tous les jours sans qu'ils ne se croisent jamais, alors ça devait bien arriver un jour.

Je fais une moue désolée en direction de mon petit ami, mais il balaie mes excuses d'un geste de la main. Je me redresse (on était allongés sur mon lit) et je m'approche de la porte, suivi de près par PQ.

Je crains un peu de voir ma mère comme la dernière fois, comme tout le temps depuis deux ans d'ailleurs, avec les cheveux décoiffés, le mascara et l'eye-liner qui ont coulé, les habits mouillés, mais elle semble au meilleur de sa forme, même après avoir passé trois semaines hors de la maison. Elle porte une robe de soirée bleue que je ne l'ai jamais vue arborer auparavant, et elle resplendit.

Peu importe à quel point j'ai envie d'être fâché contre elle, je n'arrive pas m'empêcher d'être un peu heureux pour elle, au fond de moi. Elle est passée par tant de choses, elle le mérite.

La dernière fois où je l'ai vue aussi heureuse, c'était la veille de la mort de mon père. Elle allait sortir avec des amies, elle s'était faite belle et elle était tellement contente. Puis quand elle est rentrée le lendemain, il l'a giflée, et je l'ai regardée le tuer de ses propres mains.

Il y a eu un procès, évidemment. On était tous les deux terrifiés, mais surtout moi. Ma mère ne semblait plus avoir d'âme, ne plus être capable de rien ressentir. Moi, j'avais juste peur pour elle. Au final, ils ont classé ça comme de la légitime défense, et je ne me souviens pas m'être un jour senti si soulagé.

Depuis, j'ai beau tenter d'être le moins négatif, c'est l'enfer chaque jour. Même si je suis heureux que ma mère soit heureuse, je lui en veux aussi énormément.

— Coucou, mon chéri ! Comment vas-tu ?

Elle s'élance vers moi en souriant, prête à me prendre dans ses bras. Ses cheveux châtain, ses yeux marrons, son nez, ses traits de visage, tout chez elle me ressemble, même son sourire, et ça me donne la nausée. Quand est-ce que j'ai déjà ressemblé à ça, avant PQ ? Peut-être avec Fiona, quelques fois, et encore je n'en suis même pas sûr.

Ça me motive à me décaler avant qu'elle n'ait pu me toucher.

— T'as intérêt à avoir une très bonne excuse, cette fois, j'énonce froidement, comme si je recitais une leçon apprise par cœur.

PQ met une main sur mon épaule et j'espère que le regard que je lui lance est assez pour le remercier.

— J'ai rencontré quelqu'un, répond ma mère.

— Merci, j'aurais jamais deviné, je grommelle dans ma barbe, et je vois PQ tenter de s'empêcher de pouffer.

Voyant que je ne suis pas réceptive à son enthousiasme, ma mère soupire et s'assied sur le canapé. Elle tapote la place pour que je vienne m'asseoir à côté d'elle mais je secoue la tête et croise les bras. PQ, tel une statue de cire, reste campé à mes côtés, la dévisageant elle aussi d'un regard noir.

— J'ai besoin de te parler, Grégoire, finit-elle par articuler, la mâchoire serrée, alors j'apprécierais si ton ami pouvait s'en aller.

Je me crispe et attrape la main de PQ. Je le sens tressaillir mais quand je lâche ma prise sur sa main en signe qu'il peut me lâcher, il raffermit sa prise, et je me fais violence pour ne pas sourire.

— Mon petit-ami, je dis sèchement, et si tu as quelque chose à me dire, il peut tout à fait être là pour l'entendre. Ce n'est pas comme si je lui cachais quoi que ce soit.

Je me tourne vers PQ et chuchote “à moins que tu ne veuille sortir ?”, effrayé qu'il se sente gêné. Il secoue la tête et me répond à haute voix :

— Je reste avec toi.

Je souris un peu et tourne à nouveau mon regard vers ma mère.

— Alors, qu'est-ce qu'il y a ?

Elle secoue la tête, excédée, mais fait le bon choix de ne pas hausser le ton.

— J'ai rencontré un homme, Éric, et nous sommes fiancés.

La nouvelle me coupe le souffle et je veux rétorquer quelque chose mais les mots se coincent dans ma gorge. Ma mère continue :

— C'est un homme admirable, il a une fille de ton âge et vous allez vous rencontrer la semaine prochaine.

Trop, c'est trop.

— Non, je rétorque simplement.

— Non ?

— Non, je ne vais pas rencontrer cet homme et sa fille dont je ne connaissais pas l'existence avant aujourd'hui.

Ma mère fronce les sourcils, commençant à sérieusement s'énerver.

— Qu'est-ce que tu peux être égoïste ! S'exclame-t-elle. Je t'annonce que je suis enfin heureuse et que j'aimerais réunir mes deux familles, mais tu essaies de m'en empêcher ! Qu'est-ce que tu veux, que je sois malheureuse toute ma vie ?

J'appuie mes doigts sur mes tempes, fatigué, agacé, et un peu blessé par ses paroles, je dois bien l'avouer. PQ est toujours à côté de moi mais je n'ose pas le regarder, la honte me brûlant trop.

— Je ne souhaite que ça, que tu sois heureuse, maman ! Mais tu ne comprends pas, c'est trop soudain, et...

— Moi, j'ai bien rencontré ton copain ! Siffle-t-elle, les sourcils froncés d'agacement.

Je regarde mes pieds et mon cerveau se vide. Je ne sais plus quoi dire pour lui faire comprendre qu'elle est en tort et que j'ai besoin d'espace. À moins que je ne sois en tort ? Peut-être qu'elle a raison, que je suis égoïste, que je devrais être heureux pour elle et...

PQ me coupe dans mes pensées.

— Excusez-moi, Madame, dit-il, le sourire sur son visage contrastant avec son ton froid, mais vous ne pouvez pas comparer votre situation à celle de votre fils. Il y a une différence d'âge, de maturité, et de manière de prendre les choses. Le forcer à rencontrer sa belle famille avant qu'il ne soit prêt, de manière prématurée, c'est une très mauvaise idée, et je sais que vous ne m'avez pas demandé mon avis mais je m'en fiche.

Ma mère ne réplique rien et préfère se tourner vers moi à nouveau.

— Chéri, je n'ai rien contre le fait que tu aimes les garçons, mais essaie de tomber amoureux d'un garçon plus poli, la prochaine fois. Je ne veux plus revoir celui-ci dans notre maison et je te conseille fortement de rompre avec lui.

Je sens la colère se remettre à bouillonner dans mes veines mais encore une fois, PQ est plus rapide que moi. Il s'avance vers ma mère, se plante devant elle, la force à le regarder dans les yeux et dit :

— Je n'en ai strictement rien à cirer que vous me détestiez ou vous m'interdisiez de remettre les pieds ici, de toute façon je n'ai pas besoin de votre permission pour le faire puisque vous n'êtes jamais là. (Ma mère laisse échapper un hoquet offusqué et honnêtement, intérieurement je me régale.) Vous ne l'aidez pas à faire les courses, la vaisselle, le ménage. Il est l'enfant et vous l'adulte, pas l'inverse. Prenez vos responsabilités en main. Et ne vous avisez pas de lui faire autant de mal à nouveau, parce que je ne vous le pardonnerais jamais.

Mon copain fait quelques pas en arrière puis vient jusqu'à moi, m'attrape par les épaules et me fait sortir de l'appartement en me serrant contre lui. Je m'appuie un peu plus fort contre lui et je tente de contrôler mes pleurs, mais en vain. Quelques larmes m'échappent et on s'assied par terre, où je pleure contre lui pendant je ne sais combien de temps.

Au bout d'un moment, je me redresse, mes larmes séchées, je le regarde et dit :

— Bertrand Snecke, même avec ton vieux nom pourri, ton incapacité à te concentrer plus de deux secondes et tes converses mal nouées, t'es vraiment la meilleure chose qui me soit jamais arrivée de toute ma vie.

Il sourit et je remarque qu'il a des fossettes. Comment ai-je pu ne pas le remarquer avant ?

— Est-ce que ça fait trop peu unique si je me contente de te retourner le compliment ?

Je souris en retour.

— Ça l'est. Soit original, un peu.

— Ok, ok. Grégoire Moreau, j'ai que quatorze ans mais j'ai l'impression qu'on va passer toute notre vie ensemble, parce que y a jamais eu personne avec qui je me suis senti comme ça, et ça me terrifie et je sais pas si c'est normal. Ça te va ?

Je le regarde quelques secondes, juste assez pour qu'il panique un peu, puis je baisse le ton et je demande :

— J'ai très envie de t'embrasser. Je peux ?

— Comme si j'allais refuser.

Je l'embrasse et ses lèvres ont un peu le goût de larmes, mais je m'en fiche. Ouais.

***

Le soir, ma mère est entrée dans ma chambre alors que je tentais de m'endormir après avoir raccroché avec PQ. C'était impressionnant, comme il était devenu une constante dans ma vie. On ne pouvait pas passer une journée sans se voir, s'appeler, s'envoyer des messages ou les trois.

Ma mère s'avance et s'assied prudemment sur le bord de mon lit. Combien de nuits va-t-elle dormir ici avant de s'en aller chez son amant une nouvelle fois ? Deux nuits ? Trois nuits, avec un peu de chance ?

— Maman, je murmure, la voix brisée, pourquoi tu me laisse comme Papa ? Je suis pas digne que quelqu'un reste, pour une fois ? Les seuls qui sont restés, c'est Fiona et P– Bertrand.

— Bien sûr que si, je suis désolée. (Elle s'approche de moi et effleure ma joue.) Je ne me rendais pas compte que ça te faisait tant de mal. J'aurais dû prendre plus compte de tes sentiments.

— T'es sincère ? Je demande, tentant de rester fâché.

— Évidemment. Je peux te prendre dans mes bras ?

Je hoche doucement la tête.

— Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ? Je demande en l'accueillant dans mes bras.

— Sans mentir... C'est ton ami. Enfin, ton petit-ami, je crois. Ce qu'il m'a dit... Ça m'a un peu réveillé.

J'esquisse un sourire. Évidemment.

— Il est génial hein ?

— C'était sacrement impoli de sa part, mais il l'a fait parce qu'il t'aime, ça crève les yeux. Et puis l'électrochoc que ça m'a fait... Je ne pensais pas ce que j'ai dis, tu sais.

— Je sais, je dis doucement.

— Depuis quand, vous deux ? Demande ma mère.

— Pas longtemps, je dis. Quoi, deux semaines. Ça ne te dérange pas ? Que j'aime un mec ?

— Chéri, tant que tu es heureux, ça ne me dérangera jamais.

Elle se met à triturer ses doigts en s'appuyant contre le mur de ma chambre.

— Je sais que c'est audacieux de ma part de te redemander ça, et je comprendrais si tu ne voulais pas, mais... Tu es sur que tu ne veux pas rencontrer Éric ? On pourrait se faire une rencontre en famille, avec celle de ton copain.

Je réfléchis quelques secondes et finit par dire :

— Je n'y vois pas d'inconvénient, mais il faut que je demande à... Bertrand. Je ne veux pas le mettre mal à l'aise.

Décidément, il va falloir que je m'habitue à l'appeler par son prénom, je ne peux pas automatiquement l'appeler PQ à chaque fois. Ma mère hoche la tête, et je suis tellement heureux de l'avoir de retour que je ne réfléchis pas avant de parler.

— Parle moi d'Eric et sa fille. Ils sont comment ?

Les yeux de ma mère se mettent à briller et je vois qu'elle est vraiment amoureuse. L'alliance à son doigt brille de milles feux.

— Nous nous sommes rencontrés dans une boîte de nuit, alors je ne penserais pas que ça aboutirait sur du sérieux, mais... Il était vraiment charmant. Sa fille s'appelle Haize, elle a ton âge, je te l'ai déjà dis. Elle est... Elle a une apparence assez spéciale, tu verras.

Ça m'inquiète, mais je préfère ne rien dire.

— Tu les aimes ? Je demande doucement.

Le regard de ma mère se perd dans le vide.

— Beaucoup.

— Alors je les aime aussi.

***

— Je suis tellement stressé Greg t'imagines même pas, dit PQ, qui n'arrête pas de sautiller sur place et se mordre les ongles.

Je saisis ses mains pour les éloigner de sa bouche.

— Si, j'imagine, et ça ne me fait clairement pas plaisir à voir. Je sais que c'est bête à dire comme ça, mais te faire un sang d'encre de cette manière n'aboutira à rien. Et tout va bien, se passer.

— Mais si ils me traitent de menteur ?

— Tu as des preuves.

— Tu peux demander à rester avec moi ? Demande-t-il doucement.

— Bien sûr, je murmure.

— Je peux t'embrasser ?

— Toujours.

Ses lèvres se posent sur les miennes et on se sépare en entendant la clé tourner dans la poignée.

PQ a été convoqué pour parler du harcèlement qu'il subit et des solutions que l'école pourrait faire pour remédier à cela. Il a super peur qu'ils ne fassent rien, et je dois avouer que ça m'effraie un peu aussi. Mais je ferai un vrai scandale s'ils ne font rien, alors ils ont intérêt à bouger leur cul.

La directrice nous regarde et nous fait signe d'entrer du menton. Nous nous asseyons des fauteuils en face de son bureau.

— Pour résumer, si vous êtes ici, c'est car vous avez des plaintes de harcèlement pour Elana Matthew, Diego Vasquez et Lyla Hortensia. C'est bien ça ?

PQ hoche la tête, crispé, et je frotte son dos pour le rassurer. Il m'adresse un regard reconnaissant et je hoche la tête pour l'encourager.

C'est fascinant, cette capacité que les êtres humains ont à communiquer sans mots.

— Oui. Ça fait plusieurs années qu'il... Qu'il leur arrive de me frapper, de m'insulter, et puis quand je suis chez moi ils continuent sur les réseaux sociaux. J'ai des captures, je peux vous montrer si vous voulez.

La directrice hoche la tête.

— Oui, montrez-moi s'il vous plaît.

PQ parcoure sa galerie et au bout de quelques secondes, il retrouve des captures vidéos de vocaux où on entend très distinctement les trois adolescents l'insulter de tous les noms. La directrice grimace.

— Je peux d'hors et déjà dire que des procédures d'exclusions seront entamées. Il est hors de question que nous laissions passer une chose pareil, qui plus est quand il y a des preuves.

Je vois toute la tension accumulée dans ses épaules disparaître d'un seul coup.

— Pour de vrai ? Demande-t-il, des sanglots dans sa voix.

Ça fait sourire la directrice.

— Évidemment. Autre chose ? Sinon, vous pouvez disposer.

— Non, non ! S'écrie PQ. Merci beaucoup.

Il agrippe mon bras et me tire hors du bureau de la directrice. Celle-ci nous regarde avec un sourire amusé sur le visage.

— Tu vois que ça s'est bien passé ! Je m'écrie quand nous sommes hors du bureau.

— J'étais tellement stressé !

Il attrape mes mains et les serre dans les siennes, et merde, son sourire est vraiment trop beau. Je crois que c'est ma vision préféré sur terre, sans exagérer.

— T'es libre ce– j'entame avant de me faire couper par une voix.

— Ils se sont bien trouvés, avec leurs prénoms vieillots, s'exclame Milo en passant devant nous.

— Ouais, dis Loan. On aurait dû se douter qu'ils finiraient ensemble. Surtout après le coup de pute que Greg nous a fait.

Je me tourne vers eux pour leur faire un doigt d'honneur et PQ m'imite. Ils se tournent en grommelant, et tous les deux ont éclate de rire.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top