entrée huit : souvenirs

PQ est resté dormir chez moi, comme d'habitude. Quand j'allais dormir, il m'a rejoint dans ma chambre et on a finit par s'endormir dans mon lit. C'était vraiment sympa. Du coup, quand je me réveille, ce matin, et que je le vois dormir à côté de moi, ça illumine mon début de journée.

J'essaie de sortir sans le réveiller, mais quand je me redresse, j'entends :

— T'es déjà réveillé ?

Je le vois et je me retourne, surpris.

— T'es réveillé ?

Il hausse les épaules.

— Tu m'as réveillé.

Je me frappe le front avec la paume de ma main. Franchement, moi qui tentait de ne pas le faire.

Ça fait rire PQ.

— Greg, c'est pas grave.

Je secoue la tête et sourit. L'adolescent m'attrape par mes épaules et me fait retomber sur le matelas. Ça me fait rire.

— Ouch, mes épaules, je fais mine d'avoir eu mal.

— Pauvre de toi, ricane-t-il.

Je lui tire la langue mais je ne réplique rien, parce que nos visages sont ultra proches et que j'ai l'impression que je vais me liquéfier. J'ai l'impression qu'hier était irréel.

— Je peux te poser une question ? Je demande.

— T'as besoin de demander la permission ? Répond-il pour se foutre de ma gueule. Vas-y.

— Est-ce qu'on est ensemble ?

Il hausse un sourcil.

— C'est à dire que là maintenant, si tu veux mon avis, on est dans la même pièce, dans la même maison, ce qui fait qu'on est plutôt ensemble que séparé.

Je souffle.

— Non, mais, roh, romantiquement parlant, j'veux dire, je marmonne en détournant le regard.

Le sourire de PQ s'élargit encore plus.

— Greg, j'veux bien être con, mais y a des limites à ma bêtise, j'ai bien compris ce que t'essayais de me demander.

— Je te déteste, je réponds en le frappant dans l'épaule.

— Tu disais pas la même chose hier, ricane-t-il.

Je me sens rougir et je détourne la tête.

— Connard.

Il rit et pose contre mon dos. J'ai l'impression que je m'apprête à faire fusion avec le lit, à ce stade. Non mais sérieux. J'ai quatorze ans, j'ai jamais été avec personne et je suis paumé de malade. C'est pas ce que font les gens, de base ? Demander et c'est carré ? PQ semble lire dans mes pensées parce qu'il ajoute :

— C'était pas plutôt clair hier ?

Je hausse les épaules.

— Je peux pas savoir si tu me dis pas.

Il me fait me retourner pour qu'on soit l'un en face de l'autre et il m'embrasse rapidement.

— Ça répond à ta question ?

— Tu ne m'auras pas comme ça, je bougonne en rougissant quand même  Dis moi juste oui ou non, c'est pas si compliqué.

— Oui, on sort ensemble, débile.

Entendre ça me fait frissonner et je me sens bête de tenter de me réchauffer avec mes mains.

— T'as déjà été avec quelqu'un ? Je demande, parce que je suis inquiet qu'il soit déjà sorti avec quelqu'un de plus expérimenté et plus stylé et que j'ai juste l'air d'un idiot à côté de cette personne.

— Non, répond-il simplement.

— Vraiment ?

— Je mens jamais, Greg.

J'accuse le coup, le soulagement envahissant ma poitrine.

— J'étais ton premier baiser ?

Haussement d'épaule. Il détourne les yeux.

— Ouaip. T'aurais voulu que j'embrasse ou je sorte avec qui, même ? J'ai pas d'autres amis que toi, et c'est pas comme si c'était un truc auquel on pensait à l'époque où j'avais encore des amis.

J'aime que PQ me considère encore comme son ami, même si on est ensemble techniquement. Mon Dieu, je n'arrive toujours pas à y croire.

— C'est faux, déjà. T'as Illan et Fiona.

— On se connait pas tellement.

— Tu les aimes bien, non ?

— Ouais...

— Alors ça compte quand même.

Le garçon hoche la tête et vient de loger contre moi. Je passe mon bras autour de lui pour être sûr qu'il ne s'en aille pas. C'est bête, comme peur. Mon copain reste silencieux quelques secondes avant de reprendre la parole.

— T'es sûr que c'est ce que tu veux ?

Toute trace d'amusement est partie de sa voix et de son expression.

Je me tourne vers lui, perplexe.

— De quoi tu parles ?

— Sortir avec quelqu'un comme moi.

Un rire nerveux m'échappe, c'est plus fort que moi. Je me redresse et PQ m'imite.

— Non, mais tu vas pas me la faire, elle ! Y a vraiment besoin que je te cité toutes les raisons pour lesquelles t'es une personne géniale et ça fait des semaines que j'suis à fond sur toi ? Sérieux, tu vas m'obliger à être encore plus niais que je ne le suis déjà ?

PQ se mord la lèvre et se met à fixer ses mains passionnément. Il chuchote :

— J'ai juste du mal à croire que tu veuilles être vu en public avec quelqu'un comme moi.

La situation me paraît tellement inversée que j'en ai mal au ventre.

— Mais c'est moi qui pensait que tu voudrais jamais être vu avec quelqu'un comme moi ! Je m'attendais à ce que tu me dises qu'on ferait mieux de dire à personne qu'on est ensemble et pas faire tous ces trucs que les couples font parce que t'aimerais pas être vu avec moi.

Il lève la tête et ses yeux verts croisent mes yeux marrons, un instant dont je profite parce qu'il évite constamment mon regard.

— Tu rigoles ?

Un rire nerveux lui échappe aussi. On a l'air bien idiots tous les deux.

— De quoi t'as peur ? Je demande. Que je te laisse tomber parce que trois idiots disent de la merde sur toi et parleraient sur notre dos ? T'es con ou quoi ?

— Peut-être, chuchote-t-il.

— Mais non, je dis pas ça pour que tu te déprécie !

Je me fais un face palm, débile que je suis.

— Écoute, PQ, t'es la plus belle personne que je connaisse, et je dis pas ça juste parce que t'es très beau, et oui c'est un compliment, prends-le, il est gratuit. J'aime plein de trucs chez toi, à commencer le fait que t'ait pas de filtre, que parfois tu dises des choses qui ont aucun rapport avec la discussion et c'est super drôle, que t'es toujours là pour moi quand j'en ai besoin, que t'es beaucoup plus intéressant et t'as de meilleurs goûts que la plupart des gens de notre âge, et je sais que dis comme ça ça paraît rien et que tu dois me trouver bête de t'aimer juste pour ça mais c'est comme ça et je peux pas m'en empêcher. Alors, honnêtement, je comprends si tu veux pas sortir avec moi, c'est pas un problème. Mais dis-le moi juste au lieu d'inventer des excuses du style.

PQ serre les dents et secoue la tête, les yeux fermés, visiblement en proie à un dilemme avec lui-même.

— C'est pas ça !

— Alors qu'est-ce que c'est ? Je demande en tentant d'être plus doux, pour ne pas le brusquer.

Il se gratte l'arrière de la tête et finit par soupirer.

— Ça a commencé avec ce que je t'ai dis hier. Les marques, dit-il en tremblant.

Je ne sais pas trop quoi faire alors je prends ses mains et je les caresse avec mes pouces. Le geste me vient plus naturellement que je ne l'aurais pensé.

— T'sais, tout le monde trouvait ça dégueulasse, et honnêtement, quand des gosses trouvent un truc chez toi dégueulasse, t'es mal parti. Moi, en plus, j'avais pas trop d'amis et du mal à m'intégrer, alors ça a démarré facilement. Au début c'était juste une petite remarque de temps en temps, ils m'appelaient l'Horreur, ce genre de choses. Après ça s'est accéléré, et les gens m'appelaient plus que comme ça. Puis ils ont commencé à me frapper, parfois. À déchirer mes mangas quand j'en ramenais en cours, à m'attendre à la sortie de l'école, et j'en passe. Ils sont plein, mais y en a surtout trois en particulier, ceux de la dernière fois. C'est... C'est étouffant.

Je me retiens de parler parce que je sens qu'il n'a pas fini, mais je bouillonne de l'intérieur. Je me doutais que quelque chose n'allait pas, mais je n'aurais jamais pensé que c'était de cette ampleur-là.

— Je parie que t'as déjà entendu des rumeurs sur moi, y en a plein qui se sont mises à circuler partout. Je sais juste que, si tu te mettais avec moi et qu'on tentait pas de se cacher de nos camarades, outre le fait qu'on est deux mecs et que le monde n'est pas prêt à nous laisser tranquille pour ça, et qu'on va se retrouver à se faire traiter de pédés alors qu'on est même pas gays, il va aussi y avoir toutes les rumeurs sur nous, parce que... Ouais, c'est pas près de partir, tout ça. Moi ça fait trois ans que j'attends que le lycée arrive, comme ça... Au revoir le collège, j'aurai plus jamais à voir ces gens, et ils pourront plus jamais m'emmerder. Mais en attendant... Ouais.

Je vois qu'il s'apprête à pleurer alors je le prends dans mes bras et je le serre aussi fort que je peux.

— Je n'en avais jamais parlé à personne, il souffle.

— Tout va bien, je suis là. Je bouge pas. Je ne vais pas te lâcher juste parce que des connards disent de la merde sur toi. (Je le détache de moi, à regrets.) Sincèrement, est-ce que j'ai l'air d'en avoir quelque chose à foutre de ce qu'ils pensent de moi ? Je dis en tentant de garder mon regard dans le sien.

— Non...

— Voilà. S'ils disent de la merde, on s'en fout, non ? On sait que c'est faux, alors ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent. Imagine si les célébrités en avaient quelque chose à carrer de ce qu'on disait d'elles, le monde tournerait plus.

— Plein de célébrités se sont suicidées ou sont tombées dans la dépression, mentionne PQ comme si ce n'était qu'un petit détail insignifiant, une petite remarque.

— Chut, ça on en parle pas, je dis en pouffant.

Il me suit, et je ne sais pas si c'est parce qu'il en a envie ou juste par automatisme. Je plante mes lèvres sur sa joue avant de dire les choses qui fâchent :

— Par contre, pour les trois fils de pute là, il va falloir en parler à un adulte.

Je vois ses yeux s'allumer de panique et je prie pour qu'il accepte.

— Je peux pas. Ça empirera, après.

— Qu'est-ce que tu veux qui empire ? T'sais quoi, si tu veux, je serai ton garde du corps. Déjà, c'est des laches, ils feront rien si je suis là. Et ensuite, même s'ils tentaient un truc, je hurle aussi fort que possible, et dans le meilleur des cas ça alerte quelqu'un, mais au pire ça leur casse les tympans et ils s'enfuient.

Je hausse les épaules et PQ rit. Je compte ça comme une petite victoire.

— T'as de supers arguments, murmure-t-il. Je peux t'embrasser ?

— Toujours.

***

Avant de me rendre dans le petit hôpital de notre ville, celui où résident Fiona et Illan, et le seul d'ailleurs, je suis passé chercher des fleurs. Je sais que les fleurs préférées de Fiona, c'est les roses, parce qu'elle a aucune originalité, et les dernières qu'elle avait dans sa chambre d'hôpital se sont mises à faner. Je sonne à la porte et ma meilleure amie m'ouvre, le sourire aux lèvres.

— Greg, t'es là ! Oh, t'as des fleurs ! (Elle les saisit et les renifle.) Elles sont trop bon, merci.

Elle claque un baiser sur ma joue et me tire à l'intérieur. Son énergie me fait sourire. Elle a des périodes basses, mais heureusement elle semble dans une période haute. Ça semble aussi aller un peu mieux, physiquement parlant, parce qu'ils ont retiré les tubes dans son nez. Ils lui injectent des vitamines grâce à ce tube quand elle refuse de manger quoi que ce soit, et que c'est le seul choix qu'ils ont.

Je vais m'asseoir sur son lit comme si j'étais chez moi, parce qu'on finit par s'habituer avec le temps. Je regarde sa chambre, et remarque que les posters de footballeurs ont disparu, remplacés par un mur entier de photos d'elle et moi depuis qu'on est gamins, et quelques photographies d'elle avec Illan. Sur une d'elle, visiblement prise par quelqu'un d'autre, Illan fait tourner Fiona qui sourit comme si sa machoire allait se décrocher. C'est contagieux alors je souris aussi. J'imagine tellement bien la reine Fiona et son prince Illan, et franchement, ils se sont bien trouvés.

— Qui a prit la photo ? Je demande en désignant le mur.

L'adolescente s'approche et ne peux retenir un sourire en voyant à quelle photo je fais allusion.

— Clara, une des deux meilleures amies de N. Ses passion, c'est la création, de tout genre de vêtements, de collages, bref n'importe quoi, l'astrologie et la photographie. Du coup, elle prend des photos de N et moi, parfois, et elle a décidé de développer certaines d'entre elles pour mon mur.

— C'est bien, que t'ai jeté tes posters, je dis en espérant ne pas faire de gaffe. Fallait que t'arrêtes de vivre dans le passé.

Elle hoche la tête, un sourire triste s'insinuent sur son visage.

— C'est ça. N m'a convaincue de le faire.

— Il a une bonne influence sur toi.

— Tu trouves ?

Je hoche la tête et son sourire s'élargit, s'illumine un peu plus.

— Vous êtes enfin ensemble ? Je demande en m'allongeant complètement sur son lit.

Elle me donne un petit coup de pied pour que je lui laisse la place de s'asseoir. Elle est vraiment lumineuse, aujourd'hui.

— Pas encore, mais j'ai bon espoir que ça arrive bientôt.

— Je suis heureux pour toi, je réponds parce que c'est vrai.

— Et toi, ça avance avec Bertrand ?

— On peut dire ça, je dis en détournant le visage pour qu'elle ne voit pas le rouge qui me monte aux joues.

— Oooh, toi y a du croustillant dont tu ne m'as pas parlé au téléphone !

Je hoche la tête en me remettant à la regarder.

— Oui, j'avoue.

— Je veux tout savoir, s'exclame-t-elle.

— L'autre jour il est venu chez moi pour réviser, c'est un peu parti en cacahouètes, j'ai craqué et je lui ai dis que j'étais amoureux de lui, on s'est embrassés et c'était ultra cool, il a dormi chez moi, et le lendemain on a établit qu'on était ensemble. Et voilà, depuis, c'est nickel.

— Tu souris, Greg, fait remarquer doucement Fiona.

Je n'arrive pas à m'arrêter.

— J'ai jamais été heureux comme ça.

— Moi aussi, dit-elle, et ça me donne envie de la serrer dans mes bras alors je le fais.

— On est tellement inséparables que même le bonheur nous arrive en même temps, je dis en riant.

— En même temps, c'était destiné à être comme ça, depuis qu'on est né à côté dans la clinique de l'hôpital.

— On est carrément nés le même jour, c'est obligé que ce soit le destin qui nous ait foutu ensemble.

— J'ai envie qu'on soit comme ça toute notre vie, murmure ma meilleure pote.

— J'aimerais bien rencontrer Clara et l'autre amie d'Illan. Elles ont l'air sympa.

— Elle s'appelle Anaïs. Tu les adorerais, alors je verrai avec N.

— Elles sont comment ?

— C'est pas vraiment un trait de personnalité, mais le premier truc qui me vient à l'esprit, c'est “très amoureuses”.

— Je vais faire comme si j'étais étonné qu'elles soient queer alors que je sais que notre aura de personnes LGBT est si magnétique qu'on ne peut attirer que des personnes queer.

Fiona m'a fait son coming out omni il y a des années de ça, alors je ne suis même plus surpris.

— Je te jure ! Pouffe Fiona. Même N, on en a parlé l'autre jour et il dit qu'il est pan et sur le spectre aromantique.

— Sens-toi spéciale qu'il soit amoureux de toi s'il est sur le spectre aromantique, genre, demiromantique.

— On est pas encore sûrs !

— T'as vu la manière dont il te regarde ? Parce que je peux t'assurer que moi j'ai très bien vu, et qu'il te regarde comme si t'étais Mona Lisa.

— Nan mais, tu parles mais tu t'es vu avec Bertrand ? Franchement, vous êtes limite pires.

Je fais mine de me boucher les oreilles.

— Blah, blah, blah, je t'entends pas.

On éclaté de rire simultanément. Quand nous sommes calmés, Fiona me demande :

— Tu restes bouffer ici ? J'ai pas envie de manger seule, et N est allé faire... Que sais-je, ses trucs secrets qu'il fait parfois.

— T'es sûr que c'est autorisé ?

— Non, mais je m'en fous.

— Alors je m'en fous aussi.

Elle prend ma main et la serre, fort, et je sais que même si elle était ma seule amie dans le monde entière, j'en aurais rien à faire, parce qu'elle vaut bien toutes les autres amies en carton que je pourrais avoir.

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