entrée dix : haize.
Après maintes discussions à se demander si PQ et moi devions accepter la proposition de nos parents, nous avons décidé d'accepter.
— Du coup, t'as parlé de moi à ton père ? Je dis alors que nous sommes allongés sur mon lit à regarder le plafond.
— Étonnant que tu ne partes pas du principe que je l'ai fait dès le moment où je t'ai rencontré.
Je sens le rouge me monter aux joues et lui donne une bourrade dans les côtes pour cacher mon malaise.
— Il l'a bien pris ?
Mon mec hausse les épaules.
— Je ne sais pas. Je crois qu'il en avait pas grand chose à foutre. Je lui ai dit que tu t'appelais Greg et il a juste demandé quelle était ton équipe de foot américaine préférée.
— Argh ! Je gémis. Pourquoi est-ce que tout le monde se sent obligé de me poser cette question ?
— Je ne l'ai pas fait, me fait remarquer PQ.
— C'est pour ça que je suis tombé amoureux de toi, je dis en l'embrassant rapidement.
— Parce que je m'intéresse pas au foot ?
— Yes. J'en ai assez du foot pour toute une vie à cause de Fiona.
— Je ne t'ai jamais demandé parce que je trouve ça un peu indiscret, mais je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec elle, ni pourquoi elle est à l'hôpital.
Je détourne le regard.
— C'est... Un sujet sensible.
— Son cas est vraiment critique, hein ? Demande PQ doucement.
Je hoche la tête et il m'adresse un regard compatissant.
— T'es un ami en or, de ne l'avoir jamais lâchée.
— J'aurais été un horrible ami si je l'avais fais.
— Mais tu ne l'as pas fais.
— J'y ai songé.
Avant qu'il ne puisse répliquer quoi que ce soit, la sonnerie de la porte retentit et je prends ça pour une excuse pour échapper à son regard. Je me précipite vers la porte presque aussi vite que ma mère, qui espère sans doute que ce soit son amant.
C'est le père de PQ.
Je n'ai jamais vu son père avant. Il m'en a beaucoup parlé alors je sais deux trois trucs sur lui, mais ça s'arrête pas. Je ne m'attendais pas à ce qu'il lui ressemble autant. Évidemment, il a des rides en plus, mais ils ont les mêmes yeux verts transperçants, les mêmes boucles rousses et les mêmes fossettes quand ils sourient.
Le père de PQ me tend la main.
— Enchanté, je suis Emmanuel, tu peux m'appeler Manu.
Je hoche la tête et serre sa main.
Peut-être que j'aurais dû mieux m'habiller pour l'occasion, parce que je suis simplement dans mon sweat et mon jogging habituel, mais bon. Tant pis.
— Je suis Greg. Grégoire. Enchanté.
— Le copain de mon fils.
— Oui.
Il me donne une tape dans mon dos et je vois du coin de l'œil PQ, qui est descendu à ma suite dans les escaliers, cacher son rire derrière ses mains en voyant ça.
— Papa, laisse mon pauvre copain tranquille ! S'exclame le garçon en riant.
Je le remercie intérieurement de me sauver de cette situation.
Alors que Manu entre à l'intérieur, ma mère, qui était restée en retrait jusque là, s'avance vers lui pour le saluer. Ils commencent à discuter de choses d'adulte inintéressantes, alors je me penche vers PQ pour souffler :
— Je suis trop nerveux. Je suis devant mon beau-père.
— On est pas encore mariés, Greg.
— Tout réside dans le “encore”.
Il me donne une petite tape derrière la tête et je m'esclaffe.
— Franchement, t'as pas de raison d'être nerveux. Je te kiffe, alors mon père va te kiffer.
Il me plante un baiser sur la joue et mon corps se réchauffe alors que ça doit être la centième fois qu'il le fait. Est-ce que je me lasserai un jour ?
Je n'ai même pas le temps de réfléchir que la sonnette de l'appartement sonne à nouveau. J'ouvre à nouveau la porte et je me fige, même si je savais qu'on les attendais.
Alors, c'est mon beau-père. Le vrai, cette fois.
Il est noir, a des cheveux noirs frisés, un sourire bienveillant sur le visage, une belle paire de biceps et un ensemble de sport.
— Bonjour, Monsieur, je balbutie.
Il passe le pas de la porte et éclate d'un rire tonitruant.
— Pas de Monsieur pour moi, surtout sachant que tu es mon beau-fils. Ta mère ne t'as pas dis que je m'appelais Guillaume ?
Je hausse les épaules et dis.
— Grégoire.
— C'est super de te rencontrer, Grégoire.
Il s'avance un peu plus pour embrasser ma mère et je détourne les yeux. Je ne sens vraiment pas ce mec, malgré toutes ses apparences joviales, mais je mets ça sur le compte de ma paranoia. Je dois laisser ma mère être heureuse, pour une fois qu'elle l'est.
PQ se glisse à mes côtés et chuchote
— Je le sens grave pas.
Je frissonne.
— Je me disais la même chose.
Avant qu'il ne puisse répondre, une adolescente passe l'encadrement de la porte elle aussi. Quand je peux enfin la voir entièrement, je frissonne et ma respiration se bloque dans ma gorge.
Elle a la peau mate mais un peu moins que son père, alors je pars du principe que sa mère est blanche. Elle a des cheveux noirs et très lisses. Ses yeux sont eux aussi noirs comme l'ébène, et elle porte de grandes lunettes rondes. Mais tout ça, ce n'est pas ce qui me choque le plus.
Ce qui me choque le plus, c'est qu'elle n'a pas de peau. Ou si elle en a, elle est bien cachée, sous une tonne de ruban médical. C'est à peine si je peux remarquer qu'elle est mate, à travers quelques couches de bandes.
J'échange un regard avec mon copain, mais me reprend bien vite. Je ne serai pas comme ses harceleurs et je ne jugerai pas sur l'apparence.
— Coucou, moi c'est Greg ! T'es ma belle-soeur, du coup maintenant. Toi c'est Haize, c'est ça ?
Elle hoche la tête, une expression neutre et fermée sur le visage, semblant peu convaincue.
Voyant qu'elle ne continue pas, PQ prend le relai.
— Tu as quatorze ans, comme nous ?
Elle secoue la tête.
— J'ai quinze ans.
Sa voix est fluette, basse, douce, et elle me donne envie de m'endormir, comme un somnifère.
— Tu vas au lycée, du coup ?
Elle hoche la tête de nouveau. Elle n'est pas très bavarde, ce que je peux comprendre. Ça doit pas être facile pour elle, de rencontrer sa belle famille.
Avant que PQ ou moi n'ayons eu le temps de poser une nouvelle question à l'adolescente, ma mère claque dans ses mains et s'exclame joyeusement :
— C'est l'heure du déjeuner !
Il y a six places, trois par trois en face l'une de l'autre. D'un côté, ma mère, entre les deux autres adultes, de l'autre moi, PQ à ma gauche et Haize à ma droite (en face de leurs parents respectifs).
— On mange quoi ? Je demande impatiemment.
— Du couscous fait maison ! S'exclame ma mère.
Je ne peux pas retenir l'énorme sourire qui me mange le visage. C'est la première fois qu'elle cuisine un plat depuis des années.
Haize semble mille fois plus mal à l'aise que n'importe qui à la table. Alors que les discussions démarrent et que les autres adultes complimentent la cuisine de ma mère, elle reste de marbre, n'ouvrant pas la bouche, excepté pour des réponses laconiques aux différentes questions que les adultes lui posent. À plusieurs reprises, j'ai échangé un coup d'œil avec PQ, désemparé.
Vers la fin du repas, j'ai fait connaissance avec Guillaume et Manu, qui sont tous les deux très sympas, même si je ne sens toujours pas complètement le père de Haize. La jeune fille a l'air super sympa, mais elle est tellement inaccessible que nous avons à peine échangé un mot.
Alors que ma mère va chercher le dessert, un gâteau au chocolat, je pose ma tête dans le creux de l'épaule de mon copain et il commence à frotter mon bras pour me réchauffer. Les adultes se foutent un peu de notre gueule, mais ça ne me dérange pas. Ça me met un sourire idiot au visage, mais celui-ci disparaît bien vite quand je vois Haize mettre les coudes sur la table et son père la fusiller du regard. Elle les retire de la table précipitamment en frissonnant de peur.
Je me redresse, échange un regard avec PQ et chuchote.
— On a bien vu la même chose ?
Il hoche la tête. Soudainement, Haize dit :
— Excusez-moi, je vais aux toilettes.
Elle s'éloigne précipitamment et ma mère demande, confuse :
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
Guillaume hausse les épaules.
— Aucune idée. Encore un de ses caprices, sans doute.
La réflexion me fait serrer la mâchoire, alors je me lève aussi en disant :
— J'ai besoin d'aller aux toilettes, je vais voir si elle n'y est pas.
— Tiens, c'est bizarre, moi aussi j'ai envie d'aller aux toilettes, rajoute PQ avec un sourire gêné.
Nos parents nous regardent bizarrement mais nous les ignorons et nous dirigeons vers la salle de bain. J'ouvre doucement la porte et vois Haize en train de sangloter, recroquevillée dans un coin de la pièce.
Je ne sais pas si je dois aller la consoler ou pas, mais je décide que je ne peux décemment pas laisser quelqu'un pleurer comme ça sans faire quelque chose. Je fais un pas dans la salle de bain, laisse PQ entrer et ferme la porte derrière nous.
Après quelques secondes de silence, Haize dit :
— C'est le bazar, ici.
— C'est mieux qu'avant, crois-moi.
Le silence retombe à nouveau. PQ et moi allons nous asseoir chacun d'un côté d'elle, et il demande :
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
Elle ne répond pas tout de suite, prend le temps de dévisager la pièce. Enfin, elle dit :
— C'est pas grand-chose. Pas de problème. Ne vous inquiétez pas.
Je secoue la tête.
— Tu ne nous auras pas comme ça. Je comprends si tu ne veux pas en parler, mais je sais que ça fait toujours du bien de dire ce qu'on a sur le cœur, quand on se sent mal. Je parle d'expérience. Alors, voilà, on est là.
Elle prend une grande inspiration, puis finit par dire :
— Je ne pense pas que ça vous plairait.
— Bien sûr que non, je dis. Mais si on est là, c'est qu'on veut savoir quand même, et t'aider.
Elle inspire, expire, et finalement, dit :
— Je vais bientôt tuer mon père.
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