entrée deux : soirée film

— T'avais pas dis que t'étais bon en français ? Je cite, dix-sept de moyenne ?

— J'ai juste dis ça pour que t'acceptes de te mettre avec moi !

Je ris.

— Mais t'avais qu'à demander normalement, j'aurais dis oui quand même !

Je suis avec PQ, chez moi, pour la troisième fois en deux semaines, pour travailler sur notre exposé de français. Ça fait deux heures qu'on essaie de trouver la bonne tournure pour expliquer que oui, George Sand à révolutionné la langue française, blah blah blah. Même si, évidemment, on ne le pense pas.

— L'école pourrait pas juste... Disparaître ? Demande PQ en fixant le plafond.

J'ai remarqué qu'il faisait ça, parfois. Il est distrait et se met à rêvasser en regardant le plafond. Je suis souvent obligé de le rappeler à l'ordre.

— Si tu savais comme j'aimerais que ce soit le cas...

Je suis sur mon ordinateur, en train de tenter de déterminer laquelle de ses œuvres on devrait citer en dernier pour conclure l'exposé. Je hais les travaux de groupe. Je hais les travaux tout court.

Je m'accorde cinq secondes pour faire une pause et regarder mes messages. Je n'ai pas énormément d'amis, donc si j'ai un message, soit il vient de Fiona, soit de Milo, soit de Loan, soit de ma mère. Je relève la tête pour regarder PQ.

— Ça me fait penser, mais on s'est pas échangé nos numéros, si ?

Il secoue la tête.

— Tu veux mon numéro ?

— Ça serait cool. Pour... S'organiser avec les exposés et cetera, j'veux dire, je m'empresse de préciser, effrayé qu'il le prenne de la mauvaise manière.

Il sourit.

— Pas besoin de paniquer. Passe moi ton téléphone.

Je lui tends et attend qu'il ait fini de s'enregistrer. Je vois qu'il a nommé le contact “Mister PQ”.

— Tu vois, même toi t'as adopté le surnom !

Il secoue la tête en souriant. Je remarque que j'ai reçu un nouveau message de ma mère.

18:20
De : Ma p'tite Mam's

Chéri, je ne dors pas à la maison ce soir, je suis chez Stéphane. Gros bisous, je t'aime fort, je reviens demain matin. Rachète du lait, il n'y en a plus, et fait réchauffer les pâtes.

J'éteins mon téléphone rageusement et rouvre le PC. PQ me regarde d'un air concerné.

— Eh, tu vas bien ?

Il a ses joues dans ses paumes et il paraît vraiment inquiet.

— Tu t'en fiches pas ?

— Mais non. Raconte.

Je vais m'asseoir à côté de lui sur le lit et il s'écarte un peu pour me faire de la place. Je trouve ça dingue, cette propension à se faire plus petit pour que les autres le voient moins. Comme s'il était une gêne pour l'humanité. Il ne l'est pas, en tout cas je ne pense pas.

— Ma mère dort encore chez un mec ce soir. Ça fait quelques années qu'elle fait ça tout le temps, mais c'est de plus en plus récurrent en ce moment. Elle a pas dormi ici depuis une semaine. Y a presque plus rien dans le frigo.

PQ roule sur le côté.

— C'est bâtard, si tu veux mon avis. Elle a un fils, elle devrait s'en occuper.

Je secoue la tête.

— Je comprends. Elle... C'est la galère, en ce moment. Depuis plusieurs années, mais surtout en ce moment. Elle fuit ses problèmes, c'est compréhensible. C'est juste... J'ai personne d'autre. Je me sens un peu seul, parfois. Souvent.

PQ sourit doucement. Je ne sais pas pourquoi il est aussi gentil, alors qu'on se parle que depuis quelques semaines.

— Je peux manger avec toi, ce soir, si tu veux. C'est samedi, c'est pas comme si qui que ce soit allait m'engueuler. (Il rougit et se reprend.) Enfin, t'as le droit de refuser, hein. Je veux pas donner l'impression de m'incruster, et...

— Tu sais dire des trucs méchants, mais t'as toujours peur de déranger. Si c'est pas ultra contradictoire, ça.

Ça le fait sourire un peu.

— Alors ?

— Viens, il se fait tard. J'ai des pâtes à réchauffer dans le frigo.

***

Alors que je commence à sortir un saladier pour y mettre les pâtes et les faire chauffer, l'ampoule du plafond grésille. Je suis habitué, mais PQ sursaute, pas très à l'aise. Il s'assied à la table pendant que je m'affaire. Ses pieds se balancent sous la table comme s'ils étaient sur une balançoire.

— Je te proposerais bien de l'aide pour cuisiner, mais j'ai déjà réussi à faire brûler des pâtes, alors franchement...

Je hausse les sourcils.

— Comment t'as réussi ce défi ?

— Eh, te fous pas de ma gueule ! Proteste-t-il. J'ai juste oublié de mettre de l'eau.

J'éclate de rire.

— À quel point il faut être tête en l'air pour oublier de mettre l'eau dans les pâtes ?

Soudainement, le mur devient bien plus intéressant que moi.

— PQ ?

— Arrête de m'appeler comme ça.

— Ça semblait pas tellement de déranger jusqu'à maintenant.

— Désolé. (Il soupire.) J'ai un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité. Un TDAH, pour faire court. Je sais que certains trucs que je n'arrive pas à faire semblent vraiment bêtes, pour certaines personnes, et sans doute pour toi, mais c'est comme ça. Je déteste l'admettre, mais je peux pas tout faire aussi bien que quelqu'un d'autre.

Je savais qu'il avait un PAP, parce qu'en étant dans la classe de quelqu'un pendant plusieurs années on finit par le remarquer, mais je ne savais pas vraiment ce que c'était. Ça fait sens, au final.

— Ça me paraît pas bête.

Je retourne à mes pâtes par peur de les faire cramer, moi aussi. Je vérifie que j'ai bien mis de l'eau.

Je ne vois pas le regard de PQ, même si je sais qu'il me fixe, et honnêtement ça m'arrange.

— Pourquoi il y a des problèmes avec l'ampoule ?

— Ma mère à dû oublier de payer les factures, je réponds d'un ton blasé. On s'habitue. Ou alors il faut changer l'ampoule et elle ne m'a pas dit. Ne t'étonnes pas si l'électricité se coupe pendant la soirée, ça arrive parfois.

Je hausse les épaules. Ça me paraît normal.

— Greg, je peux te poser une question ?

Je sais ce qu'il va me poser. Pas une seule personne ne peut passer plus de 24h à me cotoyer sans me la poser. J'ai envie de dire non, mais en même temps, ça ne me parait pas si mal d'en parler. On est amis, je crois. Il devrait savoir.

— Mon père, pas vrai ?

Je me tourne pour le voir hocher la tête. Je le savais. J'enlève les pâtes de la plaque de chauffage et sors des assiettes et des couverts. Je m'assieds en face de lui, sur la petite table qui a été conçue pour deux. Ma mère avait vendue la grande, après que notre père ne soit plus là. Ça ne servait à rien. La famille ne s'agrandirait plus jamais. Ça ne serait toujours qu'elle et moi. Pas de père, pas de petit frère, de petite sœur.

— Il est mort. À cause de moi. T'es content ?

Les images défilent dans ma tête, se bousculent. Je suis à nouveau ce garçon de huit ans qui regarde mon père se faire tuer devant mes yeux, enfermé dans un placard. Je suis de nouveau cet enfant qui risque de se faire tuer s'il sort, mais préfère voir son père se faire tuer de toute façon.

La police a conclu à un accident. C'était probablement mieux comme ça.

— Ça sert à rien que je m'excuse ou que je présente mes condoléances, hein ? Demande PQ. Je sais. Tu veux que je reste jusqu'à quelle heure ?

Je suis surpris qu'il n'insiste pas plus, mais il a raison. Toutes les condoléances des gens me rendaient malade, après sa mort.

— Si tu veux, on peut regarder quelque chose ensemble, après avoir mangé. Qu'est-ce que t'aimes ?

— J'aime bien les animes.

— C'est quoi ton préféré ? Et, par pitié, ne me répond pas Naruto, One piece ou Hunter x Hunter, ait plus d'originalité.

Son sourire en coin s'étend sur sa joue.

— Ici, c'est Angel Beats ou rien.

— Merci ! Pas au niveau de Time shadows, quand même, mais mieux que mes potes déjà. Tu veux qu'on se mate le nouvel anime sur Netflix ? Blue period, je crois.

— T'as un abonnement Netflix et pas d'électricité ?

Je lève les yeux au ciel pour rire.

— Bien évidemment que non. Je suis juste un énorme gratteur et je squatte le Netflix de Milo.

— Génie.

— Merci, merci. Installe-toi, j'vais lancer.

Je lui jette un regard alors qu'il met sa joue contre ses genoux et je peux pas m'empêcher de remarquer que j'aime beaucoup ses tâches de rousseurs. Et ses yeux. Et la couleur de ses cheveux. Et un peu tout chez lui, en fait.

Je secoue la tête et reprend mes esprits.

— Je te préviens, je parle beaucoup.

— Je parle sans doute plus que toi.

— Impossible.

— C'est ce qu'on va voir.

***

Alors que je récupère ma trottinette, attachée à un poteau devant mon collège, quelques jours après, je vois PQ arriver vers moi.

— Salut.

— Salut.

Il y a un moment de silence, et PQ finit par le rompre, en parlant très vite.

— Je me disais juste... Mmh... J'ai pas trop envie de rentrer chez moi aujourd'hui et je me disais... Si je pouvais venir chez toi et qu'on continue l'anime qu'on avait commencé l'autre jour ?

Je suis super heureux qu'il me demande ça, mais je ne le dis pas, parce que j'essaie de mon mieux de ne pas lui montrer.

— Si tu veux. Tes parents sont d'accord ?

— Oui, oui, t'inquiètes.

Je récupère ma trottinette et me met à marcher à côté. Soudain, PQ pouffe, sans raison apparente.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

J'aime beaucoup son sourire. Ça donne l'impression qu'il rayonne. Comme un soleil.

— Je me disais juste... C'est vraiment marrant, qu'on soit dans la même classe, et pourtant on s'ignore toute la journée.

— Je préférerais trainer avec toi qu'avec ces imbéciles de Milo et Loan.

— Pourquoi tu le fais pas ?

Je soupire.

— C'est pas si simple.

— Qu'est-ce qui est compliqué ?

Je hausse les épaules. Mes mèches de cheveux marrons clairs me tombent devant les yeux, et je suis obligé de souffler dessus pour qu'elles se remettent en place. Ça me déconcentre quelques secondes.

— Je sais pas. C'est juste que... Quand Fiona est partie, c'est les seuls qui sont venus vers moi. Et je suppose que j'arrive pas à finir une amitié vieille d'un an comme ça. J'ai personne d'autre, à part eux. J'veux dire, à l'école. Sinon, j'ai Fiona.

Merde, j'ai qu'une vraie amie, à part Milo et Loan. Ça fait pitié.

— Tu m'as moi.

Il sourit, puis reprend :

— Je sais qu'on se connait depuis pas longtemps et que ça a pas très bien démarré entre nous, mais j'ai pas non plus beaucoup d'amis et je suppose que je m'attache vite. Si t'as besoin de quelque chose, je suis là. Si t'as besoin de force, je suis là. J'en sais rien. Dans tous les cas, je suis là. C'est pas juste que ça soit toujours toi qui fasse des trucs pour moi. Qui accepte que je reste manger chez toi et qui fasse la majorité du boulot pour l'exposé.

— Ça me dérange pas. (Je détourne les yeux. Je n'arrive pas à le regarder.) J'aime bien passer du temps avec toi. Moi aussi je m'attache vite.

Mes yeux reviennent vers lui, et on commence à se regarder, toujours en train de marcher vers chez moi. J'aime vraiment la couleur de ses yeux. Et ses cheveux désordonnés.

Alors qu'on arrive dans mon immeuble, je dis bonjour à deux ou trois voisins (PQ fait la même chose, mais plus timidement) et on arrive chez moi. Mais quand j'ouvre la porte et que j'allume la lumière, je vois ma mère sur le canapé. Je me précipite vers elle. Elle ne m'avait pas dit qu'elle allait rentrer. PQ me suit doucement comme s'il ne voulait pas la brusquer, ou peut-être que c'est moi qu'il ne veut pas brusquer.

Quand je suis assez près d'elle, je peux voir qu'elle pleure. Son mascara a dégouliné, sa robe de soirée pailletée est remontée sur ses cuisses, ses cheveux pendent le long de ses épaules.

— Mam's chérie, il se passe quoi ?

Je m'assieds à sa droite et PQ fait de même à sa gauche.

— Stéphane a rompu avec moi.

Je soupire. J'ai été bête de croire que ce serait autre chose, pour une fois.

— Mam's, peut-être que si tu buvais et fumais moins...

— Grégoire, ce n'est pas à toi de me donner des conseils. Je suis une adulte, je sais me gérer.

Je me lève, indigné, et je m'écarte de quelques pas devant elle. Je la pointe du doigt et je dis :

— Ah bon ? Ça, c'est toi quand tu te gères ? En train de chialer sur ton canap' ?

— Je ne te permets...

— Qui fait la vaisselle, ici ? Je la coupe. Qui fais le linge ? Étends le linge ? Doit subir les conséquences quand tu ne paies pas les factures ? Qui doit faire les courses seul et se faire à manger seul ? J'ai quatorze ans !

Je sens des spasmes s'emparer de mes épaules. Je montre d'un geste de la main le reste du salon, la baie vitrée avec les plantes.

— Regarde, si les plantes ne meurent pas, c'est parce que je les arrose ! J'ai le brevet cette année, et ce n'est même pas comme si j'avais eu une minute pour réviser depuis le début de l'année.

Tout le temps libre que j'ai eu, je l'ai passé avec PQ, parce que je mérite d'avoir un peu de repos, avec tout ça. Je suis épuisé à chaque fois que je vais me coucher.

Je regarde ma mère dans les yeux pendant quelques secondes, et comme elle ne répond rien, je ressors comme une furie. Je m'arrête en bas de l'immeuble, devant la porte, et je m'adosse contre le mur. La porte s'ouvre peu de temps après moi.

C'est PQ.

— Je suis là, me dit-il en esquissant un faible sourire.

— Je sais.

— C'est déjà ça. Je peux te prendre dans mes bras ?

Je hoche la tête vigoureusement, et il le fait. J'ai du mal à respirer à cause de son étreinte, mais ça me fait du bien, d'avoir le corps de quelqu'un contre le mien. J'ai du mal à respirer entre mes sanglots, mais je dis faiblement :

— Merci.

— C'est rien. C'est vraiment rien.

Il se détache doucement de moi, et il doit voir l'air déçu que je n'ai pas pu réussir à cacher de mon visage parce qu'il m'attrape les mains avec hésitation. Je sens le sang me monter au visage mais je prie pour que ça ne se voit pas. PQ reprend, doucement :

— Tu sais ce qu'on va faire ? On va laisser ta mère toute seule et aller se balader un peu pour que tu te calmes, t'en as besoin. Ensuite je vais rentrer chez moi, parce que t'as visiblement besoin de temps avec ta mère, et quand t'as parlé à ta mère, je me fiche qu'il soit vingt-deux heures ou deux heures du matin, tu m'appelles et on en discute pour que je m'assure que t'ailles bien. C'est bon ?

Je tente de ravaler les sanglots qui me remontent dans la gorge. Ses mains sont douces et il ressemble à un putain d'ange.

— C'est parfait.

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