.1.2.
Je me glisse sous la douche et les jets se déclenchent automatiquement lorsqu'ils détectent ma présence. Je ne reste que quelques minutes sous l'eau, juste le temps de me laver. En sortant, je m'enroule dans une serviette blanche et viens me positionner devant le lavabo et le miroir qui le surplombe. Aussitôt, une soufflerie démarre et rapidement, mes cheveux se mettent à virevolter dans tous les sens. Mes mains agrippent le rebord de l'évier ; je ferme les yeux tentant d'évacuer la colère et la peur qui me tordent le ventre en expirant lentement. Ce que je redoutais le plus est en train d'arriver et je n'ai aucune issue de secours.
Plusieurs minutes supplémentaires suffisent à sécher ma longue chevelure auburn qui m'arrive jusqu'au milieu du dos. Avec des gestes crispés, je passe un coup de brosse dedans et les relève légèrement avec une petite pince au-dessus de l'oreille gauche. Ensuite, j'enfile des vêtements près du corps, mais confortables, et enroule le long gilet couleur crème autour de mon cou avant d'épingler un morceau de tissu au niveau de mon épaule gauche avec une broche pour le maintenir en place. J'ai besoin d'effectuer ces gestes quotidiens pour calmer l'angoisse qui gronde en moi.
Je finis par ajouter deux traits noirs au coin de mes paupières afin de rehausser la pâleur de mes iris et tenter de masquer l'inquiétude qui se lit pourtant dans mon regard. Puis enfin, je rassemble rapidement quelques affaires pour mon séjour au Camp de Base. Je ne sais pas de quoi je vais avoir besoin, alors je fourre tout ce qui me passe sous la main dans ma trousse de toilette informe.
Ensuite, je repasse par ma chambre et tire deux valises de sous mon lit. Dans celle que je me réserve, je jette pêle-mêle mes affaires de toilette, des vêtements en tout genre et des chaussures, mon projecteur holographique permettant de diffuser les films en trois dimensions que je stocke sur mon sýn et quelques effets personnels. Une fois bouclée, je prends la deuxième et rejoins la chambre de Sixtin. Sur le seuil, je m'arrête, le cœur serré devant la scène qu'il m'offre. Assis sur son lit, sa tortue de Nekrí Zóni enfermée entre ses petits bras, il se balance d'avant en arrière, secoué par des sanglots silencieux. Je dépose la valise dans un coin et m'approche pour m'asseoir à ses côtés, la gorge serrée par l'émotion.
— Tout va bien se passer, lui dis-je doucement en lui frottant le dos.
Ces mots me brûlent les lèvres, mais je dois avant tout le rassurer. Au fond, je sais très bien que Mason ne lui fera jamais de mal. Il faut que je me raccroche à cette idée pour surmonter l'épreuve qui nous attend.
— Je veux pas y aller, déclare-t-il entre deux sanglots.
— Il va bien falloir pourtant. Ça va être chouette de passer un peu de temps au Palais, tu vas pouvoir faire plein de nouvelles choses et quand on se reverra tu me raconteras tout ça. D'accord ?
— Non, je veux pas.
Je n'aime pas ce que je m'apprête à lui dire, mais je dois lui donner l'impression d'être confiante pour le rassurer. Je ne veux pas non plus qu'il retourne au Palais la boule au ventre. Cependant, ma peur et mon anxiété doivent rester les miennes.
— Allez, Sixtin, tu es un grand garçon maintenant. Tu sais bien qu'on ne peut pas toujours faire ce qu'on veut dans la vie. On va vite se revoir, je te le promets.
— Combien de temps ? renifle-t-il.
— Quelques jours. Tu ne les verras pas passer !
— Juré ?
— Promis, juré. Allez, tu t'habilles et on fait ta valise ?
— Oui, répond-il enfin en traînant un peu sur le « i ».
Sixtin s'extirpe de son lit et fouille dans son armoire pour sortir un pantalon et un t-shirt. Par-dessus, il enfile un sweat noir à capuche et aux coutures multiples qu'il affectionne particulièrement. Je souris en songeant qu'il le remplit déjà bien plus que lorsque je le lui ai offert pour ses six ans, il y a de ça quatre mois. Tandis qu'il se bat avec ses chaussettes, je commence à rassembler ses affaires. De quoi tenir pendant quinze jours. Mason se chargera de compléter ce qu'il manque si besoin, j'en suis certaine. En plus, je lui rajoute ses livres préférés et quelques jouets avec lesquels il aime s'amuser.
Au moment de fermer la serrure magnétique, Sixtin vient à nouveau enrouler ses bras autour de mon cou.
— Tu peux me raconter une histoire ?
— Mon cœur, ce n'est pas le moment, les messieurs dans l'entrée nous attendent.
— Juste une ! S'il te plaît !
Un raclement de gorge dans mon dos me fait sursauter et je me retourne pour croiser le regard gêné du troisième homme de main. Je m'enflamme aussitôt.
— Je ne vous avais pas demandé d'attendre dans l'entrée ?!
— Si, mais le temps file et il ne faut pas que vous arriviez en retard, se justifie l'homme.
Il baisse les yeux vers l'intérieur de son poignet et lâche un soupir résigné.
— Je peux vous accorder cinq minutes pour une dernière histoire. C'est le maximum que je puisse faire pour vous.
Sans même le remercier, je retourne fouiller dans ma valise pour extirper le projecteur holographique. Une fois de retour dans la chambre, je plaque ma main dessus pour l'activer et via mon sýn, je choisis un livre animé. Il s'agit d'une histoire contant les péripéties d'un petit garçon qui brave l'interdit afin d'aller chercher des fleurs dans le Secteur Neutre d'Olympie. Sixtin aime bien cette histoire pleine d'aventures et de rebondissements, j'aurai le temps de lui lire le premier chapitre.
Assise sur son lit, le petit garçon blotti contre mon flanc et sa tête posée sur mon épaule, j'essaie de profiter du mieux que je peux de cet instant. En face de nous, l'homme s'adosse au chambranle de la porte en croisant les bras sur sa large poitrine pour nous observer. Je lui fais les gros yeux pour lui faire comprendre qu'il peut retourner dans l'entrée, mais il ne bronche pas. J'entame alors la narration de l'histoire en me concentrant pour garder une voix douce et apaisante, à l'extrême opposé des sentiments qui font rage en moi. Le projecteur holographique adapte alors les scènes à diffuser en fonction de mon avancée dans l'histoire.
Lorsque je prononce le dernier mot du premier chapitre, l'homme de main se manifeste à nouveau.
— Je suis sincèrement désolé, mais les cinq minutes sont écoulées, il va falloir y aller.
— Ne me faites pas croire que vous êtes désolé, rétorqué-je vivement. Vous vous fichez bien des conséquences de vos actes, vous ne faites qu'obéir bêtement aux ordres qu'on vous donne.
L'homme s'empourpre et un éclat de colère traverse rapidement ses prunelles. Je n'aurais peut-être pas dû réagir de la sorte, alors que j'avais réussi à apaiser le petit garçon qui s'agrippe à nouveau à mon bras avec force. Mon interlocuteur pose ses yeux sur ses petites mains crispées et je sens sa colère refluer.
— Prenez vos valises et suivez-moi, répond-il d'un ton posé.
— Il faut que je prévienne ma tutrice de formation et mes employeurs, déclaré-je subitement.
— Votre père s'est occupé de toutes les démarches administratives.
L'homme de main se veut rassurant, mais ses paroles jettent encore plus le trouble dans mon cœur.
— Vous retrouverez votre place au sein de l'Académie Sectorielle d'Orfèvrerie une fois que vous aurez fini votre Noviciat, ajoute-t-il devant mon air désemparé. Et le Palais se chargera de vous trouver de nouveaux petits boulots alimentaires de façon que vous puissiez continuer à payer votre loyer lorsque vous ne toucherez plus votre solde.
Alors il a vraiment tout prévu, jusque dans le moindre détail ? La mort dans l'âme, je m'exécute et traîne les deux énormes valises dans l'entrée. Là, j'enfile mes bottes souples et aide Sixtin à attacher les lacets de ses bottines. J'attrape sa parka noire aux coutures argentées et lui enroule une écharpe fluide autour du cou, car malgré l'arrivée des beaux jours, les températures restent encore fraîches la nuit.
Les deux autres molosses empoignent nos bagages tandis que le troisième ouvre la porte pour nous faire sortir. Sur le palier, je claque la porte et appose ma paume de main sur le petit boîtier à côté de la serrure. Le voyant vert vire au rouge et un déclic sonore nous indique que la porte vient de se verrouiller.
En silence, nous parcourons le couloir étroit de l'étage où une ampoule à greckon se trouve être la seule source de lumière, plantée au milieu du plafond. La lumière bleutée vacille, nous éclairant faiblement, ce qui donne un aspect lugubre au lieu. J'aurais aimé trouver quelque chose avec un meilleur standing, malheureusement avec mes maigres moyens, je n'ai pu obtenir que cet appartement trois pièces à la limite du quartier le plus chaud de la capitale. Pour le moment, je n'ai jamais été vraiment ennuyée, mais il faut dire qu'en dehors des trajets entre le Centre Initiatique de Sixtin, l'Académie et mes petits boulots, je ne m'attarde guère à l'extérieur.
Nous patientons quelques secondes devant les portes de l'ascenseur qui finissent par s'ouvrir dans un grincement disgracieux. Un jour ou l'autre, il tombera vraiment en panne. D'ailleurs, la plupart du temps, je me contente de prendre les escaliers. Dans l'habitacle, entièrement revêtu de plaques en akhélisium, personne ne pipe mot et Sixtin me tient solidement la main en se pressant à nouveau contre ma jambe.
J'observe les visages des trois hommes. Quelconques, je trouve qu'ils ressemblent à tous les visages des hommes de main du Gouverneur. Je vais finir par croire qu'ils ont deux ou trois moules d'androïdes et qu'il existe une usine secrète quelque part dans le sous-sol de la capitale.
Lorsque les portes s'ouvrent, je m'aperçois que je m'étais retenue de respirer et j'expire profondément. Le hall est tout aussi sombre que le reste de l'immeuble ; même quand il fait jour, les portes vitrées sont tellement crasseuses qu'il est impossible d'y voir à travers. Elles se rétractent dans un chuintement désagréable et nous nous retrouvons tous les cinq sur le trottoir, dans l'obscurité de la nuit. Là, j'avise immédiatement les deux Aéro-Cargo de Type 3 floqués du logo phosphorescent de la Maison Jorsen ; un olivier auréolé d'un demi-cercle et surmonté d'un point. Je sens mes yeux se gonfler de larmes et je déglutis péniblement pour ravaler ma douleur. Ce n'est pas le moment de flancher, Sixtin doit partir confiant.
Mon regard balaye la rue à peine éclairée par la lumière projetée par Akhélisie qui brille dans le ciel à quelques milliers de kilomètres de Grecka. Des immeubles d'une quinzaine d'étages, tous agglutinés les uns aux autres et composés de la roche noire que l'on extraie au nord d'Olympie dans la Nekrí Zóni, se dressent de part et d'autre, nous donnant l'impression d'être au fond d'un sombre ravin. Cet endroit m'a toujours fichu la frousse la nuit.
Je pose un genou à terre et tends les bras vers le petit garçon pour un dernier câlin. Il s'y engouffre et s'accroche à mon cou de toutes ses forces.
— Je t'aime, Cyan', murmure-t-il à mon oreille.
Mon cœur se serre à ces mots.
— Moi aussi, Sixtin. Je t'appelle quand j'arrive là-bas. Tu me raconteras comment s'est passé le retour au Palais. On va vite se revoir, mais en attendant, sois sage et écoute bien ce que te dit nanny Lith, d'accord ?
— Oui.
Il me fait un petit bisou et je l'embrasse aussi une dernière fois avant de le voir grimper dans le premier AC-3 en compagnie du type basané. Les deux autres restent immobiles, l'un à ma droite, l'autre à ma gauche. Sixtin colle son nez sur la vitre et alors que le véhicule s'élève dans un léger bruit de soufflerie, il m'adresse un dernier signe de la main avant de former un cœur avec ses doigts. Je lui réponds de la même manière et lorsque l'engin disparaît à l'angle de la rue, je laisse enfin couler mes larmes le long de mes joues. Mason n'est qu'un bel enfoiré.
L'homme qui est venu nous chercher dans la chambre de Sixtin pose une main sur mon épaule pour la presser gentiment. Je tressaille et me dégage aussitôt de ce contact indésirable pour suivre son acolyte qui me fait signe de monter dans le second véhicule. La gorge serrée, les entrailles nouées et le cœur lourd, je m'assieds à l'arrière. Les deux hommes de main du Gouverneur prennent place à l'avant et dès que la portière se ferme, l'Aéro-Cargo décolle pour nous emmener en direction du Camp de Base n° 2.
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Nous voilà arrivé à la fin du premier chapitre, écrit du point de vue de Cyanelle, l'un des principaux protagonistes.
À votre avis, ça va bien se passer ce Noviciat ?
À bientôt pour la suite ❤
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