.1.1.
1 Ioúnios 1232 après Agreckissage
Olympie – Secteur Gamma
Zélide – Quartier des Anatos
La sonnerie du visiophone retentit avec insistance depuis maintenant dix bonnes minutes. Mon bras finit par émerger de la couette et je lâche un juron silencieux à l'encontre de la personne qui s'acharne ainsi à gâcher les dernières minutes de ma nuit. Je me redresse avec difficulté pour fixer d'un œil hagard les chiffres lumineux qui défilent au-dessus de la commode de ma chambre. 5 h 56. J'ai envie de hurler à l'abruti qui continue à appuyer longuement sur le bouton d'appel d'aller se faire voir, mais l'apparition de Sixtin dans l'encadrement de la porte stoppe momentanément la poussée d'adrénaline qui me prend aux tripes.
— Ça va, bonhomme ?
Le petit garçon hoche la tête et se précipite vers moi pour se blottir entre mes bras.
— Qui c'est ? demande-t-il de sa voix fluette. Pourquoi tu vas pas ouvrir ?
— Je ne sais pas qui c'est, marmonné-je. Normalement, ce n'est pas une heure pour venir sonner chez les gens à l'improviste. Retourne dans ton lit et essaie de te rendormir, je m'en occupe.
Sixtin dépose ses lèvres humides sur ma joue dans un bruit sonore et sort de ma chambre en courant. Je l'imagine sauter sur son lit, ramper sous sa couette, et s'y rouler dedans avec ses doudous préférés. J'aimerais faire la même chose, mais la sonnerie continue de retentir de façon désagréable. Hier soir, je me suis couchée à plus de 33 heures passées, car je comptais bien profiter de cette demi-journée de liberté pour faire la grasse matinée, mais il faut croire que quelqu'un est bien décidé à contrecarrer mes plans. Je soupire, me lève enfin pour gagner le couloir d'entrée et établir la communication avec le hall de l'immeuble.
— Oui ?
— Ah, ce n'est pas trop tôt ! Nous sommes du service de sécurité de votre père. Il nous a chargés de venir chercher Sixtin et de vous accompagner au Camp de Base n° 2.
Le temps que toutes les informations arrivent à mon cerveau, je garde le silence. Je ne suis pas sûre d'avoir bien saisi ce que l'homme au visage déformé par la caméra vient de m'annoncer.
— Mademoiselle Jorsen, vous êtes toujours là ?
— Oui...
Je murmure une réponse quasi inaudible tandis que mes jambes se mettent à trembler et que la fraîcheur matinale du sol me gagne. L'homme répète une seconde fois son propos, mais je ne réagis toujours pas, comme si je venais de recevoir un coup derrière la tête.
— Mademoiselle Jorsen, ouvrez-nous s'il vous plaît.
Machinalement, mon index se porte sur le bouton de l'écran tactile qui déverrouille la porte d'entrée et lorsque je réalise ce que je viens de faire, il est déjà trop tard. Mon cœur se met à cogner fortement dans ma poitrine et je serre les poings de colère. Il ne peut pas m'avoir fait ça. Ce n'est pas possible... On avait un marché. J'avais sa parole.
Debout, en débardeur et mini short de pyjama, je sursaute violemment lorsque plusieurs coups sourds sont frappés contre la porte d'entrée. Un instant, je songe à ne pas ouvrir et me terrer réellement au fond de mon lit.
— Mademoiselle Jorsen, nous savons que vous êtes là ! s'écrie une voix bourrue de l'autre côté de la cloison. Ne nous forcez pas à utiliser la manière forte !
— Cyan', qu'est-ce qui se passe ?
Je pivote sur mes talons pour faire face à Sixtin. Il tient sa peluche préférée serrée contre lui. Je me souviens qu'on l'avait choisie ensemble, lors d'une de nos rares escapades dans les centrales d'achat. Coincée entre des ustensiles de cuisine et des produits ménagers, une superbe tortue à trois têtes de Nekrí Zóni n'avait pas été replacée dans le bon rayon. Sa carapace dorée et pailletée était fidèle à la réalité et de belle facture. Les six pattes qui en dépassaient changeaient également de couleur selon l'orientation de la lumière. Sixtin l'avait alors prise dans ses bras, comme aujourd'hui, et levé un regard chargé d'espoir dans ma direction, si bien que je n'avais pas résisté et dépensé toutes mes économies du mois pour la lui offrir. Sauf qu'aujourd'hui, ses grands yeux bleus n'expriment pas de l'espoir, mais de la peur. Je me dois d'être forte pour lui. Je n'ai pas le droit de flancher. Je m'en suis fait la promesse en l'emportant loin de notre « famille ».
— Reste derrière moi et tout ira bien, mon cœur.
Sixtin s'approche et enroule un bras autour de l'une de mes jambes tandis que j'abaisse la poignée de la porte. Aussitôt trois montagnes de muscles, toutes de noire vêtues et armées d'un Sýn-Parálysi et d'une Sýn-Dóry, envahissent l'entrée pour nous encercler. Terrifié à la vue du pistolet paralysant et du manche de la lance mortelle clairement identifiable, Sixtin resserre son étreinte sur ma jambe à m'en enfoncer ses ongles dans la peau. Je n'en mène pas plus large, mais je m'efforce de ne rien laisser paraître.
— Que signifie toute cette histoire ? demandé-je d'une voix légèrement troublée en croisant les bras sur ma poitrine pour me donner meilleure contenance.
Les trois armoires à glace baissent la tête dans ma direction. Ce geste en apparence anodin les place aussitôt en position de domination et accentue le sentiment de vulnérabilité qui m'a étreint dès l'instant où ils ont franchi le seuil. Si les deux premiers ne montrent vraiment aucun signe de sympathie, en revanche le dernier, en retrait, paraît un peu gêné par la situation. En même temps, à quoi s'attendait-il en débarquant à même pas 6 heures du matin ?
— Vous démarrez votre Noviciat aujourd'hui. Le Gouverneur nous a demandé de venir chercher Sixtin pour le ramener au Palais et de vous accompagner jusqu'au Camp de Base n° 2 de Zélide, répète celui de droite.
Mon rythme cardiaque s'accélère davantage. Il ne peut pas m'avoir fait ça.
— Il doit y avoir une erreur, répliqué-je le plus calmement possible.
Mon interlocuteur principal, un grand type basané, avec des cheveux ras et un visage inexpressif, fronce des sourcils.
— Nous avons reçu cet ordre du Gouverneur en personne avant de partir. Je doute qu'il y ait une erreur. Et si vous ne nous croyez pas, vous n'avez qu'à vérifier votre ordre de convocation qui a dû vous être envoyé sur votre Pròsopo.
J'ai consulté mon espace dédié sur le sýnnefo – le réseau officiel d'Olympie – pas plus tard qu'hier soir et je suis certaine de n'avoir jamais reçu de convocation de la part du Gouvernement. Ceci dit, je ne pense pas que mon interlocuteur vienne d'inventer ce mensonge et j'imagine que si je consultais ma messagerie maintenant, je trouverais une notification provenant directement du Gouvernement. Ce qui veut dire qu'il a osé briser sa promesse... Une douleur sourde me vrille les entrailles et ma gorge se serre.
— Il m'avait promis que je ne serais pas mise sur la liste.
— Nous n'avons pas connaissance de cela. Nous ne faisons qu'appliquer les ordres que nous avons reçus.
— Et si je refuse de vous obéir ?
L'homme baisse les yeux sur Sixtin qui s'est caché derrière moi et s'agrippe toujours de toutes ses forces à ma jambe.
— Je pense que ce serait une mauvaise idée.
— Si vous refusez de coopérer calmement, enchaîne son comparse de gauche, le Gouverneur nous a autorisés à employer la force pour vous ramener tous les deux au Palais. J'imagine que vous n'avez pas envie d'en arriver là, n'est-ce pas ?
Évidemment... Les larmes me montent aux yeux et je me mords la lèvre inférieure pour ne pas céder à l'angoisse provoquée par tout ce cirque et ses implications. Le troisième homme détourne le regard, préférant soudain s'attarder sur la décoration murale plus que spartiate de mon entrée. Une fois les frais de scolarité de Sixtin, le loyer, mes études, la nourriture et toutes les autres charges incompressibles payés, il ne me reste plus un eudo. La décoration de cet appartement n'a jamais pu faire partie de mes priorités, même si j'ai essayé de donner une âme chaleureuse à cet endroit avec les moyens du bord.
— Envoyer ses hommes de main pour effectuer ses sales besognes, c'est bien son genre, maugréé-je.
— Papa veut que je revienne au Palais ?
Je baisse les yeux sur Sixtin qui a levé la tête pour me dévisager. L'idée même qu'il puisse retourner là-bas me soulève l'estomac. Mais Sixtin ne sait absolument rien de ce qui s'est passé. Il n'a que six ans et je me suis promis que sa vie devrait être la plus normale possible. Montrer ouvertement mon désaccord avec Mason ne ferait que rendre la situation plus confuse encore pour lui. Officiellement, c'est toujours son père et c'est comme ça qu'il le considère. Et de toute façon, vu la tête des gorilles qui me font face, je doute d'avoir réellement le choix. Si Mason a décidé qu'il était temps de revenir sur sa promesse, il trouvera toujours un moyen de parvenir à ses fins. Je pensais avoir un peu plus de temps devant moi et trouver un moyen de partir d'ici avant que ce jour n'arrive. Je me suis lourdement trompée et il est encore plus fourbe que je ne l'imaginais.
— Doit-on utiliser la méthode forte, mademoiselle Jorsen ?
J'ignore l'homme de main du Gouverneur et m'agenouille devant Sixtin pour le prendre par les épaules.
— Papa a effectivement décidé qu'il fallait que tu retournes au Palais.
— Mais... Et toi ? Tu viens avec moi ?
— Non, mon cœur. Tous les ans, les jeunes âgés de vingt-sept ans sont inscrits sur une liste. Une partie d'entre eux est sélectionnée pour effectuer leur Noviciat. C'est mon tour aujourd'hui. Je n'ai pas le choix, c'est mon devoir en tant que citoyenne, mais aussi une chance qui m'est offerte, ajouté-je pour enjoliver la réalité et rassurer Sixtin. Nous allons être séparés un moment, mais je viendrai souvent te voir, je te le promets.
— J'ai pas envie d'aller au Palais. Je veux venir avec toi.
Délicatement, je prends son visage entre mes mains.
— Ce n'est pas possible, bonhomme. Les enfants ne sont pas autorisés dans les Camps de Base. Mais promis, je viendrai te voir au Palais.
— Je veux pas que tu ailles là-bas, commence-t-il à pleurnicher. Je veux rester avec toi, Cyan'.
— Je sais, moi aussi je préférerais rester avec toi, mais ce n'est pas possible.
Ces mots me brisent le cœur, et cette fois je serre le petit garçon contre moi pour étouffer les sanglots qui montent dans sa gorge. Ces trois dernières années n'ont pas été faciles, mais je n'ai jamais regretté ma décision de quitter le Palais en emmenant Sixtin avec moi, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire pour nous deux. Je regrette simplement de ne pas avoir eu les moyens de nous éloigner davantage de cet endroit.
Le meneur des trois hommes de la sécurité se racle la gorge pour attirer mon attention. J'acquiesce de la tête et me sépare à nouveau de Sixtin pour le tenir par les épaules.
— Le temps que je prenne une douche et que je m'habille, je veux que tu rassembles les affaires que tu as envie d'emporter avec toi. Ensuite, on fera ta valise, c'est d'accord ?
— Non, je veux pas.
Les larmes se pressent au bord des yeux du petit garçon et je les essuie tendrement avec mes pouces pour refouler le pincement au cœur qui m'étreint.
— Fais ce que je te dis, s'il te plaît.
Sixtin renifle et hoche la tête avant de partir dans sa chambre en traînant des pieds. Je me redresse et l'observe jusqu'à ce qu'il disparaisse avant de me tourner vers les trois hommes.
— Vous restez là et vous ne touchez à rien, leur ordonné-je d'une voix plus ferme. Compris ?
— Ouais..., lâche le type basané d'un air maussade. Vous n'avez pas intérêt à nous fausser compagnie. Le Gouverneur nous a autorisés à utiliser la force si...
— Je sais ! l'interromps-je. J'ai bien compris et je ne vais pas tenter de m'échapper par la fenêtre de la salle de bains si c'est ce qui vous fait peur ! Je ne laisserai jamais Sixtin seul avec des types comme vous !
— Dans ce cas, dépêchez-vous. Vous devez être au Camp de Base n° 2 à 7 heures pétantes.
Sans répondre, je me détourne et m'empresse d'aller chercher des vêtements dans ma chambre avant de m'enfermer dans la salle de bains.
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