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23.09 : Alexandre

— Je n'en peux plus ! se lamenta Grabiel en s'affalant sur la table.

Je levai un sourcil sceptique, absolument pas impressionné par son accès de lyrisme. J'étais habitué à son attitude défaitiste, mais surtout, je n'étais pas étonné qu'il soit autant à bout. Le pauvre garçon fuyait un amant un peu trop persistant depuis deux semaines déjà.

— Et si tu lui donnais sa chance ? proposai-je, le regard distrait embrassant la rue piétonne.

— Mais quelle chance ?! Je suis pas gay, grogna-t-il en réponse.

— Ouais mais en attendant t'as couché avec. Je peux le comprendre, vous n'avez même pas échangé un mot depuis la soirée d'inté. La logique aurait voulu que vous en discutiez...

— Mais je ne peux pas, geignit-il, j'ai beaucoup trop peur de tout rater...

Je roulai des yeux et jouai avec l'anse de ma tasse vide. Nous étions samedi, j'avais réussi par miracle à faire sortir Gabriel de la grotte qu'était sa chambre, mais il était incapable de se concentrer sur autre chose que son prétendant.

— Bon, et sinon, les études, ça va ? demandai-je pour changer de sujet.

— M'en parle pas, je suis débordé. Le stress m'empêche de dormir.

— L'étudiant parfait ne peut pas stresser, Gab'. Je suis sûr que tu vas tout défoncer. Monsieur vingt sur vingt, mister bonnes notes, Saint-Gabriel...

— Tu ne m'aides pas trop, grinça-t-il.

— Pardon. Mais tu vois ce que je veux dire. Les études c'est ton domaine, t'es doué pour ça. Alors je vois pas pourquoi la prépa devrait t'achever comme elle achève n'importe qui d'autre.

— Qu'est-ce que tu en sais ? Tu pars en CAP pâtisserie.

— Je suis ton exact opposé. Tu es blanc je suis noir, tu es doué pour étudier et pas moi. La seule chose que j'ai de plus que toi, c'est que moi je sais ce que je veux faire. Mais tu trouveras, conclus-je en tapant doucement la table de ma main.

Gabriel m'offrit un petit sourire reconnaissant et dissimula son nez dans sa tasse de café. La vérité, c'était que je m'inquiétais pour lui. Gabriel était très fragile, prêt à faire une crise pour un rien et pourtant il s'était engagé dans des études qui le pousseraient certainement à bout.

Si encore il savait ce qu'il voulait faire ! Mais l'imbécile n'avait pas la moindre idée de projet professionnel. C'était comme s'il avait peur de se lancer. Il persistait dans des études générales qui lui permettrait toujours le plus d'options possibles.

Moi au contraire, j'avais choisi les sentiers les plus courts pour atteindre mon but : ouvrir une pâtisserie.

Lorsqu'un groupe d'étudiantes entra dans le café je levai le nez. Je me demandai si Alice était dans le groupe. Ne la voyant pas je me détournai, un peu déçu. J'avais espéré pouvoir la croiser à nouveau dans le même café. La dernière fois je n'avais pas osé prendre les devants et je l'avais stupidement laissée partir sans même obtenir son numéro, ou son nom de famille.

Le fait d'avoir un coup de cœur sur une parfaite inconnue m'agaçait profondément, et je savais qu'il fallait que je l'oublie, mais je n'y arrivais pas. Quand je me retournai vers Gabriel, son front était posé sur la table et je tapotai doucement ses cheveux, compatissant.

— Haut-les-cœurs Chevalier. Quand Dieu t'envoie des épreuves, tu dois les surmonter ! plaisantai-je, m'attirant de sa part un regard meurtrier, dissimulé derrière ses mèches.

— Facile à dire pour toi. T'as la belle vie...

— Ouais, t'as raison, le coupai-je sèchement. J'ai la chance d'avoir des parents compréhensifs qui me soutiendront quoi que je fasse, moi.

— Pardon, je voulais pas insinuer que...

— T'inquiètes pas Chevalier. Je suis habitué à ton égocentrisme.

Il grimaça, m'arrachant un rictus. Je ne lui en voulais pas vraiment, Gabriel était comme ça depuis qu'il était gamin. Sa propre souffrance avait tendance à le rendre aveugle à celle des autres.

Son téléphone vibra et le hoquet qui secoua son corps attira mon attention.

— C'est qui ? demandai-je en désignant le portable du menton.

— C'est lui, me répondit-il à mi-voix.

— Qu'est-ce qu'il veut ?

— Il m'a envoyé le lien d'une... de la page facebook de cours de théâtre ?

— Du théâtre ? répétai-je, avant d'esquisser un grand sourire. Mais quelle bonne idée Gaby ! Ça fait des années que tu veux essayer.

— Oui, mais... je sais pas. Si je suis nul ?

— Sans vouloir t'offenser, tu prétends comme tu respires. T'es le meilleur acteur que je connaisse. Alors tu vas saisir tes bijoux de famille en main et tu vas aller briller sur scène, Chevalier. 

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