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13.12 : Ange
— Ange, arrête, tu me donnes le tournis.
Je cessai mes cercles dans la chambre et me tournai vers Gabriel. Mon tendre ami semblait tout autant affligé que moi et je me penchai pour embrasser son front, m'excusant.
— Excuse-moi. C'est juste que cette situation...
— Je sais que c'est dur. Moi aussi, j'aimerais pouvoir faire quelque chose...
Je soupirai et m'installai à côté de lui. Gabriel lisait dans ma chambre, avant que je ne vienne le dérangeait. Je me sentais désolé qu'il doive supporter ma mauvaise humeur.
Depuis l'accident, j'appelais ma sœur tous les jours, inquiet pour elle. Elle m'assurait qu'elle allait mieux, qu'elle était bien entourée, mais je ne comprenais pas en quoi deux inconnus pouvaient lui être plus bénéfiques que son propre frère. J'étais jaloux, aussi, mais ne l'avait dit à personne – surtout pas à Gabriel.
— Rappelle-moi pourquoi on ne peut pas appeler la police ?
Je regardai mon petit-ami, soudain très fatigué. Cette situation me stressait beaucoup.
— Parce que ma mère nous a fait promettre de ne jamais porter plainte.
Gabriel grogna, m'arrachant un sourire. Ça m'amusait de le voir aussi impliqué dans mes histoires – ça prouvait qu'il tenait à moi. Je me tendis pour embrasser sa joue.
— Mes parents se sont mariés très jeunes, ma mère avait à peine dix-neuf ans. Mon père est le seul homme qu'elle ait connu, alors je peux imaginer qu'elle ne puisse pas imaginer d'avenir sans lui.
— Mais...
— Ça ne veut pas dire que je ne lui en veux pas. Elle n'a jamais rien fait pour arrêter les violences de mon père envers nous. Elle a baissé les bras depuis longtemps...
— Je suis désolé.
— Tu n'as pas à l'être.
Gabriel s'appuya contre moi et je reçus son soutien avec bonheur. Nous avions fait beaucoup de chemin depuis cette nuit désastreuse, le jour de l'intégration. Les choses étaient devenues plus simples avec Gabriel, même si rien ne serait sans doute normal, parce que mon copain était loin de l'être.
— Comment va Alice ?
Je jetai un coup d'œil à mon portable. Je venais juste de parler à ma sœur.
— Elle me dit que ça va. Apparemment Leïla est une fille super sympa et j'en suis à me demander si elle n'est pas gay elle aussi.
J'entendis Gabriel glousser et levai mon visage vers lui. Il savait quelque chose que j'ignorais, c'était certain.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Aucun risque qu'elle soit lesbienne. Peut-être bi, mais pas lesbienne.
Je me tournai, m'appuyant sur les coudes. Gabriel semblait très sûr de lui.
— Tu peux m'expliquer ? m'agaçai-je.
— Alexandre et elle ont eu un rendez-vous, il y a quelques mois.
— Pardon ?!
Je n'arrive pas à croire que personne ne m'ait rien dit. Moi qui pensais qu'Alexandre et elle ne se connaissaient pas, je m'étais lourdement trompé. En d'autres circonstances, je l'aurai fait payer à ma sœur.
— Tu étais au courant ?
— Pas avant récemment, me rassura-t-il. Je savais qu'Alex avait été à un rendez-vous raté, mais je ne pensais pas qu'ils avaient gardé contact, et encore moins que c'était ta sœur. Je l'ai appris quand on est allé la voir, ce jour-là.
— Putain...
Je me retournai sur le dos, un bras couvrant mes yeux. J'avais envie de m'énerver d'avoir été laissé dans l'ignorance de cette façon. Avec Alice, on ne se cachait rien, elle savait tout de mes frasques amoureuses. Et pourtant, elle m'avait caché quelque chose d'aussi important, m'empêchant de la soutenir, comme j'aurais dû le faire. Ça m'atteignait plus que je ne l'aurais imaginé.
— Si j'avais su que ça t'affecterait autant, je te l'aurais dit, bredouilla Gabriel.
Je changeai mon attitude immédiatement, pour éviter qu'il ne se sente mal. J'avais appris à percevoir ce genre de changement d'attitude chez lui, à anticiper.
— Tu ne pouvais pas savoir, t'y es pour rien.
— C'est sûr que je n'ai jamais été aussi fusionnel avec ma sœur...
Il m'offrit un sourire, me rappelant cette douceur chez lui que j'apprenais à chérir chaque jour un peu plus. Gabriel reprit son livre et je décidai de le laisser. Il dormait de plus en plus souvent chez moi et j'aimais interpréter ça comme un très bon signe. Nous n'avions pas encore été intimes, si on omettait la première soirée où l'on s'était rencontrés. Mon ami n'était pas encore assez à l'aise, n'était pas prêt. Il me l'avait dit le premier jour où nous étions officiellement sortis ensemble.
J'avais aussi appris qu'il n'était pas out. Hormis ses amis proches, personne ne savait qu'il était homosexuel, parce qu'il avait lui-même mit du temps à l'admettre. Apparemment, ça faisait des années qu'Ada le poussait à affronter la réalité, mais il avait fallu qu'il tombe follement amoureux de ma personne pour enfin l'admettre.
Je devais avouer que jouer un tel rôle plaisait à mon ego. Je me sentais privilégié, mais surtout chanceux de pouvoir vivre à ses côtés. Alice se moquerait sans doute de moi en m'entendant penser, elle qui connaissait mon passif de dragueur.
En arrivant dans le salon, je vérifiai l'heure. Mon cours de violon commençait dans une petite heure, j'avais encore du temps. Je jouais du violon depuis que j'avais huit ans. Jusqu'ici, c'était mon père qui payait mes leçons, fier qu'il était d'avoir un fils musicien – à condition que mes études passent avant tout. Aujourd'hui, comme nos relations s'étaient beaucoup détériorées, il avait arrêté de payer. Cela faisait maintenant trois ans que je finançais ces cours avec l'argent gagné l'été. Parce que mon professeur me connaissait depuis des années, elle n'était pas trop stricte sur les délais de paiements.
Je ne parlais pas du violon à beaucoup de monde. Gabriel lui-même n'avait appris ce détail de ma vie que la semaine dernière, quand j'avais dû refuser une sortie de cinéma qui empiétait sur un cours. Il avait été surpris, c'était prévisible. Et j'avais dû lui promettre de jouer, pour lui, un jour.
À l'heure de partir, je retournai dans la chambre pour embrasser mon petit-ami.
— Tu sauras rentrer chez toi depuis ici ?
— Oui, ne t'inquiète pas je l'ai déjà fait. Il y a un bus direct, me rassura-t-il.
— D'acc. Rentre quand tu veux, je dois passer chez moi de toute façon.
Cette précision eut le mérite de lui faire lever le nez de son livre.
— Quoi ? Pourquoi ?!
— Je dois récupérer des affaires pour Alice. Si elle doit vivre ici, il lui faudra plus que deux joggings et un sweat.
— Mais ce n'est pas dangereux ?
— Mon père a arrêté de me frapper quand j'ai cessé d'avoir peur de lui. La seule arme qu'il possède, c'est la peur qu'il provoque. Sans ça, c'est juste un vieux crouton.
Gabriel ne sut pas quoi dire. Il n'était pas encore très habitué à mon humour. Cela faisait des années maintenant que j'avais troqué l'apitoiement pour l'autodérision et je me foutais autant de mon père que de moi-même.
J'embrassai une dernière fois mon petit-ami, enfilai ma veste en cuir et quittai l'appartement. Il faisait froid dehors, mais mon col roulé me tiendra chaud et l'école de musique n'était qu'à quelques rues. Cet appartement était un don de Dieu, et je ne pourrai jamais assez remercier Virag de nous venir en aide. Nous prêter cet appartement était un service qu'elle nous rendait à la demande de ma mère – une façon pour elle de nous savoir en sécurité. Très souvent, Alice et moi avions été amené à y vivre quelques jours.
Mais, la semaine dernière, j'avais pris la décision de quitter définitivement le domicile parental. Virag m'avait assuré que je pourrais rester jusqu'à ce que je trouve un autre logement, mais je n'aimais pas abuser de sa générosité. Sauf que j'étais en prépa, je n'avais pas le temps pour un petit boulot. Financièrement, c'était bancal : je savais que mon père continuerait à payer pour mes études, parce que je restais malgré tout son fils et que ma réussite lui était précieuse. Mais pour ce qui était des frais quotidiens, il me faudrait désormais vivre sur mes économies.
Je reçus un message de Gabriel, m'encourageant pour mon cours, et mon cœur se serra. Je ne lui avais pas tout révélé de la merde dans laquelle je me trouvais, parce que je ne voulais pas l'angoisser un peu plus qu'il ne l'était déjà. Mon petit-ami remontait la pente, et je me refusais à l'en faire descendre.
Je ne pouvais me sortir de cette situation qu'en comptant sur moi-même, je le savais.
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