Chapitre 5 : Roman
Théo m'observait en essayant de ne pas paraître trop insistant. Pourtant, je connaissais cette tête et ce regard intrigué qu'il portait sur moi. Aucun doute, mon ami voulait poser une question sans parvenir à oser.
— Quoi ? finis-je par lâcher.
Mon ami souffla puis il sortit sa tête du capot ouvert de l'Audi A1 qu'il devait réparer. Il m'offrit ensuite une scène torride, tirée de mes films de cul gay les plus clichés mettant en scène un mécanicien. La poche de son treillis noir contenait un chiffon déjà taché, assorti à son haut gris souillé de graisse. Machinalement, il récupéra son bout de tissu pour s'essuyer les mains.
— Je me demandais... commença-t-il avant de s'interrompre.
— Oui ?
De là où je me tenais, c'est-à-dire assis sur un établi au fond du garage, j'analysais son attitude et la trouvais assez étrange. Il semblait mal à l'aise. Ce qui était en soit perturbant, Théo n'était jamais mal à l'aise de rien.
— Qu'est-ce qu'il y a ? insistai-je.
— Tu... tu sais, le jour de mon anniv... hésita-t-il en s'approchant.
— Oui, eh bien ?
Mon cœur augmenta considérablement ses pulsations à la mention de son anniversaire. Jay me revint en mémoire et avec lui, le secret que j'avais sur la conscience. Théo serait-il au courant ?
Merde, je n'avais pas envie d'être au milieu d'une telle histoire. J'aurais préféré ne rien savoir de ce que fabriquait Jay, et s'il fallait parler de ça avec Théo j'allais avoir besoin d'une sacrée dose de courage.
— Jay m'a offert un truc, exposa-t-il, avec le plus de neutralité possible.
— Le gode rose fluo ? m'esclaffai-je.
Théo grogna littéralement et m'envoya son chiffon sale à la figure.
— Ouais, ça.
— Eh bien, quoi ? Tu as besoin d'aide pour l'utiliser ? plaisantai-je.
— D'après ce que j'ai compris, tu es un expert, me balança-t-il en s'asseyant à côté de moi sur l'établi.
— En queue ouais, de toutes sortes.
— Putain, mec, souffla Théo en secouant la tête.
Ces taquineries soulagèrent le stress qui était apparu. Visiblement, Théo n'allait pas me parler de Jay, mais plutôt de sa prostate. Un sujet que je maîtrisais totalement.
— Allez, dis-moi, qu'est-ce que tu veux savoir ?
— C'est pas pour moi, bon sang ! Arrête de croire que tous les hétéros basculent à un moment donné, ronchonne-t-il en me donnant un coup dans l'épaule.
— Tu ne vas pas devenir gay parce que tu prends du plaisir avec ta prostate, ducon.
— Breeeeeef, ça ne me concerne pas, d'accord ? J'ai pas envie de mettre un truc dans mon cul.
L'air sérieux de Théo ne me dissuada pas de rire à gorge déployée.
— C'est sérieux, mec, j'ai besoin de toi, persista-t-il en fronçant les sourcils.
— Ok, ok. Je t'écoute, me calmai-je.
Théo inspira profondément et à nouveau, j'entraperçus cette expression de malaise.
— Je m'inquiète pour mon petit frère.
Oh putain. Le stress remonta en flèche, me donnant des sueurs froides. Ma respiration s'accéléra et je tentais de paraître parfaitement serein lorsque je demandai :
— Pourquoi t'inquiètes-tu ?
— Il m'a offert un gode, bordel ! Il a dix-sept ans !
Perplexe, je fronçai les sourcils, réfléchissant à ce que venait de dire Théo. Insinuait-il qu'à dix-sept ans, Jay ne pouvait pas connaître l'existence des sextoys ou était-ce plutôt un moyen de dire que les activités sexuelles de Jay étaient inquiétantes parce qu'il était déjà à l'aise avec les sextoys à son âge ? L'un ou l'autre, c'était à peu près la même chose selon moi.
— Et ? Tu pensais qu'il était puceau ?
Les yeux noisette de mon ami plongèrent dans les miens avec intensité.
— Je me doute qu'il a une vie sexuelle, ok ? Je ne suis pas stupide, à son âge on baisait déjà, mais je... je ne sais pas s'il a eu les avertissements nécessaires, tu vois ?
— Pas vraiment, répondis-je, parce que je ne comprenais pas.
— J'ai eu la discussion gênante avec mes parents sur le respect, les risques et la contraception. Jay ne l'a pas eu.
— D'accord...
Théo soupira fortement et se frotta le front avant de passer sa main sur sa nuque en signe de nervosité.
— Mon père m'a demandé d'avoir cette discussion avec Jay parce que mes parents ne se sentent pas capables de parler de sexe homosexuel avec lui, même s'ils n'ont pas de problème avec ça. Ils ont dit que je devais connaître des trucs, vu que je suis ami avec toi et...
— Pardon ? m'exclamai-je, interloqué.
— Ne le prends pas mal, c'était une simple déduction de leur part, ils ont trouvé une excuse, c'est tout.
— Drôle de déduction.
— Ils n'ont pas tort, précisa-t-il. J'en connais sûrement davantage que la plupart des hétéros, mais je ne crois pas être capable d'évoquer... certains sujets.
Je soutins le regard de Théo pendant un long moment, pendant lequel le silence nous enveloppa. Est-ce que c'était vraiment ce que je pensais ?
— Soit plus clair, mec, exigeai-je.
— J'ai besoin que tu m'aides. Je ne sais pas quoi lui dire !
Mon ami resta silencieux jusqu'à ce qu'il souffle exagérément et reprenne :
— Il n'a pas de petit ami, tu vois ? Alors je m'inquiète de ce qu'il pourrait trafiquer pour trouver des gars.
La conversation avec Jay me revint en tête et je l'entendis à nouveau me dire pourquoi il allait dans ce club de strip-tease. J'avais été assez surpris par sa confession, c'était si... inhabituel. Mais quoi qu'il en soit, les faits étaient là, Jay avait bel et bien des aventures éphémères.
— Je sortais avec des filles pour pouvoir coucher, mais toi tu as toujours eu d'autres alternatives, continua Théo d'une voix hésitante. Tu... faisais des trucs assez bizarres, je veux pas que Jay...
— Woohou ok, stop, intervins-je en sautant de l'établi.
Mes pieds commencèrent à me démanger et je fis les cent pas, l'esprit un peu embrouillé. Je n'aimais pas du tout le sous-entendu de cette phrase. Mon passé n'était pas aussi rose et glamour que celui d'un ado hétéro, je n'avais toutefois pas besoin qu'on juge mes malheurs.
— Tout ce que je veux dire, c'est que c'est la même chose pour Jay et je m'inquiète. J'aimerais m'assurer qu'il est prudent.
Et cette fixation lui était venue à l'esprit pile en ce moment ? C'était pas possible ! Mon cœur cognait fort dans ma poitrine, le moment me mît mal à l'aise. L'envie de tout balancer me brûlait la langue. Pourquoi me taisais-je, d'ailleurs ?
J'y avais beaucoup réfléchi. Jay agissait de la même manière que moi à son âge. À l'adolescence, une fois mon homosexualité assumée, j'avais été aussi fougueux que lui. J'avais eu une première histoire avec un garçon de mon lycée, cela avait duré toute l'année de seconde puis il m'avait quitté parce que je n'osais pas coucher avec. Ou du moins, je n'acceptais pas d'aller au bout. J'en avais eu le cœur brisé du haut de mes seize ans.
Je m'étais imaginé que le sexe était la première étape pour l'amour. Alors j'enchainais les soirées avec Théo pour oublier que j'étais seul. Je sortais en boite, bien avant l'âge requis et tout comme Jay, je fréquentais des inconnus.
Mes amis avaient des petites-copines et moi, je n'avais personne. Je n'intéressais que des garçons ou des hommes qui voulaient mon corps. Je me sentais isolé, même par mes propres amis. Être le seul gay dans une bande de potes, ça créait des barrières et des distances. Mon lycée ne regorgeait pas vraiment d'homosexuel, à l'époque, je n'avais donc pas les mêmes privilèges qu'eux, en termes de relations sentimentales.
Théo connaissait mon passé, et en faisant cette réflexion sur Jay, il me confortait dans mon idée de départ. Tout comme il l'avait fait avec moi, il jugerait Jay. Parce que Théo ne comprenait pas et ne cherchait pas à comprendre.
À l'époque, j'en avais souffert et j'avais fini par ne plus parler de mes rencontres, qu'elles soient bonnes ou mauvaises.
Jay souffrirait forcément d'être jugé par son frère et soyons réalistes, qui avait envie d'étaler sa vie sexuelle à un membre de sa famille ? Personne.
— Ce sera gênant, pour lui comme pour toi. Tu pourrais simplement lui demander d'être prudent sans entrer dans le détail, non ? proposai-je.
— Et si tu lui parlais, toi ?
— Quoi ? m'écriai-je. Moi ? Non !
— Tu lui as parlé pendant mon anniv et vous m'avez dit que c'était en rapport avec le sextoy, non ? Il est donc à l'aise avec toi. Il ne t'aurait rien dit ? Sur lui ? m'interrogea Théo.
Mes sourcils se froncèrent automatiquement. Merde, j'étais dans la mouise. Comment me sortir de cette panade ? J'avais en effet eu des informations sur la vie sexuelle de Jay, c'est-à-dire que je savais qu'il en avait une. Point. C'était tout.
— Non, répondis-je, en me répétant que ce n'était pas un mensonge.
— Non quoi ?
— Il n'a rien dit de particulier et non je ne vais pas lui parler. C'est ton petit-frère, pas le mien.
Théo soupira une énième fois et ses épaules s'affaissèrent.
— Putain, j'ai pas envie d'avoir cette conversation avec lui. Je crois que tu as raison, je vais simplement lui demander d'être prudent.
Et avec cette résolution, Théo clôtura la conversation et retourna à sa mécanique. Mon rythme cardiaque s'apaisa au fil des minutes écoulées, mais l'impression de mentir me resta bloquée en travers de la gorge.
*
Dans la soirée, une fois seul chez moi, cette discussion revint me hanter, s'ajoutant ainsi à celle que j'avais eue avec Jay. Je passais des heures à me remémorer les mots, et à réfléchir à la situation. Et un pressentiment étrange prit naissance en moi.
Je ne doutais pas que Jay avait une vie sexuelle, pour autant, ce club n'avait rien d'un lieu de rencontre et il existait tellement de moyens plus simples pour avoir des partenaires. Pourquoi s'embêter à aller dans un club de strip alors qu'il existait des bars ou même des boîtes gays ? Encore mieux, il était possible de faire des rencontres avec des applications ou les réseaux sociaux...
Bon, évidemment, ces procédés étaient dangereux, sauf que certains jeunes n'avaient pas la chance d'avoir des parents ouverts sur ce sujet. L'intimité était donc limitée, voire impossible.
Ce qui entachait inévitablement la sécurité des ados qui voulaient absolument vivre leurs premières expériences sexuelles.
Néanmoins, une question demeurait. Si Jay se payait un box privé à L'intimi Club à chaque fois qu'il faisait une rencontre, où trouvait-il l'argent ? Même en faisant moitié-moitié avec le partenaire, c'était une sacrée somme. Jay était jeune, il n'avait pas les moyens.
Ça n'avait pas de sens. Bien que son explication puisse être crédible, elle était tirée par les cheveux.
Mes ruminations s'intensifièrent jour après jour, pour finir par devenir un doute omniprésent. Son excuse ne tenait pas la route. De plus, les images de cette soirée au club étaient claires, je me souvenais l'avoir vu approcher un groupe, pas un homme isolé et seul, mais bel et bien un groupe de fêtards. Et finalement Jay était parti avec un des hommes.
Je savais reconnaître les membres du personnel, surtout lorsqu'ils s'isolaient avec un client dans un box. Et c'était ce que Jay avait fait. Il s'était dirigé droit vers une table, comme s'il avait déjà une cible en tête, ça ne ressemblait pas à un rendez-vous ou à une rencontre fortuite qui amène à plus.
Et puis, deux clients du club pouvaient-ils réellement utiliser des box privés ? À la réflexion, j'en doutais fortement. J'aurais aimé simplement fermer les yeux et croire à ses conneries, histoire de ne me mêler de rien, cependant, le sujet était sérieux. Et je savais au fond de moi.
Il m'avait menti. Ce petit con m'avait embobiné !
*
⭐️
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top