Chapitre 45 : Jay

Aujourd'hui, au lycée, mon humeur était pitoyable. Un yoyo perpétuel animait mes journées. Mes amis me questionnaient sur mon état et je les fuyais pour ne pas avoir à parler. Après la cantine, ne pouvant plus en supporter davantage, je fis comme à chaque fois, je pris mes jambes à mon cou.

Je séchais de plus en plus ces derniers temps, mais à vrai dire, j'arrivais plus à suivre en cours. Les mots flottaient autour de moi sans réel sens, je n'écoutais pas, trop obnubilé par la souffrance dans mon corps. Elle prenait toute la place. C'était... envahissant.

Cette douleur en moi aurait dû se taire après des semaines, non ? Pourquoi grossissait-elle à ce point ? Je ne cessais de me repasser ma conversation avec Roman, ses mots, ses doutes, le dénouement atroce. Il avait fini par me dire qu'il n'était pas prêt à pardonner ou à accepter toutes nos différences.

Théo lui avait tourné le dos et ma mère l'avait remercié d'avoir pris soin de moi, j'étais certain que ces éléments le confortaient dans sa décision de me quitter. Parce qu'il ne supportait pas le regard des autres ! Il me voyait comme un gamin et Monsieur était trop mature pour les adolescents !

La colère bataillait de plus en plus avec ma tristesse. Les différences qui nous opposaient à cause de notre écart d'âge me ravageait l'esprit ! Je refusais de croire en son discours.

En entrant chez moi, vers quatorze heures, je ne m'attendais pas à voir ma mère et mon frère Théo dans la cuisine, buvant un café.

—   Qu'est-ce que tu fais là ? s'enquit ma mère en me voyant.

Eh merde ! J'allais encore me faire trucider.

—   Tu n'es pas censé être en cours, Jay ?

—   J'avais mal au ventre, marmonnai-je.

—   Mal au ventre ? Tu te fous de moi ?

—   Non.

Je relevai le menton, utilisant ma facette arrogante qui me permettait de camoufler le reste de mes sentiments. Ma mère plissa les yeux, mais Théo intervint avant qu'elle ne crie sur moi.

—   Tu es malade ? dit-il en inclinant la tête, m'observant attentivement.

Je lui lançai un regard noir, communiquant toute ma haine pour ce grand frère. Je ne lui parlais plus depuis ma rupture avec Roman, tout était sa faute, j'en étais certain ! Il avait choisi de tourner le dos à Roman à cause de moi, tout ça parce qu'il ne comprenait rien à l'amour, ce débile.

—   Tu as l'air malade, Jay, continua-t-il. Tu as perdu du poids.

À cet instant, ma mère soupira.

—   Normal, il ne mange plus rien.

—   Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

—   À ton avis, ricanai-je avec sarcasme.

Ma mère fut surprise par ma réponse, elle aussi arbora un froncement de sourcils, ses yeux voyageant entre ses deux fils. À ce stade, j'en avais clairement rien à foutre si je disais ce qu'il ne fallait pas.

—   Tu dois être content, hein ? renchéris-je, la colère s'épanouissant en moi. Tu as foutu ma vie en l'air !

—   Qu'est-ce que tu racontes, Jay ? s'étonna ma chère maman. Je ne crois pas que ce soit la faute de ton frère si tes notes chutent, si tu sèches les cours et que tu ne manges plus !

Super, quelle conversation incroyable !

Me retenant de lever les yeux au ciel, je tournai les talons et m'empressai de retrouver ma chambre. En arrière-fond, j'entendis ma mère crier, mais je n'y prêtai pas attention.

Malheureusement, quelques minutes plus tard, le grand frère de l'année pénétra dans mon antre.

—   Dégage, l'accueillis-je.

—   Jay, qu'est-ce qui t'arrive ?

—   Fais pas l'innocent ! criai-je.

Je ne savais pas si c'était légitime ou pas, mais toute ma peine se changea en colère et en rancœur et se dirigea vers Théo. En repoussant Roman, en brisant leur amitié à cause de son amour pour moi, il avait fini par penser que c'était mal, que ça ne devait pas exister ! Alors je lui en voulais de se tenir là, nonchalant, à feindre de ne pas comprendre pourquoi je mourrais à l'intérieur !

—   À cause de toi, il m'a quitté ! Parce que tu lui as rentré dans le crâne que son amour pour moi était tordu ! Mais c'est toi, le tordu !

—   Chut ! Maman va nous entendre.

Théo s'approcha de moi rapidement en refermant la porte et s'installa sur le coin de mon lit.

—   Je ne comprends ce que tu dis, Jay. J'ai parlé avec Roman, je lui ai dit qu'il pouvait être avec toi, s'il t'aimait.

—   Il m'aime, assurai-je, la gorge serrée.

—   Vraiment ? Alors pourquoi j'ai l'impression que vous n'êtes pas ensemble et amoureux ?

Son ton me fit grincer des dents.

—   Parce que tu es un connard, voilà pourquoi ! Tu as brisé votre amitié, tu l'as fait se sentir minable à cause de son amour pour moi !

—   Eh ! S'il se sent minable, ce n'est pas ma faute, ok ? Roman est un grand garçon, Jay, s'il a décidé de mettre fin à votre relation, c'est qu'il a ses raisons. Vous n'êtes pas faits pour être ensemble ! s'emporta-t-il.

—   Qu'est-ce que tu en sais ! On s'aime !

—   Mais, Jay, grandis un peu ! Ça ne suffit pas.

Ses mots me percutèrent de plein fouet.

J'eus un mouvement presque physique de recul en entendant ses mots que Roman avait prononcés pour justifier sa décision. L'amour ne suffisait pas.

Mon état chuta subitement, de terriblement en colère, je passais à fontaine à débordement. Ma poitrine se comprima, j'eus du mal à prendre une inspiration. Je pleurais sans pouvoir me retenir et mes jambes ne me portèrent plus, je m'effondrais sur le lit, à côté de mon frère.

—   Eh, Jay, souffla Théo en posant un bras sur mes épaules pour me rapprocher de lui. Ne pleure pas.

Mon cerveau se mit à me balancer tous les mots de Roman, son raisonnement, ses craintes depuis le début, ses résolutions et sa décision. L'amour ne suffisait pas. Cette phrase m'avait hanté chaque jour et chaque nuit depuis la rupture, mais je n'avais pas compris jusqu'à maintenant. En entendant Théo avoir le même discours, j'eus une révélation qui me broya.

—   Je n'avais pas compris, m'étranglai-je avec mes pleurs.

—   Je suis sûr qu'il a eu des sentiments pour toi, Jay, tu es génial, mais parfois ce n'est pas suffisant pour qu'une relation fonctionne.

—   Je viens de comprendre, hoquetai-je, retenant mes larmes pour pouvoir mettre des mots sur ma prise de conscience. Chaque année qui passe... nous effrite un peu plus. On perd son innocence de plusieurs manières possibles, c'est insidieux, mais avec le temps... tout devient plus sombre.

Je tournai la tête vers mon frère en essuyant maladroitement mes larmes sur mes joues.

—   Vous êtes fanés, assénai-je. Les rêves se brisent, la naïveté se transforme en méfiance, l'impétuosité disparaît et l'amour... l'amour devient terne et fade. Il ne suffit plus. Pour vous qui êtes écorchés, il ne suffit pas.

—   Jay... soupira mon frère.

Son bras sur mes épaules devint trop lourd, trop difficile à supporter. Je ne voulais pas de son réconfort, alors qu'il était intolérant. Je me décrochai de sa prise et me levai pour me retourner vers lui, le regard déterminé.

—   Pour moi... c'est encore beau, clamai-je avec force. C'est encore éclatant et l'amour suffit. Qu'est-ce qu'il y aurait d'autre ? Je suis peut-être jeune et con, mais moi, au moins, je vis cet amour avec mes tripes, je le ressens, je ne l'analyse pas. J'admire les qualités, j'ignore les défauts, je pardonne lorsqu'il le faut et j'aime inconditionnellement. Je l'aime et ça me suffit. Pourquoi faut-il chercher plus loin ? Pourquoi faut-il avoir peur de l'avenir, du regard des autres, pourquoi se demander si ça fonctionnera ou pas ? Pourquoi ne pas simplement... vivre ?

Mon cœur se gonfla douloureusement. J'étais à la fois dévasté et résolu. Cette illumination me donnait une lueur d'espoir, parce que j'étais assez optimiste pour deux, que j'étais suffisamment fort pour croire pour nous deux.

*

Le salon de tatouage dans lequel je pénétrais m'envoya une bouffée de vanille mélangée à quelque chose de très musqué. Hugo m'avait traîné littéralement, ne supportant plus que je reste dans mon coin à déprimer. Mes parents avaient allégé ma punition en m'autorisant des sorties le samedi, ce qui tombait très bien pour Hugo. Mike était avec nous, les yeux ronds comme des soucoupes en avisant les peintures murales du salon, pendant que Hugo se faisait tatouer.

Le bruit était impressionnant et la grimace d'Hugo très rigolote. Mike le charria souvent.

La session dura très longtemps et les conversations s'enchaînèrent. Parler de la révélation de Mike concernant le métier de tatoueur était plaisant, discuter des projets d'anniversaire d'Hugo me redonna un semblant de moral, mais évoquer le bac me saoula au plus haut point. Sauf que sans bac, pas de grande école pour moi. De quoi me motiver...

Le problème se présenta lorsque Hugo s'imagina que rester coincé dans ce salon était une bonne opportunité de me sortir les vers du nez.

—   Bon allez, nous t'écoutons, Jay. Dis-nous pourquoi tu as l'air de quelqu'un qui a perdu son chien.

—   Moi, j'aurais plutôt dit un zombie, il est tout maigrichon, un coup de vent et il s'envolerait comme Mary Poppins.

Je soufflai légèrement, mon humeur chutant drastiquement en un éclair. L'après-midi se déroulait bien... pourquoi me poussaient-ils à repenser à Roman ! Cela réveillait des émotions violentes et dévastatrices.

À cause de lui, j'étais tombé amoureux, j'avais été heureux avec lui. Pour la première fois, j'avais découvert ce que c'était d'être aimé et protégé. La tendresse, la bienveillance et l'alchimie. Toutes ces choses qui m'étaient complètement inconnues. Elles étaient incroyables. Et il avait mis fin à tout ça. Pour quelque chose que je ne pouvais pas changer et dont il avait conscience depuis le début !

—   Quoi que ce soit, tu sais qu'on ne dira rien et qu'on te jugera pas. Mais on s'inquiète pour toi, souligna Mike.

Je savais qu'ils étaient de bons amis. Ils avaient accepté mon choix de danser dans un club de strip-tease, sans comprendre, mais sans juger pour autant. Je pouvais leur faire confiance et je réalisais avoir besoin d'eux. Parce que je subissais un chagrin d'amour et que je n'avais aucun soutien moral pour supporter cette rupture.

Je redoutais de me confier au risque de blesser Roman, je ne voulais plus lui faire de mal. Mais notre relation n'était plus, alors à quoi bon garder ce secret ? Il n'y aurait aucune conséquence et mes amis ne diraient rien.

— Je suis tombé amoureux, confiai-je sans réfléchir.

Hugo se redressa et cria lorsque l'aiguille s'enfonça dans son bras. 

—   Ne bouge pas, le réprimanda immédiatement la tatoueuse.

—   Merde, désolé.

—   T'es amoureux ? reprit Mike.

—   Mais de qui ? Depuis quand ? Pourquoi on n'est pas au courant de ça ? s'exclama Hugo, les sourcils froncés.

—   Il est au lycée ? Putain, impossible qu'il soit au lycée, on connaît tous les gays ! C'est un mec du lycée Édouard ?

Mike sembla vraiment interloqué, il parlait vite, réfléchissant à toute vitesse pour comprendre. Cette réaction me fit sourire.

—   Bordel ! s'écria Hugo en levant une main. C'est Roman !

—   Putain de bordel de merde de putain ! C'est lui ? s'esclaffa Mike.

Après une grande inspiration, je me mis à leur raconter toute l'histoire, sans me soucier de la tatoueuse qui fit mine de n'être même pas là. J'évoquais absolument tout, espérant que cela me soulagerait d'une partie de ma tristesse. Mes amis furent très attentifs, posant quelques questions.

—   Putain, c'est... triste, acheva Mike en pinçant les lèvres.

—   Mais attends, tu vas rester sans rien faire ? s'étonna Hugo.

—   Que veux-tu que je fasse ?

—   Beh je sais pas, harcèle-le jusqu'à ce qu'il craque ! Son putain de discours sur la différence de maturité, ce sont que des conneries, il se cache derrière ça pour ne pas avoir à affronter les difficultés.

—   Tu dois reprendre du poil de la bête, continua Mike. Et lui prouver que votre complicité est tout ce qui compte. Reprends-toi ! Redeviens le Jay qu'on connaît, intrépide, tenace et sûr de lui. Il t'aime donc il peut encore changer d'avis, tu dois te battre pour cette amour.

Leurs encouragements me galvanisaient et j'eus un sursaut de détermination. Pouvais-je réellement reconquérir Roman ? Lui faire voir à quel point ce que nous avions était précieux et combien cela valait la peine de tenter le coup. J'aurais aimé que ce soit possible, que sa résolution ne soit guidée que par des craintes et une conscience exacerbée.

Hugo avait raison, je n'étais plus sûr de moi. J'étais devenu une petite chose fragile et en souffrance. Je devais sortir de ce tourbillon dépressif si je voulais être assez fort pour récupérer Roman.

—   Ok, j'ai des changements à faire, décidai-je.

Mes amis froncèrent des sourcils de concert, pas certains de comprendre ce que je voulais dire. Alors j'expliquai avoir besoin de reprendre possession de mon moi profond et pour cela, quoi de mieux qu'une transformation subtile pour me redonner confiance en moi ?

Je devais me gonfler de cette fougue qui me caractérisait. Sans ça, je ne pourrais jamais convaincre Roman. Et si jamais, malgré mes efforts, il campait sur ses positions, au moins, j'aurais eu le mérite d'avoir tout tenter. Tel était qui j'étais ; obstiné, intrépide, têtu.

*

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